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Esseniens
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet Westphal

On ignore l’origine des Esséniens et l’étymologie de leur nom. Pline dit qu’ils subsistaient depuis plusieurs milliers d’années, sans mariage et sans aucun commerce avec des personnes d’un autre sexe. Le quatrième livre des Machabées les appelle Hasdanim, et dit qu’ils subsistaient déjà du temps d’Hyrcan, grand prêtre des Juifs, vers l’an du monde 3894, avant Jésus-Christ 106, avant l’ère vulgaire 110. Le premier Essénien dont Josèphe fasse mention est un nominé Judas, qui vivait du temps d’Aristobule et d’Antigone, fils d’Hyrcan. Suidas et quelques autres après lui ont cru que les Esséniens étaient une branche des Réchabites, qui, comme on sait, vivaient dès avant la captivité de Babylone.

Saint Épiphane dérive leur nom de Jessé, père de David ; ou de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont le nom, selon lui, signifie médecin ou sauveur. Il dit que c’était une secte de Samaritains, à qui Elxaï avait inspiré diverses erreurs. Drusius croit que les Esséniens sont une branche des Pharisiens. Saumaise veut qu’ils aient tiré leur nom de la ville d’Essa dont on a parlé plus haut ; enfin Serrarius rapporte jusqu’à douze opinions sur le seul nom des Esséniens. Nous croyons que les Chasidim, dont il est parlé dans quelques psaumes (Psaumes 78.2 ; 84.9), et les Assidéens des Machabées sont la vraie source des Esséniens.

Voici la peinture que Josèphe fait des Esséniens : Ils vivent entre eux dans une union parfaite, et ont en horreur la volupté, comme le plus dangereux poison. Ils ne se marient pas, mais ils nourrissent les enfants des autres comme s’ils étaient à eux, et leur inspirent de bonne heure leur esprit et leurs maximes. Ils méprisent les richesses, et ne possèdent rien qu’en commun. L’huile et les parfums sont bannis de leurs demeures. Ils ont un air austère et mortifié, mais sans affectation, et portent toujours des habits bien blancs. Ils ont un économe qui a soin de distribuer à chacun ce dont il a besoin ; ils exercent l’hospitalité envers ceux de leur secte, en sorte qu’ils ne sont jamais obligés de prendre de provisions dans leurs voyages.

Les enfants qu’ils élèvent sont tous traités et vêtus de la même sorte, et ne changent point d’habits que les leurs ne soient entièrement usés. Tout le commerce se fait entre eux par échange ; chacun donne ce qui lui est superflu pour recevoir ce dont il a besoin. Ils ne parlent pas avant le lever du soleil, si ce n’est qu’ils prononcent quelques prières qu’ils ont apprises de leurs pères, et qu’ils adressent à cet astre, comme pour l’inviter à se lever. Après cela, ils vont au travail, où ils demeurent jusqu’à la cinquième heure du jour, qui revient à-peu-près à onze heures du matin.

Après cet exercice, ils s’assemblent tous ensemble ; et se ceignant avec des linges blancs, ils se baignent tous dans l’eau fraîche, puis ils se retirent dans leurs cellules, où il n’est permis à aucun étranger d’entrer. De là ils passent dans leur réfectoire commun, qui est comme un temple sacré, où ils demeurent dans un profond silence. On leur sert du pain et un mets à chacun. Le prêtre fait la prière ; après quoi ils peuvent manger. Ils finissent aussi leur repas par la prière. Puis ils quittent leurs habits blancs, avec lesquels ils ont mangé, et retournent à leur travail jusqu’au soir. Alors ils reviennent au réfectoire, et font manger leurs hôtes avec eux, s’il leur en est survenu quelqu’un.

Ils sont très-religieux observateurs de leurs paroles, et leur simple promesse vaut les serments les plus sacrés. Ils évitent le jurement comme le parjure même. Le soin qu’ils ont des malades est très-grand, et ils ne souffrent pas qu’ils manquent de la moindre chose. Ils lisent avec soin les ouvrages des anciens, et cette étude les rend habites dans la connaissance des plantes, des pierres, des racines et des remèdes. Avant que d’accorder l’entrée de leur secte à leurs postulants, ils les éprouvent pendant un an, en leur faisant pratiquer leurs plus pénibles exercices. Après ce terme, ils leur donnent entrée au réfectoire commun et au bain ; mais ils ne les admettent dans l’intérieur de la maison qu’après deux autres années d’épreuves. Après ces deux ans, on les reçoit, à une espèce de profession, dans laquelle ils s’engagent par les serments les plus horribles à observer les lois de la piété, de la justice, de la modestie, la fidélité à Dieu et aux princes, de ne découvrir jamais aux étrangers les secrets de la secte, et de conserver précieusement les livres de leurs maltres et les noms des anges. Si quelqu’un viole ces promesses et tombe dans quelque faute notable, il est chassé de la société, et meurt souvent de misère, parce qu’il ne peut recevoir de nourriture d’aucun étranger, étant lié par les serments dont on vient de parler. Quelquefois les Esséniens, touchés de compassion, les reçoivent lorsqu’ils ont donné. de longues et solides preuves de leur conversion.

