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Darius
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet Westphal Bost

On connaît dans l’histoire plusieurs princes du nom de Darius. Nous nous bornerons à ceux dont il est parlé dans l’Écriture.

Darius le Mède (1)

Nommé dans Daniel (Daniel 5.31 ; 9.1 ; 11.1), était fils d’Astiages, roi des Mèdes, et frère de Mandane, mère de Cyrus, et d’Amyit, mère d’Evilmérodach, et aïeule de Balthasar. Ainsi Darius le Mède était oncle maternel d’Evilmérodach et de Cyrus. Le texte hébreu le nomme d’ordinaire Dariavesch, ou Darius. Les Septante le nomment Artaxercès dans Daniel (Daniel 6.1), et le Grec du chapitre. 13.65, du même Daniel, lui donne le nom d’Astiages. Enfin Xénophon l’appelle partout Cyaxares. Ce prince succéda à Balthasar, roi de Babylone (Daniel 5.31), son arrière-neveu, petit-fils de sa sœur, mort l’an du monde 3442, avant Jésus-Christ 558, avant l’ère vulgaire 554. Daniel ne nous dit pas qu’il y ait eu guerre entre eux : mais les prophètes Isaïe (Isaïe 13 ; 14 ; 15 ; 16 ; 17) et Jérémie (Jérémie 50.51) en parlent assez clairement ; soit qu’ils entendent les guerres que Darius le Mède fit aux Babyloniens, ou celles que leur déclara Cyrus.

Darius, étant monté sur le trône de Babylone, jugea à propos d’établir six vingts satrapes sur ses États, afin qu’ils en gouvernassent les différentes provinces (Daniel 6.1-2). Il mit au-dessus d’eux trois princes, dont Daniel était un, afin que les satrapes leur rendissent compte. Comme Daniel les surpassait tous en autorité, et que le roi songeait à l’établir surintendant de tout son royaume, les autres satrapes complotèrent de le perdre. Ils engagèrent le roi à faire un édit, qui défendait à tout homme de faire aucune demande à quelque Dieu, et à quelque homme que ce fût, sinon au roi. L’édit fut publié ; et tout le peuple l’observa. Mais Daniel ayant continué à faire ses prières trois fois chaque jour, ses ennemis obligèrent le roi à le faire jeter dans la fosse aux lions ; parce qu’un roi n’était plus maître de changer ce qu’il avait une fois ordonné avec le conseil et le consentement des grands. Darius fut affligé de la condamnation de Daniel ; et le lendemain de grand matin, étant allé à la fosse des lions, et l’ayant trouvé sain et sauf, il le fit tirer de cette fosse, et y fit jeter ses accusateurs, avec leurs femmes et leurs enfants.

Ce fut sous Darius le Mède que Daniel eut la fameuse vision des soixante et dix semaines, après lesquelles le Christ devait être mis à mort, et celle des persécutions qu’Antiochus Épiphane devait faire souffrir aux Juifs. Ces visions sont rapportées dans les chapitres 9, 10, 11, 12 de ce prophète. Darius le Mède mourut à Babylone vers l’an du monde 34.56, avant Jésus-Christ 544, et avant l’ère vulgaire 548. Il eut Cyrus pour successeur dans la monarchie des Perses, des Mèdes et des Chaldéens, qui furent réunis sous son empire [Daniel, après avoir raconté la scène impie qui fut terminée par la mort violente de Balthasar, roi de Babylone, ajoute (V, 31) : Et Darius le Mède lui succéda au royaume… « Quel est ce prince, dit M. Quatremère, membre de l’académie des Inscriptions, quel est ce prince dont le nom est resté coin-piétement inconnu aux historiens grecs et latins, mais dont l’existence ne saurait être révoquée en doute, puisqu’elle nous est indiquée par un témoin oculaire des catastrophes qui accompagnèrent la prise de Babylone ? Une pareille question était bien propre à piquer la curiosité des amateurs de l’antiquité et de l’histoire ; aussi a-t-elle été l’objet de nombreuses recherches…

Les uns ont vu dans Darius, ce Cyaxare, qui, si l’on en croit Xénophon, fut fils d’Astyage, et beau-père de Cyrus. D’autres ont cru y reconnaître Nériglissar, roi de Babylone, dont le nom se trouve indiqué dans les récits de Béroze, de Mégastliène. D’autres l’ont confondu avec Darius, fils d’Hystaspe. D’autres enfin ont supposé que Darius était un prince Mède, auquel Cyrus, en reconnaissance de ses services, avait conféré la satrapie de Babylone.

