Il n’est pas de récit scripturaire qui ait été jugé plus diversement que celui de la création par lequel s’ouvre le livre de la Genèse. Cuvier, le fondateur de la paléontologie, s’exprime ainsi :
Élevé dans toute la science des Égyptiens, mais supérieur à son siècle, Moïse nous a laissé une cosmogonie dont l’exactitude se vérifie chaque jour d’une manière admirable. Les observations géologiques récentes s’accordent parfaitement avec la Genèse sur l’ordre dans lequel ont été successivement créés tous les êtres organisés.
D’autre part on entend des savants déclarer que l’accord entre les faits géologiques et le tableau biblique est désormais impossible à établir. Il faut, selon eux, envisager ce récit comme le produit d’une antique tradition ou comme le fruit de la spéculation philosophique, dans les deux cas comme une composition d’origine purement humaine. Et si l’on descend enfin jusqu’aux journaux populaires, on y rencontre des expectorations telles que celle-ci :
L’acceptation de la bible, comme règle de conviction ! Faudra-t-il donc croire avec la Genèse que Dieu, après avoir créé la lumière au premier jour, a dû dormir trois nuits avant de produire les astres qui nous la transmettent ; que l’herbe des champs et les arbres de nos forêts créés au troisième jour ont pu croître sans la chaleur du soleil, de la lune et des étoiles créées le quatrième ?
Le récit de la Genèse proviendrait-il simplement d’une tradition humaine ? Mais les hommes se transmettent, par la voie des récits traditionnels, les faits dont ils ont été les témoins. Or, s’il est vrai que l’homme était moralement présent à l’œuvre créatrice, comme but et norme de ce grand travail, il est tout aussi vrai qu’aucun oil humain n’a contemplé ce spectacle unique, et qu’aucune bouche humaine n’a pu en raconter les phases : Où étais-tu, dit l’Éternel à Job, quand je fondais la terre et que les fils de Dieu chantaient en triomphe ?
Ce tableau serait-il d’origine philosophique ? Mais l’idée d’une création, animale ou végétale, antérieure à l’homme et qui se serait développée à travers les phases diverses d’un progrès régulier, n’est venue à l’esprit d’aucun philosophe ancien. La notion même de création, dans le sens propre du mot est et reste étrangère à la pensée antique.
Ces considérations nous ramènent à l’idée qui s’est imposée à beaucoup de savants de premier ordre : c’est que nous pourrions bien, en contemplant ce tableau, nous trouver en face d’une révélation divine. Quoi donc ? Dieu aurait-il, en particulier, fait contempler à l’un d’entre eux quelques-unes des scènes qui ont précédé l’existence de l’homme ici-bas ?
S’il en est ainsi, sous quelle forme a pu s’accomplir une telle communication ? Et dans quelle relation se trouve son contenu avec les résultats actuels de la science ? Ce sont là les importantes, mais difficiles questions que nous nous proposons d’examiner.
Le monothéisme hébreu repose-t-il sur une révélation ? L’histoire d’Israël est-elle dans son ensemble une œuvre de divine pédagogie, destinée à préparer la création morale qu’est venu opérer Jésus-Christ et en vue de laquelle la première création avait déjà été consommée ? Et les révélations particulières, accordées aux patriarches et aux prophètes israélites, seraient-elles le commentaire qui accompagnait ce travail disciplinaire, comme l’enseignement doit appuyer tout œuvre éducatrice ? C’est sous ce jour que la Bible présente les révélations divines dont elle rend compte.
Cacherai-je, se dit Dieu à lui-même, cacherai-je à Abraham ce que je m’en vais faire (Genèse 18.17). Quand Dieu veut accomplir ici-bas une œuvre suivie, ne fait-il pas nécessairement qu’à moins d’opérer une série indéfinie de miracles, il s’associe un certain nombre de libres agents qui concourent à son travail ? Pour cela il doit d’abord les attirer à lui, les gagner à sa cause ; puis, afin qu’ils travaillent avec intelligence et liberté, il doit les initier à son plan, dans la mesure, du moins, où ils participent à son accomplissement ; ce qui suppose une série d’actes de révélation. Un prophète exprimait en ces termes ce fait dont il se sentait lui-même la vivante preuve : Deux hommes marcheront-ils ensemble, s’ils ne sont d’accord ?… Ainsi le Seigneur, l’Éternel, ne fera rien sans avoir révélé son secret à ses serviteurs les prophètes (Amos 3.3-7).
On a essayé d’expliquer le monothéisme israélite et tout le cortège de convictions et d’espérances qui l’accompagne, par une tendance instinctive de la famille sémitique (M. Renan) ou par le développement naturel de la conscience humaine qui se serait accompli plus rapidement chez cette race que chez toute autre. Mais le savant illustre, qui de nos jours a scruté le plus profondément les secrets de l’intelligence et de la conscience humaine au moyen des indices offerts par le langage, M. Max Müller, a réfuté de main de maître cette théorie naturaliste :
Est-il possible de dire, demande-t-il, qu’un instinct monothéiste ait été départi à toutes ces nations qui adoraient Élohim, Jéhovah Sabaoth, Moloch, Nisroch, Rimmon, Nebo, Dagon, Ashtaroth, Baal ou Bel, Baalpeor, Baalzebub, Chemosch, Milcom, Adrammelech, Annamelech, Nibhaz et Tartak, Ashima, Nergal, Succothbenoth, le soleil, la lune, les planètes et tous les astres du firmament ?
Tous ces noms de divinités appartiennent en effet au panthéon des tribus sémitiques. Le même auteur rappelle encore qu’il n’est pas permis de conclure de l’exemple d’un Abraham, d’un Moïse, d’un Élie, d’un Jérémie, à la tendance générale du peuple juif, puisque c’est un fait :
Que cette nation a provoqué maintes fois le courroux du Seigneur en offrant de l’encens à d’autres dieux.
L’histoire atteste qu’Israël était enclin au même polythéisme, raffiné ou grossier, dans lequel sont tombés tous les autres peuples, et qu’il a fallu un effort continu de Dieu, par le moyen d’un petit nombre d’hommes choisis et par une discipline très sévère s’exerçant souvent par les dispensations les plus rigoureuses, pour contraindre ce peuple à remonter le courant idolâtre qui l’entraînait naturellement comme tous les autres. Sans doute il faut admettre une révélation primordiale et naturelle de l’existence de la divinité à la conscience humaine. Mais, comme l’observe M. Müller :
Cette intuition primitive de Dieu n’est par elle-même ni monothéiste, ni polythéiste… Elle trouve son expression dans cet article de foi : Dieu est Dieu, ou : il y a un Dieu ; ce qui ne signifie pas encore : il y a un seul et unique Dieu.
Cette dernière formule, qui renferme la négation expresse du polythéisme, dépasse le contenu de la révélation naturelle. Comment expliquer que le peuple d’Israël seul ait possédé cette notion et en ait fait la base de son existence nationale ? Ce peuple était-il doué d’un génie philosophique supérieur ? Nullement. M. Max Müller rappelle ici à M. Renan ses propres déclarations, par lesquelles il refuse aux nations sémitiques même :
Ce minimum de réflexion religieuse qui est nécessaire pour la perception de l’unité divine.
Or autant il est certain que tous les peuples, en vertu de l’organe religieux dont l’âme humaine est douée, se sont élevés à une foi générale en la divinité, autant il l’est qu’Israël seul a conçu comme unique cette divinité universelle affirmée. Aussi M. Müller conclut-il en disant nettement :
On nous demandera comment il se fait qu’Abraham n’ait pas eu seulement l’intuition primitive de la divinité, commune au genre humain tout entier, mais qu’il soit parvenu à la connaissance du Dieu unique, en niant l’existence de tous les autres dieux ; nous sommes prêts à répondre que ce fut grâce à une révélation divine toute spéciale.
Nous ne nous servons pas ici du langage conventionnel de la théologie ; nous entendons donner au terme que nous employons sa portée pleine et entière. Le Père de toute vérité choisit ses prophètes, et il leur parle d’une voix plus forte que la voix du tonnerre… Nous ne saurions admettre que l’expression d’instinct divin soit le mot propre pour désigner cette grâce ou ce don accordé à un petit nombre d’hommes seulement, ni que ce soit un terme plus scientifique, c’est-à-dire plus intelligible, que celui de révélation spéciale.
Voyez-vous dans la prairie cette troupe de chevaux sauvages qui bondissent en liberté ? Aucun d’eux n’a jamais subi la pression douloureuse du frein, ni l’étreinte dominatrice d’un habile et robuste dompteur. Au milieu d’eux apparaît tout à coup un coursier aux allures réglées ? Au corps bien ramassé, au galop mesuré et pourtant rapide. Ses flancs portent un cavalier dont la main est armée du redoutable lazzo. Il poursuit ces jeunes chevaux indomptés, leur jette le lacet, les enserre du noud fatal et les emmène captifs dans son haras, où dès ce moment ils vont subir à leur tour le dressage.
C’est ainsi que Jéhovah, tout en laissant marcher les nations à leur gré, s’est préparé et comme dressé en Israël un peuple par le moyen duquel il se proposait de ramener à lui, quand les temps seraient accomplis, tous les autres. N’avait-il pas dit d’avance à Abraham, en faisant de lui son élu, et de sa postérité son peuple : Toutes les familles de la terre seront bénies en ta postérité ?
Entre tous les hommes que Dieu a appelés à travailler avec lui à cette éducation spéciale du peuple juif, Moïse occupe sans contredit le premier rang. C’est par lui que la révélation patriarcale est devenue une religion nationale et a reçu son caractère historique. C’est par lui qu’elle s’est complètement dégagée des éléments polythéistes qui y étaient restés attachés chez les fils et les petits-fils d’Abraham lui-même.
C’est par lui que le nom déjà connu, mais non généralement employé, de Jéhovah a été substitué à l’ancien nom d’El-Schaddaï, Dieu tout-puissant, par lequel on désignait le Dieu qui s’était manifesté au père de la race, celui par lequel Dieu s’était le plus souvent désigné lui-même en s’adressant aux patriarches. Cette substitution n’était rien de moins que le principe d’une profonde révolution religieuse. Le nom d’El-Schaddaï, le Tout- Puissant, laissait subsister à côté de Dieu d’autres puissances, soumises sans doute à sa suprématie, mais qui en quelque manière pouvaient encore lui tenir tête. Ce nom équivaut à peu près à celui dont aime à se servir une certaine conception religieuse : L’Être des êtres, l’Être suprême.
Mais Jéhovah signifie : celui qui est et sera, qui a l’être pour essence. Jéhovah, ce n’est donc pas seulement le plus puissant des êtres ; c’est l’être unique, existant seul réellement ; l’être absorbant en lui la notion de l’être ; l’être existant par lui-même ; l’être comme sujet, comme verbe et comme attribut tout ensemble : Je suis celui qui suis. À côté de El-Schaddaï il y a place pour d’autres êtres inférieurs à lui. En dehors de Jéhovah il n’y a que le néant. Si quelque chose est néanmoins, en dehors de lui, c’est par lui uniquement et par le fait de sa volonté créatrice.
Le culte d’El-Schaddaï n’excluait donc pas expressément le polythéisme. Mais l’adoration de Jéhovah est en principe ce qu’elle est de plus en plus devenue en fait, le divorce absolu de la conscience avec le paganisme sous toutes ses formes réelles et imaginables. Nous possédons, aux chapitres 3 et 6 de l’Exode, le récit simple et solennel de la vision accordée à Moïse, dans laquelle Dieu s’est révélé pour la première fois en sa qualité de Jéhovah. En ce jour a été posé le fondement du monothéisme israélite et de la religion définitive de l’humanité.
Exode 6.2-3 : Dieu parla à Moïse et lui dit : Je suis Jéhovah. Je suis apparu comme le Dieu tout-puissant (El-Schaddaï) à Abraham, à Isaac et à Jacob ; mais je ne me suis point fait connaître à eux en mon nom (en ma qualité) de Jéhovah. Mais ce n’est pas seulement contre le polythéisme, c’est contre son principe latent, le matérialisme théorique et pratique, que le culte de Jéhovah devait être désormais une infranchissable barrière. En face de celui qui est l’Être en soi, le moi indépendant, absolu, parfaitement conscient et maître de lui-même, de celui qui est ce qu’il veut être, tout aussi réellement qu’il veut être ce qu’il est, comment la matière pourrait-elle prétendre à une existence autonome quelconque ? Exode 3.14 : Je serai celui que je serai, c’est la paraphrase grammaticale du nom de Jéhovah ; ce nom est un futur.
Cette matière, ce principe obscur, fatal, inconscient, dénué de volonté, impénétrable à l’intelligence, cet être amorphe, ce fait brut que tous les peuples et même tous les sages de l’antiquité ont envisagé comme coexistant éternellement à Dieu et comme indépendant de lui, sinon dans sa forme, au moins dans sa substance, cette matière incréée est supprimée à toujours par la révélation de Dieu comme Jéhovah : Je serai. Je serai (comme nom propre) m’a envoyé vers vous (ibidem).
