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Judith
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet Westphal

Judith (1)

De la tribu de Ruben, fille de Mérari, et veuve de Manassé, s’est rendue célèbre par la délivrance de Béthulie, assiégée par Holopherne. Voyez ce que nous avons déjà rapporté sur l’article d’Holopherne, et sur celui de Béthulie. Judith, depuis qu’elle était demeurée veuve, s’était fait au haut de sa maison une chambre secrète, où elle demeurait enfermée avec les filles qui la servaient ; ayant un cilice sur les reins, elle jeûnait tous les jours de sa vie, hors les jours de sabbat et les autres jours de fêtes de sa nation. Elle était d’une rare beauté, et son mari lui avait laissé de grandes richesses, un grand nombre de serviteurs, et de grands héritages, où elle avait de nombreux troupeaux de bÅ“ufs et de moutons. Elle était très-estimée de tout le monde, à cause de sa vertu et de sa piété, et il n’y avait personne qui dît la moindre chose à son désavantage.

Ayant appris qu’Ozias, qui était le premier de la ville de Béthulie, avait promis de livrer la ville dans cinq jours à Holopherne, elle fit venir Chabri et Charmi, anciens du peuple, et leur dit : « Comment Ozias a-t-il consenti de livrer la ville aux Assyriens, s’il ne nous venait point du secours dans cinq jours ? Qui êtes-vous, pour tenter ainsi le Seigneur ? Ce n’est pas là le moyen d’attirer sa miséricorde, mais plutôt d’exciter sa colère, et d’allumer sa fureur. Mais à présent recourons à la clémence du Seigneur, humilions-nous devant lui, reconnaissons que nous sommes entièrement à lui ; et attendons avec patience les effets de sa miséricorde. Elle ajouta : Je vous exhorte à prier, et à recommander tout ceci au Seigneur. Pour moi, j’ai résolu de sortir cette nuit de la ville avec ma servante. Vous vous tiendrez à la porte de Béthulie, vous m’ouvrirez, et vous me laisserez aller, sans vous informer de mon dessein ; et dans quelques jours, je viendrai moi-même vous dire de mes nouvelles. Â» Ils la quittèrent donc, et s’en allèrent.

Judith après cela, entra dans son oratoire ; et, s’étant revêtue d’un cilice, elle se mit de la cendre sur la tête, et se prosternant devant le Seigneur, elle lui fit sa prière, lui demandant qu’il lui plût humilier Holopherne et les autres ennemis d’Israël, garantir son peuple du danger qui le menaçait, et lui donner à elle assez d’agrément pour toucher Holopherne, assez de constance pour le mépriser, et assez de force pour le perdre. Après sa prière, elle se leva, descendit de la plate-forme dans sa maison, où elle ôta son cilice, quitta ses habits de veuve, se lava, se parfuma, se peigna, se mit une coiffure magnifique, se revêtit d’habits précieux, prit une chaussure très-riche, des bracelets, des pendants d’oreilles, des bagues. Enfin elle se para de tous ses ornements ; et Dieu augmenta encore sa beauté, afin qu’elle parût aux yeux de tous avec un lustre incomparable. Elle chargea sa servante des provisions nécessaires pour le voyage, et alla avec elle à la porte de la ville, où Ozias et les anciens l’attendaient. Ils lui ouvrirent les portes, sans lui faire aucune demande, se contentant de faire des vÅ“ux pour le succès de son voyage, et de sa bonne résolution.

Comme elle descendait de la montagne, les gardes avancées des Assyriens la rencontrèrent ; et lui ayant demandé où elle allait, elle leur dit : Je me suis enfuie de Béthulie, ayant connu que vous deviez bientôt prendre et piller la ville, et je suis venue pour découvrir au prince Holopherne tous les secrets des Juifs, et pour lui donner un moyen de prendre la ville, sans qu’il lui en coûte un seul homme. Ils la menèrent donc à la tente d’Holopherne. Aussitôt que ce général la vit, il fut pris par ses propres yeux ; et ses officiers disaient : Certainement les Hébreux ne sont point un peuple si méprisable, puisqu’ils ont de si belles femmes. Ils méritent bien qu’on leur fasse la guerre, quand ce ne serait que pour avoir de si belles esclaves. Judith se prosterna aux pieds d’Holopherne ; et Holopherne l’ayant fait relever par ses gens, lui dit : Ayez bon courage, et ne craignez point ; car je n’ai jamais fait de mal à qui que ce soit qui ait voulu se soumettre volontairement au roi Nabuchodonosor. Mais à présent dites-moi ce qui vous a portée à venir vers nous ?