La première opinion, qui semble s’accorder beaucoup mieux qu’aucune autre avec le récit de Daniel, avait longtemps obtenu les suffrages des historiens les plus éclairés. Et après avoir été combattue, réfutée, avec plus ou moins de succès, elle a été pleinement adoptée par les critiques, qui, dans ces dernières années, ont écrit sur cette partie des annales de l’antiquité, tels que dom Clément, MM. Berthold, lîesenius, Winer, Hengstemberg, Roseumüllet, etc. Toutefois de graves objections s’été. vent contre la vérité de la narration consignée dans ia Cyropédie.

M. Quatremère examine les quatre systèmes ci-dessus énoncés. Dams le cours de sa discussion, il rend à Daniel, considéré comme historien, un témoignage que nous devons recueillir. « Il est impossible, dit-il, de supposer que Daniel, qui écrivait à Babylone, et qui était contemporain des événements qu’il raconte, se soit grossièrement trompé, en changeant sans motif le nom du prince, dont il avait été le ministre, et substituant la dénomination de Darius à celle de Cyaxare. En outre Darius est désigné comme fils d’Assuerrus (Da 9.1) donc il n’était pas fils d’Astyage ; car ces deux noms ont trop peu de ressemblance pour qu’ils aient été confondus par un homme qui vivait à la cour, et qui avait tant de moyens d’être instruit de la vérité.

Après avoir réfuté, péremptoirement, ces mêmes Systèmes, M. Quatremère expose son opinion, et d’abord il se reporte à une époque bien antérieure à la prise de Babylone, et recherche quelle fut la politique de Cyrus.

Astyage était un despote cruel ; la noblesse mède demanda ou accepta l’intervention ar niée de Cyrus pour arrêter la tyrannie de ce monarque. Le héros perse vint en Médie, et une partie de la nation vint se ranger sous ses drapeaux. Bientôt il eut vaincu Astyage, et se garda bien de blesser les préjugés et l’orgueil national des Mèdes. « Au lieu de prétendre lui-même à l’empire, dit l’auteur, il engagea les Mèdes à se choisir un maître, pris dans leur sein., et se réserva l’honneur d’être le lieutenant du nouveau souverain. Mais on peut croire que Cyrus, en homme adroit et rusé, eut l’art de diriger les suffrages., et de les faire tomber sur un prince d’une origine illustre, mais déjà d’un âge avancé, sans enfants, et dont le caractère doux et pacifique devait laisser à Cyrus la chance de régner en réalité sous le nom d’un autre. Ce nouveau monarque fut sans doute le Darius, fils d’Assuérus, dont Daniel nous a conservé le nom et l’histoire. Le caractère de ce prince, tel que je viens de le tracer, iléus est bien représenté dans les récits du prophète, nui nous le montrent partout comme un homme bon, humain et faible, et se laissant gouverner paisiblement par des insinuations étrangères. »

Alors à un empire Mède avait succédé un empire Médo-Perse.

Cependant Cyrus, à la tête des troupes Médo-Perses, portait au loin ses armes victorieuses, étonnait l’Asie de ses exploits rapides, et était vanté dans le monde entier comme un conquérant infatigable et invincible.

Après sa conquête de Babylone, Darius établit sa résidence dans cette ville, qui passait avec raison pour la plus importante des cités de l’Orient. C’est là qu’après un règne de deux années, il termina tranquillement sa carrière. Il est probable que ce prince ne laissa point d’enfant, et Cyrus se trouva naturellement héritier de l’empire de l’Asie. Il est possible que dans cette circonstance, les Mèdes aient vu avec un secret déplaisir l’avénement de ce prince au trône ; sans doute Ils auraient mieux aimé voir la couronne passer à un souverain de leur nation, et non pas à un Perse. Mais leurs vœux à cet égard ne pouvaient se réaliser. Cyrus, par ses nombreux exploits, avait consolidé sa puissance, était devenu l’idole des troupes, l’objet de l’admiration de tout l’Orient. Tout contribuait donc à l’appeler au trône ; les Mèdes n’auraient pu, sans une haute imprudence, s’opposer au torrent ; et ils aimèrent mieux sans doute souffrir patiemment ce qu’ils ne pouvaient empêcher. Au reste, nous voyons, par le livre de Daniel, que Cyrus ne commença à compter la première année de son règne qu’au moment de la mort de Darius.