Non seulement aucun être particulier, mais la substance même dont les êtres sont formés, n’a d’existence que celle que lui prête la libre volonté divine. Et voilà la conception qui doit servir de base à l’établissement du royaume de Dieu sur la terre. Avec cette notion sublime le règne du spiritualisme, de la sainteté, est fondé au sein de l’humanité. Si la matière existe éternellement et par elle-même, si, comme telle, elle peut résister dans l’univers à tous les efforts de Dieu pour la dompter parfaitement, ainsi que le pensaient les sages les plus avancés de l’antiquité, comment ne braverait-elle pas tous les efforts de l’homme pour la dompter en lui-même ?
Elle entrave jusqu’au bout les desseins du Créateur qui voudrait réaliser ici-bas le bien parfait, l’idéal du vrai, du juste et du beau, et qui ne peut y parvenir parce qu’il rencontre dans la matière une infranchissable limite à son action bienfaisante ; et nous aurions, nous, faibles humains, la prétention de réaliser l’idéal moral en dépit de la chair et du sang !
Dieu a dû se borner à arranger la matière aussi bien que possible, et le monde, malgré le souffle divin dont il l’a pénétré, reste pour lui un pis-aller ; et il pourrait exiger de moi que, dans mon petit cercle, je fisse plus et mieux ! Non ; si la matière est indomptable dans le grand tout, elle l’est aussi dans ma vie particulière. Guérissons-nous donc de la folie de vouloir dominer en nous les sens ! Obéissons sans remords à un principe aveugle devant lequel s’incline la majesté divine elle-même ! Et, puisqu’il le faut, que la brute règne dans tous les domaines inférieurs de la vie humaine !
Il ne faut pas un grand effort d’intelligence pour comprendre cette logique qui conduit du principe de l’éternité de la matière au matérialisme pratique et justifie tous les excès de la sensualité, toutes les dégradations de l’égoïsme. C’est là le terme fatal auquel est poussé l’homme que n’éclaire pas la connaissance de Jéhovah.
Le tableau qu’a tracé Saint-Paul de la vie des anciens peuples païens et le spectacle offert aujourd’hui par les nations idolâtres sont d’effrayants hommages rendus à la rigueur de cet enchaînement logique Romains 1. En face de cette pente sur laquelle glissent tous les peuples païens, anciens et modernes, nous en contemplons une autre, que remonte, par une ascension glorieuse, une nation, une seule, qui, dans la personne de son dernier et suprême représentant, finit même par réaliser la plus pure spiritualité, la sainteté absolue.
Au fruit on reconnaît l’arbre, ou, si l’on veut, la racine. Le nom de Jéhovah, inscrit en lettres de feu par Moïse dans la conscience israélite, c’est lui qui a opéré le prodige. Il a dissipé en Israël le charme séducteur de la vie des sens et assuré la prépondérance à l’esprit sur la matière. Si Dieu seul est, et que la matière n’existe que par lui, elle lui est entièrement assujettie. Pas plus que Dieu lui-même, l’homme n’en est l’esclave. En épelant le nom de Jéhovah, l’homme a relu ses lettres de noblesse. Fait à l’image de cet être absolu, de ce pur esprit, il doit et peut lui ressembler ; et voilà qu’est ouverte désormais la voie royale qui conduit de Moïse à Jésus-Christ.
La sainteté n’est plus un inaccessible idéal ; le royaume de Dieu, au lieu d’être un vain mot, devient le vrai mot de l’histoire. Le plan de Dieu est révélé dans son nom même de Jéhovah. Le but de la vie humaine, individuelle et collective, ne peut être que le règne de l’esprit divin dans tous les esprits créés qui acceptent librement son empire. Voici en quels termes un savant juif de nos jours exprime la même pensée :
L’éternité de la matière est jusqu’à aujourd’hui le fondement de la conception païenne. Ce principe n’est pas seulement un mensonge métaphysique, c’est la négation de la liberté en Dieu et dans l’homme, négation qui enfouit toute moralité. Si une matière quelconque s’est imposée au Créateur, il n’a pu former un monde absolument bon, mais seulement le meilleur monde possible ; et l’homme peut tout aussi peu être maître de son corps que Dieu n’a pu l’être de la matière…
Mais cette nuit profonde et sinistre qui enveloppe la conception de Dieu, du monde et de l’homme se dissipe au premier mot de l’enseignement divin : Au commencement Dieu créa
… Toute chose, substance et forme, est apparue par la volonté créatrice, libre et toute-puissante. Et comme le Créateur domine librement sur le monde, il peut, en communiquant à l’homme une étincelle de sa vie, lui donner de dominer sur son corps et sur ses forces. Le monde créé n’est plus le meilleur monde possible, mais le seul bon… La possibilité même de son altération appartient à sa perfection ; car sans elle il n’y aurait pas de liberté morale… Et le Dieu qui a assigné au monde son but saura bien l’y faire parvenir par le libre pouvoir au moyen duquel il l’a créé.
On voit avec quelle nécessité la préparation du salut du monde par Israël exigeait, comme point de départ, la révélation de ce grand principe : Je suis celui qui suis, auquel l’intelligence de l’humanité charnelle n’était plus capable de s’élever par elle-même. Aussi Dieu, après avoir dévoilé à Moïse cette notion sublime, l’inscrivit-il sur Sinaï en tête de la loi nationale : Moi, Jéhovah, je suis ton Dieu. Exode 20.2
L’accomplissement des antiques promesses faites à Abraham par El-schaddaï, œuvre présente confiée au ministère de Moïse, le salut futur de l’humanité que devait opérer le Christ, tout reposait en définitive sur ce principe, comme l’édifice entier, dès l’étage inférieur jusqu’au couronnement, repose sur le fondement une fois posé. Nous avons constaté la réalité de la révélation mosaïque ; nous en avons reconnu la nécessité. Reste à savoir quelle forme elle devait revêtir pour atteindre son but : celui de rendre intelligible et vivante pour la conscience israélite cette notion de l’existence absolue de Dieu, mystérieusement formulée dans le nom de Jéhovah.
Dieu devait-il faire du dogme de l’aséité (L’existence par soi-même) divine et de la création de la matière une réponse de catéchisme qu’aurait à apprendre, de génération en génération, la jeunesse israélite ? Mais nous savons assez combien est faible la barrière qu’oppose aux torrents de l’erreur et du péché un pareil mode d’enseignement.
Avec le peuple surtout, si l’on veut agir sur la volonté et même sur l’esprit, ce n’est pas à l’intelligence seule qu’il faut parler ; c’est en même temps à l’imagination et au cœur. Il ne faut pas se borner à enseigner la vérité ; il faut la peindre. Ou bien, à défaut de formule dogmatique, Dieu devait-il recourir à la démonstration scientifique, donner à Moïse et, par Moïse, à Israël une leçon sur les origines de l’univers, faire un cours d’astronomie et de géologie, de physique et de chimie, de botanique et de zoologie ? Une telle méthode aurait eu le double inconvénient de rendre du même coup la science inutile et la foi impossible. À quoi bon l’étude, une fois la révélation de toutes choses opérée par Dieu lui-même ?
Et, à supposer que Moïse fût descendu du Sinaï, non avec les tables des dix commandements, mais avec une connaissance bien exacte et bien complète des causes et des lois qui ont présidé à la constitution de l’univers, avec le système de Copernic, par exemple, tout formulé, qui eût accueilli une si incroyable révélation ? La puissance des apparences sensibles, l’autorité des préjugés régnants, un moment refoulées peut-être, eussent bientôt repris le dessus et cette révélation intempestive fût descendue dans la tombe avec celui qui l’avait apportée. La foi doit être un acte moral et non une adhésion de l’intelligence.
Un seul moyen restait, celui dont Dieu s’est servi quand il a voulu révéler l’avenir aux prophètes. Comment s’y est-il pris, par exemple, pour donner à Daniel une idée des quatre phases que devait traverser l’histoire de l’humanité jusqu’à l’apparition du Messie ? Lui a-t-il fait une leçon d’histoire sur les Assyriens et les Babyloniens, sur les Mèdes et les Perses, sur les Grecs, sur les Romains ?
Non, il a fait passer devant lui cinq tableaux ou images dont le souvenir est demeuré ineffaçable : un lion ailé, symbole de la puissance babylonienne ; un ours à la démarche grave et lente, emblème de la majesté persane ; un léopard à quatre têtes parcourant la terre comme au vol, représentation sensible de la monarchie d’Alexandre si rapidement fondée, si promptement divisée en quatre états distincts ; un monstre enfin sans analogue dans la création terrestre, foulant et dévorant tout ce qu’il rencontre, image de l’empire romain, cet état qui n’a ressemblé à rien de connu et qui a absorbé tout en lui ; et après tout cela, comme terme de ces apparitions monstrueuses, la figure d’un fils d’homme arrivant sur les nuées, emblème du seul pouvoir vraiment humain, de l’amour qui descend des cieux pour fonder ici- bas le règne de la liberté et de la vérité.
Voilà comment Dieu enseigne l’histoire, quand il trouve bon de la faire connaître à l’avance à ses serviteurs, les prophètes. Il ne disserte pas, ne catéchise pas ; il montre. Ce procédé a le double avantage de prendre à partie l’homme tout entier, par conséquent de ne point altérer la nature de la foi, et de ne pas rendre la science superflue en anticipant sur ses futurs travaux. Toutes les recherches des historiens, toutes les découvertes des investigateurs de ruines et de palais ensevelis, au lieu d’être frappées d’inutilité par la vision que nous venons de rappeler, ne serviront qu’à préciser et qu’à enrichir les tableaux dont elle se compose.
Pourquoi Dieu n’aurait-il pas, dans la communication de faits passés que nul oil n’avait contemplés, adopté le même moyen ? Pourquoi n’aurait-il pas fait surgir aux yeux de Moïse une série de tableaux résumant l’œuvre de la création à l’essence de laquelle il désirait l’initier ? En faisant passer sous ses yeux l’image de ces différentes classes d’êtres qu’avait divinisés le paganisme, et qu’il lui présentait sortant successivement de leur néant à l’appel du Très-Haut, ne donnait-il pas à son peuple le commentaire du nom de Jéhovah, dans le sens où nous l’avons expliqué, mieux que par aucune autre méthode ?
Pour donner à une nation l’idée d’une grande victoire que ses fils ont remportée, on ne se borne pas à un bulletin qui la résume en quelques lignes ; on n’a pas recours non plus au procédé savant de l’exposé stratégique. On met le pinceau dans la main de l’artiste le plus éminent, et on lui demande la représentation de deux ou trois scènes, qui sont les échantillons de milliers de scènes analogues. Telle nous paraît être la nature des tableaux dont se compose le récit de la création. Il nous est dit (Hébreux 8.5) que pendant les quarante jours et les quarante nuits que Moïse passa sur la montagne, Dieu lui fit voir le modèle du tabernacle qu’il aurait bientôt à construire. Ce fut alors aussi, peut-être, qu’il lui fut donné de contempler la construction de ce grand édifice de l’univers dont le tabernacle était l’emblème.
Le Parvis, le Lieu saint et le Lieu très-saint correspondaient à la terre, aux cieux et au séjour suprême où Dieu manifeste le plus immédiatement sa présence.
Les tableaux que Dieu fit passer devant lui et dont il nous a conservé dans le récit génésiaque les admirables photographies, ne peuvent en aucune façon gêner le travail de la science. La révélation et la science sont deux rayons d’origine différente, l’un venant du ciel, l’autre de la terre, et qui en se rencontrant et se combinant produisent la clarté parfaite. L’un nous apporte la pensée de l’Ouvrier, l’autre nous procure l’image concrète de l’œuvre. Comme les découvertes historiques ne servent qu’à enrichir et à compléter les tableaux prophétiques de Daniel, ainsi les découvertes géologiques trouvent, dans les tableaux rétrospectifs de Moïse, le cadre tout prêt à les recevoir et à leur donner leur place.
La Bible n’épargne point à la science le travail de mettre au jour l’immense richesse des faits, de constater les relations des causes et des effets, des moyens et des buts qui les unissent, de découvrir les lois qui les régissent. La science à son tour ne rend pas inutile, elle réclame au contraire le mot d’en haut qui renferme le vrai sens de ce magnifique ensemble. L’important est de saisir le point de rencontre entre les deux rayons, afin que l’image totale et pure se forme pour le regard de l’intelligence humaine. Cet idéal ne pourra être complètement réalisé que lorsque la géologie d’une part, l’exégèse de l’autre, auront achevé leur travail.
Mais il est permis de constater le degré de rapprochement déjà obtenu et de tenter de faire un pas nouveau sur la voie qui mène à ce but.
Nous devons nous borner à exposer sommairement les résultats les plus probables ou les plus généralement admis des investigations contemporaines, relatives à la formation du globe et à l’apparition des êtres organisés. La science constate, à ce qu’il nous paraît, dix phases générales dans ce développement. Nous allons les indiquer rapidement ; puis nous chercherons à donner quelques explications sur ces points, sans nous interdire d’en discuter quelques-uns. Ces phases principales paraissent avoir été :
Nous développons brièvement chacun de ces points.