Judith lui répondit qu’elle s’était retirée du milieu des Hébreux, premièrement, parce qu’elle savait que Dieu, irrité par leurs crimes, était résolu de les abandonner à leurs ennemis, et secondement, parce que, étant réduits à la dernière extrémité, elle n’avait pas cru pouvoir prendre un parti plus sûr pour sa propre conservation, ni lui rendre un plus grand service dans la conjoncture présente, que de l’informer de l’état de ces choses. Holopherne repartit : Dieu nous a favorisés de vous envoyer ainsi vers nous. Si votre Dieu me rend maître de toute la nation des Hébreux, ainsi que vous me le faites espérer, il sera aussi mon Dieu, et vous serez grande dans la maison de Nabuchodonosor, et illustre dans toute la terre. Alors il ordonna qu’on la fit entrer au lieu où étaient ses trésors, et qu’on lui donnât à manger de sa table. Mais Judith le pria de trouver bon qu’elle ne mangeât point d’autre viande que des provisions qu’elle avait apportées, de peur qu’elle ne se souillât par des viandes étrangères. Elle demanda aussi, en entrant dans l’appartement qu’on lui donna, qu’elle en pût sortir la nuit, et avant le jour, pour aller faire sa prière, ce qui lui fut accordé. Elle vécut pendant trois ou quatre jours de cette manière, sans que l’on conçût aucune défiance contre elle, en la voyant sortir du camp et y rentrer, après s’être lavée dans la fontaine et avoir fait sa prière.

Mais le quatrième jour, Holopherne la fit inviter par Bagao, son eunuque, de venir passer la nuit chez lui, pour manger, pour boire et pour se réjouir. Judith y alla, parée de tous ses ornements. Elle but et mangea, non de la table d’Holopherne, mais de ce que sa servante lui avait préparé ; et Holopherne fut tellement transporté de joie en la voyant, qu’il but du vin plus qu’il n’en avait bu en aucun repas dans toute sa vie. Le soir étant venu, ses serviteurs se hâtèrent de s’en retourner chacun chez soi ; et Bagao ferma les portes de la chambre et s’en alla. Judith y était seule avec sa servante, et Holopherne était accablé de sommeil par l’excès du vin. Judith dit donc à sa servante de se tenir dehors et de faire sentinelle ; et en même temps, faisant sa prière à Dieu, elle détacha le sabre d’Holopherne, qui était à la colonne et au chevet de son lit ; et l’ayant tiré du fourreau, elle prit cet homme par les cheveux, et dit « Seigneur, fortifiez-moi à cette heure. Puis lui frappant le cou par deux fois, elle lui coupa la tête, l’enveloppa dans une des courtines du pavillon, donna à sa servante la tête d’Holopherne, et lui dit de la mettre dans son sac. Puis elles sortirent toutes deux, selon leur coutume, comme pour aller prier hors du camp.

Étant arrivées à la porte de la ville, Judith cria : Ouvrez les portes, parce que Dieu est avec nous, et qu’il a signalé sa puissance dans Israël. On lui ouvrit, et aussitôt toute la ville s’assembla autour d’elle. Elle se mit sur un lieu éminent, leur montra la tête d’Holopherne, et leur dit en peu de mots ce qu’elle avait fait. On fit venir Achior, à qui l’on montra aussi la tête d’Holopherne. Enfin Judith parla aux anciens et à tout le peuple en ces termes : Pendez cette tête aux murailles, et aussitôt que le soleil sera levé, que chacun prenne ses armes, et sortez avec grand bruit : mais ne descendez pas jusqu’au bas de la montagne ; faites seulement semblant de vouloir attaquer les ennemis. Alors il faudra que les gardes aillent éveiller le général ; et quand ils le trouveront sans tête et nageant dans son sang, la frayeur les saisira, et ils prendront tous la fuite. Alors marchez hardiment contre eux, car le Seigneur vous les livrera entre les mains.

On suivit ce conseil, et la chose arriva comme Judith l’avait prédite. Dès que les Assyriens surent qu’Holopherne avait été tué, ils ne songèrent plus qu’à fuir. Les Hébreux se mirent à les poursuivre avec de grands cris. En même temps Ozias envoya dans toutes les villes d’Israël pour les avertir de ce qui s’était passé, afin que de tous côtés on courût sus aux Assyriens. La défaite fut extraordinaire, et tout le pays fut enrichi des dépouilles que l’on gagna dans cette occasion. Le grand prêtre Joachim vint de Jérusalem à Béthulie, pour féliciter Judith de la victoire qu’elle avait procurée à Israël. On ramassa tout ce que l’on crut avoir appartenu à Holopherne, en habits, en or, eu argent, en pierreries, et on le donna à Judith. Alors cette sainte veuve, pour rendre grâces au Seigneur, auteur de tant de grâces, chanta un cantique en son honneur ; et prenant toutes les armes d’Holopherne, dont le peuple lui avait fait présent, et le rideau de son pavillon, elle consacra le tout au Seigneur, comme un monument d’un si grand bienfait. Le nom de Judith devint après cela très-célèbre dans Israël. Les jours de fête elle paraissait en public avec une grande gloire ; et, après avoir demeuré cent cinq ans dans la maison de son mari, à Béthulie, et avoir donné la liberté à sa suivante, elle mourut et fut enterrée avec son époux, à Béthulie, et tout le peuple la pleura pendant sept jours. Or le jour de cette victoire a été mis par les Hébreux au rang des fêtes.

