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Conclusion au Pentateuque Bible Annotée

Nous aurons à examiner deux questions, celle de l’origine de ce livre, la question littéraire, et celle de la vérité de son contenu, la question historique. Malgré la relation étroite qui unit ces deux questions, elles doivent être étudiées indépendamment l’une de l’autre. Car lors même qu’un récit ne nous parviendrait que par un document rédigé à une époque très postérieure au moment où le fait s’est passé, ce récit pourrait être digne de foi, comme en retour une narration contemporaine des événements peut les retracer sous une forme involontairement ou volontairement altérée.

I. L’origine du Pentateuque

1.

L’opinion régnante dans le peuple juif sur la composition des cinq livres dont se compose le Pentateuque, était qu’ils avaient été rédigés par Moïse lui-même, et que, détruits au moment de la ruine de Jérusalem par Nébucadnetsar, ils avaient été recomposés par le scribe Esdras après le retour de la captivité. La composition de cet ouvrage par Moïse est supposée dans le Nouveau Testament d’après la tradition juive et semble être expressément affirmée par Jésus lui-même (Jean 5.46-47). Cette opinion est restée régnante dans l’Église jusqu’au siècle passé.

2.

Elle a été dès lors sérieusement ébranlée par le travail approfondi dont ces cinq livres ont été l’objet, et dont nous avons donné un résumé dans l’Introduction. Après la découverte, aujourd’hui à peu près incontestée, d’une pluralité de documents qui sont entrés dans la composition de ce grand ouvrage, il n’est plus possible d’admettre qu’il soit sorti d’un jet de la plume d’un seul et même auteur.

3.

Sans doute, comme l’art de l’écriture était connu et pratiqué en Égypte et en Babylonie longtemps avant l’époque de Moïse, ainsi que le prouvent les monuments, on pourrait à la rigueur supposer que c’est Moïse lui-même qui, se servant de documents antérieurs, a rédigé les antiques traditions nationales. Mais comme les traces de l’existence de ces différents documents continuent à se rencontrer dans les livres qui renferment l’histoire contemporaine de Moïse (Exode, Nombres) et se retrouvent même dans le livre de Josué qui retrace les faits postérieurs à sa mort, nous sommes contraints de placer la rédaction de ces documents, à plus forte raison leur réunion en une narration commune et définitive, après la conquête de Canaan, et par conséquent après la mort de Moïse.

4.

Toutefois il ne résulte point de là que la tradition juive sur la composition mosaïque du Pentateuque soit dénuée de toute vérité. En effet, les mêmes investigations qui ont amené à découvrir dans le Pentateuque l’existence d’une pluralité de documents, ont constaté aussi que ces documents eux-mêmes avaient été composés au moyen de matériaux plus anciens. Et la question est de savoir si ces matériaux primitifs ne provenaient pas du temps de Moïse lui-même et n’avaient pas été rédigés par lui ou sous ses yeux.

5.

La question ainsi posée nous paraît résolue par les observations nombreuses que nous avons faites au cours de l’explication. Nous avons trouvé dans un morceau tiré de ce grand écrit élohiste qui porte aussi le nom de document sacerdotal, un catalogue des campements du désert, Nombres chapitre 33, ainsi intitulé : « Ce sont ici les campements des fils d’Israël… mis par écrit par Moïse ». Ce morceau était donc, dans la conviction de l’auteur de ce document, un fragment émanant de Moïse lui-même. Il existait ainsi un registre tenu au désert dans lequel étaient inscrits au fur et à mesure les noms des lieux de campement. — Nous avons rencontré, Exode 17.14, une sentence de destruction prononcée par l’Éternel contre les Amalékites, avec l’ordre donné à Moïse de la consigner par écrit pour être conservée jusqu’au moment où Israël serait en demeure de l’exécuter. Il existait donc un livre où étaient recueillis des documents de ce genre. — Ce livre était-il peut-être celui qui est désigné, Nombres 21.14, comme le Livre des batailles de l’Éternel ? En tout cas un livre existait sous ce titre, destiné à conserver, paraît-il, des chants populaires dans lesquels étaient célébrés certains événements du voyage et de la conquête, tels que le passage de l’Arnon pour entrer dans les pays de Moab et des Amorrhéens, ou la découverte d’un puits à Béer, ou bien aussi la conquête sur les Amorrhéens de la ville et du royaume de Hesbon que ce peuple Cananéen avait jadis enlevés à Moab (Nombres 21.27-30). Ce recueil poétique commencé au temps de Moïse est-il le même que celui qui est cité plus tard sous le titre de Livre du Juste et qui fut continué jusqu’au temps de David (2 Samuel 1.17) ?

Mais le genre d’écrits le plus important qui soit expressément attribué à Moïse, ce sont des documents législatifs, tels que le Décalogue (Exode chapitre 20) et le Livre de l’alliance (Exode chapitres 21 à 23). Le premier de ces documents est vraisemblablement tiré de la narration de l’écrit que nous continuerons à appeler du nom qui lui fut donné dans les temps qui suivirent sa constatation, celui de second élohiste. Le Décalogue est le fond premier de toute la législation Israélite. Le premier développement subséquent qui en a été donné est le Livre de l’alliance renfermé dans les chapitres suivants de l’Exode et qui est probablement emprunté à l’écrit jéhoviste. Il est dit, Exode 24.3ss : « Moïse récita au peuple toutes les paroles de l’Éternel… et il les écrivit… puis il prit le livre de l’alliance et le lut, et le peuple dit : Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit ». Outre ces deux grands actes législatifs attribués le premier à la main de Dieu lui-même, le second à celle de Moïse, nous rencontrons dans les quatre premiers livres du Pentateuque trois principaux groupes de lois que la narration du grand ouvrage élohiste attribue à Moïse non comme rédacteur, mais comme auteur, Exode chapitres 25 à 40 ; Lévitique chapitres 1 à 26 ; Nombres 1.1 à 10.10. Nous avons trouvé en outre dans le Pentateuque un grand nombre de récits qui nous ont paru porter en eux-mêmes les traces d’une rédaction contemporaine des faits, ainsi celui de la mort tragique de Nadab et Abihu, fils d’Aaron (Lévitique 10.1-5), celui de la condamnation du blasphémateur, fils d’un homme égyptien (Lévitique 24.10-16), celui des murmures d’Aaron et Marie contre Moïse (Nombres chapitre 12). Dans un certain nombre de passages de l’Exode, du Lévitique et des Nombres se trouvent fréquemment les expressions suivantes : dans le camp et hors du camp ; Aaron et ses fils, au lieu de « les sacrificateurs, » Si ces locutions ne sont pas l’indice naturel du temps où le peuple vivait au désert et où Aaron et ses fils remplissaient encore eux-mêmes les fonctions sacerdotales, elles sont dues à l’artifice d’un auteur postérieur, qui se serait servi de ces formes de langage dans le but de tromper le lecteur sur la véritable origine des ordonnances ou des récits où se rencontrent ces expressions ! Il est encore un certain nombre de passages dont le contenu est tel qu’il ne saurait avoir été transmis par la tradition, et qui, par conséquent, s’ils ne procèdent pas de sources écrites contemporaines des faits, ne sauraient être autre chose que des compositions factices, des pastiches dénués de toute sincérité et de tout sérieux ; ce sont les chiffres des deux dénombrements du peuple (Nombres chapitres 1 et 26), ceux des comptes de la construction du sanctuaire (Exode 38.21ss), l’énumération détaillée des dons volontaires des princes des tribus (Nombres chapitre 7). Il est difficile également d’admettre que les prescriptions si détaillées et si minutieuses sur les sacrifices sanglants et non sanglants se soient conservées uniquement par une transmission orale, et si, comme nous nous en convaincrons, elles font partie de la législation primitive, nous devons admettre qu’elles ont été rédigées immédiatement en une sorte de code particulier, propre à servir de manuel pour les sacrificateurs et les Lévites ; c’est le morceau Lévitique chapitres 1 à 7 (lors même qu’il n’est pas complètement homogène).