Enfin rien n’empêche de croire que Cyrus n’ait porté constamment et pendant la vie de Darius le titre de roi de Perse. Nous savons par l’ancienne histoire de l’Orient que, dans tous les temps, à toutes les époques, tandis que l’Asie était soumise à un seul souverain, chaque pays n’en avait pas moins son roi particulier, qui, tout en gouvernant ses états avec une autorité absolue, reconnaissait la prééminence du monarque suprême, était tenu de marcher sous ses drapeaux, de lui payer des contributions plus ou moins fortes, et de contribuer, en toute circonstance, à la défense et à la prospérité de l’empire. C’est ainsi que dans l’Europe, au moyen-âge, de grands vassaux, investis souvent d’un pouvoir immense, n’en relevaient pas moins d’un seigneur suzerain, auquel ils devaient foi et hommage. Et ce que je viens de dire n’est pas appuyé sur une vaine supposition ; car nous voyons chez les anciens Perses, ainsi que sous les dynasties des Arsacides et des Sassanides, des rois de l’Atropatène, de la Bactriane, et de l’Elymaïde, etc., qui tous relevaient du roi des rois, monarque de l’Asie.

Mais, dira-t-on, si ce Darius a réellement occupé, durant plusieurs années, le trône de l’Orient, comment son nom est-il resté complétement inconnu aux historiens grecs et latins ? Ce silence peut, ce me semble, s’expliquer d’une manière naturelle. Il parait certain que Darius n’avait à-peu-près que le titre de roi. Le commandement des armées et toute la puissance réelle appartenaient à Cyrus ; les peuples de l’Orient s’accoutumaient à voir en lui leur véritable souverain, sans trop s’embarrasser peut-être du faible monarque qui végétait paisiblement dans les palais d’Ecbatane et de Babylone. D’un autre côté, les Perses qui, comme on peut le croire, étaient jaloux de la suprématie des Mèdes, fiers des trophées de leur chef, le montraient comme le monarque réel de l’Orient, et s’appliquaient, autant qu’il dépendait d’eux, à éclipser le faible rival de ce prince. Aussi, Hérodote, qui, dans son voyage à Babylone, avait appris de la bouche des Perses les faits qu’il raconte, n’avait point entendu prononcer le nom de Darius. Xénophon, qui, dans le cours de sa retraite, et en suivant les bords du Tigre, avait pu voir des Mèdes, et obtenir des éclaircissements historiques, avait peut-être entendu parler de Darius. Mais, soit que ceux à qui il devait ces renseignements eussent, sur leur propre histoire, des connaissances imparfaites, soit qu’il eût mal compris leurs récits, soit qu’il eût cédé trop facilement au plaisir d’embellir et de farder la vérité, il substitua à Darius un Cyaxare inconnu dans l’histoire, mais dont il se servit habilement pour répandre sur son ouvrage un intérêt romanesque.

Au reste, est-il bien certain que les anciens aient entièrement ignoré l’existence de Darius le Mède ?

Nous lisons, dans les récits de quelques écrivains grecs, que les dariques, ces pièces de monnaie qui avaient cours dans l’empire Perse, tiraient leur dénomination, non pas de Darius, fils d’Hystaspe, mais d’un prince de même nom, plus ancien. Or, on peut croire que le prince indiqué était le même que Darius le Mède. En effet, il est difficile, ce me semble, de se persuader que Cyrus, maître d’un immense empire, dominateur de toute l’Asie, n’ait pas songé à faire frapper dans ses états une monnaie particulière, et qu’il se soit contenté des pièces qui avaient cours chez plusieurs nations de l’Orient. Or, si ce monarque, après la conquête de Babylone, çonçut un pareil projet et le mit à exécution, il est présumable que, par égard pour Darius, il fit graver sur sa monnaie l’effigie de ce prince. Dans la suite, comme le nom de Darius le Mède avait peu retenti dans l’Orient, et encore moins chez les nations étrangères, on s’accoutuma naturellement à attribuer l’émission de ces pièces à Darius, fils d’Hystaspe, dont les exploits et les grandes qualités avaient jeté sur l’empire Perse un éclat si brillant.

