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Septante
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Septante semaines de Daniel (1)

Nous en avons parlé assez amplement sous l’article Semeuse. M. Prideaux, dans la nouvelle Histoire des Juifs qu’il a publiée depuis peu, la commence à la septième année du roi Artaxerxès à la longue main, l’année de l’édit qu’il donna à Esdras pour retourner à Jérusalem. Il traite cette matière avec étendue.

Septante disciples (2)

C’est le nom qu’on donne aux soixante-douze disciples que Jésus-Christ choisit, et qu’il envoya prêcher devant lui, dans tous les lieux où il devait aller (Luc 10.1-17). Voyez ci-devant l’article Disciples.

Septante (3)

Ou Septante interprètes. On entend ordinairement sous ce nom les soixante et dix ou soixante-douze interprètes qui, selon l’opinion commune, traduisirent d’hébreu en grec les livres de l’Ancien Testament, ou du moins le Pentateuque, si l’on en veut croire saint Jérôme et plusieurs autres critiques.

Voici l’histoire de cette traduction, comme la raconte Aristée.

Démétrius de Phalère, bibliothécaire du roi Ptolémée Philadelphe, ayant mis toute son application à amasser dans la bibliothèque d’Alexandrie une infinité de livres, le roi Philadelphe lui demanda un jour combien il en avait déjà. Démétrius répondit qu’il en avait deux cent mille, et qu’il se flattait d’y en mettre bientôt jusqu’à cinq cent mille : car, ajouta-t-il, j’ai appris que les lois des Juifs méritent bien d’y avoir place ; mais il faut premièrement les traduire d’hébreu en grec. Le roi repartit qu’il ferait écrire au grand prêtre des Juifs sur cela.

Alors Aristée, auteur de ce réeit, qui était présent et qui avait l’honneur d’être garde du corps de ce prince, se souvint d’une chose qu’il avait depuis longtemps dans l’esprit, et dont il s’était ouvert a Sosibius de Tarente et à André, deux de ses amis et des premiers officiers de la garde du roi, qui était de procurer la liberté à un grand nombre de Juifs que le roi Ptolémée, fils de Lagus et père de Ptolémée Philadelphe, avait autrefois amenés captifs en Égypte lorsqu’il faisait la guerre en Syrie et en Phénicie. Aristée, Sosibius et André prirent donc cette occasion de dire au roi que, puisqu’il voulait faire traduire en grec les livres sacrés des Juifs, il était de sa grandeur et de sa libéralité de délivrer de servitude un grand nombre de Juifs qui étaient dans ses terres, afin que toute leur nation, sensible à cette faveur, lui envoyât plus volontiers les livres qu’il souhaitait.

Le roi ayant demandé de combien pouvait être le nombre de ces captifs, ils répondirent qu’ils étaient environ cent mille. Ce grand nombre ne rebuta point Philadelphe, et il promit qu’il les remettrait en liberté. En même temps il donna ordre que l’on distribuât à tous ceux qui avaient des esclaves juifs, vingt drachmes par esclave, afin qu’ils les affranchissent ; et il fit publier en leur faveur un édit, dans lequel il donnait la liberté non-seulement aux Juifs que son pere ou lui avaient amenés en Égypte, mais aussi à tous les autres qui y pouvaient être en servitude pour quelque cause que ce fût. La dépense que le roi fit dans cette occasion fut de plus de six cents talents, qui font de notre monnaie un million quatre cent quarante mille livres, en prenant le talent sur le pied de deux mille quatre cents livres.

Après cela, Philadelphe fit écrire au grand prêtre Eléazar, pour le prier de lui envoyer les livres de la loi, avec.des traducteurs capables de les rendre d’hébreu en grec. La lettre fut portée par des ambassadeurs chargés de riches présents, et André et Aristée furent du nombre de ceux que le roi envoya à Jérusalem. Eléazar obéit aussitôt aux ordres du roi, et lui envoya le livre de la Loi, avec, soixante-douze Juifs, habiles en grec et en hébreu, afin qu’ils traduisissent les livres sacrés. Il écrivit en même temps au roi pour lui rendre grâces de ses riches présents, et louer sa piété envers Dieu, et la libéralité dont il avait usé envers les Juifs de ses États.