La science admet en général la théorie de Laplace, d’après laquelle notre système solaire on peut même dire : l’univers aurait eu pour point de départ une matière gazeuse extrêmement ténue et subtile. Cette substance aurait été analogue à celle des nébuleuses que le télescope surprend aujourd’hui encore dans les profondeurs du firmament et qui ne seraient que des systèmes en formation.
Par un effet du mouvement rotatoire dont cette matière était douée ou qui lui avait été imprimé, des anneaux se seraient successivement détachés à la surface équatoriale de la masse primitive. En se brisant et se repliant sur eux-mêmes ces anneaux seraient devenus autant de sphéroïdes, chez lesquels se serait reproduit sur une plus petite échelle le même phénomène.
Ainsi nos planètes ne seraient que des anneaux successivement désagrégés de la masse centrale du soleil et échelonnés autour de ce globe selon la date de leur séparation successive. Les satellites des planètes se seraient également détachés d’elles d’après le même procédé. L’anneau de Saturne serait encore là comme le muet témoin de ce mode de formation des mondes. Ainsi s’expliqueraient à la fois la distinction de notre système solaire de l’ensemble de l’univers et son organisation interne.
Cette masse gazeuse était à l’état incandescent. C’est ce qui ressort de tous les faits qui prouvent que notre terre s’est constituée sous l’action d’un lent et progressif refroidissement, d’où provient ce refroidissement ? De deux causes : d’un côté, la séparation de la terre d’avec la masse centrale, le soleil ; de l’autre, la transmission d’une partie de sa chaleur aux espaces environnants. Au point de départ, nulle condensation possible de la matière gazeuse ; la température était trop élevée. Le volume de notre globe devait être, par conséquent, infiniment plus considérable que celui de la terre actuelle. La théorie de Laplace sur la formation de la terre n’est pas sans offrir à la pensée quelques difficultés et quelques lacunes. Nous attirerons l’attention du lecteur sur ces deux points :
Ne pourrait-on pas supposer que, semblable à la cellule organique qui rend compte de tout et dont rien ne rend compte, et qui possède en elle-même tous les éléments de sa vie, chaque nébuleuse ou groupe de matière cosmique émane immédiatement de la force créatrice, avec son mouvement rotatoire et sa chaleur, contenant dans sa masse gazeuse tous les matériaux de son organisation future ?
Ils sont là, ces corps simples, ces gaz, ces métaux, comme les principes vitaux résident latents dans l’embryon. Mais ils n’y sont pas comme tels. C’est l’indivision absolue. La condensation, résultant du refroidissement, les fera seule sortir graduellement de cette confusion primitive.
Nous sommes chez nous. Notre terre, détachée du soleil et distincte des autres planètes, forme un globe à part, qui s’organise dès maintenant selon ses lois. Le refroidissement, dont nous avons indiqué les causes, commence et, avec lui, le travail de condensation.
Une partie des matières dont se compose la masse primitive passe de l’état gazeux à l’état liquide, mais bouillant. Puis, le refroidissement continuant, à la surface de l’étendue liquide se forme une croûte solide, comparable à cette mince pellicule qui apparaît à la superficie du lait bouillant, dès qu’il est exposé au contact de l’air froid. Voilà le commencement du sol sur lequel nous habitons et auquel nous donnons le nom de terre-ferme.
Au-dessous de cette surface solide s’étageaient les matières en fusion, dans l’ordre de leur densité, les plus pesantes au centre, les moins denses superposées les unes aux autres jusqu’à l’enveloppe. Une atmosphère de matière gazeuse entourait le globe ainsi constitué. Mais elle différait complètement de notre atmosphère actuelle. Car elle contenait à l’état vaporisé une foule de matières aujourd’hui condensées : les métaux d’abord, qui devaient former la couche la plus basse, la plus rapprochée de l’enveloppe solide ; puis les corps plus facilement vaporisables, tels que la silice, la chaux, le soufre ; enfin les matières qui se volatilisent plus aisément encore, telles que la masse énorme des eaux dont sont aujourd’hui formées nos mers, avec les gaz qui entrent dans leur composition.
Le plancher terrestre, à cette époque, n’était pas encore bien solide. Exposé de très près à l’action de la fournaise intérieure et des gaz qui s’en échappaient, il devait être fréquemment agité, soulevé, déchiré, englouti par cette mer de feu, aux convulsions de laquelle, aujourd’hui même, malgré son épaisseur plus considérable, il ne reste pas toujours étranger.
Cependant, par le progrès constant du refroidissement, la solidification des matières continuait à l’intérieur et à l’extérieur de l’enveloppe. Au dehors, les vapeurs, en se condensant, formaient une mer saturée de toute sorte de matières, qui recouvrait ce frêle plancher, tandis qu’au dedans la croûte s’épaississait par la condensation des matières en fusion les plus rapprochées d’elle. Après chaque déchirement de l’écorce, elle se reformait plus solide, comme se resserrent les rangs d’une armée après une décharge de mitraille.
À quoi ressemblait la terre à ce moment de formation ? À un globe immense dont le centre serait formé par un foyer ardent entouré de trois enveloppes : l’une solide, une mince écorce ; la seconde liquide, une mer d’eau bouillante ; la troisième gazeuse, un océan de vapeurs. La terre eût produit alors sur un spectateur l’effet d’une de ces puissantes locomotives qui traversent l’espace portant un brasier dans leurs flancs, munies d’un réservoir d’eau et de parois de fer, et enveloppées d’épaisses et sombres vapeurs.
Ce violent travail ne put s’opérer sans provoquer un abondant dégagement d’électricité et par conséquent aussi de lumière. Ainsi que nous l’écrivait récemment un savant de premier ordre, placé par ses travaux à la tête des progrès de la science dans ce domaine, il ne pouvait manquer d’y avoir alors une lumière provenant des actions chimiques puissantes et nombreuses qui devaient s’opérer à cette époque sur la surface de la terre ; actions chimiques qui engendrent l’électricité et provoquent dans l’éther des vibrations lumineuses.
Nos aurores boréales sont peut-être le phénomène actuel le plus propre à nous donner une idée de cette lumière primitive, indépendante de l’action solaire. L’on connaît les admirables expériences par lesquelles M. de la Rive est parvenue à reproduire en petit dans son laboratoire tous les phénomènes des aurores boréales. Il paraît résulter de ces travaux que ces magnifiques apparitions ne sont autre chose que le produit de la neutralisation, dans les régions polaires, de deux courants d’électricité opposés.
La source principale de toute cette masse d’électricité serait le contact qui se produit au fond des océans entre les eaux marines et le feu intérieur du globe, et qui a lieu surtout vers l’équateur. Deux courants se forment et se dirigent vers les pôles, l’un par l’intérieur du sol terrestre, l’autre par les vapeurs qui s’élèvent des mers et par la voie aérienne.
L’aurore boréale est le mode de leur neutralisation. Si dans le monde actuel les choses se passent de la sorte, qu’on se représente les temps où la mer n’était encore séparée du feu souterrain que par une mince et fragile cloison, où par conséquent les communications entre les deux éléments devaient être bien plus fréquentes et bien plus abondantes qu’à cette heure.
Il est aisé de se faire une idée de la puissance incomparablement plus considérable du dégagement d’électricité qui devait avoir lieu dans ces conditions et, par suite, de la splendeur et de la fréquence des apparitions lumineuses qui, plus ou moins périodiquement, dissipaient les ténèbres régnant sur la terre ; d’autant plus que, comme ajoute le savant que j’ai déjà cité, en raison de l’élévation et de l’uniformité de la température, ces apparitions lumineuses ne devaient pas se concentrer uniquement dans le voisinage des pôles, mais devaient former comme une auréole atmosphérique tout autour de notre globe.
À mesure que le refroidissement continuait, les matières volatilisées qui enveloppaient le globe se condensèrent successivement ; les plus pesantes, les premières ; ce furent assurément les vapeurs métalliques, d’autres, plus légères, telles que la vapeur d’eau, qui se trouvaient dans les parties supérieures de l’espace, s’y condensèrent au contact des régions plus froides, et formèrent un dais de nuées planant à une certaine hauteur au-dessus du globe.
Dans l’espace intermédiaire entre cet océan aérien battu par les vents, et la plaine liquide qui formait presque toute la surface terrestre et que faisaient bouillonner les émanations de la fournaise intérieure, s’étendit l’atmosphère, telle que nous la possédons, la couche d’air respirable, de plus en plus dégagée de toutes les matières dont elle avait été jusqu’alors saturée.
Les bancs de matière coagulée qui s’étaient formés à la surface de la masse en fusion, s’étaient unis et étendus en un plancher continu. Cette première assise de l’écorce du globe, par l’effet de la condensation croissante des vapeurs, s’était complètement recouverte d’eau. Le globe présentait l’aspect d’une mer immense. Des pics ou des dômes granitiques dominaient seuls ça et là à la surface de cet océan sans limites. C’étaient les premiers rudiments de nos continents. Mais bientôt les roches qui émergèrent, ne se trouvèrent plus entièrement nues ; elles portaient, comme premier vêtement, une couche de dépôts sédimentaires, d’où provenaient ces dépôts ? Des débris des premières roches soulevées, et qu’avaient promptement dissoutes ou usées les eaux très chaudes de cette mer primitive.
Ces terrains stratifiés les plus antiques se montrent encore à jour sur plusieurs points de l’Europe et de l’Amérique, partout où, n’ayant pas été recouverts plus tard par les eaux, ils ne sont pas devenus le sol sur lequel se sont déposées des couches plus récentes. Ils se reconnaissent à l’absence de tout reste de vie végétale ou animale conservé dans leur sein. Ce sont les monuments du temps où nul être organisé n’existait sur notre globe. Et comment en effet l’évolution de la vie, sous une forme quelconque, eut-elle pu supporter le degré de chaleur qui régnait alors, ainsi que les conditions physiques et chimiques d’un pareil état de choses ?
Mais nous nous trouvons bientôt en face d’un fait nouveau et capital. Les restes enfermés dans les terrains stratifiés subséquents révèlent enfin la première apparition de la vie organique sur notre globe. C’étaient surtout des végétaux ; des algues et quelques autres espèces de plantes marines ; puis aussi quelques espèces du règne animal, des crustacés et des mollusques, appartenant aux genres oursins, coraux ou bivalves, modestes pionniers de la vie sur la scène du monde.
Ce fait pose à la science la plus formidable question qu’elle puisse jamais avoir à résoudre, celle de l’origine de la vie organisée. Toute vie végétale ou animale a pour point de départ la cellule organique : c’est là un fait dont aucun savant ne doute aujourd’hui. Mais la cellule elle-même, d’où provient-elle ? Est-elle le produit de quelque combinaison heureuse des éléments de la matière inorganique ? Ou bien est-elle, au sein de celle-ci, une apparition absolument nouvelle, un phénomène inexplicable sans un acte créateur ?
Les belles expériences de MM. Pasteur, Pouchet et Bastian sont connues. Le résultat de tous ces travaux a été formulé récemment par le président de la Société des naturalistes anglais, Sir William Thomson, dans son discours d’ouverture de l’assemblée d’Edimbourg (1871). Voici ses paroles : Une très ancienne manière de voir à laquelle se cramponnent encore beaucoup de naturalistes, admet qu’au moyen de certaines conditions météorologiques différentes des nôtres actuelles, la matière morte a pu se cristalliser ou fermenter de manière à produire des germes vivants ou des cellules organiques ou du protoplasme.
Mais la science fournit une multitude de preuves inductives contre cette hypothèse de la génération spontanée, ainsi que vous l’avez déjà entendu de la bouche de mon prédécesseur dans ce fauteuil (M. Huxley). Un examen minutieux n’a, jusqu’à ce jour, découvert aucun autre principe de la vie que la vie elle-même. La matière morte ne peut devenir vivante que sous l’influence de la matière déjà vivante.
C’est là un point de science qui me paraît aussi certain que la loi de la gravitation… Et je suis prêt à accepter comme un article de foi dans la science, valable pour tous les temps et tous les espaces : que la vie sort de la vie et uniquement de la vie.
Un homme dont le témoignage sur ce point n’est pas suspect, M. Charles Vogt, se prononce non moins nettement contre l’hypothèse de la génération spontanée. Lehrbuch der Geologie, 3e édition, tome II, pages 467-468. Si, à la suite d’une si franche et grave déclaration, le premier de ces deux savants suppose que les premiers germes de vie organisée ont pu arriver sur notre globe par le moyen des aérolithes qui nous les auraient apportés des sphères supérieures, il est peu de lecteurs chez qui cette solution ne provoquera pas un sourire.
Qui ne se dira qu’une telle solution, à supposer même que les faits observés déposassent en sa faveur (ce qui n’est nullement le cas jusqu’ici), n’en est pas réellement une ; que le problème capital n’est par là que renvoyé, puisqu’il s’agit après cela d’expliquer l’apparition de la vie dans les astres qui sont supposés nous envoyer les aérolithes ?