M. Paolo Mazio, dans une dissertation lue à l’Académie de la religion catholique, à Rome le 18 mai 1843, recherche aussi qui fut Darius le Mède. Il trouve que le Cyaxare de Xénophon est fabuleux, que le Darius de Daniel n’est autre que le Nabonnid de Bérose, qui était étranger, c’est-à-dire, Mède ; que ce Nabonnid ou Darius n’avait, d’après Mégasthène, aucun lien de parenté avec Labosoardoch ou Balthasar, auquel il succéda ; qu’il parvint à l’empire par le seul meurtre de Balthasar, sans guerre, sans perturbation, sans difficulté aucune, et qut. Cyrus lui succéda. M. Paolo Mazio arrive donc à la même conclusion que M. Quatremère, mais par des voies différentes. Il serait utile de comparer avec critique leurs mémoires, peut-être sortirait-il de cet examen quelque lumière sur plus d’un point de l’histoire des anciens empires de l’Orient.

Darius (2), fils d’Hystaspe, fut un des sept conjurés qui tuèrent le faux Smerdis, et les mages usurpateurs du royaume des Perses. Darius, fils d’Hystaspe, fut reconnu roi par les six autres conjurés, de la manière que chacun sait. Car étant convenus entre eux que celui-là serait reconnu roi, dont le cheval saluerait le premier le soleil à son lever, par ses hennissements, l’écuyer de Darius mena la veille le cheval de son maître avec une jument, au même lieu où le lendemain on se devait trouver pour cela. Dès le matin, les sept conjurés s’y rendirent. Darius y arriva au lever du soleil ; et son cheval réveillé par ce qui s’y était passé la veille, commença à hennir. Aussitôt les six satrapes se jetèrent à bas de cheval, et se prosternant devant Darius, lui déférèrent unanimement la royauté. Cela arriva l’an du monde 3483, avant Jésus-Christ 517, avant l’ère vulgaire 521.

Darius épousa d’abord Athosse fille de Cyrus, laquelle avait eu en premières noces Cambyse son propre frère, puis le faux Smerdis. Hérodote dit que Darius en eut quatre fils, et qu’elle eut pendant assez longtemps beaucoup de part au gouvernement. Ce qui fait juger que ce n’est pas la même que Vasthi, qui fut répudiée d’assez bonne heure par ce prince. Il épousa encore Artistone, pour qui il eut une tendresse particulière, qu’il préféra à ses autres femmes, et à qui il fit ériger une statue d’or battu au marteau. C’est apparemment la même qu’Esther. Outre ces deux femmes, il en eut encore plusieurs autres, à la manière des rois d’Orient. La première femme de ce prince était fille de Gobrias. Il épousa la princesse Partnis, fille de Smerdis, fils de Cyrus, et Phaedima, fille d’Othanes, et Phralagune, fille unique d’Atarnè, frère de Darius. Ce fut apparemment l’une de celles-là qu’il répudia, et qui est nommée Vasthi dans le livre d’Esther. Je ne rapporte pas cette histoire au long ; on la verra dans l’article d’Esther, et on l’a déjà vue dans celui d’Assuérus. Nous plaçons la répudiation de Vasthi la quatrième année de Darius (Esther 1.3), du monde 3487. Esther devint son épouse, et fut reconnue reine vers l’an 3488, avant l’ère vulgaire 514.

La seconde année du règne de ce prince, du monde 3485, les Juifs, animés par les exhortations des prophètes Aggée et Zacharie, recommencèrent à travailler au temple, dont ils avaient interrompu l’ouvrage depuis le temps de Cyrus. Leurs ennemis en ayant donné avis a Darius, ce prince Leur permit de continuer (Esdras 6.12-14). Aman, fils d’Amathi, ayant abusé de la bonté que le roi avait pour lui, en demandant la mort de tous les Juifs qui étaient dans ses états, et Darius ayant été informé de l’injustice de sa demande, ie fit lui-même pendre au poteau qu’il avait destiné pour Mardochée, et permit aux Juifs de se venger de leurs ennemis, en 3493. Ce prince réduisit Babylone après vingt mois de siège cette ville, autrefois la capitale de tout l’Orient, et la maîtresse de toutes les nations sous les règnes de Nabuchodonosor, et de ses fils et petits-fils, ne souffrit qu’avec une extrême répugnance de se voir réduite au second rang, et dépouillée de ses plus chères prérogatives, les rois de Perses ayant transféré à Suses le siège de leur empire. Elle résolut donc de se délivrer du joug de la servitude, et de se révolter contre les Perses. Dans ce dessein profilant de la révolution qui arriva en Perse, premièrement à la mort de Cambyse, et ensuite dans le massacre des mages, ils commencèrent à faire secrètement leurs préparatifs pour la guerre, et pour soutenir un long siège. Ils employèrent quatre ans à ces préparatifs, et lorsqu’ils crurent leur ville abondamment fournie de provisions pour plusieurs années, ils levèrent l’étendard de la rebellion, et refusèrent d’obéir à Darius, fils d’Hystaspe.