Philadelphe reçut les députés d’Eléazar avec beaucoup de bonté, témoigna un grand respect pour les livres saints qu’ils lui avaient apportés, les adora en se penchant devant eux jusqu’à sept fois, admira la beauté du vélin et de l’écriture en lettres d’or, comme aussi la variété des couleurs dont les feuilles étaient peintes. Il assura ces envoyés qu’il regarderait toute sa vie le jour de leur arrivée comme une fête ; et comme il se rencontrait avec le jour auquel ce prince avait vaincu Antigone en bataille navale, il voulut qu’ils eussent l’honneur de manger avec lui. Durant le repas, il leur fit diverses questions auxquelles ils satisfirent parfaitement ; et le roi en fut si content, qu’il voulut les traiter sept jours de suite, afin de les ouïr tous les uns après les autres.

Trois jours après, Démétrius de Phalère prit les soixante-douze Hébreux, et les conduisit dans l’île de Pharos par une levée longue de sept stades, et leur ayant fait passer le pont, il les introduisit dans une fort belle maison qui était au septentrion de l’île et sur le bord de la mer, éloignée du bruit, afin qu’ils pussent vaquer sans trouble à la traduction des livres saints. Ils commencèrent donc à y travailler ; et discutant entre eux tout ce qui souffrait quelque difficulté, lorsque la chose était arrêtée et en état d’être mise au net, ils la portaient à Démétrius, qui la faisait écrire par des copistes. Ils travaillaient ainsi depuis le matin jusqu’à la neuvième heure, c’est-à-dire jusqu’à trois heures avant le coucher du soleil. Alors ils retournaient à la ville, où on leur fournissait abondamment tout ce qui était nécessaire pour leur subsistance. Le lendemain de grand matin ils retournaient dans l’île de Pharos à leur travail, et après avoir lavé leurs mains et fait leurs prières, ils se remettaient au travail. Ils continuèrent ainsi pendant soixante et dix ou soixante-douze jours.

Quand tout l’ouvrage fut achevé, ils le mirent entre les mains de Démétrius, qui en fit la lecture dans l’assemblée des Juifs d’Alexandrie, afin qu’ils jugeassent de sa conformité avec l’original. Ils en furent très-contents, et comblèrent de louanges et Démétrius, qui leur avait procuré cette version, et les interprètes qui l’avaient faite. Après cela ils prononcèrent anathème contre quiconque ferait quelque changement au texte de cette version, de quelque manière que ce fût. Le roi étant informé de tout ce qui s’était passé, en témoigna beaucoup de satisfaction. Il se fit lire la loi de Moïse, et en admira la sagesse. Il demanda à Démétrius pourquoi nul historien ni aucun poète n’avait fait mention d’un ouvrage si divin. Démétrius lui répondit que c’était le respect qu’on avait toujours eu pour un livre si divin qui en avait détourné ; que Théopompe, en ayant inséré quelque chose dans son Histoire, avait été frappé d’une maladie qui lui avait troublé l’esprit ; et que Théodote, poète tragique, en ayant voulu mettre quelques parties dans ses poésies, en avait perdu la vue ; et que l’un et l’autre avaient été guéris miraculeusement, lorsqu’ils avaient reconnu et confessé leur faute.

Philadelphe reçut donc l’ouvrage des interprètes avec de très-grandes marques de vénération, et le fit mettre dans sa bibliothèque, où il commanda qu’il fût gardé avec grand soin. Il combla de louanges les Septante traducteurs, les invita à le venir voir souvent, et les renvoya en Judée chargés de riches présents, tant pour eux que pour le grand prêtre Eléazar. Voilà le précis de l’histoire d’Aristée, que cet auteur a dédiée à son frère Philocrates, à qui il rend compte de tout cela comme témoin oculaire et parfaitement instruit de tout ce qu’il dit. On lit la même histoire dans Josèphe, qui l’a tirée d’Aristée. Philon parle aussi de la version des Septante comme ayant été faite par des auteurs inspirés ; mais il ne fait mention ni d’Aristée ni de Démétrius Phaléréus.