Plusieurs savants croient qu’on ne doit point chercher d’autre fête de la victoire de Judith que celle qui se célèbre pour la dédicace ou le renouvellement du temple par Judas Machabée, le 25 de casleu. Léon de Modène et le calendrier des Juifs donné par Sigonius la mettent ce jour-là. [Voyez le Calendrier des Juifs, à la tête du premier volume de ce Dictionnaire, au 25 de casleu, et au 17 d’élul].

La plus grande difficulté qu’on forme sur le livre de Judith, consiste à fixer le temps auquel l’histoire qu’il renferme est arrivée. Le texte grec et le syriaque semblent prouver que ce fut après le retour de la captivité de Babylone. Le texte latin de la Vulgate peut s’expliquer du temps qui précéda cette captivité. L’un et l’autre souffrent encore de très-grandes difficultés, de quelque manière qu’on l’entende, et en quelque temps qu’on la place. Nous allons donner un précis des deux systèmes ou des deux opinions, dont l’une soutient que l’histoire de Judith arriva avant la captivité, et l’autre qu’elle n’arriva qu’après. Ces deux sentiments ont encore des sous-divisions et des diversités dans lesquelles nous n’entrerons pas, la chose demandant une trop grande étude.

De dire qu’on lèvera toutes les difficultés, et qu’on satisfera parfaitement à toutes les objections qu’on peut former contre cette histoire, c’est ce qui parait impossible, quelque parti qu’on prenne, et quelque système qu’on suive. L’histoire sacrée ni l’histoire profane ne nous donnent au temps de Manassé, ni dans celui de Sédécias, ni après ni avant la captivité, un roi de Ninive nommé Nabuchodonosor, qui, la douzième ou la dix-septième année de son règne ait vaincu un roi des Mèdes nomme Arphaxad. On aura même bien de la peine à trouver en ces temps-là, et à point nommé, un grand prêtre des Juifs nommé Joachim, ou Eliacim, dans le temps auquel on voudra placer cette histoire. Enfin il restera toujours des difficultés presque insurmontables quand on voudra concilier le texte grec et le syriaque avec le latin de saint Jérôme, et qu’ou voudra éplucher tout ce qui regarde la géographie et les autres circonstances de ce récit. Il n’y en aura peut-être pas de moindres si, en s’attachant uniquement à la Vulgate, on veut rejeter les versions grecque et syriaque et l’ancienne italique.

Ce n’est pas la seule histoire où l’on trouve des difficultés, soit dans les noms propres, dans les dates ou dans d’autres particularités. On est tout accoutumé, dans les histoires d’Orient, de trouver un même prince désigné sous différents noms dans les profanes et dans les auteurs sacrés, dans les écrivains grecs et dans les hébreux, et même dans les historiens du pays. Les savants ne font sur cela aucune difficulté. Ainsi, que l’on donne à Nabuchodonosor de Judith le nom de Saosduschin, ou de Cambyse, ou de Xerxès, personne n’en doit être surpris, non plus que de voir donner à Arphaxad le nom de Phraortès, ou quelque autre nom de roi des Mèdes connu dans Hérodote ou dans un autre historien grec. Nous comptons donc ces difficultés comme déjà résolues, quand il ne sera question que du nom.

Il y aurait une autre chose plus importante à éclaircir, avant que d’entrer en matière : c’est de savoir à quel texte on doit s’en tenir, au grec ou au latin ; car, pour le syriaque, on ne doute pas qu’il ne soit pris sur le grec, et j’avoue de bonne foi qu’en ne lisant que le grec, je croirais que l’histoire de Judith est arrivée et a été écrite après la captivité ; mais en suivant le latin, on peut la mettre avant la captivité de Babylone. Il s’agit donc de savoir auquel des deux textes on doit donner la préférence. Le texte grec est très-ancien ; les uns l’attribuent à Théodotion, qui vivait sous Commode, lequel n’a commencé à régner que l’an 180 de Jésus-Christ ; mais elle est plus ancienne, puisqu’elle est citée par saint Clément, Romain, dans son Épître aux Corinthiens, écrite environ un siècle auparavant. La syriaque est aussi très-ancienne, et faite sur un texte grec plus correct que celui que nous avons aujourd’hui, mais qui est le même quant au fond.