Ce prince leva promptement une armée, et vint faire le siège de Babylone avec toutes ses forces. Les Babyloniens n’osèrent s’exposer en pleine campagne contre un prince de la valeur de Darius. Ils s’enfermèrent dans leurs murailles, qui étaient d’une hauteur et d’une épaisseur qui les mettait hors d’insulte : et comme ils n’avaient à craindre que la famine, ils prirent là résolution la plus barbare dont on ait jamais ouï parler ; ce fut d’exterminer toutes les bouches inutiles et incapables de combattre. Ils rassemblèrent donc toutes les femmes et tous les enfants, et les étranglèrent : ils réservèrent seulement chacun celle de leurs femmes qu’ils aimaient le plus, et une servante pour faire les ouvrages de la maison. Ainsi se vérifia cette parole d’Isaïe (Isaïe 47.7-9): Tu as dit, Ô Babylone : Je serai toujours la maîtresse ; et tu n’as pas fait attention à ce qui doit l’arriver à la fin. Écoute, ville délicieuse, et qui habites sans crainte, qui dis dans ton cœur : Je suis, et nulle autre n’est semblable à moi ; je ne serai pas veuve, et je n’éprouverai pas la stérilité ; ces deux maux fondront sur toi en un seul jour, la viduité et la stérilité, etc. En effet, parla mort de ses femmes et de ses enfants, Babylone n’éprouva-t-elle pas en un seul jour ces deux malheurs ?

On croit avec raison que les Juifs qui demeuraient en Babylone, ou en furent chassés par les Babyloniens, comme trop attachés au roi Darius, qui favorisait en toutes choses leur nation, ou qu’ils prirent d’eux-mêmes le parti d’en sortir, lorsqu’ifs virent les esprits résolus à la révolte. Les prophètes les avaient souvent avertis de fuir du milieu de cette ville criminelle. Sortez du milieu de Babylone, avait dit Isaïe (Isaïe 48.20), fuyez du milieu des Chaldéens, annoncez à haute voix que le Seigneur a sauvé son peuple. Et Jérémie (Jérémie 50.6): Retirez-vous du milieu de Babylone, sortez de la terre des Chaldéens. Je vais assembler contre elle une multitude de nations du côté de l’aquilon, qui la prendront, et la Chaldée sera eu proie. Et encore (Jérémie 51.6-9) : Fuyez du milieu de Babylone ; que chacun de vous sauve son âme et sa vie. Le temps de la vengeance du Seigneur est arrivé ; Babylone a été comme une coupe d’or entre les mains du Seigneur, il en eu enivré toutes les nations ; elle est tombée tout d’un coup, elle est toute brisée, etc. Enfin Zacharie, presque dans le même temps, c’est-à-dire, vers la cinquième année de Darius, avait fait dire aux Juifs de Babylone (Zacharie 2.6-9) : O, fuyez de la terre d’aquilon, dit le Seigneur… Ô Sion, qui habitez chez la fille de Babylone, sauvez-vous !

Darius, fils d’Hystaspe, fut vingt mois devant Babylone, sans faire aucun progrès considérable ; la ville était fournie de toutes sortes de provisions pour plusieurs années : la hauteur et la force de ses remparts la rendaient imprenable ; la résolution de ses habitants était extrême : Babylone renfermait dans son enceinte un grand terrain vide, qui pouvait être cultivé, ce qui était d’une grande ressource aux assiégés ; de sorte qu’elle ne pouvait être prise ni par assaut ni par famine. Zopyre, un des généraux de Darius, entreprit de la prendre par stratagème. Il se fit couper le nez et les oreilles, et se fit diverses incisions sur tout le corps, et, en cet état, il se jeta dans la ville, se plaignant amèrement de la cruauté de Darius, qu’il accusait de l’avoir injustement mis en cet état. Il sut si bien gagner la confiance des Babyloniens, qu’ils lui confièrent le gouvernement de leur ville et le commandement de leurs troupes. Il s’en servit pour livrer la ville au roi, qui le combla de biens et d’honneurs pour tout le reste de sa vie.