6.

On a parfois nié l’emploi de l’écriture en Israël au temps de Moïse ; mais il est difficile de supposer qu’un peuple aussi intelligent et apte à l’assimilation qu’a toujours été le peuple juif, eût pu demeurer durant des siècles en Égypte, où l’écriture était déjà d’un usage courant et où des ouvrages considérables étaient en circulation, sans s’approprier un art aussi utile et indispensable. On a découvert récemment dans une localité égyptienne nommée Tel-el-Armana des tablettes cunéiformes renfermant une correspondance très active qu’entretenaient avec le gouvernement égyptien ses représentants officiels dans les États palestiniens, syriens et babyloniens. Ces tablettes datent du XVe siècle avant notre ère, c’est-à-dire de l’époque la plus reculée qu’on puisse assigner à la sortie d’Égypte. C’est aussi à ce temps qu’appartient la composition du grand poème de Pentaour, écrit à l’honneur de Ramsès II, le père du roi sous lequel eut lieu la sortie d’Égypte. Nous possédons encore in extenso le long traité d’alliance conclu entre ce même souverain et un roi héthien. Nous avons donc toute raison de penser que les trois récits principaux qui sont entrés dans la composition du Pentateuque, ont été rédigés sur documents plus anciens, remontant même jusqu’à Moïse. Ce qui tend à le confirmer, c’est que les livres ainsi composés se distinguent par certaines particularités de langage qui ne se retrouvent dans aucun livre subséquent, même dans celui de Josué ; ce fait s’explique de la manière la plus naturelle par l’antiquité des matériaux primitifs. Il cesse déjà dans le livre de Josué lors même que la distinction entre les mêmes documents peut encore y constatée. Et la raison en est sans doute que les matériaux qui ont servi à composer les documents relatifs à l’histoire de Josué étaient déjà d’une époque un peu plus tardive.

L’existence et l’emploi de ces antiques matériaux mosaïques est donc l’élément vrai dans la tradition de la Synagogue sur l’origine du Pentateuque, tradition qu’a simplement suivie Jésus, quand il a parlé, comme il l’a fait Jean 5.47, des écrits de Moïse.

7.

Nous devons compléter ici ce que nous avons dit dans l’Introduction du Pentateuque sur les documents qui ont servi à le composer. Nous ne revenons pas ici sur le Deutéronome qui a une position particulière et dont nous avons traité à part. Nous avons parlé en outre de deux documents principaux : le grand ouvrage élohiste ou écrit sacerdotal et l’écrit jéhoviste. Déjà dans l’Introduction, nous avons brièvement signalé le fait que dans ce dernier écrit se rencontrent fréquemment les traces d’un autre ouvrage qui y a été inséré fragments et auquel nous conservons ici le nom de second élohiste. Tandis que le Jéhoviste introduit dans l’histoire le nom de Jéhova dès les temps suivirent la création et l’emploie durant tout le temps de la période patriarcale, et que le grand écrit élohiste ne s’en sert qu’après l’avoir introduit ; la révélation de Dieu à Moïse, au Sinaï, le second élohiste continue à appeler Dieu du nom d’Élohim même après cette scène. Nous avons ainsi en réalité pour les quatre premiers livres du Pentateuque, trois documents principaux ; dont deux étaient probablement réunis quand le rédacteur définitif du Pentateuque s’en est servi pour composer cet ouvrage. Comment s’expliquer leur origine et quelle date leur assigner ?

Le document sacerdotal émane, sans doute, d’un personnage considérable de la classe des sacrificateurs, qui l’a composé en grande partie au moyen des matériaux mosaïques nombreux que nous y avons constatés, puis d’autres encore, tels que les généalogies de la Genèse, ou le chapitre 36 sur les tribus Édomites et leurs chefs. Il a relié ces divers matériaux avec de nombreuses traditions orales fortement formulées comme elles le sont en Orient. Nous ne croyons pas possible de nous prononcer sur l’époque de sa composition qui d’ailleurs a eu peut-être un caractère plus ou moins graduel. Quand, pour en fixer la date, on cite Genèse 17.6, où Dieu annonce à Abraham que « des rois sortiront de lui », d’où l’on conclut que l’établissement de la royauté a précédé la composition, c’est tout simplement nier soit la prescience divine, soit la révélation prophétique ; il en est de même lorsqu’on part de Lévitique 26 où le peuple est menacé de captivité, pour prouver la composition de ce chapitre après l’exil. L’école critique la plus moderne affirme avec assurance la composition du document sacerdotal durant la captivité ou après le retour. Mais nous demandons quel sens aurait eu à cette époque l’ordonnance relative à l’institution des six villes de refuge, trois en deçà, trois au-delà du Jourdain, tandis que le petit peuple revenu de l’exil ne possédait que Jérusalem et ses plus proches alentours. Et que signifierait également en de pareilles circonstances l’institution des 48 villes lévitiques à répartir dans toute la Palestine ? Quel but pourraient avoir les prescriptions détaillées et minutieuses relatives à la distribution entre les Lévites du travail du transport de l’arche et du Tabernacle à travers le désert, quand il n’y avait plus d’arche et que le temple avait dès longtemps remplacé le Tabernacle ? On était fort occupé au retour de l’exil de l’expulsion des femmes étrangères ; aurait-on raconté à ce moment-là l’union d’Abraham avec Hagar l’Égyptienne et la bénédiction d’lsmaël, fruit de cette union ? On prohibait avec soin les mariages entre parents rapprochés ; aurait-on signalé expressément le fait du mariage entre Amram, père de Moïse, et sa tante ? (Exode 6.20, comparez avec Lévitique 18.12-13, à moins qu’on ne donne au mot hébreu de l’Exode un sens inusité ; voir note). Nous ne finirions pas si nous voulions mentionner tous les détails qui contredisent la supposition de l’invention de l’écrit sacerdotal à une époque aussi tardive.