La version latine italique, ou l’ancienne Vulgate, est faite aussi sur le grec mais elle est très-défectueuse. La Vulgate de saint Jérôme, que l’Église a reconnue pour authentique, a été faite sur un texte chaldéen, que saint Jérôme a pris pour le vrai original de Judith. Il entreprit cette traduction à la prière de sainte Paule et d’Eustochium ; mais il nous laisse un sujet de dispute et d’embarras, lorsqu’il dit dans sa préface qu’il a rendu le sens sans s’attacher à la lettre, et qu’il a retranché les variétés vicieuses qui se trouvaient dans différents exemplaires. Saint Jérôme n’avait pas sans doute une grande quantité d’exemplaires chaldéens ; ce n’est pas de là qu’il a retranché les variétés vicieuses, mais des exemplaires latins ; et il n’a laissé dans sa traduction que ce qu’il a trouvé d’intelligible dans le chaldéen. Il avait donc sous les yeux l’ancienne version latine ; il en a retranché les choses superflues, il y laissa tout ce qu’il trouvait conforme au chaldéen ; il y ajouta apparemment aussi ce qui y manquait : ainsi, sa version est plutôt une réforme de l’ancienne qu’une traduction toute nouvelle ; et en effet, nous y remarquons encore des termes qui viennent de l’ancienne, et qui sont tirés du grec ; par exemple en Judith (Judith 10.3). Elle s’oignit d’excellent parfum. Myron en grec signifie du parfum. Et au chapitre (Judith 9.13) : Vous le frapperez des lèvres de mon amour ; au lieu de labiis fallacice tnece, Par les discours dont je tâcherai de le tromper. L’équivoque vient du grec qui lit apatés, tromperie, au lieu d’agapes, amour, que lisait celui dont saint Jérôme avait la traduction eu main.

Et comme dans ces versions libres, où l’on ne s’assujettit pas à rendre tout ce qui est dans l’original, mais seulement à exprimer le sens et à rendre son auteur intelligible, on use quelquefois d’une plus grande liberté, et quelquefois on se restreint davantage ; il aurait été à souhaiter, ou que saint Jérôme suivît dans Judith la même méthode qu’il a suivie dans ses autres traductions, c’est-à-dire qu’il s’attachât littéralement à son texte, ou qu’il nous avertît jusqu’à quel point il a porté la liberté qu’il a prise dans sa version, où il s’est contenté, car qui nous a dit qu’il n’a rien supprimé dans le Chaldéen, ou qu’il n’a rien laissé dans la Vulgate, de ce qui en devait être retranché ? Comme le texte chaldéen qu’avait saint Jérôme n’est pas venu jusqu’à nous, nous n’en saurions porter un jugement certain ; et après cela quelle certitude avons-nous que ce texte était l’original du livre de Judith ? Si c’était le premier original, c’est déjà un grand préjugé pour le sentiment qui place cette histoire après la captivité de Babylone ; car avant ce temps on n’écrivait pas en chaldéen parmi les Juifs.

Ceux qui soutiennent que l’histoire de Judith est arrivée avant la captivité de Babylone, et du temps de Manassé, croient qu’il suffit de montrer qu’il n’y a rien dans l’histoire qui y répugne. Or, en supposant que Nabuchodonosor de Judith est le même que Saosduchin de Ptolémée, qui régna sur les Assyriens et les Chaldéens, et qui succéda à Assaradon, roi d’Assyrie ; qu’Arphaxad est le même que Phraortès, connu dans Hérodote ; que ces deux princes se sont fait la guerre la douzième année de Saosduchin ; qu’Arphaxad ayant été vaincu, Saosduchin résolut d’assujettir à son empire tous les peuples dont il est parlé dans Judith ; qu’a cet effet il envoya Holopherne à la tête de ses armées, pour réduire par la force, ceux qui n’avaient pas voulu le reconnaître pour souverain qu’en ce temps Manassé, délivré depuis peu de captivité, où il avait été mené à Babylone, demeurait à Jérusalem, se mêlant peu du gouvernement, et n’osant se déclarer ouvertement contre les Chaldéens, dont il venait d’éprouver la colère et la puissance, et laissant au grand prêtre Eliacim, ou Joachim, le soin de la plus grande partie des affaires. Que ceux de Béthulie résolurent avec le secours de Dieu, de conserver leur liberté et leur religion, et fermèrent leurs portes à Holopherne. Judith, voyant l’extrémité où la ville était réduite, entreprit de faire périr Holopherne, à quoi elle réussit, comme on le voit dans ce livre.