Saint Justin le Martyr est assez différent d’Aristée. Il dit que Ptolémée, roi d’Égypte, ayant appris qu’il y avait chez les Juifs d’anciennes histoires écrites en hébreu, fit venir de Jérusalem soixante et dix hommes pour traduire ces ouvrages d’hébreu en grec. Il fit mettre ces hommes dans l’Île de Pharos, et dans soixante et dix cellules, afin qu’ils travaillassent sans distraction, et que, ne pouvant communiquer ensemble, on fût plus sûr de la fidélité de leur traduction. Dieu permit qu’ils traduisissent d’une manière si uniforme, que non-seulement ils employèrent les mêmes termes, mais aussien même nombre ; ce qui remplit le roi d’une telle admiration, qu’il les combla de présents, et les renvoya avec honneur dans leur pays. Saint Justin ajoute que pendant qu’il était à Alexandrie on lui fit voir dans l’Île de Pharos les ruines des cellules où ils avaient été enfermés.

Le même saint Justin, dans sa seconde Apologie, raconte la chose d’un autre manière. Il dit que le roi Ptolémée, dans le dessein de faire une bibliothèque très-nombreuse, écrivit à Hérode, roi des Jtiifs, de lui envoyer les livres des prophètes qui étaient dans son pays. Hérode les lui envoya. Mais comme ces ouvrages étaient couchés en hébreu, Ptolémée écrivit de nouveau à Hérode pour le prier de lui donner des hommes capables de les traduire en grec. Ce qui ayant été fait, ces livres furent mis dans la bibliothèque du roi d’Égypte, où ils sont encore à présent, dit saint Justin, entre les mains de tous les Juifs. Saint Irénée, saint Cyrille de Jérusalem, saint Chrysostome et saint Augustin parlent aussi des soixante et dix ou soixante-douze cellules des Septante interprètes ; mais saint Épiphane n’en met que trente-six. Voici comme il raconte cette histoire.

Il dit qu’Aristée, dans son Histoire des Septante interprètes, nous apprend que Ptolémée Philadelphe forma une bibliothèque à Alexandrie, dans un lieu nommé Bruchium, et en confia la garde à Démétrius de Phalère. Un jour le roi ayant demandé à Démétrius, combien il avait de livres, Demétrius lui répondit qu’il en avait env iron cinquante-quatre milfe huit-cents ; mais qu’il serait aisé d’eu avoir un bien plus grand nombre, si l’on fai sait traduire ceux qui étaient chez les Ethice piens, les Indiens, les Perses, les Élamites, les Babyloniens, les Assyriens, les Chaldéens, les Romains, les Phéniciens les Syriens, et ceux qui habitaient dans la Grèce, qui s’appelaient, autrefois Latins, et non pas Romains. Il veut marquer apparemment les Grecs d’Italie, ou de la grande Grèce. Il ajouta que dans la Judée et à Jérusalem il y avait plusieurs livres tout divins, écrits par des prophètes, dont on pourrait avoir communication, si l’on voulait les demander aux Juifs.

Le roi écrivit donc aux Juifs une lettre, qui se trouve dans saint Épiphane, par laquelle il les prie de lui envoyer leurs livres. Les Juifs lui envoyèrent les vingt-deux livres de l’Ancien Testament, écrits en lettres d’or ; et outre cela, soixante-douze livres apocryphes. Mais comme ces ouvrages étaient en hébreu, le, roi leur écrivit de nouveau, pour les prier de lui dépécher des interprètes pour les traduire en grec. On lui envoya soixante-douze hommes choisis, douze de chaque tribu ; et pour faire que la traduction fût la plus correcte qu’il serait possible, et que les interprètes ne pussent avoir de communication l’un avec l’autre, le roi fit construire dans Ille de Pharos trente-six cellules, dans chacune desquelles il enferma deux interprètes, afin qu’ils travaillassent ensemble ; et il leur donna des serviteurs pour les servir, et des copistes pour écrire en notes, ou en abrégé ce qu’ils leur dicteraient. On ne fit point de fenêtres à ces cellules, afin que personne ne pût voir en dedans ; tuais elles prenaient du jour par le haut. On donnait un livre aux deux interprètes qui étaient dans chaque cellule, et quand ils l’avaient traduit, on le faisait passer dans la cellule suivante ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que les livres fussent traduits trente-six fois.