Quant aux deux autres documents dont le contenu est plus narratif que législatif, leur rédaction nous paraît être émanée du sein des écoles prophétiques qui depuis le ministère de Samuel eurent la mission d’alimenter la vie religieuse du peuple en lui rappelant ses origines et le développement de son histoire. Nous devons conclure de la parole adressée à la femme sunamite par son mari (2 Rois 4.23), qu’il y avait dans les jours de sabbat et de nouvelle lune des réunions populaires tenues par ces hommes de Dieu et par lesquelles ils réveillaient dans le peuple l’esprit théocratique en l’entretenant des œuvres divines en faveur d’Israël. C’est à cette étude qu’étaient occupés, comme on l’a dit, « les loisirs des séminaires prophétiques ». On peut se convaincre, par les écrits des prophètes eux-mêmes, de l’intérêt que ces prédicateurs populaires attachaient aux récits antiques et du degré de connaissance de ces récits qu’ils supposaient chez leurs auditeurs. Citons seulement Osée pour le royaume du Nord et Ésaïe pour celui du Sud. Le premier rappelle fréquemment la sortie d’Égypte ; comparez Osée 2.17 ; Osée 11.1 (« J’ai appelé mon fils hors d’Égypte ») et Osée 12.14 (« … par le moyen du prophète ») ; l’alliance conclue entre Dieu et le peuple (Osée 8.1) ; le crime de Guibéa et la punition de Benjamin (Osée 9.9 et Osée 10.9 ; comparez Juges 19) ; le séjour au désert (Osée 9.10 et Osée 13.5) ; le caractère rusé de Jacob, sa lutte avec l’ange de l’Éternel, l’apparition à Béthel (12.4-5) ; sa fuite en Mésopotamie et son travail servile pour obtenir Rachel (12.13) ; le péché et le châtiment de Beth-Péor (13.1 ; comparez Nombres chapitre 25). Quant à Ésaïe, comparez les allusions à la corruption et à la ruine de Sodome et Gomorrhe (Ésaïe 1.10 ; Ésaïe 9.19), à la sortie d’Égypte (Ésaïe 11.16), au séjour du désert, spécialement à la colonne de nuée (Ésaïe 4.5) : à la défaite de Madian par Gédéon (Ésaïe 9.3 ; comparez Juges chapitres 7) ; aux pères du peuple, Abraham et Jacob (Ésaïe 29.22 ; Ésaïe 63.16, etc). On pourrait en quelque sorte reconstituer au moyen de ces citations ou allusions dans les livres prophétiques une histoire israélite entière. Il est donc bien probable que les écoles des prophètes furent les foyers dans lesquels se conservèrent et se concentrèrent et les rédactions antiques et les traditions des temps primitifs, et que c’est là qu’elles ont été consignées de manière à en former les premières histoires suivies. C’est ainsi que dans les couvents du moyen-âge se rédigeait le récit des événements antérieurs ou contemporains. Ce n’est peut-être pas se hasarder trop que d’attribuer, comme le font plusieurs, la rédaction du second élohiste aux écoles prophétiques du royaume d’Éphraïm, et celle du Jéhoviste aux cercles prophétiques du royaume de Juda. Nous comprenons ainsi la nature un peu différente des deux traditions, concordantes au fond. Et comme les écoles prophétiques ont été fondées par Samuel, l’on doit, si cette supposition est fondée, placer ces deux recueils d’antiques matériaux, oraux ou écrits, aux premiers temps de l’époque des Rois.

Quant à la rédaction définitive de notre Pentateuque, il est raconté, Néhémie chapitre 8, que, peu après le retour de l’exil, en l’an 144 avant notre ère, Néhémie fit lire au peuple, à la fête des Tabernacles, la loi de l’Éternel. Cet acte fut accompli par Esdras et treize assistants d’entre les Lévites. Cette lecture dura huit jours. Le livre qui fut ainsi lu publiquement et en quelque sorte canonisé, était-il uniquement l’écrit sacerdotal, ou bien le Pentateuque tout entier, y compris le Deutéronome ? Il nous paraît que cette seconde réponse est la plus vraisemblable. Ce serait là dans ce cas la première fois que nous verrions figurer dans l’histoire le Pentateuque, et ce serait par conséquent le terme au-delà duquel on ne pourrait descendre pour en fixer la rédaction finale.

II. La vérité du contenu

Pour se faire, une juste idée du mosaïsme et l’apprécier à son exacte valeur, il faut le mettre en relation avec l’émigration d’Abraham, d’une part, et, de l’autre, avec le travail des prophètes et le terme de toute cette histoire, l’apparition de Jésus.

L’émigration d’Abraham a séparé sa famille de toutes les autres branches de sa tribu et a commencé à lui donner le caractère spécial qu’elle a revêtu. L’œuvre de Moïse a consisté à imprimer à cette famille, devenue un peuple, le sceau de la sainteté (comparativement aux autres peuples) qui est résulté de l’établissement dans son sein d’un culte pur et d’une loi dont toutes les prescriptions respirent l’amour du bien. Après cela sont venus les prophètes qui ont repris, continué et affermi cette œuvre de consécration, en cherchant à faire pénétrer dans les cœurs l’esprit de ce culte et de cette loi ; et cette préparation morale a enfin abouti à l’accomplissement du salut par Jésus-Christ.

Cette succession de phases organiquement liées révèle un plan supérieur qui a présidé à cette histoire unique. On voit l’exécution de ce plan se dérouler d’une manière ferme et continue depuis son point de départ, la migration d’Abraham de Mésopotamie en Canaan, jusqu’à son terme voulu et annoncé à t’avance, l’apparition de Jésus-Christ et la fondation d’un règne divin qui doit embrasser graduellement toute l’humanité.

De la nature parfaite du fruit on peut conclure rétroactivement à l’excellence native de l’arbre qui l’a porté.

1. Le fait central du mosaïsme : le monothéisme israélite

Beaucoup de savants se représentent le monothéisme, par lequel Israël est devenu la lumière des Gentils, comme le résultat d’un développement spontané qui, après avoir commencé par le fétichisme commun à tous les peuples primitifs, et avoir passé par le polythéisme, qui aurait été encore la religion d’Abraham et celle du peuple au temps de Moïse, aurait enfin abouti à son plein épanouissement à l’époque des prophètes et par leur travail. On allègue, en preuve du fait qu’au temps de Moïse et des Juges Israël était encore sous le joug du polythéisme, le culte du veau d’or au désert ; le témoignage d’Amos qui reproche (5.26) aux Israélites d’avoir porté dans le désert le temple de leurs faux dieux Siccouth et Kijoun (Remphan), divinités égyptiennes ou asiatiques ; les cornes qui ornaient les quatre coins de l’autel et qui rappellent l’adoration du taureau ; ces mots du premier commandement : « Tu n’auras pas d’autre Dieu devant ma face », qui signifieraient uniquement ceci : « Tu pourras bien adorer d’autres divinités, mais il ne faut pas que tu le fasses sous mes yeux et dans mon sanctuaire » ; les habitudes idolâtres du peuple durant les époques des Juges et même des Rois, et enfin ce qui est raconté du roi Ézéchias (2 Rois 18.4), « qu’il mit en pièces les statues, coupa les bocages et brisa le serpent d’airain que Moïse avait fait et auquel les fils d’Israël faisaient des encensements jusqu’à ce jour-là ».