Ne pourrait-on pas admettre plutôt que, comme le Créateur a fait apparaître la matière primitive non comme une substance uniforme, mais comme composée d’un certain nombre d’éléments irréductibles ou corps simples, qui, entrant dans la composition des nébuleuses, ne tardent pas à y développer leurs propriétés diverses, de même il l’a dotée aussi dès le début d’un certain nombre de cellules organiques qui renfermaient les principes latents des formes fondamentales de la vie et qui étaient destinées à se développer, tout en se diversifiant, à mesure que les milieux environnants favoriseraient cette évolution ?
Les soulèvements et les plissements de l’écorce terrestre se multiplièrent, d’un côté, à mesure que la masse intérieure diminuait de volume en se condensant, l’enveloppe solide n’était plus suffisamment soutenue ; par conséquent elle se fronçait ou s’affaissait. De l’autre, le feu souterrain continuait à la travailler et à la fissurer.
En même temps la masse des vapeurs condensées devenait toujours plus considérable à sa surface ; le volume des eaux allait croissant. Les matières en suspension se déposaient en abondance au fond de l’océan ; puis, soulevées par la puissance du feu intérieur, elles émergeaient en certains endroits avec le plancher granitique qui les portait.
C’est dans le sein de ces nouveaux gisements que nous rencontrons les traces de la première grande évolution de la vie organique, les restes de la flore carbonifère. Chacun sait que notre industrie est principalement alimentée par les immenses dépôts de houille que renferment certaines couches de l’écorce terrestre. C’est à l’époque à laquelle nous sommes parvenus que se sont déposés ces bancs. C’est alors que se déploya la flore d’une luxuriante richesse dont nous exploitons à cette heure les produits.
Elle frappe, non par la multiplicité des genres ou par la variété des couleurs, mais par la grandeur des dimensions. Les terrains houillers ne contiennent guère que 800 espèces de plantes, au lieu des 80anbsp;000 à 100 000 espèces qui composent notre flore actuelle.
Mais quelles dimensions ! Des prêles, aujourd’hui menues herbes de marais, qui atteignaient la grosseur d’un corps d’homme et une hauteur de 60 à 70 pieds ; des mousses et des fougères d’une taille non moins disproportionnée comparativement à celle des genres correspondants dans l’ordre des choses actuel ; mais pas une fleur aux brillantes couleurs, pas un arbre fruitier. Cette flore houillère n’a d’autre ornement que sa verdure.
Que conclure de là, sinon que le soleil n’agissait pas encore directement sur notre globe, qu’un voile épais l’en séparait, et que cette végétation devait sa puissance moins à la chaleur de cet astre, qu’à celle qui provenait de la terre elle-même ? Aussi la flore houillère était-elle répandue uniformément sur tout le globe. Il n’y avait alors ni zone torride, ni zone glaciale. La diversité des climats, due au degré d’inclinaison des rayons solaires sur la surface terrestre, n’existait point encore.
On demandera comment une pareille végétation a pu prospérer sans l’action des rayons solaires. Des expériences récentes ont complètement résolu cette difficulté. Il est prouvé que la lumière électrique possède toutes les qualités nécessaires pour le développement des parties vertes de la plante. M. Faminzin, dans toutes ses expériences sur les algues, ne s’est jamais servi, pour obtenir le développement de ces végétaux, que de la lumière très forte d’une lampe à gaz. Kerasin, lampe. Der naturforscher, 1871, n°4.
Le savant que nous avons déjà deux fois cité, déclare également que la lumière électrique possède aussi bien que la lumière solaire toutes les propriétés indispensables à la végétation.
La flore des terrains carbonifères s’est étalée durant de longs siècles à la surface du globe. On a calculé que certains bancs de houille ont exigé, pour se former, de 700 à 800 ans, et comme ils sont souvent étagés les uns sur les autres à une très grande hauteur, il est tel terrain houiller dont la formation a exigé jusqu’à neuf millions d’années.
On peut se représenter cette longue période comme une série de jours chauds et humides, tels que les aiment au printemps les agriculteurs, au moment du développement des jeunes pousses. Représentons-nous une serre fortement chauffée, dont les murs de verre auraient été noircis de manière à intercepter en partie les rayons solaires, et dont la principale lumière serait celle d’une flamme électrique brûlant à l’intérieur : que seraient les produits de la végétation en de telles conditions ? Des plantes colossales, mais sans vives couleurs ; des géants au front verdâtre. Telle fut la végétation houillère.
Il y a eu à ce moment de l’histoire du globe comme un temps de relâche dans le développement de la vie organique. Les terrains immédiatement superposés aux dépôts carbonifères accusent un singulier dénuement en fait de végétaux et d’animaux. Comparativement à la richesse de l’époque houillère, dit le botaniste Karl Müller, cette nouvelle création est infiniment pauvre. Les merveilles du monde végétal (traduction), tome I, page 133.
C’est que la grande évolution végétale est sur son déclin, et que la vie animale n’a pas encore pris son puissant essor. Les âges qui suivirent furent les témoins d’une lente, mais complète transformation dans le règne des plantes. Alors, dit le même auteur, commença la transition entre les végétaux houillers et un nouveau monde végétal. Page 143. Cette nouvelle évolution de la vie végétale s’accomplit à travers les époques triasique, jurassique et crétacée, jusqu’à la période tertiaire (molassique) où elle se consomme.
Elle s’opère sous l’empire de divers facteurs. Mais le principal, que nous devons surtout mentionner ici, a été l’action directe des rayons solaires, qui paraît s’être exercée dès maintenant avec puissance sur la terre. En parlant de la flore tertiaire et du progrès immense qui s’y révèle, M. Müller dit :
Je crois devoir attribuer ce résultat à la lumière solaire qui, à la faveur de la transformation du climat insulaire, nébuleux, nuageux et sombre, en un climat continental, pouvait pénétrer plus librement et agir avec plus d’intensité. Sous un soleil tropical les végétaux se ramifient avec bien plus de puissance que sous un soleil septentrional et voilé… Ce fut donc dans la période tertiaire seulement, qu’apparurent des fleurs plus gracieuses, fidèles reflets de la nouvelle époque, de son dôme azuré et de son radieux soleil.
Comme cette transformation de la végétation a été graduelle et qu’elle commença, selon M. Müller lui-même, dans les âges qui suivirent ceux de la période houillère, nous avons dans ce fait la révélation très importante du rôle que le soleil commença à jouer, à la suite de l’époque carbonifère, dans le développement de la vie de notre planète. La sombre enveloppe de nuées qui avait voilé l’astre du jour pendant les âges précédents, s’était déchirée ; ses rayons avaient accès jusqu’à la terre : il luisait désormais régulièrement sur notre globe. Et c’est ce grand peintre qui, promenant dès maintenant ses pinceaux sur toute la nature, commença à revêtir les plantes, filles de la lumière, des brillantes couleurs qui leur avaient manqué jusqu’alors.
La végétation houillère avait rendu à la terre un immense service. Elle avait absorbé une quantité énorme d’acide carbonique, tout en le changeant en précieux combustible ; elle avait purifié l’atmosphère de ce principe hostile à la vie animale. Elle avait ainsi rendu possible la première grande explosion de celle-ci.
Les bancs de rochers qui forment les puissantes assises des terrains jurassiques et crétacés sont les tombeaux d’une innombrable population animale. Ils sont l’œuvre de ces myriades d’êtres animés, ou plutôt ces colossales stratifications, soulevées plus tard à la lumière, sont composées de leur propre substance.
Ehrenberg a compté jusqu’à dix millions de carapaces dans une seule livre de craie ; et, comme le dit M. Alfred Maury, le soldat qui nettoie son casque avec un pouce cube de tripoli, ne manie pas moins de 44 millions d’animalcules ; à chaque frottement il broie 10 à 12 millions d’animaux fossiles.
Mais dans ces bancs de rochers sont aussi ensevelis les restes d’autres populations animales, soit marines, soit amphibies. À côté des coraux et des infusoires, innombrables prolétaires qui remplissaient les océans et travaillaient incessamment à former ce sol sur lequel nous travaillons nous-mêmes, vivaient déjà dans les mers jurassiques et crétacées des genres d’un rang supérieur, la petite bourgeoisie de l’époque, représentée surtout par les admirables mollusques qui portent les noms d’ammonites et de bélemnites, etc.
Plus élevées dans l’échelle animale, se promenaient sur les bords des océans et des rivières des multitudes de tortues et de lézards, la haute bourgeoisie du temps. Enfin venaient les grands seigneurs de ce moyen-âge de la nature, qui faisaient leur proie de tous ces manants et guerroyaient entre eux.
C’étaient des reptiles gigantesques armés d’effroyables moyens de destruction. Ainsi le plésiosaure, lézard de 40 pieds de longueur, à tête de serpent avec mâchoire de 6 pieds, au long cou de cygne de 15 à 20 pieds, au corps muni de quatre pattes en forme de palettes comme celles des roues de nos bateaux à vapeur, qui lui servaient de rames, et d’une grosse queue, plus courte que celle du crocodile, en guise de gouvernail.
Puis l’ichtyosaure, de 30 pieds de long, au museau effilé comme celui d’un dauphin, aux mâchoires garnies de cent quatre-vingts dents ; se nourrissant, comme le prouvent les débris trouvés dans son corps, non seulement de tortues et de mollusques, mais d’êtres de sa propre espèce.
Puis, un être plus étrange encore, le ptérodactyle, vrai dragon volant, comme ceux que rêvait la superstition de nos pères, joignant à un museau allongé en forme de bec, à des dents comme celles du crocodile et à des griffes acérées semblables à celles du tigre, des ailes dans le genre de celles de la chauve-souris. Il y en avait de toutes dimensions, depuis celle d’un serin jusqu’à celle de l’aigle. On en a trouvé un en Angleterre dont les ailes étendues ne mesuraient pas moins d’une vingtaine de pieds d’envergure, tandis que celles du grand aigle des Alpes ne dépassent pas onze pieds.
Un peu plus tard, c’est le mégalosaure, dont le corps gigantesque, de 50 pieds de longueur, s’élevait au-dessus des mers plus haut que celui de l’éléphant au-dessus du sol. Ses dents, dit Figuier, paraissent tenir à la fois du couteau, du sabre et de la scie. Notons encore l’iguanodon, le plus colossal des sauriens, lézard remarquable par sa corne nasale ; celui-ci était herbivore.
C’est aussi au commencement de l’époque de ces grands sauriens que paraît remonter la première apparition des oiseaux. On croit avoir retrouvé dans les mêmes terrains les empreintes de gigantesques échassiers et les restes de grands oiseaux dans le genre de l’autruche. Mais jusqu’ici, sauf un très petit rongeur insectivore et, un peu plus tard (dans la craie), une espèce de sarigue, ne se présente nul mammifère, nul animal terrestre proprement dit.
La race des monstrueux amphibies s’éteint peu à peu avec la fin des formations jurassiques et crétacées. Des dépôts d’une espèce toute nouvelle ne tardèrent pas à recouvrir toute la portion de ces terrains qui se trouvait au fond des mers. Ce sont les couches de molasse, qui forment une si grande partie du sol actuel et qui ont gardé les restes de toute une nouvelle création de vie animale.
Les animaux terrestres, les quadrupèdes petits et grands et les animaux domestiques, font enfin leur apparition. C’est l’époque où le dinothérium, espèce de phoque ou d’éléphant armé de deux crocs sous la mâchoire inférieure, fouille le sol pour déterrer les racines et les bulbes qui lui servent d’aliment ; où la salamandre aquatique de 6 pieds de long (dont les restes furent longtemps envisagés comme ceux d’un squelette humain) peuple les baies des continents ; où le massif mégathérium et le mylodon, un peu plus petit, tous deux espèces d’aïs ou paresseux, au museau en forme de groin et aux ongles prodigieux, fouillent la terre ou se traînent sur les arbres ; où, comme le roi de l’époque enfin, l’éléphant gigantesque de l’Amérique, le mastodonte, au corps plus allongé que l’éléphant actuel, aux membres plus épais, se nourrissant de racines et d’autres parties de végétaux, se promène au bord des fleuves dans les terrains marécageux. À cette époque apparaissent aussi les premières espèces de singes.
Plus tard, dans la période qui fait la transition de l’époque tertiaire à l’ordre de choses actuel, l’animalité, quoique différente encore de la nôtre, continue à revêtir toujours plus décidément les caractères de celle-ci. C’est le temps du mammouth, autre éléphant aux longues défenses recourbées en dehors et arquées en spirale, aux oreilles garnies de touffes de crin pendantes et à la large crinière noire. L’exemplaire de cet animal, que l’on a retrouvé à l’embouchure d’un des fleuves de la Sibérie, dans un bloc de glace où il avait été retenu captif, présentait encore sa chair et ses poils parfaitement intacts ; la bouillie renfermée dans ses intestins témoignait de son aliment favori, les feuilles du mélèze de Sibérie.
Le bœuf primitif à la tête massive, remplissait alors les prairies. L’hippopotame et le rhinocéros à deux cornes, le grand élan avec ses cornes magnifiquement étalées, dont les deux extrémités étaient distantes d’une dizaine de pieds, l’ours des cavernes, des troupes de lions, de tigres, d’hyènes, de tapirs, peuplaient les forêts et les campagnes.