Après Dieu, ils ont un souverain respect pour Moïse et pour les vieillards. Le sabbat parmi eux est très-régulièrement observé. Non-seulement ils n’allument point le feu, et ne préparent rien ce jour-là, ils ne remuent pas même un meuble, et ne se déchargent pas même des superfluités de la nature. Les autres jours, lorsqu’ils sont obligés de satisfaire à ce devoir, ils se retirent loin à l’écart ; et, après avoir creusé une fosse de la profondeur d’un pied avec une bêche qu’ils portent toujours à leur ceinture, ils salis-font à leur besoin, se baissant et se couvrant tout autour avec leurs habits, de peur de souiller les rayons de Dieu, dit Josèphe. Après quoi ils remplissent de terre le trou qu’ils ont fait, et vont se purifier après cette action, comme s’ils avaient contracté quelque souillure.

Les Esséniens vivent d’ordinaire fort longtemps, et plusieurs atteignent à l’âge de cent ans ; ce que l’on attribue à la simplicité de leur nourriture et au grand régime de leur vie. Ils font paraître une fermeté incroyable dans les tourments, et on en vit de grands exemples durant la guerre des Romains contre les Juifs. Ils tiennent les âmes immortelles, et croient qu’elles descendent de l’air le plus élevé dans les corps qu’elles animent, où elles sont attirées par un certain attrait naturel, auquel elles ne peuvent résister. Après la mort, elles retournent avec rapidité au lieu d’où elles étaient venues, comme sortant d’une longue et triste captivité. Ils ont sur l’état des âmes après la mort à-peu-près les mêmes sentiments que les païens, qui placent les âmes des gens de bien aux champs Elysiens, et celles des impies dans le Tartare et dans le royaume de Pluton, où elles sont tourmentées selon la qualité de leurs fautes.

Il y en a parmi eux quelques-uns qui sont mariés. Dans tout le reste ceux-là sont d’accord avec les autres Esséniens. Ils ne prennent des femmes qu’après s’être assurés pendant trois ans si elles sont d’une bonne santé et propres à donner des enfants bien sains. Dès que leurs femmes sont enceintes, ils ne s’en approchent plus. L’esclavage passe dans leur esprit comme une injure faite à la nature humaine : ainsi ils n’ont point d’esclaves parmi eux. Il y en a plusieurs entre eux qui ont le don de prophétie ; ce que l’on attribue à la lecture continuelle qu’ils font des auteurs sacrés et à la manière simple et frugale dont ils vivent. Ils croient-que rien n’arrive dans le monde que par les décrets de Dieu, et leur secte a assez de rapport à celle des pythagoriciens parmi les Grecs. Outre les hommes qui faisaient profession de la vie-dont on vient de parler, il y avait aussi des femmes qui suivaient le même institut et les mêmes pratiques.

Quoique les Esséniens fussent les plus religieux de leur nation, ils n’allaient pas toutefois au temple de Jérusalem, et n’y offraient point de sacrifices sanglants. Ils craignaient de se souiller par le commerce des autres hommes, dont la vie n’était pas si pure que la leur. Ils y envoyaient leurs offrandes, et offraient à Dieu le sacrifice d’un cœur pur et exempt de crimes. Philon dit que les Esséniens sont au nombre d’environ quatre mille dans la Judée ; et Pline semble fixer leur principale demeure au-dessus d’Engaddi, où ils se nourrissent du fruit de leurs palmiers, qui sont communs en ces quartiers-là. Il ajoute qu’ils demeurent éloignés du bord de la mer, de peur de se corrompre par le commerce des étrangers. Philon assure qu’on en voyait dans plusieurs villes, mais qu’ils préféraient la demeure des campagnes ; ils s’appliquaient à l’agriculture et à d’autres exercices laborieux, qui ne les éloignaient point de la solitude dont ils faisaient profession.