Il est bien certain que si l’on veut taxer le mosaïsme d’après l’état religieux du peuple à cette époque, on pourra ne pas le trouver de beaucoup supérieur l’idolâtrie régnante. Mais le mosaïsme qui mérite ce nom n’a pas été l’expression de l’état du peuple ; il a formulé une conception pure au niveau de laquelle le peuple élu devait être élevé. Ce mosaïsme normal planait au-dessus des habitudes idolâtres avec lesquelles Israël était sorti d’Égypte, comme plane encore aujourd’hui le sermon sur la montagne au-dessus de l’état moral de la chrétienté. La prédication même des prophètes prouve l’existence de ce mosaïsme normal ; car elle suppose présente au sein du peuple la conception de Dieu si élevée, que proclament ces hommes de Dieu. Que signifieraient sans cela les reproches sévères par lesquels ils stigmatisent l’idolâtrie du peuple et le menacent, en punition de ce péché-là, des plus terribles châtiments ? Toute sentence portée, tout châtiment prononcé sur un acte repose sur une loi qui a interdit cet acte. Jamais les prophètes n’auraient pu proclamer le monothéisme ainsi qu’ils l’ont fait, comme la loi suprême de la vie Israélite, et en présenter la violation comme une cause d’exil et de destruction, si ce grand principe n’eût été primitivement posé comme la base morale de l’existence du peuple. Et c’est bien ce que nous trouvons en effet dans le Décalogue dont l’existence, comme nous le verrons, remonte à Moïse lui-même. C’est par rapport à cette norme connue de tous qu’Ésaïe criait au peuple de Juda : « À la loi, et au témoignage ! » (8.20). Le nom même de Jahvé sous lequel Dieu était invoqué en Israël depuis le temps de Moïse a un sens si absolu qu’il implique la conception du Dieu unique. Celui qui s’appelle : Je suis (Exode 3.14), est non seulement le seul Dieu, mais le seul Être réel, celui qui possède l’existence par sa propre essence. Les objections tirées de la confection du veau d’or et des cornes de l’autel, sont manifestement sans valeur ; le sens qu’on essaie de donner à l’expression devant ma face est exclu par tout le reste du Décalogue et par le Livre de l’alliance qui supposent le caractère absolu de la science, de la présence et de la sainteté divines. L’adoration du serpent d’airain au temps d’Ézéchias ne prouve en aucune façon que ce symbole ait représenté à l’origine une divinité ; c’est un abus qui s’était introduit dans le cours des temps à l’égard d’un objet antique et révéré, semblable en cela aux reliques qui encore aujourd’hui sont en tant d’endroits l’objet d’un culte superstitieux. Quant au développement prétendu du fétichisme au polythéisme, voir l’appendice 1 à la fin du chapitre 2 de Genèse.

On a proposé récemment une théorie un peu différente1. Les peuples sémitiques antérieurement à l’époque de Moïse auraient possédé déjà un monothéisme relativement pur, l’Elohisme, le culte simple du Dieu universel, du Dieu des cieux et de la terre ; ce fut une chute profonde que l’œuvre de Moïse qui à cette divinité juste et morale substitua un Dieu national, le Dieu d’Israël, Jahvé. Car Jahvé est un Dieu partial, jaloux, égoïste, personnel, avide du sang de ses ennemis, protégeant la fraude chez les siens. La révélation de ce Dieu-foudre, de ce Dieu terrible, ne fut peut-être autre chose qu’un orage violent qui éclata sur le Sinaï et dont Moïse interpréta dans son sens les affreux tonnerres. Dès ce moment Élohim devenu Jahvé n’a plus été qu’une divinité dans le genre du Camos des Moabites, du Rimmon des Syriens. Le mérite des prophètes a été de ramener le peuple, de cette divinité locale, bornée moralement et métaphysiquement, au Dieu absolu et universel qu’il avait eu le tort d’abandonner ; et c’est ainsi que Jahvé redevenu Élohim a fini par être le Dieu que le genre humain a adopté. — Mais cette caractéristique de Jahvé, du Dieu de Moïse, de Josué, de Samuel et de David, n’est pas un portrait ; c’est une caricature à l’usage des gens qui n’ouvrent point eux-mêmes leur Bible et croient sur parole le prétendu historien. Sans doute, Élohim, en choisissant Israël pour être son peuple et en se faisant son Dieu, a mis tous ses attributs au service de ce peuple. Mais ces attributs, sa sainteté, sa bonté, sa justice et sa sagesse, ils les a gardés intacts, aussi bien que sa toute-puissance et son omniprésence. Il n’a pas comme Camos, Rimmon, Baal, d’autres dieux à côté de lui ; il n’accepte aucun rival ; les dieux des nations sont néant devant lui. Il règne sur les dieux de l’Égypte comme sur ceux de Canaan. Lorsque son peuple est vaincu ou foulé par les païens qui l’entourent, ce n’est pas que les dieux de ceux-ci aient été momentanément plus forts que lui, c’est que lui-même, pour punir son peuple, l’a livré à ses ennemis. L’idéal qu’il propose à Israël n’est pas celui d’une prospérité et d’une puissance purement temporelles, c’est celui d’une sainteté semblable à la sienne : « Tu me seras un royaume de sacrificateurs, et une nation sainte » (Exode 19.6), lui dit-il ; et c’est par cette parole qu’il explique lui-même cette autre qui précède : « Tu me seras un peuple particulier d’entre tous les peuples » (verset 5). L’élection spéciale d’Israël, c’est sa consécration à une vie sainte. Rien donc de plus injuste que de la transformer en l’autorisation de pécher impunément. Chaque Israélite est destiné à devenir moralement ce qu’est typiquement le grand sacrificateur sur le front duquel on lit cette inscription : « Sainteté à l’Éternel ». Voilà le vrai Jahvé, celui de Moïse et de David lui-même. Celui qui en doute n’a qu’à relire les Psaume 32 et 51 où le roi prophète raconte ses expériences intimes à la suite de ses crimes.

Sans doute, le monothéisme sévère et absolu qui est le caractère du vrai mosaïsme n’est pas né en un jour ; l’Écriture elle-même ne nous dit rien de semblable. Le contact immédiat avec la divinité qui, lorsque nos premiers parents furent placés sur la terre, était pour eux une nécessité, avait dû laisser dans leur souvenir et dans celui de leurs enfants une trace profonde que renouvelait sans cesse le spectacle de l’ordre admirable de la nature et, plus encore, le sentiment de la loi morale, proclamant un ordre supérieur à celui du dehors. Ces impressions succombèrent bientôt sans doute aux émotions de la vie journalière et à la préoccupation constante des souffrances ou des jouissances sensuelles. Un compromis se produisit entre ces deux courants contraires, le polythéisme. Mais une aspiration monothéiste n’en demeura pas moins au fond de la conscience humaine, et cela même chez les peuples les plus complètement livrés à l’idolâtrie polythéiste. Cette aspiration se montra surtout puissante dans la branche sémitique de l’humanité, dont Noé avait dit : « Béni soit Jahvé, le Dieu de Sem » (Genèse 9.26), spécialement dans une tribu qui, arrivée à Ur, la grande ville des Chaldéens, près du delta de l’Euphrate et du Tigre, se trouva là en contact immédiat avec la civilisation absolument idolâtre de ce peuple. On a supposé souvent que les traditions israélites sur la création, sur les patriarches antédiluviens et sur le déluge, furent des emprunts faits par la famille de Thérach et d’Abraham aux légendes chaldéennes sur les origines des choses. Ces légendes sont parvenues récemment à notre connaissance par les inscriptions cunéiformes. Nous les avons citées longuement et avons examiné déjà leur relation avec les traditions israélites consignées dans la Genèse (voir à Genèse 2.4, conclusion ; Genèse chapitre 5, conclusion, et Genèse chapitre 9, conclusion). De cet examen nous avons conclu à l’impossibilité d’expliquer la tradition purement monothéiste et profondément morale régnant au sein de la famille d’Abraham par ces légendes grotesques et entièrement polythéistes de la religion chaldéenne, dans lesquelles les dieux naissent de l’abîme aussi bien que l’univers et entrent en lutte les uns avec les autres, celui-là voulant faire périr le genre humain, celui-ci le sauver. Plutôt que de faire procéder les récits israélites si élevés et si saints de ces légendes chaldéennes qui auraient été purifiées, comme l’on prétend, « par le sobre esprit Israélite » — celui-ci n’était-il pas aussi lui-même enclin à l’idolâtrie ? — il nous a paru bien plus naturel de voir dans les narrations bibliques la tradition primitive conservée relativement pure et qui s’était profondément altérée en tombant dans le moule du polythéisme chaldéen.