L’homme n’était pas encore ; mais toutes ces formes, de plus en plus semblables à celles qui existent actuellement, annoncent qu’il n’est plus éloigné. L’époque des grands mammifères, dont nous venons de donner une idée, nous conduit en effet jusqu’au moment solennel où ce roi visible de la nature est apparu dans son domaine. Les premières traces de sa présence, qui ont été découvertes, placent son avènement à la fin de la période où les gigantesques quadrupèdes s’ensevelissaient dans les lits de vase ou de glace dans lesquels ils nous ont été conservés.
Avec l’homme, se montrent immédiatement les premières traces de l’activité réfléchie, de l’industrie. Des instruments de diverses sortes, fabriqués évidemment dans un but, trahissent l’action de l’intelligence et de la liberté sur la scène terrestre. C’est un monde nouveau qui s’ouvre, à mesure que celui de la nature se ferme. L’être qui était le point de mire de tout le travail précédent, celui dont le corps avait servi de norme à toutes les organisations antérieures, le modèle dont elles s’étaient graduellement rapprochées, est là. L’histoire, le développement de l’être libre, commence. K. Müller : La création de la première cellule végétale constitue le premier pas vers la création future de l’homme.
Un fait remarquable entre tous, dans l’histoire de la nature, a manifestement signalé cette apparition de l’homme comme le terme voulu de tout le développement dont nous venons d’esquisser le tableau ; c’est la cessation de toute production d’espèces nouvelles, dans le champ de la vie végétale ou animale, depuis la création de l’homme. L’effort de la nature semble arrêté, sa productivité épuisée. Il n’y a plus dès lors de développement dans la vie végétale que par la culture et la greffe, dans la vie animale que par la dressure et l’élève.
La nature semble avoir transmis son sceptre à l’homme, qui non seulement ne voit paraître aucun nouvel être qui lui soit supérieur ou qui puisse lui servir de rival, mais qui étend graduellement son pouvoir sur tous ceux que la nature a produits avant lui. Le monde ressemble à une maison de campagne que la main d’une mère pleine de tendresse aurait construite, ornée, peuplée en vue du fils chéri dont elle attendrait l’arrivée. L’homme, cet être attendu, n’a pas plus tôt paru, que tous les êtres de la nature s’empressent de lui payer tribut et de lui rendre hommage comme à leur seigneur
Après avoir exposé les résultats généraux des études géologiques, dans leur rapport avec la question générale qui nous occupe, mettons-nous en face du tableau mosaïque, et constatons les points sur lesquels il paraît différer de ces résultats scientifiques et ceux sur lesquels il s’harmonise sans peine avec eux. Chacun connaît le récit de la création, dans le premier chapitre de la Genèse. Il sera bon cependant de le reproduire ici sommairement, afin d’en indiquer la gradation et d’en bien constater la tendance.
Moïse commence par une parole d’un caractère général et qui comprend tout ce qui suit : Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. Ce verset cependant n’est pas un simple titre de chapitre ; il renferme déjà l’indication d’un fait positif. Le sens propre du mot créer (barah), c’est faire passer de l’intérieur à l’extérieur, réaliser au dehors ce qui était présent dans l’esprit. Voyez Raphaël Hirsch, Der Pentateuch, tome I, page 4
Ce mot créa désigne donc en tout cas l’acte fondamental, condition de tous les suivants : la production de la matière première universelle d’où ont été tirés, par voie d’organisation successive, et les cieux et la terre.
Voilà donc avant tout niée l’existence indépendante de la matière, de ce principe aveugle qui dans tous les systèmes anciens coexistait éternellement à la divinité, et, comme un insurmontable obstacle, entravait l’effort de la volonté divine et humaine pour réaliser le bien parfait. Immédiatement après cette indication générale, le récit abandonne les cieux dont la constitution doit assurément, dans la pensée de l’auteur, avoir eu lieu simultanément avec l’œuvre qui va s’accomplir sur la terre. S’il parle encore une fois des cieux, ce sera au quatrième jour, alors que leur propre organisation sera achevée et lors qu’ils entreront en rapport régulier avec la terre et avec les êtres animés qui l’habitent.
C’est à ce point de vue seulement qu’un tel récit pouvait s’en occuper, car il ne renferme pas un enseignement cosmogonique ; c’est toujours l’homme qu’il a en vue. Dès le second verset, c’est de la terre, et de la terre seule qu’il s’agit. Elle était, mais sous forme de chaos (tohou vabouhou). Cette expression ne désigne pas un état de désordre et de bouleversement, mais cet état de la matière primitive où aucun être n’existait encore comme distinct, où nul élément ne ressortait en opposition à tous les autres, où toutes les forces et les qualités de la matière étaient indivises. Les substances étaient bien là, mais non comme telles ; elles étaient à l’état latent.
Cependant l’Esprit créateur, principe d’ordre et de vie, planait sur cette matière qui, semblable à une riche cellule organique, renfermait les conditions et, jusqu’à un certain point, les principes de toutes les existences futures. Cet Esprit était la cause efficiente, non de la matière elle-même, mais de son organisation qui allait commencer. C’était l’agent prêt à exécuter chacun des ordres divins qui dès maintenant devaient se succéder coup sur coup, afin de transformer ce chaos en un monde de merveilles.
Les eaux, sur lesquelles planait cette vertu divine, désignent soit la matière cosmique dans son état primitif, gazeux (l’hébreu n’a pas de mot particulier pour désigner un gaz), soit la mer proprement dite qui déjà, comme une vaste nappe, enveloppait tout le globe. L’œuvre des trois premiers jours consiste uniquement à préparer le théâtre sur lequel doit apparaître et s’étaler la vie. Celle des trois derniers sera l’apparition et le développement de la vie elle-même, de la vie proprement dite, la vie animale et la vie humaine.
Au premier jour les ténèbres font place à la lumière ; au second, les eaux font place à l’air respirable ; au troisième, la mer universelle fait place à la terre ferme. Ce sont les trois conditions nécessaires à l’apparition de la végétation, qui couronne le troisième jour et qui fraie la voie à celle de la vie animale.
Un premier : Dieu dit, produit la lumière. La mention de cet ordre divin suffit pour faire comprendre au lecteur que cet élément, qu’adoraient tant de peuples orientaux, n’est ni un principe éternel, ni le produit d’une force aveugle, mais l’œuvre d’une volonté libre et réfléchie.
C’est cette même pensée qui s’exprime dans la division de l’œuvre créatrice en six jours et six nuits. La création est ainsi représentée sous l’image d’une semaine de travail durant laquelle un ouvrier actif et intelligent poursuit son œuvre, à travers une série de phases habilement graduées et sûrement calculées en vue d’un but nettement conçu dès l’abord.
Quand il est dit expressément, versets 4 et 5, que Dieu sépara la lumière, en la nommant jour, des ténèbres, qu’il appela ,strong>nuit, l’auteur veut faire entendre par là que Dieu, aussitôt après avoir créé la lumière, établit une périodicité dans son apparition et dans sa disparition.
Le jour n’est pas la lumière ; c’est un espace de temps éclairé, destiné à l’activité. La nuit diffère également des ténèbres ; c’est un intervalle de temps obscur, destiné au repos, c’est-à-dire à une nouvelle concentration dès forces.
Dès l’apparition de la lumière Dieu ordonna cette alternance, dont les conséquences se montrent infiniment bienfaisantes pour tous les êtres, aussi longtemps qu’ils se trouvent en état de développement.
On a imputé à Moïse, à l’occasion du mot de firmament, employé dans quelques traductions, versets 6 et 8, l’idée que les cieux formaient une voûte solide au-dessus de la terre. Mais le mot hébreu rakijah (de rakah, étendre) indique au contraire un élément susceptible d’expansion ; le mot étendue rend donc beaucoup mieux le sens du terme hébreu.
On pourrait appliquer le mot étendue, dans notre récit, à l’immensité de l’espace et entendre par les eaux d’en haut la matière gazeuse dont se sont formés les astres, et par les eaux d’en bas celle dont s’est formé le globe terrestre.
Mais il est plus naturel de donner ici au mot cieux le sens restreint d’atmosphère terrestre, et d’appliquer l’expression : les eaux d’en haut, à cette masse d’eaux vaporisées qui flottent dans les airs sous forme de nuées, et d’expression : les eaux d’en bas, aux masses liquides qui couvrent une grande partie du globe. Ce sens est celui qui paraît le plus naturellement indiqué par l’opposition entre les eaux et les terres, dans les versets suivants.
L’apparition des terres et leur distinction d’avec les eaux est œuvre du troisième jour, versets 9 et 10. Aussitôt ces trois conditions : la lumière, l’air et le soleil, posées, la première forme de l’existence organisée apparaît, versets 11 et 12 : la terre ferme se couvre d’un tapis de gazon et d’une riche parure d’arbrisseaux et d’arbres portant semence. D’un côté c’est à l’ordre de Dieu qu’est due cette forme d’existence nouvelle : Et Dieu dit ; et de l’autre c’est de la terre elle-même qu’elle procède : Que la terre produise.
La production des plantes forme la transition de l’œuvre des trois premiers jours à celle des suivants. En tête de l’œuvre des trois derniers jours, est placée, versets 14 et 18, l’apparition du soleil, de la lune et des astres. La mention de ce fait nous enseigne pourquoi, dans les premiers mots du récit, l’auteur avait parlé de la création des cieux aussi bien que de celle de la terre.
Est-ce maintenant, dans sa pensée, le moment où l’organisation des astres, ou du moins celle de notre système solaire, a été complètement achevée ? Ou bien veut-il dire seulement que c’est à cette heure que, pour la première fois, ces astres déployèrent leur action lumineuse et vivifiante sur notre terre, et commencèrent à entrer en action avec elle comme foyers de lumière ?
Ce second sens paraît plus conforme à la tendance générale du récit et particulièrement à celle de ces mots : qu’il y ait des luminaires dans l’étendue des cieux. Tout est en relation avec le développement de la vie animale, et principalement avec l’apparition et l’activité futures de l’homme : Des luminaires qui servent de signes pour les saisons, pour les jours et pour les années.
Si la lumière en général est la condition de l’œuvre des trois premiers jours, la relation de la terre avec les astres et en particulier avec le soleil et la lune est la condition non moins indispensable de l’œuvre des trois derniers. La description du cinquième jour, verset 20 et 22, nous fait assister à la première apparition de la vie animale. Elle a lieu sous deux formes principales, celles des animaux marins, que les eaux produisent à l’ordre de Dieu, et celle des oiseaux.
Par les premiers l’on doit entendre principalement les poissons et les amphibies : Dieu créa donc les grands poissons et tous les animaux vivants et qui se traînent (roméseth, de ramas, proprement s’avancer en se traînant). Ainsi les deux premiers éléments, l’air et l’eau, sont ouverts à la vie. Le troisième, la terre, est mis en possession de ce présent au sixième jour, versets 24 et 25, par la production des animaux domestiques (behémah, le bétail), des reptiles (rémes, ce qui se traîne sur la terre) et des bêtes des champs (chajath haérets, les bêtes sauvages de la terre).
Enfin le même jour, dans la seconde partie de ce jour, verset 26, Dieu créa l’homme, Adam son représentant ici-bas. Hirsch, dans l’ouvrage déjà cité, bien loin d’envisager le mot Adam comme le dérivé d’adamah, la terre, renverse le rapport, et cela par d’excellentes raisons philologiques et logiques. Il le déduit du verbe adam, être rouge.
Son corps est tiré de la terre sans doute, comme celui des animaux ; mais Dieu le forme de sa main, et il le pénètre d’une vie émanée de son propre souffle. C’est ici le chef-d’œuvre de cet Esprit qui, au commencement, se mouvait sur les eaux. Il n’a travaillé et élaboré la matière que pour l’amener à servir, sous la forme du corps humain, d’organe à un esprit qui est sa propre émanation ; car dans l’homme l’Esprit se reproduit lui-même sous forme de créature.
Ce dernier être est le but particulier de l’œuvre des trois derniers jours et en même temps le but général de tout l’ensemble du travail. Sous le premier rapport, l’apparition de l’homme dans la seconde partie du sixième jour, correspond à la création des plantes, dans la seconde partie du troisième. Comme la plante est l’ornement de la terre ferme nouvellement apparue, l’homme est le couronnement de la vie animale graduellement développée.
Après cela, l’œuvre est complète et le repos du septième jour met un terme, non à l’activité divine en général, mais à l’activité créatrice proprement dite. Le sabbat, ce grand : Jusqu’ici et pas plus loin, qui met fin à l’œuvre divine au sein de la nature, confirme avec éclat la vérité renfermée déjà dans les : Et Dieu dit, qui se sont succédés jusqu’ici : c’est que la terre n’est pas le produit de puissances aveugles et désordonnées, aucun sabbat ne mettrait fin à la fermentation et à l’activité de semblables forces, mais l’œuvre d’un être pensant et maître de lui-même, qui fait tout avec mesure, qui se propose, en agissant, un but précis, et qui, dès qu’il l’a atteint, sait faire rentrer dans leur repos les forces productrices qu’il a mises en œuvre.