Or il n’y a rien dans tout cela qui blesse les lois de l’histoire, ni qui soit contraire à la chronologie. Nous plaçons la guerre entre Nabuchodonosor et Arphaxad, en l’an du monde 3347, l’expédition d’Holopherne 3348, et la mort d’Holopherne la même année. Manassé avait été pris et mené à Babylone en 3329. Il revint quelques années après, et mourut en 3361. 

On peut répondre à certaines expressions difficiles tirées du texte grec de Judith ; par exemple, à ce que dit Achior, que le temple du Seigneur avait été mis par terre, que depuis leur retour de leur dispersion ils étaient rentrés en possession de Jérusalem où est leur sanctuaire ; et encore, qu’ils étaient revenus depuis peu de captivité, et nouvellement rassemblés dans la Judée. On peut, dis-je, répondre à tout cela, en distinguant dans Israël des captivités et des dispersions particulières, et d’autres dispersions générales. Sous Manassé, le temple fut profané, et une partie du peuple mené en captivité : ce prince et son peuple revinrent de cette dispersion passagère, le temple fut purifié, cela était arrivé depuis peu. C’est ce que voulait marquer l’auteur de la version grecque de cet ouvrage. Voilà ce qu’on dit pour soutenir ce système, que nous avons suivi dans notre commentaire.

L’opinion qui place l’histoire de Judith après la captivité de Babylone s’appuie principalement sur l’autorité de la version grecque. Cette traduction est certainement très-ancienne : la version italique, qui était la seule en usage chez les Latins avant saint Jérôme, et la syriaque ont été faites sur elle. Elle peut passer pour originale, n’ayant rien de plus ancien ni de plus authentique, puisqu’il est douteux que le Chaldéen de saint Jérôme soit le texte original de cet ouvrage. Peut-être que l’hébreu dont parle Origène, était plus authentique ; mais il n’est pas venu jusqu’à nous.

Si l’on veut soutenir que le texte chaldéen soit l’original, il s’ensuivra, comme on l’a déjà remarqué, que l’ouvrage a été écrit depuis la captivité, et que l’histoire est aussi, probablement arrivée en ce temps-là. De plus, il n’y avait point alors de roi dans le pays ; il n’en est fait aucune mention dans tout le cours de cette histoire ; on ne s’adresse qu’au grand prêtre, dans une affaire qui regardait directement le roi, puisqu’il était question de faire la guerre, ou du moins de résister à un monarque très-puissant et capable de renverser le royaume de Juda. Dire que Manassé par politique, ou par crainte, dissimulait ce qui se passait, et laissait au grand-prêtre le maniement des affaires, c’est avancer une chose presque incroyable ; d’ailleurs c’était vouloir tromper par un jeu d’enfant le roi de Chaldée, comme si ce prince eût pu ignorer qu’il y avait un roi dans Juda, que ce roi lui était soumis, et que rien de ce qui s’y passait ne se pouvait faire à son insu et sans sa participation ; et à qui persuadera-t-on que si l’affaire de Béthulie eût tourné autrement qu’elle ne fit, le roi de Babylone ne s’en serait pas pris à Manassé, sous prétexte qu’il ne parut pas dans cette affaire ? Ce n’est point ainsi que l’on juge de ces sortes d’affaires ; on n’y prend pas si aisément le change.

De plus où trouver un pontife Eliacim du temps de Manassé ? Les catalogues conservés dans les Chroniques, dans Josèphe, et ce qu’on en peut recueillir dans différents endroits de l’Écriture, ne nous en fournissent point de ce nom en ce temps-là. Nous trouvons Helcias sous Ézéchias (2 Rois 18.18-26, 37), et un autre Helcias sous Josias (2 Rois 22.4 ; 2 Chroniques 34.9), et un grand prêtre nommé Joakim au temps de la prise de Jérusalem par les Chaldéens (Baruch 1.7) ; mais nous n’en trouvons aucun du nom de Joakim ou d’Eliacim sous Manassé. Il est vrai que le nom d’Helcias approche assez de celui d’Eliacim, et que les Hébreux étaient assez libres à changer de nom, surtout lorsqu’il n’y avait que peu ou point de différence pour le sens ; et comme il n’y en a presque point entre Helcias et Eliacim, je veux bien ne pas insister beaucoup sur cette raison, et avouer que le même Helcias ou Eliacim a pu vivre sous Manassé et sous Josias.