Ils travaillaient ainsi enfermés depuis le matin jusqu’au soir ; et sur le soir on les venait prendre dans trente-six nacelles, pour les amener au palais, où ils mangeaient avec le roi ; puis on les menait dans trente-six chambres, où ils couchaient deux dans chaque chambre. Le lendemain de grand matin on les ramenait de même dans leurs cellules. Lorsque tout l’ouvrage fut achevé, le roi s’assit sur son trône, et ordonna qu’on lui en fit la lecture. Trente-six lecteurs tenaient les trente-six exemplaires de ta version, et un trente-septième tenait le texte hébreu. On trouva en confrontant toutes ces versions, qu’elles étaient si parfaitement semblables, que ce que l’une avait ajouté ou retranché, l’autre l’avait aussi ajouté ou retranché ; et que ce qui avait été retranché était vraiment inutile et superflu. Ce qui fit juger à toute l’assemblée que ces interprètes avaient été inspirés du Saint-Esprit. Le roi fit mettre leur version dans la bibliothèque nommée liruchium, qui était comme la mère de la seconde bibliothèque, nommée Serapoeum.

Les Talmuds de Jérusalem et de Babylone disent que le roi Ptolémée ayant fait venir les soixante-douze vieillards, sans leur dire ce qu’il désirait d’eux, les enferma dans soixante-douze cellules, après quai il leur déclara qu’il souhaitait qu’ils traduisissent les livres saints d’hébreu en grec. Ils satisfirent à la volonté du roi avec tant de succès, et Dieu les dirigea si heureusement, qu’ils les traduisirent tous de la même sorte.

Les Samaritains ont aussi prétendu à l’honneur de cette traduction. Ils racontent que le roi d’Égypte ayant fait venir le grand prêtre des Samaritains et celui des Juifs, avec des hommes chacun de leur côté, pour traduire en grec les saintes Écritures, la traduction des Samaritains fut préférée à celle des Juifs, et mise dans la bibliothèque d’Alexandrie.

Philon raconte que les Juifs d’Égypte eurent tant de joie de cette traduction de la loi en grec, qu’ils établirent une fête annuelle pour en célébrer la mémoire. Ils allaient tous les ans dans l’ile de Pharos, accompagnés de plusieurs étrangers, qui s’y rendaient comme eux pour satisfaire leur dévotion ; et après cela ils se réjouissaient dans des repas de piété, les uns sous des tentes, et les autres sur le rivage et sur le sable, pénétrés de respect pour un lieu qui avait été sanctifié par la présence des septante interprètes. Les Juifs hébraïsants au contraire conçurent tant de mépris et d’horreur pour cette version, qu’ils établirent un jeûne le huitième jour de thébet, qui répond au mois de décembre, pour témoigner combien ils désapprouvaient la liberté que les Juifs hellénistes s’étaient donnée de traduire la loi en une langue impure et étrangère. Il disent que le jour que se fit cette traduction fut aussi fatal à Israël que celui auquel Jéroboam, fils de Nabat, fabriqua les veaux d’or ; et qu’alors le ciel fut couvert de ténèbres pendant trois jours.

Plusieurs anciens Pères de l’Église ont eu tant de respect pour cette version des Septante, qu’ils l’ont regardée comme infaillible et comme inspirée du Saint-Esprit ; et saint Augustin a porté ce principe si loin, qu’il a cru que dans les endroits où les Septante s’éloignent du texte hébreu, ce qui leur arrive assez souvent, on doit croire que le Saint-Esprit qui les animait, de même qu’il avait animé les auteurs sacrés, a conduit leur plume par une providence particulière ; de manière que les uns et les autres ne nous disent rien que de très-certain’ quoique quelquefois ils paraissent opposés et différents les uns des autres. Ainsi ce saint docteur conserve l’autorité des Septante, sans donner atteinte aux textes originaux et authentiques. Saint Hilaire veut que dans les endroits où les divers interprètes varient entre eux sur un passage de l’Ancien Testament on s’en tienne aux Septante, comme à la version la plus ancienne et la plus arttorisée par l’usage des Églises.

Ce sentiment des Pères sur l’inspiration des Septante, était fondé sur l’admirable conformité qui s’était trouvée entre les divers exemplaires de ces interprètes, quoiqu’ils n’eussent eu aucune communication ensemble, ayant été enfermés séparément dans trente-six ou dans soixante-douze cellules différentes. Mais comme ce dernier fait est absolument douteux, il n’a.pu servir de fondement à un article de cette conséquence. Aussi l’Église n’a-t-elle jamais décidé sur l’inspiration de ces interprètes ; et saint Jérôme s’est fortement élevé contre le premier auteur qui a inventé la fable de soixante et dix cellules. Il soutient que ces interprètes conféraient ensemble, et s’aidaient l’un l’autre dans leurs traductions ; en un mot, qu’ils étaient de simples interprètes, et non pas des prophètes. Il montre qu’il y a plusieurs fautes dans leurs traductions, et il ne croit pas qu’ils aient traduit toute l’Écriture, mais seulement les cinq livres de Moïse. Il dit que Josèphe et Philon, et toute l’école des Hébreux l’assurent de même ; et Aristée, qui est le premier auteur de la version des Septante, dit simplement que l’on lut au roi les livres de la loi.