Leurs études n’étaient ni la logique ni la physique, mais la morale et les lois de Moïse, Ils s’y appliquaient principalement les jours de sabbat. Ces jours-là ils s’assemblent dans leurs synagogues, où chacun est assis selon son rang ; les anciens au-dessus, et les plus jeunes au-dessous. Un de la compagnie fait la lecture, et un autre des plus instruits en fait l’explication. Ils se servent beaucoup de symboles, d’allégories et de paraboles, a la manière des anciens. Voilà l’idée que Josèphe et Philon nous donnent des Esséniens. Nous ne voyons pas dans l’Évangile que Jésus-Christ en ait parlé, ni qu’il ait prêché parmi eux. Il n’est pas hors d’apparence que saint Jean-Baptiste a vécu parmi eux jusqu’au temps qu’il commença à baptiser et à prêcher la pénitence. Le désert ou Pline place les Esséniens n’était pas fort éloigné d’Hébron, que l’on croit être le lieu de la naissance de saint Jean. Voyez ci-devant Assidéens.

Voici la peinture que Philon fait des Esséniens, qu’on peut appeler pratiques, à la distinction des thérapeutes, qu’on peut appeler Esséniens contemplatifs. Le nombre des premiers est d’environ quatre mille ; ils vivent dans la Palestine, éloignés du commerce des autres hommes. Leur nom estpris du mot grec hostos, qui signifie saint, et qui marque leur grande piété ; mais cette étymologie n’est pas tout à fait exacte. Quoique fort religieux et fort attachés au culte de Dieu, ils ne lui sacrifient rien qui ait vie. Ils se contentent de lui offrir le sacrifice d’une âme pure et sainte, qu’ils s’efforcent pour cet effet de purifiera. Ils demeurent à la campagne, et évitent les grandes villes, à cause de la corruption qui y règne ordinairement, persuadés que, comme on contracte des maladies en respirant un air infecté, aussi les mauvais exemples des habitants de l’endroit où l’on passe sa vie font souvent sur l’esprit des impressions ineffaçables.

Les uns travaillent à la terre et les autres à des métiers et à des manufactures des choses seulement qui servent pendant la paix, ne voulant faire que du bien à eux-mêmes et aux autres hommes. Ils n’amassent ni or ni argent, ne font pas non plus de grands acquêts de terre pour augmenter leurs revenus, contents de posséder ce qui est nécessaire pour subvenir aux besoins de la vie. Ce sont peut-être les seuls hommes qui, sans argent et sans terre, par choix plutôt que par nécessité, se trouvent assez riches, parce qu’ils ont besoin de peu de choses, et que, sachant se contenter de rien, pour ainsi dire, ils sont toujours dans l’abondance. Vous ne trouvez pas un artisan parmi eux qui veuille travailler à faire une flèche, un dard, une épée, un casque, une cuirasse ou un bouclier, ni aucune espèce d’armes, de machines ou d’instruments qui servent à la guerre. Ils ne font même, pendant la paix, aucune des choses dont les hommes font un mauvais usage. Ils ne se mêlent ni du trafic ni de la navigation, de crainte que cela ne les engage dans l’avarice. Ils n’ont point d’esclaves, mais ils se servent les uns les autres ; ils condamnent la domination que les maîtres exercent sur leurs esclaves, comme une chose non-seulement injuste et contraire à la société, mais aussi comme impie et contraire à la loi de nature, qui, comme une mère commune, a fait naître tous les hommes frères et égaux ; mais la cupidité qui a pris le dessus, détruit cette parenté, et met entre eux la haine et l’indifférence, au lieu de l’amitié et de la familiarité qui devraient y régner.

Pour ce qui est de la philosophie, ils laissent la logique à ceux qui se plaisent aux disputes de mots, et la regardent comme absolument inutile pour acquérir la vertu. Ils laissent aussi la physique et la métaphysique, excepté ce qui regarde l’existence de Dieu, ou la production originale de toutes choses, à ceux qui ont du temps de reste pour s’y appliquer, ou qui sont entêtés de les subtiliser. Mais ils étudient beaucoup la morale, dont ils trouvent les fondements et les règles dans les lois de leur pays, qui sont telles, qu’elles n’ont pu partir de l’esprit de l’homme, sans une inspiration particulière de la Divinité. Ils s’y instruisent tous les jours, mais principalement le septième, qui est saint parmi nous ; ils s’abstiennent de tout travail ce jour-là, et se rendent dans leurs synagogues ou lieux d’assemblées, où chacun se place selon son rang de réception dans le corps ; les plus nouveaux y occupent toujours la dernière place, et s’y rangent dans la bienséance convenable pour y entendre la parole de Dieu. Cela fait, un d’entre eux prend le livre et fait la lecture ; un autre, qui est d’ordinaire un des plus habiles, explique ce qui a été lu. Ils suivent dans leur explication la méthode de développer les sens allégoriques des Écritures.