Mais ce qui parait démonstratif pour le sentiment qui place ceci après le retour de la captivité de Babylone, c’est ce que porte le Grec, chapitre 4.2, que tout récemment les Israélites étaient de retour de la captivité : que depuis peu le peuple de Judée s’était rassemblé : que les vases sacrés, l’autel et le temple avaient été sanctifiés de la souillure dont ils avaient été profanés. Achior, général des Ammonites dit la même chose à Holopherne. Et remarquez que ce dernier passage est tiré de la Vulgate ; mais le grec ajoute : Et le temple de leur Dieu a été renversé (à la lettre, réduit au pavé, ou foulé aux pieds) ; et leurs villes ont été prises par les ennemis… et ils habitent de nouveau dans les montagnes qui étaient inhabitées. On a beau s’efforcer de détourner le sens de ces passages : leur lecture seule et la première impression qu’ils font sur l’esprit conduisent naturellement à dire que cette histoire s’est passée depuis le retour de la captivité ; c’est ainsi que l’ont cru presque tous les anciens, et plusieurs nouveaux. S’ils ne se trouvaient que dans le grec, on pourrait peut-être rejeter son autorité ; mais nous avons vu que la Vulgate même porte que les Juifs, après avoir été dispersés, se sont enfin réunis, et sont rentrés de nouveau en possession de Jérusalem, où est leur temple. Ces dernières paroles peuvent-elles naturellement s’expliquer d’une captivité passagère, arrivée sous Manassé ?

De plus on soutient que Phraortès, dont on fait l’Arphaxad de Judith, survécut assez longtemps a Saosduchin que l’on veut être Nabuchodonosor de la même histoire, et que Judith dit avoir tué à coups de flèches son adversaire Arphaxad. Saosduchin mourut, selon le P. Pétau, l’an 4067 de la période Julienne, et Phraortès seulement l’an 4071. Si cela est, il faut de nécessité abandonner le système que nous avons proposé d’abord, et recevoir cette histoire après le retour de Babylone.

Enfin on dit, pour soutenir ce sentiment, que le texte de la Vulgate, aussi bien que le texte grec, porte que Judith vécut cent cinq ans, et que pendant le temps de sa vie et plusieurs années après sa mort nul ennemi ne troubla Israël. Que l’on suppose, si l’on veut, que Judith avait cinquante ans lorsqu’elle parut devant Holopherne pour lui inspirer de l’amour par sa beauté, qu’elle ait encore vécu cinquante-cinq ans, comment soutenir que pendant ces cinquante-cinq dernières années de sa vie, et encore plusieurs années après, les Juifs ne furent troublés par aucun ennemi, puisqu’on sait que depuis l’an du monde 3347, auquel on met cette guerre d’Holopherne, jusqu’à soixante ans de là, on ne vit dans la Judée qu’un enchaînement de maux et une suite de disgrâces presque continuelles ?

Il faut donc reconnaître, dit-on, que cette histoire n’est arrivée qu’après la captivité de Babylone ; et dans cette supposition, il y a encore partage de sentiments. David Ganz, historien juif, dit qu’un poète qui a écrit l’histoire de la dédicace du temple, rapporte cet événement au temps des Asmonéens ; qu’un autre a dit que la chose s’était faite du temps de Cambyse, fils de Cyrus : mais, ajoute Ganz, les sages du siècle disent qu’il faut placer cette histoire au-même temps que le miracle de la dédicace ; c’est-à-dire, le miracle de la multiplication de l’huile qui dura pendant huit jours dans les lampes. Voyez ci-devant la fête des lumières. Eusèbe la place sous Cambyse, Syncelle sous Xerxès, Sulpice-Sévère sous Ochus ; d’autres sous Antiochus Épiphane, et du temps des Machabées.

Et ce dernier sentiment est sans doute le plus aisé à soutenir, si l’on veut reconnaître que l’on établit une fête en mémoire de cet événement, comme il se lit dans la Vulgate, mais non dans le Grec, ni dans le Syriaque, ni dans l’ancienne Italique, qui ne portent rien de semblable. La plupart des commentateurs croient que cette fête de Judith n’est autre que celle du renouvellement du feu sacré, et de la nouvelle dédicace du temple par Judas Machabée. Léon de Modène est de ce sentiment ; aussi bien que Salien, Bellarmin, Tornielle, Cornélius à Lapide, Grotius, etc.

On cite un passage de Philon qui porte que le grand sacrificateur Jésus institua la fête de Judith sous Darius Longue-Main. Voici son passage entier : « Assuérus demeurait à Babylone, et le grand prêtre Jésus alla le trouver, parce que les gouverneurs de Syrie avaient écrit contre les Juifs ; mais il fut un an sans obtenir d’audience, parce que le roi était trop occupé des affaires de la guerre. Ayant gagné la victoire, il envoya l’année suivante Holopherne en Judée, et ayant appris qu’on lui avait tranché la tête, il défendit de rebâtir le temple. Darius Longue-Main lui succéda, et Jésus revint à Jérusalem. Ce fut lui qui ordonna qu’on célébrât la fête de Judith tous les ans Â». On cite aussi un calendrier hébreu publié par Sigonius, où se trouve la fête de Judith au 25 du neuvième mois ou de casleu ; ce qui revient à la fête de la Dédicace du temple, et du renouvellement du feu sacré par Judas Machabée.