La plupart des critiques modernes s’inscrivent en faux contre ce que nous venons de dire sur la manière dont se lit la version des Septante ; et il faut avouer que leurs raisons sont très-plausibles. Ils font valoir :

1° La diversité de sentiments qui se rencontre entre ceux qui ont parlé de cet événement.

2° Aristée, qui se dit auteur de la plus ancienne histoire que nous ayons, soutient mal son personnage. Il veut passer pour païen, et il parle et agit partout comme un Juif zélé.

3° Il parle de Ptolémée Philadelphe comme d’un prince sage et religieux, rempli de respect pour le vrai Dieu, pour sou temple et pour ses éçritures ; et on sait par l’histoire, que c’était un prince très-corrompu et très-impie.

4° Il nous dit que Démétrius de Phalère était ami et bibliothécaire du roi Philadelphie ; et nous savons que Démétrius ayant conseillé à Ptolémée, fils de Lagus, d’exclure du royanme son fils Ptolémée Philadelphe, celui-ci en fut si irrité, qu’après qu’il fut monté sur le trône, il envoya Démétrius en exil, en attendant qu’il en eût ordonné autrement. Mais Démétrius ne pouvant résister à l’ennui de cet exil, se fit mourir en s’appliquant un aspic.

5° On remarque le même style, et un style plein d’hébraïsmes, dans toute l’histoire du prétendu Aristée, dans les lettres de Philadelphe au grand prêtre Eléazar, et dans celles d’Eléazar au roi, et dans la requête de Démétrius au même Philadelphe.

On fait plusieurs autres remarques sur l’histoire d’Aristée, qui la rendent très-suspecte, et qui font juger que c’est l’ouvrage de quelque Juif, qui a emprunté le nom d’Aristée pour mieux déguiser sa fable.

Mais qu’est-ce donc que l’ancienne version grecque que nous avons aujourd’hui entre les mains, et que nous citons sous le nom des Septante ? On convient que cette version est ancienne, et elle peut bien avoir été faite dès le temps de Ptolémée Philadelphe ; du moins les cinq livres de Moïse, dont la version est plus exacte et plus fidèle que celle des autres livres ; mais on n’en sait précisément ni le temps ni les auteurs. Les traductions des autres livres paraissent avoir été faites par d’autres interprètes, aussi inconnus que les premiers, et qui pouvaient vivre en différents temps ; car on n’a aucune preuve qu’elles soient d’un même auteur ; la diversité du style, et de la manière dont ils traduisent le même terme, font juger qu’ils sont différents entre eux. On ne sait pas non plus si c’est des interprètes ou des copistes que viennent les renversements que l’on remarque dans le texte grec de l’Écriture, comparé au texte hébreu, et les changements que l’on a faits dans la Genèse sur l’age des patriarches qui ont vécu avant et après le déluge, jusqu’à la tour de Babel : car ces altérations et ces additions ne paraissent nullement des effets du hasard, et elles sont en très-grand nombre, surtout dans Job, dans les Proverbes, dans les grands prophètes et dans les livres des Rois.

« On a disputé longtemps, dit Para du Phanjas, et on dispute encore avec chaleur, pour décider quels ouvrages divins furent traduits par les Septante ; les uns assurant qu’ils traduisirent tout l’Ancien Testament, les autres prétendant qu’ils ne traduisirent que le Pentateuque.

Le plus probable, pour ne pas dire le plus certain, c’est que la traduction des Septante eut pour objet tous les livres hébreux de l’Ancien Testament, du moins tous ceux qui étaient alors regardés comme livres canoniques. La raison en est, en premier lieu, qu’au temps des apôtres et de Jésus-Christ il existait une ancienne version grecque de tous les livres hébreux de l’Ancien Testament, et que cette version, seule et unique, était généralement regardée comme l’ouvrage des Septante dans toutes ses parties indistinctement ; en second lieu, que Ptolémée, dont le but général était d’enrichir sa bibliothèque de tous les livres existant dans le monde avait un empressement égal et sans préférence pour tous les livres des Juifs ; et que les désirs et vues de ce monarque auraient été visiblement très-mal remplis si les Septante, en traduisant les livres de Moïse, lui eussent caché ou n’eussent pas traduit les livres de Josué, des Juges, des Rois, d’Esdras ; les ouvrages de David, de Salomon, des prophètes.