Tel est le récit de la Genèse, dans sa majestueuse simplicité. Si ce récit est vrai, ce qui ne fait doute pour aucun Israélite, il en résulte que ni Ormuzd (la lumière), ni Vulcain (le feu), ni Zeus (l’air), ni Cybèle (la terre), ni Apollon (le soleil), ni Diane (la lune), ni le bœuf Apis, ni aucun animal, reptile, oiseau ou quadrupède, ni aucun homme, représentant prétendu d’Ormuzd, ou de Brahma, ou d’Osiris, n’a droit aux honneurs divins.
L’attribut suprême, l’existence par soi-même, la déité appartient à Jéhovah seul. Quelle est maintenant la relation du tableau mosaïque ainsi compris avec les résultats obtenus jusqu’à cette heure par la science ? Pour commencer par les différences il en est deux qui frappent au premier coup d’œil :
Ce sont là des différences dont il ne faut point nier l’importance ; et si nous devions envisager le récit de la Genèse comme le produit d’une dictée divine, nous avouons que nous ne serions pas peu embarrassés de rendre compte de ces deux points sur lesquels il paraît y avoir désaccord entre le récit biblique et les faits.
D’autre part, les traits de ressemblance sont bien plus frappants encore, d’autant plus que, sur plusieurs de ces points, les données bibliques se mettant, comme à dessein, en contradiction avec les apparences sensibles, on ne trouve aucun moyen rationnel d’en expliquer l’origine.
Voici ces ressemblances :
d’après le verset deux, la terre, dès le moment où elle a possédé son existence propre, comme globe distinct, aurait été enveloppée d’eau. Or la science constate que les assises dont se compose l’écorce terrestre se sont déposées au sein des eaux, et que par conséquent, dans les premiers âges de son organisation, le globe devait présenter l’aspect d’une surface complètement liquide.
Verset trois, la Genèse assigne la création de la lumière au premier jour, tandis que l’apparition du soleil n’aurait eu lieu qu’au quatrième. Elle brave par là l’apparence sensible qui fait de la lumière une émanation du soleil. Mais la Genèse fait mieux encore ; elle pose à la même époque le commencement de la succession régulière des jours et des nuits, succession qui cependant, d’après l’observation la plus vulgaire, est liée à l’apparition et à la disparition quotidienne du soleil.
Aussi tous les esprits superficiels, depuis le génie du sarcasme, Voltaire, jusqu’aux pygmées du Progrès de Delémont, ne peuvent-ils assez tourner en ridicule ces inepties du récit mosaïque. S’ils étaient moins passionnés, ils se diraient peut-être que, tout ignorant que fût Moïse comparativement à leur haute science, il avait cependant deux yeux aussi bien qu’eux ; et ils se demanderaient comment il en est venu à composer un récit si contraire aux plus simples vraisemblances.
Le fait est que les résultats de la science moderne, ignorés encore des savants de Delémont, rendent un hommage éclatant à la vérité du récit mosaïque et à l’étonnante sagesse qui le caractérise. Il est en effet bien démontré maintenant, comme nous l’avons vu, que la lumière est, par sa nature, complètement indépendante du soleil. C’est une vibration de l’éther, dont le soleil est à cette heure, sans doute, l’agent principal, mais qui peut se produire sous l’action de causes multiples.
Ainsi qu’une corde tendue ne vibre point seulement sous l’action de l’archet spécialement fabriqué dans ce but, mais peut vibrer aussi sans l’archet et avant la fabrication d’un archet quelconque, sous l’action d’un simple courant d’air, par exemple, ainsi l’éther qui vibre aujourd’hui régulièrement sous l’action périodique du soleil, a pu former et propager ses ondes lumineuses sans le soleil et avant le soleil. Le son de la harpe éolienne est à celui de la corde touchée par l’archet, ce que la lumière primitive a été à celle du soleil.
Comment Moïse avait-il pu savoir ce que la science a découvert tout récemment et reconnaître que le soleil, au lieu d’être la source de la lumière, n’est que le moyen actuel et temporaire de sa diffusion ? Mais l’autre fait que nous avons rappelé a peut-être droit de nous étonner davantage encore : comment la Genèse parle-t-elle de l’alternance des jours et des nuits, comme d’un phénomène antérieur à l’apparition du soleil ?
Il n’y a rien à objecter, nous l’avons vu, à cette antériorité en elle-même. La science moderne rend compte du fait. Si la lumière primitive, anté-solaire, provenait, comme celle de nos aurores boréales actuelles, de la neutralisation, sur toute l’étendue de l’atmosphère, des deux électricité opposées, cette lumière devait avoir ses moments de lever, de splendeur, de déclin, de pleine cessation.
Par conséquent, selon l’expression du récit biblique, il y a dû et pu y avoir, avant que le soleil se levât et se couchât sur notre horizon, des jours et des nuits, des soirs et des matins. Mais au moment où Moïse écrivait, comment était-il possible d’affirmer rien de pareil ? C’est ce dont nous attendons et attendrons longtemps encore, sans doute, l’explication. Et cependant le fait du récit biblique est là sous nos yeux dans son indéniable et paradoxale évidence.
Verset neuf, la Genèse nous dit que le sec parut au milieu des eaux, et qu’ainsi fut établie la distinction entre la terre et les mers. S’il est un résultat constaté à cette heure par la science, c’est que les continents ont été soulevés graduellement du fond des mers.
La Genèse nous parle d’une grande création végétale, dont se couvrirent les terres récemment émergées. La science a constaté, par la découverte des terrains carbonifères, qu’une époque de colossale végétation suivit les soulèvements des premiers terrains dont se compose l’enveloppe terrestre. Les houilles que nous exploitons en sont les monuments.
Et si MM. du Progrès se moquent agréablement de Moïse, qui est assez niais pour placer la croissance des plantes avant la création du soleil, la science leur prouve que Moïse, quinze siècles avant Jésus-Christ, en savait plus qu’eux au dix-neuvième siècle de notre ère. Car elle constate qu’il existe une lumière, autre que celle du soleil, qui possède toutes les qualités nécessaires à la végétation, et que cette lumière a existé au commencement du monde.
La Genèse fait apparaître, à la suite de cette grande évolution végétale, le soleil, la lune et les astres sur l’horizon de notre globe. Or qu’a démontré la science ? Elle reconnaît, par la bouche de M. Karl Müller qui n’est pas suspect de partialité en faveur des Écritures, que pendant les périodes qui ont suivi celle de la végétation houillère, il s’est opéré dans la végétation une transformation de plus en plus complète, qui n’a pu se produire que sous l’action immédiate des rayons solaires, encore empêchée durant l’époque carbonifère.
On a avancé dans ces derniers temps une hypothèse des plus étranges : c’est que la lune pourrait bien n’être autre chose que le fragment de l’écorce terrestre qui remplissait primitivement l’immense cavité de l’océan Pacifique. S’il venait jamais à être démontré qu’il y ait une vérité au fond de cette opinion hardie, on pourrait admettre que le système solaire n’est pas seulement apparu pour la terre à l’époque dont nous parlons, mais que c’est alors qu’il est réellement parvenu à son organisation actuelle et que ses rapports avec notre globe ont été définitivement réglés.
À la riche expansion de la vie végétale dans le troisième jour, la Genèse fait succéder une explosion non moins puissante de vie animale, dans les eaux et dans les airs, le cinquième jour. Or la science a prouvé, par les restes d’êtres organisés renfermés dans les terrains des périodes triasique, jurassique et crétacée qui ont suivi à quelque distance celle des terrains houillers, qu’un déploiement de vie animale d’une richesse extraordinaire avait lieu dans les océans de cette époque.
Et, chose plus étonnante encore, c’est à ce moment aussi que la géologie fixe la date de l’apparition des oiseaux. Comment Moïse a-t-il pu affirmer ainsi la priorité de l’apparition des animaux marins et des amphibies par rapport à celle des animaux terrestres ? Et comment a-t-il connu la simultanéité de l’apparition des oiseaux et de celle des habitants de la mer ?
À la suite de l’apparition de la vie dans les mers et dans les airs, La Genèse place la création des animaux terrestres, du bétail, des bêtes sauvages et des reptiles. Or la science constate que c’est à l’époque des formations molassiques ou tertiaires, qui se placent immédiatement à la suite des terrains jurassiques et crétacés, qu’apparaissent précisément les trois classes d’animaux indiquées.
D’après les données très précises de M. Heer, la molasse suisse a possédé trois espèces de serpents, dix-huit d’animaux féroces et de rongeurs, et quarante-huit de pachydermes (herbivores) et de ruminants. C’est donc bien la première grande apparition des reptiles terrestres et des mammifères. Il semble que toute une multitude de sujets, soit indépendants, soit d’avance soumis, se pressent sur la surface du globe, à la rencontre de leur souverain qui s’approche.
L’apparition de toutes ces formes infiniment variées de la vie organique, végétale ou animale, est attribuée par la Genèse à une succession d’ordres divins : Et Dieu dit, sans que les agents naturels cependant soient niés ou seulement omis ; témoin l’expression : Que les eaux produisent… Que la terre produise…
Que dit sur ce point la science ? Nous n’essaierons pas de traiter ici la question de la permanence des espèces. Moïse paraît assurément affirmer ce grand principe que Darwin est loin d’être parvenu à renverser. Mais, à un point de vue plus général encore, que recherche aujourd’hui, et à bon doit, la science ? N’est-ce pas l’accord à établir entre ces deux principes également constatés : l’un, que la vie ne peut sortir que de la vie ; l’autre, que cet engendrement de la vie par la vie est soumis à des causes secondes et réclame le concours des éléments naturels ?
Moïse n’a pas donné, sans doute, la formule de cet accord. Travailler à la découvrir, est l’une des tâches les plus élevées de la science. Mais n’a-t-il pas posé d’une main hardie et sûre les deux piliers de l’arche qui doit former ce pont si difficile à construire ? Et Dieu dit, voilà la vie, seule capable d’engendrer la vie. Que la terre, que les eaux produisent… : voilà la coopération de la nature franchement affirmée. Les défenseurs du principe créateur ne doivent pas se laisser aller à nier la vérité renfermée dans ces derniers mots ; et, d’autre part, toutes les découvertes possibles dans le sens de Darwin ne détruiront pas la vérité contenue dans les premiers.
d’après la Genèse, la formation de l’homme a été la clôture de l’œuvre créatrice, et cet acte suprême a été accompli le même jour que la création des animaux terrestres. Or la science constate aujourd’hui que les premiers vestiges de l’existence humaine ne se présentent que dans les gisements terrestres les plus récents, tout à la fin de la période tertiaire ; et pourtant encore dans le cours de cette période.
Le sixième jour a donc réellement vu vivre simultanément, comme le dit l’Écriture, l’homme et les représentants de cette grande création animale qui a immédiatement précédé sa venue. Il n’y a pas eu ici clôture d’une époque, commencement d’une autre. C’est la même période qui a continué.
Relevons encore, relativement à l’homme, un point spécial. La Genèse affirme la création d’un couple unique, duquel serait procédé tout le genre humain. Il n’y a pas très longtemps encore que la science protestait de toutes ses forces contre ce dogme de l’unité du genre humain. Elle alléguait les races avec leurs différences anatomiques et physiologiques, et affirmait de son ton le plus tranchant l’impossibilité absolue de les dériver d’un seul couple.
Voilà qu’aujourd’hui cette même science ne recule pas devant la tentative bien autrement hasardeuse de déduire d’une seule et même cellule organique… tous les hommes ? Ce serait trop peu ! Tous les hommes avec tous les animaux ? Ce n’est point encore assez. Tous les êtres organisés, même les plantes, tout cela d’un seul foyer de vie organisée ! Ô science !
Il s’agissait alors de contredire l’Écriture sur un point particulier : l’unité de la race humaine. Il s’agit aujourd’hui d’écarter absolument le principe divin dans l’explication de la nature. Alors comme on coulait le moucheron ! Aujourd’hui comme on avale le chameau ! Et la science se prête docilement à tous ces services contradictoires qu’on réclame d’elle ! Facile servante, que l’on prône en public comme la reine du monde, et dont on fait en particulier l’esclave de tous ses caprices. Quoi qu’il en soit, il est assurément permis d’affirmer à cette heure, de par M. Darwin et consorts, que l’unité de la race humaine, proclamée par la Genèse, n’est plus sujette à aucune objection scientifique insoluble. La théorie de la transmutation des espèces a bien d’autres montagnes à franchir !
La Genèse parle d’un sabbat divin, point final apposé par Dieu lui-même à son œuvre créatrice ; jour destiné au bien-aimé de Dieu nouvellement apparu, pour se réjouir en Dieu et s’unir à lui. Et la science démontre qu’en effet, avec l’apparition de l’homme, toute création d’espèces nouvelles a cessé, et qu’au sein de ce repos de la nature, obtenu au prix de si longs labeurs, a commencé immédiatement le travail tout moral de l’homme cherchant son Créateur et transportant en Dieu par l’adoration ce monde que Dieu a posé pour l’homme, par l’acte créateur.