Mais on répond au passage du prétendu Philon, qu’il est tiré d’Anne de Viterbe, reconnu pour un des plus insignes imposteurs, en fait de supposition d’ouvrage, qui ait jamais paru : ainsi il est inutile de le réfuter. Quant au calendrier de Sigonius, Selden s’inscrit en faux contre cet ouvrage d’ailleurs le temps auquel se célébrait la fête de la Dédicace du temple était le 25 de casleu, qui revient au 25 du mois lunaire, qui répond à-peu-près à novembre, et n’a nul rapport à la fête de Judith ni à la délivrance de Béthulie, qui doivent être arrivées vers le mois de septembre. Enfin si Léon de Modène, et quelques livres de prières, imprimés à l’usage des Juifs, parlent de la victoire de Judith au jour de la Dédicace du temple, il ne s’ensuit pas que l’on ait fait ce jour-là la fête de la Délivrance de Béthulie par Judith. On y rappelle la mémoire de cet événement comme ayant quelque rapport à ce qui arriva sous Judas Machabée ; et d’ailleurs quelques auteurs juifs tiennent que Judith, dont il est parlé dans ces hymnes ou ces prières, était une sÅ“ur de Judas Machabée, laquelle, étant aimée de Nicanor, général des troupes syriennes, l’enivra et lui coupa la tête. Nous croyons cette aventure très fausse ; mais quelques Juifs la débitent comme certaine.

Si l’on veut donc soutenir la vérité de la fête instituée en mémoire de la victoire remportée par Judith sur Holopherne, dans la supposition que cette histoire est arrivée avant la captivité de Babylone, il faut dire que les Juifs ont cessé de la célébrer il y a très-longtemps, ou qu’ils l’ont transférée du jour où elle se célébrait anciennement, en celui où ils font la dédicace du temple sous Judas Machabée.

On s’étonne avec raison qu’une poignée de gens enfermés dans la petite ville de Béthulie, quand même on supposerait qu’ils étaient soutenus de tous les Juifs qui étaient alors dans la Judée, aient osé résister à Holopherne et à toute la puissance des Assyriens ; mais on doit faire attention que Nabuchodonosor avait résolu non-seulement de subjuguer toutes les nations qui étaient depuis l’Euphrate jusqu’à l’Éthiopie, mais aussi qu’il voulait les obliger de l’adorer et de le reconnaître pour seul Dieu (Judith 3.13). Et ailleurs, les princes de l’armée d’Holopherne, après avoir ouï le discours d’Achior, s’exhortent à marcher contre Béthulie, afin, disent-ils, que toutes les nations sachent que Nabuchodonosor est le dieu de la terre, et qu’il n’y en a point d’autre que lui. C’était une des maximes d’État des rois de Perse de se faire rendre des honneurs divins.

On ne doit donc pas s’étonner que les Juifs se soient opposés à cette folle et impie prévention de Nabuchodonosor et de son général ; ils n’auraient pu, sans impiété et sans renoncer à leur religion, se soumettre à la domination d’un tel roi, et ils avaient raison de se promettre le secours de Dieu dans cette guerre ; et quand Dieu aurait permis qu’ils succombassent, cela leur aurait été non-seulement très-glorieux, mais aussi très-avantageux.

Sur les autres questions qu’on forme sur l’histoire de Judith, voyez les Prolégomènes de Sérarius sur Judith ; la Vérité de l’histoire de Judith, par D. Bernard de Montfaucon ; notre Préface sur Judith, etc. Nous avons cru la devoir fixer avant la captivité de Babylone ; et voici la chronologie de cette histoire, suivant notre hypothèse :

Chronologie de l’histoire de Judith, dans l’hypothèse qu’elle soit arrivée du temps de Manassé.