Il n’eut pas plutôt Babylone en sa puissance, qu’il en fit enlever les cent portes d’airain, suivant la prédiction qu’en avait faite Jérémie (Jérémie 51.58) : Voici ce que dit le Seigneur : Ce mur de Babylone qui est si épais sera renversé, ses portes si élevées seront brûlées, et les travaux des nations seront réduits au néant. C’est ce que raconte Hérodote : Darius abattit les murs de Babylone, non pas entièrement, car il les laissa à la hauteur de cinquante coudées, au lieu de deux cents qu’ils avaient auparavant ; et il enleva toutes les portes, ce que n’avait pas fait Cyrus, lorsqu’il prit la ville ; enfin il fit crucifier trois initie des plus mutins, et pardonna aux autres ; et pour empêcher que Babylone ne demeurât déserte, il y fit mener cinquante mille femmes des provinces voisines, pour remplacer celles qu’ils avaient tuées au commencement du siège.

Les autres guerres de Darius, fils d’Hystaspe, et les autres événements de son règne n’ont aucun rapport à notre sujet. Nous lisons que ce prince, qui parut toujours très-favorable aux Juifs, et qui avait même épousé Esther, et élevé Mardochée à de très-grands honneurs, et qui par conséquent devait avoir quelque connaissancedu vrai Dieu, tomba sur la fin de sa vie dans l’erreur des mages adorateurs du feu. Zoroastre étant venu à sa cour à Suse, sut si bien s’insinuer dans l’esprit du roi, et lui proposa ses sentiments avec tant d’adresse, que Darius embrassa ses sentiments, et son exemple fut suivi par les courtisans, la noblesse et tout ce qu’il y avait de personnes de distinction dans le royaume. Ainsi le magianisme, ou le culte du feu devint la religion dominante dans la Perse, et y continua jusqu’à l’établissement du Mahométisme dans le même pays.

Zoroastre tenta ensuite de faire embrasser sa religion à Argasp roi des Scythes orientaux, zélé sabéen ; et, pour en venir plus aisément à bout, il employa l’autorité, de Darius. Le roi scythe indigné qu’on voulût lui faire une loi dans une chose de cette nature, se jeta dans la Bactriane avec une armée, battit les troupes de Darius, tua Zoroastre avec tous ses prêtres au nombre de quatre-vingts, et démolit tous les temples de cette province. Darius y accourut, tomba sur les Scythes avant qu’ils eussent eu le loisir de se retirer, fit un grand carnage de leurs troupes, les chassa du pays, et rétablit les temples qu’ils avaient détruits, surtout celui de Balch, qui était comme la métropole de toute la religion des mages ; Darius le rétablit d’une grandeur et d’une magnificence extraordinaire, et par reconnaissance, il fut nommé dans la suite le temple de Darius Hystaspe. On dit qu’il prit le titre de Maître des mages, et qu’il voulut qu’on gravât ce titre sur son tombeau.

Nous examinerons sur l’article d’Esther les difficultés qu’on forme sur la qualité d’époux d’Esther, que nous avons attribuée à Darius fils d’Hystaspe. Darius mourut l’an du monde 3519, avant l’ère vulgaire 481; après trente-six ans de règne). Voyez Artaxercès Longuemain et Assuérus [Le tombeau de Darius Hystaspe et ceux de ces successeurs existent encore. Ceux de Darius Hystaspe, de Xercès et de Darius Codoman sont creusés dans la montagne de Rachmed, sur un pic, à plus de soixante pieds au-dessus du sol, et où l’on ne parvient qu’en se faisant hisser au moyen d’une corde attachée autour du corps. Cette montagne est près de Persépolis. À deux lieues plus loin, sur un autre pic, dans le lieu appelé Wakschi-Roustam, sont les tombeaux.des quatre autres rois Achéménides. Voyez, sur ces antiques monuments, Ker-Porter, Voyag., tome 1. page 520 et suivants, et Raoul-Rochette, Descript des ruines de Persépolis, dans les Ann de Ph chrét t. 12, page 14.0 et suivants]

Darius Condomanus (3)

Ce prince était de la race royale des Perses, mais fort éloigné de la royauté, et dans un assez grand’abaissement, lorsque Bagoas, eunuque fameux qui avait fait périr successivement les rois Ochus et Arsès, le plaça sur le trône. Son véritable nom était Codoman et il ne prit celui de Darius que lorsqüil fut fait roi. Il était descendu de Darius Nothus, qui eut un fils nommé Ostanes, lequel fut père d’Arsane, qui engendra Codoman. Celui-ci n’était d’abord qu’astande, c’est-à-dire courrier, ou tout au plus général des postes de l’empereur Ochus. Mais un jour étant à. l’armée de ce prince, un des ennemis vint défier le plus vaillant des Perses. Codoman seprésenta pour le combattre, elle vainquit, et pour récompense il fut fait gouverneur de l’Arménie. C’est de tà que Bagoas le tira pour le placer sur le trône des Perses.