Toute la période actuelle est ce sabbat dans lequel, après le travail achevé, le chef-d’œuvre et l’ouvrier se rencontrent et se saluent avec amour. Que penser d’une telle série de rapprochements ? Sont-ils accidentels ? Autant vaudrait dire que les deux portions d’un engrenage ne s’emboîtant que par hasard. Sont-ils le résultat de l’observation de la nature ou d’une spéculation philosophique bien dirigée ?
Mais quel travail philosophique eût pu conduire à l’idée d’une lumière apparaissant et disparaissant périodiquement, indépendamment du soleil ? Et si en toute rigueur on pouvait conclure de la simple observation que l’apparition du règne végétal a dû précéder celle des animaux, quelle expérience pouvait conduire à l’idée que l’apparition des animaux marins et celle des oiseaux avaient eu lieu simultanément et avaient précédé celle des animaux terrestres et des reptiles ; que celle-ci enfin avait abouti directement à celle de l’homme ?
On a prétendu qu’il règne dans l’œuvre des six jours une symétrie rationnelle qui suffit à son explication. Au premier jour, la lumière ; au quatrième, les luminaires ; au second, les eaux et l’air ; au cinquième, les animaux marins et les oiseaux ; au troisième, la terre et les plantes ; au sixième, les animaux terrestres et l’homme. Mais, quoi qu’on puisse penser de ce parallélisme, qui, pour être plus complet, eût exigé que les oiseaux parussent seuls le cinquième jour (comme correspondant à la création de l’air, au second jour), et que les animaux marins ne parussent que le sixième, avec les animaux terrestres (comme pendant de la séparation des eaux et des terres, au troisième jour), la coïncidence de tout cet arrangement avec l’ordre de la création réelle n’en sollicite pas moins, comme nous l’avons vu, une explication autre que celle que toutes les hypothèses rationalistes sont en état de donner.
L’explication cherchée, nous croyons l’avoir esquissée en commençant ce travail. Il faut reconnaître dans ce récit mosaïque une révélation, mais non une révélation sous forme de dictée. C’est bien ici, comme nous l’avions supposé dès l’abord, un enseignement donné sous la forme de tableaux analogues à ceux des visions prophétiques. Et à ce point de vue se trouvent aisément résolues les deux difficultés que nous avons mentionnées en commençant.
Moïse parle de jours, et ce sont des périodes de milliers de siècles qu’il fallait dire ? Nous n’alléguerons pas ici le sens très indéterminé qu’a souvent le mot jour dans l’Écriture ; mais nous dirons : Si Dieu a voulu faire contempler à Moïse en abrégé les phases principales à travers lesquelles était développée l’œuvre créatrice, le meilleur moyen de lui en donner l’intuition n’était-il pas de lui faire contempler chaque période dans un tableau unique représentant dans une scène grandiose le point auquel l’œuvre était alors arrivée ?
Chacun de ces tableaux était pour l’œil de Moïse un jour ; mais dans ce seul jour étaient représentés tous les jours analogues de cette même période. L’intervalle qui séparait ce tableau du suivant, était une nuit ; et dans cette nuit était figurées toutes les nuits de la même période, pendant lesquelles se préparait lentement la période suivante.
Ainsi passèrent devant lui ces six tableaux représentant les phases les plus caractéristiques de l’œuvre entière. Ces phases, il nous en a conservé le souvenir, mais sans en avoir pénétré lui-même le sens détaillé, pas plus que les prophètes ne pouvaient comprendre distinctement les intuitions qu’éveillait en eux l’Esprit divin Pierre 1.10-12. Il n’a bien compris dans chaque tableau que l’idée centrale, seule pratiquement nécessaire : Jéhovah, l’Être unique, auteur de chaque partie de l’œuvre entière.
Nous comprenons aussi, par la nature de ce mode d’enseignement, que ce ne furent que les traits saillants de chaque période, qui purent entrer dans les tableaux et frapper les regards du Voyant. Cette vie végétale et animale, par exemple, qui se développa dès les premiers jours au fond des mers, lui resta inconnue.
Ce ne fut que lorsque la vie végétale fit cette puissante et colossale explosion dont les terrains houillers rendent témoignage, qu’il la discerna. Car elle devint alors le trait essentiel du tableau. Il en fut de même de l’apparition des grands animaux marins et de celle des oiseaux, dans les âges suivants, et ainsi encore de l’apparition des animaux terrestres et de l’homme dans la dernière période.
Nous sommes en face d’une œuvre de peinture, et non d’un travail de naturaliste et d’érudit. En nous plaçant de ce point de vue nous voyons s’évanouir les difficultés qui nous empêchaient de trouver dans ce récit ce que tant de raisons nous poussent à y reconnaître : le produit d’une révélation.
Pour mettre le sceau au rapprochement que nous venons d’établir entre le contenu des tableaux génésiaques et les résultats du travail scientifique, il ne nous reste plus qu’à essayer de replacer ceux-ci dans le cadre offert par ceux-là, et de réunir ainsi ces deux espèces de données en une seule et même intuition, semblable à celle qui se produisit, au moment de la vision, dans l’esprit du Voyant.
Le morceau suivant est emprunté, en grande partie, à l’admirable ouvrage d’un ouvrier anglais, Hugh Miller, devenu à la fois l’un des meilleurs géologues et l’un des plus brillants écrivains de son pays : The testimonial of the rocks, pages 187-191. Nous sommes assis avec l’homme de Dieu sur la montagne. L’obscurité nous environne. Autour de nous et au dedans de nous règne ce silence qui est l’avant-coureur des révélations divines. Le sens prophétique dont tout homme est naturellement doué, s’éveille en nous, et de même que saint Jean contemple dans son extase, sur le rocher de Patmos, les derniers âges du monde, et en quelque sorte l’écoulement du temps dans l’éternité, ainsi nous contemplons les premiers jours de l’univers, le fleuve du temps jaillissant de l’éternité.
Au milieu de ces solennelles ténèbres, notre oreille perçoit un bruit sourd comme celui d’une mer agitée par un souffle puissant; dont la surface s’élèverait et s’abaisserait en vagues immenses, et dont les flots par moments s’entrechoqueraient et se briseraient les uns contre les autres. C’est l’océan, dont notre terre tout entière est encore enveloppée comme d’un linceul. Le souffle qui l’agite est celui de l’Esprit du Créateur qui couve cet œuf mystérieux pour en faire éclore un monde de merveilles, une humanité, un Christ !
Nous sentons que ces ténèbres ne sont pas celles du sépulcre, mais la nuit féconde qui sert de berceau à toute vie. Et dans cette obscurité d’un moment, se trouvent concentrés des siècles sans nombre, les temps qui se sont écoulés depuis la création de la matière jusqu’à la formation de la croûte solide du globe et à la condensation des eaux à sa surface.
Tout à coup une voix rompt le silence de cette longue nuit : Que la lumière soit ! Soudain un jet lumineux, suivi de gerbes éblouissantes qui jaillissent vers tous les points de l’horizon, illumine la scène. C’est une lumière radieuse comme celle qui éclaire de temps en temps les habitants des régions polaires pendant leur longues nuits de plusieurs mois. À sa clarté nous discernons, à travers les vapeurs épaisses qui couvrent la terre, la plaine liquide sans rivage qui nous entoure.
De temps en temps des gaz, se dégageant de la fournaise intérieure du globe, font bouillonner les flots et soulèvent à leur surface un sol qui bientôt s’affaisse et s’engloutit de nouveau. Les jets lumineux perdent peu à peu leur splendeur, et leur éclat pâlissant finit pas s’éteindre tout à fait. Nous n’entendons plus que le bruit des grosses eaux qui se meuvent tout autour de nous. L’obscurité nous environne. Et dans ce jour unique nous avons contemplé la représentation de milliers de jours, qui ont éclairé notre terre avant qu’aucun œil d’homme fût là pour les discerner.
La voix retentit de nouveau : qu’il y ait une étendue entre les eaux, et que les eaux d’en bas soient séparées de celles d’en haut. Il fait jour de nouveau, nos regards se promènent encore sur une plaine liquide qui se confond de toutes parts avec l’horizon. Peut-être y a-t-il de la vie dans le sein de cette mer, de la vie animale et végétale ; mais nous ne l’apercevons point. Ce qui captive nos regards, c’est le changement qui s’opère graduellement dans l’espace au-dessus de l’océan.
Auparavant les vapeurs s’élevaient de la mer comme d’une chaudière d’eau bouillante ; et la lumière étincelante sillonnait des tourbillons noirâtres. Maintenant la mer semble plus calme ; une cloison plus épaisse la sépare sans doute du feu souterrain. Ses eaux tièdes, mues par un frais zéphyr, s’élèvent et retombent en ondulations régulières. Les vapeurs moins denses s’élèvent plus légèrement vers les régions supérieures ; et lorsqu’elles y rencontrent une température plus froide, elles se forment en épais nuages qui restent suspendus tout à l’entour du globe. Au-dessous de cette sombre enveloppe, entre elle et la mer, apparaît pour la première fois l’air transparent, l’étendue azurée qui sépare la mer aérienne et la plaine liquide.
Tel fut le second jour, dans le tableau duquel se concentre l’image de milliers de jours. Nous sommes replongés dans l’obscurité, mais non sans pressentir l’approche d’une œuvre plus grande. La voix dit : Que la mer se rassemble en son lieu, et que le sec paraisse, et que la terre pousse son jet ! Pour la troisième fois la scène s’illumine. Le dais d’épaisses nuées suspendu autour du globe n’est pas encore dissipé. Mais sur la scène inférieure quel changement s’est opéré !
L’océan n’est plus cette nappe uniforme ou nos yeux cherchaient en vain quelque point d’arrêt. Les flots se heurtent contre des roches en pointes ou à larges dômes. De longues lignes d’écume blanchâtre annoncent la présence d’îles coralliques à fleur d’eau, contre lesquelles se brise la vague. Nous apercevons même dans le lointain de vastes terres basses et marécageuses.
C’est que, à l’ordre du Créateur, le fond des mers s’est soulevé et les continents ont surgi. Et ces terres nouvellement nées, elles se revêtent sous nos yeux d’un vert et frais duvet. Des mousses, des herbes de marais, des roseaux, des fougères, des forêts de pins et de palmiers paraissent. Ces roseaux de la hauteur des chênes, ces fougères de l’épaisseur de nos marronniers d’Inde, se balancent sur les bords de rivières aux eaux noirâtres et de lacs tranquilles et peu profonds.
Elle est sous nos yeux, dans sa luxuriante richesse, cette flore puissante et tropicale que le Seigneur a conservée à nos temps sous la forme de charbon de pierre. Au fond de ces eaux la vie se remue, les coraux bâtissent ; d’innombrables mollusques se traînent dans la vase sur ces bas rivages. Mais le trait dominant du tableau, c’est cette admirable végétation que nous venons de décrire ; tout le reste s’efface devant cette incomparable apparition.
Seulement dans ces forêts règne encore le silence de la mort. L’on n’y remarque d’autre mouvement que celui des longues tiges qui se balancent au gré du vent, et des épais brouillards qui se traînent le long des plages marécageuses. Tel fut le troisième jour, échantillon de milliers de jours.
Et tandis que l’obscurité descend de nouveau sur nous, quelque chose d’extraordinaire dans l’état de l’atmosphère nous annonce le progrès nouveau et décisif qui va s’opérer dans l’œuvre divine. La voix du Seigneur dit : qu’il y ait des luminaires dans l’étendue des cieux.
C’est la nuit ; nos regards se dirigent vers les cieux. Le dais de nuages s’est brisé ; et par les intervalles de ces déchirures, nos yeux plongent pour la première fois dans d’impénétrables profondeurs. Spectacle nouveau, sans pareil : les étoiles scintillent au firmament. À mesure que le ciel se dégage des vapeurs qui nous le voilaient, ces astres se multiplient. Ils étincellent bientôt de toutes parts. La voûte céleste tout entière est là, resplendissante, sans le moindre nuage, au-dessus de nos têtes.
Radieuse, l’étoile du matin brille comme une reine au milieu de sa cour et projette pour la première fois sur notre globe sa pure image. Mais elle ne tarde pas à pâlir. Les vapeurs, répandues à l’horizon en masses légères, semblent s’éclairer ; elles passent du gris au bronzé, du bronzé au doré ; le doré se change en feu… ; un point étincelant paraît au-dessus des eaux ; le soleil est là ; il a célébré son premier lever.
S’élançant dans l’azur, il entreprend hardiment sa course. Les eaux, agitées par le zéphyr du matin, étincellent de ses splendeurs. Sous l’influence des ses rayons brillants, apparaît une végétation nouvelle, ornée de mille couleurs inconnues de la flore précédente. Un tapis de verdure, plus épais et plus varié, couvre le sol noirâtre des continents. Bientôt nous voyons le flambeau céleste descendre vers l’horizon occidental dans une gloire plus magnifique que celle qui entoura son lever ; et pour la première fois, au point opposé de l’horizon, apparaît le second luminaire de la création terrestre.