Quoi qu’il en soit et de l’origine et de l’objet de la version des Septante, version que nous regardons comme un ouvrage naturel, fait de concert par des personnages éclairés qui se communiquent réciproquement leurs lumières, sur les différentes branches de leur travail, et que d’autres regardent comme un ouvrage surnaturel, fait par l’impulsion et comme sous la dictée de l’Esprit-Saint, il est certain que cette version des livres hébreux de l’Ancien Testament est très-ancienne et très-respectable, que les Juifs n’en ont point eu d’autre avant l’avénement du Messie, que le Messie lui-même s’en est servi lorsqu’il a cité l’Écriture, que les apôtres l’ont laissée à leurs Églises respectives comme la règle de leur foi. Il est certain que tous les saints Pères des six premiers siècles l’ont eue en grande vénération, l’ont regardée comme authentique, et l’ont employée contre les Juifs et contre les gentils ; que depuis ce temps là une foule de grands hommes du christianisme l’ont préférée même au texte hébreu, parce que, depuis l’avénement du Messie, le texte hébreu des livres saints a été altéré et corrompu eu quelques endroits par les Juifs qui n’ont pas eu la même facilité pote altérer et pour corrompre la version des Septante, trop répandue.

Les questions qui se rattachent à cette célébre traduction grecque des livres saints n’ont pas cessé encore d’exercer la critique des savants, sans qu’ils soient parvenus à les résoudre. Je vais rapporter ici le résultat de mes recherches sur ce sujet, déjà consignées dans mon Histoire de l’Ancien Testament, in-4°, livre 9 eh iv, n° 2, tome 2 pages 190 et suivantes.

Ptolémée, fils de Lagus, surnommé Soter, se proposant, l’an 284 avant notre ère, de faire choix d’un successeur, consulta ses amis. L’usage désignait Céraunus, l’allié de ses fils, qui était né d’Eurydice. Mais Ptolémée Soter préférait Ptolémée Philadelphe, premier-né d’une autre épouse nommée Bérénice. L’illustre orateur Démétrius de Phaère, exilé d’Athènes, son ingrate patrie, itait alors à la cour d’Égypte ; voyant le roi ialancer entre ces deux fils, il employa, mais vainement, son éloquence pour le décider en faveur de Céraunus. Soter proclama, au mois de novembre, Philadelphe son successeur ; et, à u mois de janvier suivant, il descendit du trône pour y placer le premier fils qu’il avait eu de Bérénice. Il mourut environ deux ans après, à la fin de l’an 282.