Bagoas s’aperçut bientôt que Darius n’était pas d’humeur à lui abandonner le gouvernement, et à se contenter du simple titre de roi. Il résolut de s’en défaire, et prépara du poison pour le faire périr. Mais Darius en ayant été averti, l’obligea à. le boire lui-même, et s’assura ainsi la possession tranquille de la couronne. L’histoire nous représente Darius comme le plus bel homme et le mieux fait de tout l’empire des Perses, et en même temps comme le plus brave, le plus généreux, le plus doux et le plus clément.

Alexandre le Grand ayant été choisi par les états et villes libres de la Grèce pour commander en chef l’armée que l’on destinait contre les Perses, honneur qui avait été déféré au roi Philippe son père un peu avant sa mort, il passa en Asie à la tête de trente mille hommes de pied, et de cinq mille chevaux ; et ayant rencontré au passage du Granique Darius, qui avait une armée cinq fois plus forte que la sienne, il remporta sur une grande victoire. Il le battit une seconde fois à Issus. Alors Darius lui fit faire jusqu’à trois fois des propositions de paix ; mais voyant qu’il n’y en avait point à espérer, il assembla ùné nouvelle armée, qui se trouva forte de deux cent mille hommes : il la mena vers Ninive. Alexandre l’y suivit. La bataille se donna près d’un petit village nommé Gangameles : Darius la perdit ; Alexandre n’avait qu’environ cinquante mille hommes. Après cette défaite, Darius s’enfuit vers la Médie, dans l’espérance de tirer de cette province et de celles qui lui restaient encore au nord de de quoi tenter de nouveau la fortune.

Il arriva à Ecbatane, capitale de Médie, où il rassembla les débris de son armée, avec quelques nouvelles troupes qu’il leva. Alexandre, après avoir passé l’hiver à Babylone et à Persépolis, se mit en campagne pour allée chercher Darius. Celui-ci, sur l’avis de Sa marche, partit d’Ecbatane dans le dessein de se retirer dans la Bactrienne, de s’y fortifier, et d’y augmenter son armée ; mais il changea bientôt d’avis, s’arrêta tout court, et résolut de hasarder encore une fois le combat, quoique son armée n’eût alors qu’environ quarante mille hommes. Pendant qu’il s’y préparait, Bessus, gouverneur de la Bactrienne, et Nabarzanes, autre grand de Perse, arrêtèrent Darius, le chargèrent de chaînes, le mirent sur un chariot couvert, et s’enfuirent, l’emmenant avec eux vers la Bactrienne, résolus, si Alexandre les poursuivait, d’acheter leur paix en lui livrant son ennemi, sinon de le tuer, de s’emparer de la couronne, et de recommencer la guerre.

Huit jours après leur départ, Alexandre arriva à Ecbatane, et se mit à les poursnivre pendant onze jours de suite. Il s’arrêta enfin à Ragès, ville de Médie, n’espérant plus d’atteindre Darius : de là il se rendit an pays des Parthes, où il apprit ce qui était arrivé à ce prince infortuné. Après plusieurs jours d’une marche précipitée, il atteignit enfin les traîtres, qui, se voyant si pressés, firent ce qu’ils purent pour contraindre Darius à monter à cheval pour se sauver avec eux ; mais ayant refusé de le faire, ils le percèrent de plusieurs coups, et le laissèrent mourant dans son chariot. Il était mort lorsqu’Alexandre arriva : il ne put refuser ses larmes à un spectacle si triste : il couvrit Darius de son manteau, et l’envoya à Sisigambis, épouse de ce prince, pour qu’elle lui fît donner la sépulture dans les tombeaux des rois de Perse.