S’élevant silencieusement dans la voûte azurée, la lune répand sa douce lumière sur terre et sur mer. Tel fut le quatrième jour, image de milliers de jours. Pourquoi les anges en furent-ils seuls les témoins ? Mais, par l’œil du Voyant, nous venons de contempler aussi quelque chose de ses sublimes beautés. Pour la cinquième fois la nuit couvre le tableau. Mais la voix a parlé : Que les eaux produisent des animaux en abondance, et que les oiseaux volent sur la terre.
Le jour luit. Semblable à une épouse qui se prépare à recevoir son époux, la terre s’est ornée de fleurs aux couleurs variées. Mais qu’entends-je ? Pour la première fois, une autre voix que celle du Seigneur et celle des grosses eaux, frappe mon oreille. C’est comme un bruit de cris discordants. Des oiseaux en troupes serrées, comme les insectes dans un soir d’été, volent au-dessus des lacs, ou traversent les forêts, tandis que leurs frères, d’une taille gigantesque, montés comme sur de hautes échasses, se promènent dans les étangs couverts de roseaux, et y poursuivent de gros poissons.
Mais ils deviennent eux-mêmes la proie d’ennemis redoutables. Car c’est également le temps des amphibies rampants, nageants ou volants ; monstres couverts de massives écailles, armés de dents meurtrières, ils hantent les rivières aux longs circuits, ou se traînent sur les prairies humides, ou se tiennent suspendus aux arbres et aux rochers pour s’abattre sur leur proie.
L’océan aussi a sa vie. C’est là que se promènent les géants de l’époque ; ils remuent ses profondeurs des coups de leurs puissantes nageoires, et soulèvent au-dessus de sa surface leurs corps immenses et leurs têtes affreuses. L’eau, l’air, la terre encore marécageuse, tout est saturé de vie animale. L’Éternel n’a-t-il pas dit : Que les eaux produisent à foison des êtres qui aient vie et qui se meuvent, et que les oiseaux volent sur la terre. Et à cette voix puissante tous ces êtres nouveaux et inconnus ont apparu ! Et sur cette scène mobile et animée, le soleil s’abaisse, et la nuit couvre bientôt de ses voiles le mystère de ces innombrables vies.
Le cinquième jour est passé, et dans cet unique tableau s’est offert à nos yeux le spectacle de milliers de jours, qui ont luit réellement sur notre globe. Nous sommes replongés dans la nuit. Pour la sixième fois, la voix retentit : Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce. Et quand la lumière vient éclairer de nouveau ce théâtre où s’accomplit par degrés l’œuvre divine, quel spectacle s’offre à nos yeux ! Les monstres marins ont disparu. De tous ces horribles amphibies, il ne reste plus qu’un petit nombre d’espèces moins colossales et moins redoutables.
En échange, dans les plaines couvertes de verdure, paissent le bétail et les bêtes des champs ; de grands troupeaux de mastodontes et de mammouths cherchent leur pâture dans les frais herbages de la forêt. Les bois sont traversés par des troupes de cerfs et d’élans ; l’ours veille sur ses petits dans la caverne ; l’hippopotame se tapit parmi les roseaux ou plonge majestueusement dans la rivière ; le rhinocéros s’ébat dans les marais, tandis que le lion, le léopard et d’autres animaux féroces se tiennent aux aguets dans les fourrés obscurs, prêts à s’élancer sur les troupeaux d’antilopes qui courent à l’abreuvage.
Enfin, à l’heure où le soleil décline et le jour baisse, une parole suprême retentit : Faisons l’homme à notre image. Et le maître responsable de toute cette création, l’homme formé à la propre image de Dieu, paraît à l’appel de son Créateur sur ce théâtre disposé, orné, peuplé pour le recevoir. À ce moment cesse l’œuvre créatrice. Le repos de Dieu commence ; mais ce repos est destiné à une nouvelle œuvre, celle de l’éducation morale du genre humain, de sa rédemption et de sa glorification finale.
Le travail de ce septième jour dure encore ; jour sanctifié par Dieu entre tous les autres, mais profané par l’homme, comme ne l’a été et n’a pu l’être aucun des précédents par les créatures dont ils éclairèrent l’existence. Jour à la onzième heure duquel nous sommes peut-être parvenus, et qui sera suivi pour les uns d’un jour sans déclin, pour les autres d’une nuit sans matin. Dans ce divin jour de sabbat, auquel nous assistons avec l’homme de Dieu sur la montagne, nous contemplons aussi l’échantillon de milliers de jours, de tous ceux qui composent la période dans laquelle nous vivons nous-mêmes, en particulier de tous les milliers de sabbats que Dieu emploie présentement à la sanctification du genre humain et que le genre humain dissipe si souvent à la honte du Créateur. Résumons-nous et concluons :
Moïse avait dit contre toute vraisemblance que la lumière a brillé longtemps avant l’apparition du soleil : la science a prouvé que le monde a pu et dû être éclairé longtemps avant l’apparition du soleil. Moïse avait dit non moins paradoxalement que le monde de la végétation était apparu avant que brillât le soleil : la science a constaté qu’une riche vie végétale s’était épanouie sur la terre antérieurement à l’intervention directe des rayons solaires.
Moïse avait parlé de trois grandes apparitions de la vie organique, l’une végétale, deux animales : la science discerne aujourd’hui trois grandes époques de vie organique, celle de la végétation houillère, et celles des grands amphibies et des mammifères. Moïse avait représenté l’homme comme le dernier né de la création : la science déclare que l’homme est celui de tous les habitants de la terre qui a clos la série des apparitions nouvelles sur notre globe.
Mais admettons que toutes ces coïncidences de détail ne soient que fortuites ou qu’elles viennent même à être renversées par quelque progrès nouveau, soit dans l’exégèse, soit dans la géologie. Trois grands traits demeurent et signaleront toujours à l’attention de tout homme éclairé le tableau mosaïque :
Voilà le mot qui fait le nerf du récit, le refrain, dix fois répété, de ce magnifique poème. Dire, c’est à la fois penser et vouloir. Dans ce parler de Dieu il y a le pouvoir législatif de son intelligence et le pouvoir exécutif de sa volonté ; ce seul mot fait évanouir toute matière aveugle, toute fatalité brutale ; il révèle un principe lumineux, une pensée intelligente et bonne, au fond de tout ce qui est. Et en même temps que ce : Et Dieu dit, nous apparaît comme la vraie réalité des choses, il nous en révèle aussi la véritable valeur et le légitime usage. Si belle et si bienfaisante que soit l’œuvre, son prix réel n’est pas en elle-même ; il est dans la pensée, dans le cœur de l’ouvrier auquel est due son existence.
Dès que nous nous arrêtons à l’œuvre, notre jouissance ne peut être que superficielle et nous sommes, par l’ingratitude, sur la voie d’une idolâtrie plus ou moins grossière. La jouissance n’est pure et complète que lorsqu’elle résulte du contact de notre âme avec l’ouvrier lui-même. Former ce lien est le vrai but de la nature, aussi bien que la destination de la vie humaine.
Derrière ce voile de l’univers visible qui m’éblouit, derrière ces forces aveugles dont le jeu parfois m’épouvante, derrière cette régularité des saisons et cette fixité des lois, qui m’entraînent presque à ne voir partout que le déroulement de la nécessité, ce mot : Et Dieu dit, me révèle un bras puissant, un œil qui discerne, un cœur plein de bienveillance qui me cherche, une personne qui m’aime.
Ce rayon de lumière qui, en frappant ma rétine, y dessine avec une netteté parfaite, sur une surface de l’étendue d’un centime, un paysage de plusieurs lieues, c’est Lui qui lui a dit de briller. Cet air que mes poumons aspirent et qui est formé de deux gaz, dont chacun isolé serait pour moi un poison mortel, c’est Lui qui lui a dit de me vivifier. Ce sol sur lequel je marche, travaille, bâtis, plante, et sous lequel, à une bien petite profondeur, bouillonne l’épouvantable fournaise, c’est Lui qui l’affermit sous mes pieds. Ces fleurs et ces fruits que je cueille successivement durant la plus grande partie de l’année, qui me réjouissent de leur parfum, qui me charment par leur saveur, qui me guérissent de leurs sucs, c’est Lui qui les a semés pour moi dans ce beau jardin de la terre. Ce soleil qui mesure mes années, mes jours, mes heures ; cette lune qui distribue mes années en mois, et mes mois en semaines, c’est Son doigt qui les fait mouvoir l’un et l’autre à la voûte du ciel, comme les deux aiguilles au cadran d’une montre. Ces animaux variés qui remplissent de vie les eaux, les airs et la terre, et ces animaux domestiques qui me font société jusque dans ma demeure, c’est Lui qui m’en a entouré, soit pour stimuler mon activité par leur résistance et leurs hostilités multiples, soit pour la doubler par leur docile et puissante coopération.
Et si moi-même, enfin, je suis là, comme le chef- d’œuvre de cette création, pouvant me dégager d’elle par la pensée, déchirer par l’adoration ce rideau bigarré qui m’entoure de toutes parts et pénétrer jusqu’au cœur qui bat pour moi derrière ce voile dans une sphère à la fois inexprimablement élevée et inexprimablement proche, si je puis saluer du nom de Père celui qui compte les cent quarante mille cheveux de ma tête aussi bien que les milliers d’astres qui circulent au firmament, c’est qu’il a daigné me faire à son image et mettre en moi un rayon de son propre Esprit. Dieu a dit ! Là est pour mon cœur, aussi bien que pour mon intelligence, le prix réel de chaque chose, celui de ma propre existence.
Le second trait essentiel, dans le récit mosaïque, c’est l’hommage rendu à la grande loi du progrès. Vers la fin du moyen-âge, on commença à se demander ce que pouvaient être ces coquilles marines que l’on découvrait sur les hauteurs. Les savants émirent là-dessus différentes hypothèses. Les uns dirent : ce sont des jeux de la nature (lusus naturae) ; d’autres y virent des reflets des astres ; des troisièmes, les vestiges du déluge ; quelques-uns, d’imparfaits essais de la puissance créatrice.
L’idée d’une création qui, ayant précédé l’homme, s’était élevée par degrés, d’étage en étage, jusqu’au couronnement de l’œuvre, ne venait à personne. Et cependant elle était là, consignée depuis trois mille ans, dans le récit mosaïque ! Et si cette loi du progrès, déjà révélée par Moïse, a régné souverainement dans les développements de cet être inconscient qu’on appelle la nature, comment ne continuerait-elle pas à dominer le déroulement moral et spirituel de l’histoire ? Comment une nouvelle série de : Et Dieu dit, ne succéderait-elle pas à la série de ceux que Moïse entendit dans la vision et qui jalonnèrent œuvre créatrice ?
Et si l’homme ne les perçoit pas d’une manière sensible, les faits ne rendent-ils pas clairement témoignage de cette succession d’ordres divins ? Il est vrai que la volonté créatrice est obligée de compter dans l’histoire avec un nouveau et souvent indomptable facteur, celui de la liberté, ce précieux ressort qu’elle ne veut pas briser, mais gagner et employer. Elle n’en marche pas moins à son but par d’immenses circuits, et, dans ce milieu si différent le progrès se constate aussi bien qu’au sein de la nature.
Le terme du progrès dans la nature, d’après Moïse, c’est l’homme. L’homme, en effet, n’est pas l’une quelconque des créatures terrestres ; il est le but de la création elle-même. Or comment l’être si magnifiquement privilégié ne continuerait-il pas à être l’objet de la sollicitude et des soins actifs du Créateur ? Comment ne se rapporterait-elle pas à lui, cette série nouvelle des : Et Dieu dit, qui constitue le mouvement ascendant de l’histoire ? Et ici s’ouvre à notre esprit une grande perspective, d’après les révélations subséquentes consignées dans l’Écriture, la parole créatrice désignée par Moïse n’est pas seulement une parole parlée, c’est une parole parlante, qui a voulu se créer dans l’homme un organe, selon qu’elle était elle-même l’organe de Dieu.
L’univers est son drame, exécuté à la gloire du Père, et l’homme est le principal acteur dans ce drame. Elle-même est intervenue pour s’unir à l’homme, le gagner à sa cause et faire de lui le collaborateur de son divin travail. L’homme, en unissant sa volonté à la sienne et en faisant de sa force l’agent de sa volonté créatrice, l’homme, de créature, devient lui-même créateur. Il se révèle déjà comme tel ici-bas dans la magie des arts ; mais ce n’est là que le prélude des œuvres nouvelles auxquelles l’appellera l’avenir. Et comme se réalisa la prophétie de Caïphe à l’égard du Fils de l’homme (Jean 11.50), ainsi la parole du tentateur à l’égard de l’homme deviendra une vérité : Vous serez comme des dieux.
2 Corinthiens 4.6 : Dieu, qui a dit que la lumière sortît des ténèbres, a fait briller sa lumière dans nos cœurs, afin que nous illuminions les hommes par la connaissance de Dieu en la personne de Jésus-Christ. Dieu dira : Que toutes choses soient faites nouvelles (Apocalypse 2.15 : Et Celui qui était assis sur le trône dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles). Et Dieu sera tout en tous. 1 Corinthiens 15.28 : Afin que Dieu soit tout en tous. Cette fin est la seule qui réponde à un tel commencement, comme ce commencement est le seul qui convienne à une telle fin.