C’est, suivant nous, au temps qui s’écoula depuis l’abdication de Soter jusqu’à sa mort, qu’il convient de fixer enfin la date où fut faite la traduction grecque des livres sacrés des Juifs, connue et vénérée sous le titre de version des Septante. Nous n’ignorons pas qu’on a beaucoup écrit sur diverses questions qui se rattachent à cette version, et il nous, semble que plus on a prétendu les éclaircir plus on les a embrouillées. Nous n’avons pas ici à examiner les difficultés que les critiques ont élevées sur ces questions, notamment sur l’existence d’Arisléas, un des capitaines du roi d’Égypte, auteur d’une Histoire des septante interprètes, sur l’époque où cette version fut faite et sur la manière dont on la fit. Quoi qu’on en ait dit, nous croyons qu’Aristéas est l’auteur de l’histoire de la Version des Septante ; mais nous reconnaissons que cette histoire, lorsque Josèphe s’en servit, environ trois cent cinquante ans après Arisféas, n’était plus telle que l’auteur l’avait écrite, c’est-à-dire que quelque Juif, vraisemblablement, l’avait défigurée en y ajoutant des circonstances fabuleuses. Aux suppositions et, disons-le, aux bévues qu’ont faites quelques critiques, et que d’autres ont adoptées comme choses certaines, nous opposons, non pas ce que Josèphe dit d’Aristéas et de son livré dans le deuxième chapitredu douzième livre des Antiquités juddigues, mais le témoignage d’Hécatée d’Abdère, qui était à la cour du roi d’Égypte en même temps qu’Aristéas. Ce témoignage, qui paraît avoir échappé à ces critiques, est d’autant plus important et décisif, que Josèphe, dans un autre ouvrage, l’invoque pour prouver tout autre chose que l’existence d’Aristéas. Josèphe, réfutant les calomnies d’Appion, établit qu’Alexandre et ses successeurs en Égypte se sont plus à favoriser singulièrement les Juifs à cause de leur valeur et de leur fidélité. Après avoir prouvé, par un passage d’Héeà tée que Ptolémée. Soter les estimait et avait en eux une grande confiance, il passe à son successeur, et, continuant de citer cet historien, il dit : « Ptolémée Philadelphe ne mit pas seulement en liberté tous ceux de notre nation qui étaient captifs en son pays, mais il leur donna à diverses fois de grandes sommes ; et, ce qui est plus considérable, il eut un tel désir de connaître nos lois et nos saintes Écritures, qu’il envoya chercher (en Judée) les personnes capables de les lui interpréter et de les traduire. Ceux qu’il chargea du soin de les lui amener n’étaient pas de peu de mérite : ce furent Démétrius de Phalère, qui passait pour le plus savant homme de son siècle, André et Aristéas, capitaines de ses gardes. » Voilà ce qui, en substance, est tiré de l’historien Recalée. Josèphe ajoute : « Or ce prince aurait-il pu désirer avec tant d’ardeur ère instruit de nos lois et de nos coutumes s’il eût méprisé ceux qui les observaient, et s’il ne les eût au contraire fort estimés ? »

Josèphe raisonnait ainsi contre un homme et devant un public qui connaissaient les ouvrages d’Aristéas et d’Hécatée ; nulle contradiction, que nous sachions, ne s’est élevée parmi les anciens contre l’authenticité de ces ouvrages, dont l’un, celui d’Hécatée, est perdu, et dont l’autre, celui d’Aristéas, nous a été transmis chargé de contes qu’une critique éclairée peut élaguer. En vain des auteurs modernes, protestants et catholiques, ont-ils révoqué en doute l’existence d’Anisléas, ou prétendu que son histoire n’était qu’une pièce supposée dont le fonds même était très-incertain, il n’y a rien de fondé, rien de raisonnable à objecter contre le récit d’Hécatée.

Rien de plus facile à fixer que l’époque où fut faite la traduction grecque des livres saints, parce que rien de plus aisé à concilier que les particularités qui se rattachent à cette question et que l’on a jugées incompatibles. M. Champollion-Figeac semble reconnaître pour moins incertaine la date donnée par les Samaritains dans leur Chronique d’Aboul-Phatach, qui indique la dixième année du règne de Philadelphe comme étant celle où se fit cette traduction. Nous ne saurions dire pourquoi le savant cbronologiste a préféré cette date, si ce n’est parce qu’elle est positivement déterminée par la Chronique samaritaine ; mais la jalousie des Samaritains contre les Juifs et leur usage de s’attribuer à eux-mêmes toutes les choses avantageuses dont leurs frères de Juda étaient l’objet, suffisent pour nous empêcher d’admettre la date qu’ils ont marquée dans leur Chronique, d’autant plus que les récits d’Aristéas et d’Hécatée nous en indiquent une autre, qui est confirmée par des témoignages que nous allons faire connaître.