Ainsi se vérifièrent les prophéties de Daniel, qui avait prédit la ruine de la monarchie des Perses. Il avait représenté cette monarchie sous l’idée d’un ours (Daniel 7.5-6), qui avait trois rangs de dents dans la gueule, et à qui il fut dit : Levez-vous, et rassasiez-vous de carnage. Mais cette bête fut mise à mort par une autre bête qui était semblable à un léopard, et qui avait quatre ailes et quatre têtes. Le même empire des Perses était représenté dans la statue qui parut en songe à Nabuchodonosor (Daniel 2.39-40), par la poitrine et les bras qui étaient d’argent ; et celui d’Alexandre y était désigné par le ventre et les cuisses d’airain.

Dans un autre endroit, l’empire des Perses nous est encore figuré sous l’idée d’un bélier (Daniel 8.4-21), qui donne des coups de cornes contre l’occident, contre le septentrion, et contre le midi : rien ne pouvait lui résister : il fit tout ce qu’il voulut, et il devint fort puissant. Mais en même temps un bouc (c’est Alexandre le Grand) vint du côté de l’occident, parcourut tout le monde sans toucher la terre : il avait une corne fort grande entre les deux yeux. Il s’avança contre le bélier qui avait des cornes, et s’élançant avec impétuosité, il courut contre lui de toute sa force, l’attaqua avec furie, le frappa, lui rompit les deux cornes, et l’ayant renversé, il le foula aux pieds, sans que personne pût délivrer le bélier de sa puissance. On ne peut rien ajouter à la clarté de ces prophéties.

Les auteurs grecs conviennent que le motif de la guerre des Grecs contre les Perses, était l’entreprise que Xercès avait faite contre la Grèce, dans laquelle, selon l’expression de Daniel (Daniel 11.2), ce prince avait animé tous les peuples contre la Grèce. Mais les auteurs Orientaux racontent la chose autrement. Ils disent que Darab II roi de Perse, fils de Bahaman, ayant fait la guerre à Philippe, roi de Macédoine, obligea ce prince à lui demander la paix. Il ne l’obtint que sous ces conditions : premièrement de payer au roi vainqueur mille beizaths, on mille œufs d’or de tribut annuel : ces beizaths valaient chacun quarante dragmes d’argent : et en second lieu, de lui donner sa fille en mariage. Darab ayant reçu la tille du roi Philippe pour femme, et s’étant aperçu dès la première nuit de ses noces qu’elle avait l’haleine mauvaise, résolut de la renvoyer à son père, quoiqu’elle fût déjà enceinte.

Philippe la fit soigneusement garder jusqu’au temps de ses couches ; elle enfanta Alexandre, que Philippe déclara lui appartenir, et à qui il laissa le royaume après lui. Darab, roi de Perse, mourut aussi vers le même temps, et eut pour successeur Dara, son fils (c’est Darius Codoman), qui fut un prince violent et cruel, qui aliéna tellement les esprits des peuples, et même des grands de sa cour, qu’ils députèrent à Alexandre le Grand, pour l’exhorter à faire la conquête de la Perse. Alexandre ayant donc refusé de payer le tribut ordinaire, et ayant répondu à ceux qui le vinrent demander, que la poule qui pondait les beizaths, ou les œufs d’or, s’était envolée à l’autre monde ; Dara assembla une grande armée pour lui faire la guerre.

Alexandre se prépara à le bien recevoir, et alla même au-devant de lui jusqu’en l’erse : il lui livra bataille, et le vainquit. Para s’étant retiré dans sa tente, deux de ses officiers, natifs de Ramadan, lui passérent leur épée au travers du corps, et s’enfuirent vers le camp du vainqueur. Alexandre, informé de ce qui s’était passé, accourut à la tente de Dara, qui respirait encore, lui prit la tête, la mit sur ses genoux, pleura son triste sort, lui protesta qu’il n’avait aucune part à sa mort. Dara ouvrant les yeux, le pria de le venger de la perfidie de ses serviteurs, lui donna sa fille Roxane en mariage, et lui recommanda de ne point mettre le gouvernement de la Perse entre les mains des Grecs. Ainsi il mourut entre les bras d’Alexandre, qui était son frère, selon les historiens, étant né de la fille de Philippe, épouse de Darab, comme Dara était né d’une autre femme du même Darab, père de Dara.

Darius Codoman, ou Condomane ne régna que six ans, depuis l’an du monde 3668, jusqu’en 3674. Il mourut en 3674; l’an 326 avant la naissance de Jésus-Christ, et l’an 330 avant l’ère vulgaire.