An du monde / événement

3285 Naissance de Judith.

3306 Manassé, roi de Juda, commence à régner.

3347 Guerre entre Nabuchodonosor et Arphaxad, autrement Saosduchin, roi d’Assyrie, et Phraortès, roi des Mèdes.

3348 Expédition d’Holopherne, siège de Béthulie, mort d’Holopherne.

3361 Mort de Manassé, roi de Juda.
3363 Mort d’Amon, roi de Juda.

3390 Mort de Judith, âgée de cent cinq, ans.

L’authenticité et la canonicité du livre de Judith sont un point fort contesté. On forme cent difficultés sur le temps, sur les personnes, et sur les autres circonstances qui se rencontrent dans cette histoire. Nous avons tâché de satisfaire à ce qu’on oppose de plus plausible contre elle, et nous avons essayé d’établir sa canonicité et son authenticité dans notre préface sur ce livre. Les Juifs la lisaient et la conservaient du temps de saint Jérôme. On peut voir les passages rapportés par M. Voisin dans sa savante préface sur le Pugio fidei. Les Juifs ont fait imprimer la traduction de Judith en hébreu, et en ont une version en persan. Saint Clément, pape, l’a citée dans son Épître aux Corinthiens, aussi bien que l’auteur des Constitutions apostoliques, écrites sous le nom du même saint Clément. Saint Clément d’Alexandrie (livre 4 des Strornates) ; Origène (homélie 19 sur Jérémie, et tome 3 sur saint Jean) ; Tertullien (lib de Monogamia, chapitre 17) ; saint Ambroise (lib. 3 de Officiis, et lib de Viduis. Saint Jérôme le cite dans son Épître à Furia ; et dans sa préface sur le livre de Judith il dit que le concile de Nicée avait reçu ce livre parmi les canoniques ; non pas qu’il eût fait un canon exprès pour l’approuver, car on n’en connaît aucun où il en soit fait mention ; et saint Jérôme lui-même n’en cite aucun : mais il savait peut-être que les Pères du concile l’avaient allégué, ou il présumait que le concile l’avait approuvé, puisque, depuis ce concile, les Pères l’avaient reconnu et cité. Saint Athanase, ou l’auteur de la Synopse qui lui est attribuée, en donne le précis comme des autres livres sacrés. Saint Augustin et toute l’Église d’Afrique le recevaient dans leur canon. Le pape Innocent 1, dans son Épître à Exupère, et le pape Gélase, dans le concile de Rome, l’ont reconnu pour canonique. Il est cité dans saint Fulgence, et dans deux auteurs anciens, dont les sermons sont imprimés dans l’appendice du cinquième tome de saint Augustin. Je ne parle pas des écrivains ecclésiastiques plus nouveaux, qui sont en très-grand nombre et très-favorables à Judith. Enfin le concile de Trente a confirmé le livre de Judith dans la possession où il était dans l’Église de passer pour écriture divine. Ces autorités sont plus que suffisantes pour fixer nos doutes sur la canonicité de ce livre, quand nous ne pourrions satisfaire en particulier à toutes les objections que l’on forme contre lui.

L’auteur du livre de Judith est inconnu. Saint Jérôme semble croire que Judith l’écrivit elle-même, mais il ne donne aucune bonne preuve de son sentiment d’autres veulent que le grand prêtre Joachim, ou Eliacim, dont il est parlé dans ce livre, en soit l’auteur : tout cela s’avance sur de simples conjectures. Ceux qui croient que l’histoire de Judith arriva du temps de Cambyse, et après la captivité de Babylone, conjecturent que Josué, fils de Josédech, grand prêtre d’alors, l’écrivit. L’auteur, quel qu’il soit, ne paraît pas contemporain. Il dit que de son temps la famille d’Achior subsistait encore dans Israël, et que l’on y célébrait encore la fête de la Victoire de Judith, expressions qui insinuent que la chose était passée depuis assez longtemps.

Les Juifs du temps d’Origène avaient l’histoire de Judith en hébreu, c’est-à-dire apparemment en chaldéen, que l’on a souvent confondu avec l’hébreu. Saint Jérôme dit que de son temps ils la lisaient encore en chaldéen et la mettaient au nombre des hagiographes. Sébastien Munster croit que les Juifs de Constantinople l’ont encore à présent en cette langue. Mais jusqu’ici on n’a rien vu d’imprimé de Judith en cette langue. La version syriaque que nous en avons est prise sur le grec, mais sur un grec plus correct que celui que nous lisons aujourd’hui. Saint Jérôme a fait sa version latine sur le chaldéen, et cette version est si différente de la grecque, qu’on ne saurait dire que l’une et l’autre viennent de la même source et du même original. Saint Jérôme se plaint fort de la variété qui se voyait entre les exemplaires latins de son temps, et il est aisé de se convaincre de la justice de ses plaintes en confrontant entre eux les morceaux de ces traductions qui sont venus jusqu’à nous, et ce qui en est cité dans les Pères. On peut voir notre préface sur Judith et les notes qui sont au bas du commentaire.

Judith (2)

Fille de Bééri. Voyez Ada.

Judith (Fontaine de) (3)

Voyez Béthulie.