Nous pensons donc que, sous l’empire de cette tradition primitive et d’une prédisposition religieuse et morale plus profonde, le sentiment de l’unité et de la sainteté de Dieu s’était maintenu dans la tribu des Thérachites plus purement que dans toute autre. Nous savons par le grand écrit élohiste que le nom communément donné à Dieu dans cette branche de l’humanité était celui d’Élohim, les puissants, nom impliquant, sans doute, l’idée d’une pluralité de forces divines, mais les ramenant à l’unité par sa construction ordinaire avec le verbe au singulier. Cette divinité d’un caractère indéfini prit un aspect plus personnel dans le nom de Schaddaï, le Puissant, que nous trouvons employé fréquemment dans l’histoire d’Abraham, en même temps que nous trouvons dans la bouche de son contemporain, du Cananéen Melchisédek, le nom d’Eliôn, le très Haut, nom qui indique, sinon l’unité, du moins la suprématie décidée d’un Dieu souverain. À côté du nom d’El (Élohim)-Schaddaï, l’écrivain jéhoviste donne à Dieu, dès le temps de nos premiers parents, le nom de Jahvé, et cela non dans son récit seulement, mais en le plaçant dans la bouche même des adorateurs de Dieu (d’Eve, Genèse 4.1 ; d’Enosch, 4.26 ; de Noé, 9.26 ; d’Abraham, 15.2 ; etc.). Ce nom fut sans doute comme celui d’Eve (la vivante) -- même étymologie que Jahvé -- l’expression de l’émotion produite par le contact immédiat avec l’Être ainsi désigné. Mais il est probable qu’il cessa bientôt d’être populaire et ne fut plus généralement employé. À l’époque de Moïse nous constatons qu’il entrait dans le nom de sa mère Jokébed qui signifie : « Jo (Jahvé) est [ma] gloire ». L’usage s’en était donc probablement maintenu comme un héritage sacré dans quelques familles, au nombre desquelles se trouvait celle de Moïse. Et quand le moment fut venu où Dieu envoya celui-ci combattre contre Pharaon et démontrer par les faits le néant des dieux des Égyptiens, ce nom presque oublié du peuple fut l’armure dont Dieu revêtit son champion. Le moment était venu où il voulait se manifester dans l’histoire, non plus seulement comme un dieu puissant et fort élevé, mais comme celui qui seul est et fait être tout ce qui est ; c’est ce que disait ce nom de Jahvé, sous lequel il voulait être désormais connu et adoré au sein de son peuple.

Ce n’est donc que graduellement que, d’après l’Écriture elle-même, s’est formée cette conception monothéiste qui a si fort élevé Israël au-dessus du niveau religieux et moral de tous les autres peuples. D’abord, le souvenir plus ou moins vague d’une divinité créatrice ; puis une pluralité de puissances invisibles au-dessus desquelles trône Schaddaï ; enfin ce Schaddaï lui-même révélé comme Jahvé, hors duquel tout est néant. Ce sont là les degrés par lesquels nous paraît avoir passé le développement religieux qui s’est accompli dans la famille de l’humanité destinée à éduquer toutes les autres (Genèse 12.3).

On objectera peut-être que par cette manière de voir nous coupons court à tout progrès nouveau depuis Moïse dans l’histoire religieuse d’Israël, puisqu’enfin aucune révélation plus élevée de l’essence divine ne saurait être donnée que celle que renferme le nom de Jahvé ; par conséquent le ministère des prophètes deviendrait inutile. Mais d’abord les prophètes eurent la tâche de faire pénétrer dans le cœur et dans la vie du peuple cette foi en Jahvé qui y rencontrait encore de si grands obstacles. Il ne s’agissait pas seulement pour eux de donner au peuple la connaissance de Dieu, il s’agissait d’une œuvre divine à accomplir dans ce peuple, de son éducation morale à consommer. Les prophètes ont montré à Israël que l’accomplissement de la loi rituelle et les observances extérieures n’étaient rien sans la disposition morale qui en fait tout le prix aux yeux de l’Éternel. En même temps ils lui on fait discerner la main et la verge de Dieu dans les circonstances douloureuses qu’il a eu à traverser, et lui ont enseigné l’usage qu’il devait faire de pareils coups. Ils ont de plus développé dans toute son ampleur l’universalisme qui existait en principe dans le monothéisme mosaïque et annoncé le royaume divin qui devait embrasser tous les peuples. Enfin au centre du tableau prophétique ils ont fait surgir la sainte image du Messie, qui devait réaliser cet avenir et ils ont ainsi préparé la révélation de Jahvé, Celui qui est, en sa qualité de Père, Celui qui est amour. C’en est assez, sans doute, pour justifier la mission des prophètes et pour écarter l’objection qu’à notre point de vue depuis Moïse l’histoire d’Israël n’aurait fait que piétiner sur place. Nous croyons au contraire que dans cette manière de voir le ministère des prophètes apparaît plus clairement que dans toute autre comme la transition de l’œuvre de Moïse celle de Jésus-Christ.

La réalité du monothéisme absolu, qui est le trait essentiel et le fait central lu mosaïsme, nous paraît ainsi démontrée.

2. La législation, en particulier

La question est de savoir dans quelle mesure nous pouvons légitimement attribuer à Moïse la législation qui est donnée comme venant de lui dans les documents qui ont concouru à la composition du Pentateuque. Elle renferme deux éléments toujours étroitement unis dans la loi elle-même, mais que nous louvons néanmoins considérer à part : les prescriptions rituelles et les commandements moraux.

a) Prescriptions rituelles

Et d’abord la distinction entre le peuple et les officiants dans le culte, et parmi ceux-ci entre les simples Lévites et les sacrificateurs. Jusqu’à Moïse, il n’y a pas trace de caste sacerdotale en Israël (voir à Exode 4.14 et 19.22-24). Ce fut Moïse qui, à la suite de la scène du veau d’or, attribua à perpétuité le sacerdoce à la tribu de Lévi. Il confia les fonctions les plus élevées de ce ministère à la famille d’Aaron. Comme la distinction de la tribu de Lévi est rapportée dans le document élohiste, on y a vu une invention d’origine sacerdotale et l’on a même révoqué en doute l’existence d’une tribu de Lévi et d’un fils de Jacob qui ait porté ce nom ; la caste lévitique n’aurait eu qu’une origine accidentelle. Mais deux faits démentent ces suppositions ; la révolte des Lévites, Koré, Dathan et Abiram, qui prétendent abolir la distinction entre simples Lévites et Aaronites, révolte à laquelle se joignirent les Rubénites qui, représentant ici le peuple entier, prétendaient abolir la distinction entre la tribu de Lévi et les autres Israélites (Nombres chapitre 16) ; puis la sentence de Jacob mourant, prononcée sur Siméon et Lévi (Genèse 49.5-7). Cette parole, en vertu de son contenu même, doit avoir été transmise traditionnellement ou par écrit, et ne peut avoir été inventée. Personne n’aurait eu l’idée de faire maudire exceptionnellement Lévi par Jacob mourant ; et personne non plus n’aurait conçu plus tard la pensée de transformer cette menace en bénédiction, en assignant à cette tribu la dignité du sacerdoce et en transformant ainsi sa dispersion en honneur pour elle-même et en moyen de grâce pour tout le peuple. Le Deutéronome, comme nous l’avons vu (18.1-8), ne nie nullement la distinction entre Lévites et sacrificateurs ; il la confirme, au contraire, aussi bien que la distinction entre l’ordre lévitique et les simples Israélites (Chapitre 10). On a objecté l’histoire subséquente qui semble prouver que chacun avait le droit de sacrifier (Gédéon, Mica, Samuel, etc.). Nous renvoyons pour l’étude de tous ces cas aux passages qui les concernent. Nous faisons seulement observer ici qu’aucun d’entre eux ne porte sur le culte offert dans le sanctuaire et qui reste toujours réservé aux seuls sacrificateurs.