« Puisque, au rapport de Plutarque (Apophthegmala regum, 2 pages 189), Démétrius de Phalère engagea Ptolémée Soter à recueillir les livres de législation connus chez divers peuples et dans diverses £ontrées, ceux des Juifs ne purent pas être oubliés. » Un jour, dit Aristéas, Ptolémée Philadelphe demanda à Démétrius de Phalère combien il y avait déjà de livres dans sa bibliothèque. Démétrius, lui ayant répondu, ajouta que les livres des Juifs, qui traitaient des lois et des coutumes de ce peuple, méritaient bien aussi d’y avoir leur place. Saint Irénée dit que ces livres furent traduits sous Ptolémée Soter ; et saint Clément d’Alexandrie rapporte que, suivant les uns, cette traduction fut faite sous Soter, et, suivant les autres, sous Philadelphe. Tout cela est vrai. Le prêtre juif Ézéchias avait donné aux savants grecs dans ses entretiens avec eux, le désir de connaître les livres juifs. Démétrius de Phalère ne trouvait pas à Alexandrie des Juifs assez capables, assez versés dans les saintes lettres, ou lui offrant assez de garanties pour qu’il fût certain d’enrichir la bibliothèque du roi d’Égypte d’une traduction exacte des livres hébreux. Plutarque ne dit pas que Démétrius ait engagé Soter de se procurer, non pas ces livres, car les Juifs d’Alexandrie en avaient sans doute, mais des hommes compétents pour les traduire. La difficulté d’avoir ces traducteurs subsista jusqu’à la fin du règne de Soter, époque assez rapprochée de celle de la fontation de la bibliothèque ; mais lorsque Philadelphe demanda compte à Démétrius de l’état de cette bibliothèque, il le chargea de prendre les mesures nécessaires pour l’enrichir enfin des livres juifs, sans s’effrayer des dépenses qu’elles nécessiteraient. Alors Démétrius présenta un rapport à Philadelphe. Celui-ci, ayant approuvé ce rapport, écrivit à Eléazar, qui remplissait les fonctions de souverain pontife pour son neveu Onias II fils de Simon le Juste. Aristéas et André, chargés de remettre cette lettre avec de riches présents, remplirent avec succès leur mission. Eléazar, déférant aux désirs de Philadelphe, choisit dans les tribus soixante et dix ou soixante-douze Juifs vénérables par leur fige, possédant la science des Écritures et la connaissance de la langue grecque comme de la langue hébraïque. Ces soixante et dix savants, porteurs d’un exemplaire authentique et magnifique des livres divins, d’une lettre et de présents pour le roi d’Égypte, vinrent à Alexandrie avec les ambassadeurs de Philadelphe ; ils traduisirent en grec soit seulement les livres de Moïse, soit encore, comme nous sommes portés à le croire, les autres livres saints. Citeversion est dite des Septante, parce qu’elle fut faite par ces soixante et dix Juifs.

Il n’est pas possible de savoir comment ils se distribuèrent et exécutèrent ce travail, ni de juger combien de temps ils y employèrent. Mais on conçoit que ce temps ne dut pas être fort long, en admettant même qu’ils eussent traduit tous les livres de l’Ancien Testament, ce qui nous paraît peu susceptible d’être contesté. Les livres historiques on prophétiques et les livres moraux, méritaient sans doute aux yeux des Grecs l’honneur d’èire placés dans la bibliothèque du roi d’Égypte bien plus que les livres purement littéraires qu’ils y admettaient. Ainsi cette traduction fut faite après l’avénerlaent de Philadelphe au trône, à la demande et par les soins de Démétrius de Phalère, mais avant la mort de Soter, et, par conséquent, avant l’exil de Démétrius. Ceux qui disent qu’elle fut faite sous Soter le fout réguer jusqu’à l’époque de sa mort. Voilà toute leur erreur ; et cette erreur nous sert à fixer l’époque où se fit cette traduction. Puisque Soter vivait et que Philadelphe régnait, on comprend qu’on a pu dire avec la même vérité, quoique ce ne fût pas avec la même précision, que la traduction deslivres saints par les Septante fut faite et sous Soter et sous Philadelphe, c’est-à-dire dans l’espace de temps qui s’écoula depuis l’abdication publique et définitive de Soter, qui eut lieu au mois de janvier 4681 (ou 283 avant notre ère) jusqu’à sa mort, qui arriva à la fin de 4632 (ou 282 avant notre ère). Une autre raison, plus décisive peut-être, nous indique la même époque. Puisque la traduction (les Septante fut faite par les soins de Démétrius de Phalère, sous Philadelphe, et qu’il fut exilé fort peu de temps après la mort de Soter, il s’ensuit évidemment qu’elle fut faite avant son exil, c’est-à-dire dans les deux années (moins quelques jours) qui se passèrent depuis l’abdication de Soter jusqu’à sa mort. Mais qui croira, objecte-t-on, que Philadelphe ait chargé Démétrius de diriger cette grande entreprise, sachant qu’il avait fait tous ses efforts pour le priver de la royauté ? Tous ceux qui croient qu’il ne se vengea de lui qu’après la mort de son père. Démétrius aimait beaucoup les livres, et Soter l’avait nommé son bibliothécaire ; ce poste lui fut conservé tant que vécut celui qui le lui avait confié.