Leurs instructions roulent principalement sur la sainteté, l’équité, la justice, l’économie, la politique, la distinction du vrai bien et du vrai mal, de ce qui est indifférent, de ce qu’on doit fuir. Les trois maximes fondamentales de leur morale sont l’amour de Dieu, l’amour de la vertu, l’amour du prochain. Ils donnent des preuves de leur amour de Dieu dans une chasteté constante pendant toute leur vie, dans un grand éloignement du jurement, du mensonge, et en attribuant à Dieu tout ce qui est bon, sans le faire jamais auteur du mal. Ils font voir leur amour pour la vertu dans leur désintéressement, dans leur éloignement de la gloire et de l’ambition, dans leur renoncement au plaisir, dans leur continence, leur patience, leur simplicité, leur facilité à se contenter, leur mortification, leur modestie, leur respect pour les lois, leur constance, et les autres vertus. Enfin ils font voir leur amour pour le prochain dans leur libéralité, et leur conduite égale envers tous, et leur communauté de biens, sur laquelle il est bon de s’étendre un peu ici.

Premièrement nul d’entre eux en particulier n’est maître de la maison où il demeure ; tout autre de la même secte qui y viendra, y sera maître comme lui. Comme ils vivent en société et boivent et mangent en commun, on prépare à manger pour toute la communauté, tant pour ceux qui sont présents que pour ceux qui surviennent : il y a un dipôt commun dans chaque communauté particulière, où l’on réserve tout ce qu’il faut à chacun pour la nourriture et pour les habits. Tout ce que chacun gagne s’apporte dans la masse commune ; et si quelqu’un tombe malade, en sorte qu’il ne puisse plus travailler, on lui fournit du commun tout ce qui lui est nécessaire pour le rétablissement de sa santé. Les plus jeunes portent un grand respect aux anciens, et les traitent à-peu-près de même que les enfants traitent leurs pères dans leur vieillesse.

Josèphe nous apprend que les Esséniens attribuent tout à Dieu. Ils tiennent les âmes immortelles, et croient que la justice est de toutes les choses la plus digne de nos empressements et de nos recherches. Ils envoient leurs offrandes au temple, mais n’y offrent point de sacrifices sanglants. On leur en refuse l’entrée, à cause des purifications usitées parmi les Juifs (auxquelles apparemment ils ne veulent pas se soumettre, ou parce qu’ils se croient plus purs que les autres), et ils sont obligés de faire leurs sacrifices dans leur société particulière. Du reste, ce sont de très honnêtes gens, dont l’emploi principal est l’agriculture. Leur justice est admirable et surpasse tout ce qu’on en connaît chez les Grecs et les Barbares, comme s’y exerçant de longue main, et n’en interrompant jamais le cours. Leurs biens sont communs, et celui qui est entré riche dans leur société, n’en possède pas plus que le plus pauvre de tous. Leur nombre est de plus de quatre mille hommes : ils ne souffrent parmi eux ni femmes, ni esclaves, regardant ceux-ci comme une source perpétuelle d’injustice, et celles-là comme une cause d’embarras et de divisions ; ainsi, vivant séparés des autres hommes, ils se servent l’un l’autre dans leurs besoins réciproques.

Pour receveurs des biens et des revenus communs de leur société, ils choisissent les prêtres les plus distingués par leur mérite, qui sont aussi chargés d’en donner ce qu’il faut pour la table de la maison. Leur manière de vivre n’a rien de singulier ni d’affecté ; elle est simple, et à-peu-près la même que celles des pléistes parmi les Daces. Dans un autre endroit, Josèphe dit que les Esséniens soutiennent que le destin gouverne tout, et qu’il n’arrive rien aux hommes que ce qu’il a réglé. On peut consulter, sur les Esséniens, les auteurs qui ont traité des sectes des Juifs. Voyez notre Bibliothèque sacrée, sous ce titre, Sectes des Juifs.