La construction du Tabernacle. On prétend que le séjour au désert ne comportait pas la confection d’une pareille œuvre, et que ce doit être là une invention de l’auteur du code sacerdotal transportant aux origines du peuple ce fait d’un sanctuaire central qui ne s’est réalisé que par le temple de Salomon. Mais comment n’aurait-il pas existé dans le camp un lieu central d’adoration ? Dans les autres documents aussi, il est parlé d’une Tente d’assignation qui, à l’occasion d’un péché du peuple, fut transportée momentanément hors du camp ; voir à Exode 33.7-11. Ce fut ce sanctuaire primitif qui fut remplacé par un plus parfait. Nous avons constaté que cette construction au désert ne présente rien d’inadmissible à la suite du séjour des Hébreux en Égypte, durant lequel ils s’étaient approprié les arts égyptiens et d’où ils avaient emporté de grandes richesses. Ce tabernacle fut tellement envisagé comme le centre religieux de la vie nationale que les deux tribus et demie qui devaient habiter à l’orient du Jourdain, avant de repasser ce fleuve à la suite de la conquête de Canaan, élevèrent un monument destiné à constater la part légitime qu’elles ne cesseraient d’avoir au culte célébré dans ce sanctuaire (Josué 22). Ce fait ne serait-il donc qu’une invention de l’auteur du document sacerdotal ? Après la conquête, nous trouvons ce Tabernacle résidant à Silo, puis à Nob et à Gabaon, et quand, plus tard, David se propose d’élever une demeure à l’Éternel, celui-ci lui répond, par la bouche de Nathan, 2 Samuel 7.6-7 : « Depuis que j’ai fait monter les fils d’Israël hors d’Égypte jusqu’à ce jour, j’ai marché ça et là dans un tabernacle, et n’ai parlé à aucune des tribus d’Israël en disant : Pourquoi ne m’avez-vous pas bâti une maison ? » De tous ces faits il ressort que la construction du sanctuaire au désert est un fait parfaitement historique.

L’établissement d’Aaron comme souverain sacrificateur. On nie ce fait par la raison que l’histoire ne parle d’aucun personnage revêtant une semblable charge jusqu’à Hilkija, sous Josias. Mais d’abord il s’entend de soi-même que l’administration du culte du sanctuaire central ne pouvait se passer d’un chef. Puis nous connaissons dans tous les temps les noms d’hommes qui ont occupé une pareille position :

  • Eléazar, fils d’Aaron : Deutéronome 10.6
  • Phinées, son fils : Nombres 31.6 et Juges 20.27-28
  • Éli à Silo : 1 Samuel 2.11, et cela comme descendant d’Aaron (verset 27)
  • Achimélec, à Nob : 1 Samuel chapitre 22
  • Abiathar, puis Tsadok, sous Salomon : 1 Rois 2.35
  • Jéhojada, sous Joas : 2 Rois chapitre 11
  • Urie, sous Achaz : 2 Rois 16.10
  • Hilkija, sous Josias : 2 Rois chapitre 22

Sans doute, le titre de grand ou souverain sacrificateur ne reparaît dans les autres livres historiques que dans le cas d’Hilkija. Mais lorsque Éli, Jéhojada et d’autres sont appelés le sacrificateur, ce terme signifie évidemment le sacrificateur par excellence et équivaut, par conséquent, au titre de souverain sacrificateur. Du reste, il est naturel que, les fonctions de ce personnage n’ayant rien de politique et restant bornées au service du sanctuaire, il ne soit pas fait mention fréquemment de lui dans l’histoire.

Les sacrifices. Ces actes étaient la partie essentielle du culte rituel. Quant aux holocaustes et aux sacrifices d’actions de grâces, suivis des repas sacrés, c’étaient là des usages beaucoup plus anciens que Moïse ; il a dû se borner à réglementer d’une manière plus précise. Le tableau de la conduite des fils d’Éli (1 Samuel 2.12-17) montre combien la coutume, écrite ou non écrite, était déjà fixée jusque dans de très petits détails au temps des Juges. À l’égard des sacrifices pour le péché et de ceux de réparation qui accompagnaient ordinairement les premiers, on a prétendu qu’ils ne dataient que du retour l’exil. Mais déjà dans 2 Rois 12.16, il est fait : positivement mention du sacrifice pour le péché, et Osée 4.8 renferme certainement une allusion à ce genre de sacrifice. Or qui, depuis Moïse, aurait eu l’autorité nécessaire pour introduire dans le culte et dans la vie du peuple un élément aussi important ?

En général, tout le culte rituel israélite, tel qu’il est prescrit Lévitique chapitres 1 à 7, est un fait dont l’existence est confirmée par les reproches fréquents des prophètes qui accusent le peuple d’y mettre sa confiance et de s’en faire un oreiller de sécurité et un mérite (comparez Ésaïe chapitre 1 ; Psaume 50, etc., etc.). La parole de Jérémie 7.21-22, qu’on avance si souvent pour prouver qu’il n’existait aucune prescription rituelle due à Moïse, est tout au contraire une protestation pleine d’ironie contre la valeur excessive attribuée à ce service extérieur par lequel on espérait couvrir aux yeux de Dieu les déficits de l’obéissance morale.

Le jour des Expiations. On prétend faire également de cette grande solennité (Lévitique chapitre 16) une institution du judaïsme postérieur à l’exil, par la raison qu’il n’en n’est point fait mention dans toute l’histoire précédente, ni même au temps d’Esdras. Mais en étudiant l’ordonnance relative à cette solennité, nous avons remarqué qu’elle porte précisément le cachet de la plus haute antiquité et reflète plus qu’aucune autre la couleur de la vie du désert. Le silence de l’histoire ne peut, en ce cas, rien prouver ; car pour qu’une telle fête fût mentionnée, il faudrait qu’à un moment quelconque elle eut joué un rôle dans la marche des choses, ce qui n’a jamais eu lieu. Enfin, on ne peut méconnaître la mention qu’en fait Ézéchiel 45.18-20, tout en apportant quelque modification au mode de sa célébration.

Le sabbat. Cette fête était antérieure à Moïse, qui lui a simplement donné une sanction nouvelle et une plus ferme réglementation. Les Assyriens et les Babyloniens célébraient aussi le septième jour, ce qui démontre l’ancienneté la tradition sur laquelle repose cet usage. Mais ils lui donnaient une tout autre signification ; ils envisageaient le septième jour comme un jour néfaste dans lequel il ne fallait rien entreprendre. Ce contraste suffit à prouver l’indépendance de la tradition juive.

L’année sabbatique et le jubilé. Ces deux institutions ne sont, comme on l’a bien dit, que les prolongements logiques de celle du sabbat. La première mentionnée déjà dans le Livre de l’alliance ; elle l’est également dans le document élohiste. L’histoire, il est vrai, ne parle pas de sa célébration jusqu’à l’exil. Mais l’explication que donne l’auteur du livre des Chroniques du châtiment de l’exil comme conséquence de l’inobservation de celte loi (2 Chroniques 36.21), en implique l’existence et l’antiquité reconnue, en même temps qu’elle suppose la négligence de son exécution dans les temps qui ont précédé la captivité. Quant à la loi du jubilé, l’histoire ne nous offrant également aucune trace de son exécution, on en a conclu que ce n’était autre chose qu’un bel idéal que le code sacerdotal s’était plu à tracer après la captivité. Cependant le passage Ésaïe 61.1 et suivants fait très positivement de cette solennité le type du salut messianique, ce qui rend fort douteuse l’inexécution complète de cette loi et confirme en tout cas l’existence de l’ordonnance qui l’instituait (Lévitique chapitre 25). Il en est de même des passages d’Ézéchiel 7.12-13 et 46.16-18, où le prophète rappelle aussi cette institution, tout en la modifiant comme il le fait à l’égard de tout le cérémonial israélite qui lui sert de point de départ dans son tableau des chapitres 40 à 48. Au reste l’histoire ne fait pas plus mention de cette solennité après le retour de la captivité qu’avant l’exil. Si ce silence ne peut rien prouver contre l’existence de cette ordonnance après cette époque, il ne peut rien prouver non plus contre son existence avant ce moment ; et en admettant même que la loi du jubilé ne fût qu’un tableau idéal de restauration périodique, elle se conçoit encore mieux, comme simple programme, dans la bouche de l’organisateur primitif qu’à un autre moment quelconque du développement historique.

Les nouvelles lunes. La coutume de célébrer ce jour était antérieure à Moïse. Son maintien par le législateur ressort de la mention fréquente qui en est faite dans les prophètes.

Au sujet des dîmes et des fêtes, nous n’avons rien à ajouter à ce qui a été dit Deutéronome 12.6, note, et dans les passages qui se rapportent à ces dernières. Lévitique chapitre 23, Nombres chapitres 28 et 29, et Deutéronome chapitre 16.

De cette revue rapide, il nous paraît ressortir, avec une clarté suffisante, que tous les éléments essentiels du culte israélite datent bien de la législation mosaïque.

b) La loi morale et civile.

Les prophètes ont entouré cette partie de la législation nationale d’un respect infiniment plus profond que celui qu’ils accordaient à la loi cérémoniale, à tel point que nous voyons Ésaïe et Jérémie traiter celle-ci comme n’ayant aucune valeur en comparaison de celle-là et comme n’existant, pour ainsi dire, qu’en vue d’elle. Le point central de cette loi, c’est le Décalogue. Il est présenté comme prononcé sur le Sinaï de la bouche même de Dieu et comme écrit de sa propre main. Tous les documents sont d’accord sur ce point, non seulement le second élohiste, duquel paraît avoir été tiré le récit de la proclamation de la loi Exode chapitre 20, ainsi que le Deutéronome (voir au chapitre 5), mais encore le document sacerdotal, qui parle du témoignage, c’est-à-dire des deux tables de pierre que Moïse doit placer dans l’arche (Exode 25.16), et le Jéhoviste, auquel est emprunté en partie le récit de la scène du veau d’or, qui ne pouvait guère être séparé de celui du don des tables de la loi. Cet accord de la tradition prouve que nous sommes en face d’une donnée admise par tout Israël. Cette tradition est confirmée par le récit 1 Rois 8.9, d’après lequel, lorsque arche fut transportée dans le temple de Salomon, « il ne s’y trouva, est-il dit, que les deux tables de pierre que Moïse y avait mises en Horeb ». Le code le plus antique est certainement le Livre de l’alliance dont la rédaction est expressément attribuée à Moïse (Exode chapitre 24) et qui porte en lui-même les traces de la plus haute antiquité (voir l’explication). Il contient également les principes essentiels de l’organisation civile. Quant au reste de la législation, nous nous bornerons à dire ici que, le Livre de l’alliance excepté, il nous paraît bien difficile de faire sûrement le départ entre ce qui a été rédigé du temps de Moïse, soit comme produit de la coutume, soit comme innovation, ce qui a été conservé pendant un temps plus ou moins long sous forme de tradition orale et n’a été consigné qu’à une époque plus ou moins tardive, et les développements ajoutés ultérieurement à la législation primitive.

Nous demandons seulement que l’on ne prétende pas voir des signes d’origine postérieure dans les termes de champ, de maison, de bornes, qui se trouvent dans certaines lois du Pentateuque. Elles se rapportent assurément à l’état stable du peuple en Canaan. Mais cet état était prévu par le législateur. Canaan était la Terre promise. Encore à Sinaï nul, ni le peuple, ni Moïse lui-même, ne songeait à un séjour prolongé dans le désert. On avait en perspective l’entrée immédiate dans le pays où avaient vécu les patriarches. Les quarante ans du désert ont été un épisode inattendu. Rien n’empêche donc qu’à Sinaï même le législateur ne publiât la loi sous la forme sous laquelle Israël allait être appelé à la réaliser.

3. Les faits de l’histoire

La réalité des deux grands faits de l’histoire mosaïque, le monothéisme et la législation, nous paraît suffisamment garantie par les remarques qui précèdent. Nous croyons pouvoir renvoyer, pour les faits de détail, à l’explication suivie que nous en avons donnée. Nous relevons seulement trois objections générales auxquelles nous désirons répondre rapidement.

  1. Un étonnant orgueil de race, dit-on, est devenu le mobile fondamental de l’histoire d’Israël ; il la rend suspecte tout entière.
  2. Il y a, dit-on encore, des contradictions manifestes entre les documents, qui percent à travers le récit du rédacteur définitif.
  3. Enfin, plusieurs se heurtent au côté miraculeux de certains faits qui leur donne un caractère légendaire.

1.

Sur le premier point nous répondons qu’il est bien surprenant de voir attribuer aux inspirations de l’amour-propre national une histoire qui tout entière n’est que la condamnation humiliante du caractère incurablement pervers et rebelle du peuple qui en fait le sujet. Sans doute Israël est présenté comme le peuple choisi par l’Éternel ; mais bien loin que ce choix soit motivé par les mérites, les qualités et la moralité supérieure de la nation, il est présenté au contraire comme une faveur absolument gratuite et imméritée, accordée à un peuple petit et de col roide entre tous les autres. Tôt après la délivrance d’Égypte commencent les murmures et les révoltes. Au pied même du Sinaï, Israël dresse le veau d’or et s’attire un sanglant châtiment. Bientôt après a lieu la révolte de Kadès, pour laquelle un séjour de quarante ans au désert lui est infligé et la peine de mort prononcée sur toute la génération adulte sortie d’Égypte. Durant le reste du séjour au désert les révoltes continuent ; elles atteignent l’ordre sacerdotal (Koré, Dathan et Abiram), envahissent même Aaron et Marie, frère et sœur de Moïse, et finissent par entraîner jusqu’au libérateur et chef du peuple, Moïse, qui se voit finalement privé, ainsi que le grand sacrificateur Aaron, du bonheur de fouler de ses pieds la Terre promise. En vérité, ce serait une étrange inspiration de l’amour-propre national que l’invention d’une telle histoire. Tout homme de bonne foi ne sentira-t-il pas qu’elle n’a pu être racontée dans aucun autre sentiment que celui du plus profond respect et du plus sincère amour de la vérité ? Telle qu’elle est là, il nous est impossible d’y voir autre chose que l’hommage le plus humble et le plus éclatant rendu à la sainteté, à la sagesse, à la puissance et à la compassion persévérante de Dieu.

2.

La différence entre les documents dont s’est servi le rédacteur ne paraît pas avoir été jusqu’à présenter à ses yeux des contradictions inconciliables puisqu’il a cru pouvoir les réunir en une narration unique. Différence n’est pas contradiction. Deux narrations du même fait peuvent le retracer à des points de vue et avec des détails différents, sans devoir être taxées pour cela de fausses ou d’inconciliables. Les tribus Israélites vivaient séparées, chacune pour soi, dans son territoire particulier ; elles conservaient indépendamment l’une de l’autre les trésors de leurs antiques traditions. Quand ces traditions furent consignées, il n’est pas étonnant qu’elles renfermassent certaines variantes ; nous remarquons le même contraste relatif entre les récits évangéliques qu’avait transmis pendant un certain temps la tradition orale. La narration éphraïmite pouvait renfermer des détails qui s’étaient perdus dans la judéenne, ou l’inverse. Bien loin que les différences que nous constatons entre les documents où furent consignées ces diverses traditions doivent ébranler notre confiance, elles la fortifient au contraire, quand nous retrouvons si évidemment un même fond commun dans ces traditions indépendantes les unes des autres. Peut-être nos lecteurs auront-ils trouvé parfois un peu artificielles les solutions que nous avons essayé de donner de certaines contradictions apparentes. Nous avons cru devoir faire en ce sens ce qui était en notre pouvoir, mais la créance à accorder à l’ensemble de l’histoire ne saurait dépendre de la vérité de ces solutions particulières que nous avons proposées.

3.

Le caractère miraculeux d’un certain nombre de faits racontés dans le Pentateuque ne doit pas non plus ébranler notre foi à la réalité de ces faits. Constatons d’abord que ces miracles sont le plus souvent liés à des manifestations, blâmables et blâmées, de l’incrédulité et de l’infidélité soit de la nation, soit de ses chefs, ce qui doit écarter tout soupçon d’invention arbitraire. Ainsi les prodiges qui ont accompagné la vocation de Moïse et qui n’ont surmonté qu’après de longues résistances son incrédulité ; ainsi le miracle du serpent d’airain, provoqué par les criminels murmures du peuple, etc. En second lieu, nous devons rappeler que l’action divine en relation avec l’être libre doit suivre d’autres lois que cette même action dans sa relation avec la nature. Ici elle peut se borner à maintenir la régularité du cours des choses ; là elle doit se proposer de réaliser une œuvre d’éducation morale, d’opérer un progrès, d’accomplir une restauration. Une différence de procédés et de méthodes lui est ainsi commandée par la nature absolument différente des deux tâches ; et l’erreur de l’application du principe darwinien, dans l’histoire de la nature, à l’histoire de l’humanité est de confondre ces deux domaines si différents. Du reste il est faux de prétendre que plus on remonte vers l’origine de l’histoire biblique, plus le miracle y abonde, tandis qu’il diminue à mesure qu’on se rapproche des temps historiques. Nous avons vu dans l’Introduction au Pentateuque, que c’est le contraire qui est vrai. Les théophanies exceptées, qui sont des prodiges d’un genre tout particulier, nous ne rencontrons pas un miracle proprement dit pendant les 2500 ans qui se sont écoulés depuis Adam jusqu’à Moïse. La naissance même d’Isaac n’est point un fait miraculeux dans le sens où l’est celle de Jésus ; les facteurs naturels du déluge sont expressément indiqués. Ces temps, que l’on se plaît à appeler légendaires, sont vides de tous prodiges opérés dans la nature, comme il en est tant raconté plus tard. L’ère de ce genre de prodiges commence avec Moïse seulement. Les miracles qu’il accomplit sur l’ordre de Dieu sont comme une illustration de ce nom de Jahvé, l’Être absolu entre les mains duquel tout autre être n’est qu’un docile instrument, à cette première période de miracles, réclamée par la fondation du règne de Dieu, en succède (après un long intervalle dans lequel rentrent les règnes destitués de miracles de David et de Salomon) une seconde, celle d’Élie et d’Élisée, qui a pour but la conservation du monothéisme au sein du royaume des dix tribus. Elle est de nouveau séparée par un intervalle semblable d’une troisième, celle Daniel, qui ouvre le monde païen à la propagation du monothéisme israélite. Enfin, au terme de cette histoire se trouve une quatrième période, plus riche de toutes en faits surnaturels, celle de Jésus et des apôtres, qui, tout en consommant l’ancienne alliance, fonde la nouvelle. Nous constatons ainsi, d’une part, que bien loin d’aller en diminuant, le pouvoir miraculeux n’a commencé que tardivement et s’accentue toujours plus, et, d’autre part, que cette manifestation de la toute-puissance divine s’est constamment adaptée aux grandes phases de l’œuvre morale du salut. Cette relation ôte à l’action miraculeuse ce qu’elle a au premier coup d’œil d’arbitraire et de mythique et la fait rentrer dans un enchaînement spirituel, intelligible et préconçu.

Les objections élevées contre la vérité de l’histoire du Pentateuque ne peuvent donc ébranler notre confiance dans la réalité des faits qui sont racontés dans ce livre unique. Sans doute, nous ne pouvons pas citer beaucoup de coïncidences entre ces faits et ceux de l’histoire profane connue d’ailleurs.

Mais elles peuvent se multiplier par de nouvelles découvertes semblables à celle qui a récemment confirmé le récit du quatorzième chapitre de la Genèse. Les inscriptions cunéiformes nous ont fait connaître en effet l’antique suprématie d’une monarchie élamite et d’une dynastie du nom de Kudur, qui s’accorde absolument avec le récit de l’expédition des rois d’Orient renfermé dans ce chapitre et qui confirme par là indirectement le rôle d’Abraham dans cette circonstance. Les relations avec l’Égypte fournissent aussi certains points de contact, par exemple : la construction des villes frontières de Pithom et de Ramsès.

Mais, comme nous l’avons dit, la meilleure garantie de la vérité de l’histoire biblique se trouve dans ce fait que d’un bout à l’autre l’intérêt qui la domine, c’est celui de la gloire de Dieu. Pour en défendre la vérité, nous n’avons pas voulu, il est vrai, en appeler au fait de l’inspiration. Nous avons voulu nous tenir sur le terrain simplement historique. Mais l’esprit d’humilité, d’abnégation, de zèle pour la cause de Dieu, de dévouement à son honneur et, par conséquent, de sincérité et de bonne foi qui anime un récit, est aussi un élément historique dont il est légitime de tenir compte. C’est ce qu’a exprimé Jésus quand il a prononcé cette parole qui peut être envisagée comme l’épigraphe normale de toute la Bible et tout particulièrement du Pentateuque : « Celui qui parle de son chef, cherche sa propre gloire ; mais celui qui cherche la gloire de Celui qui l’a envoyé, celui-là est digne de foi » (Jean 7.18).