Depuis Origène (env. 185-254), un des Pères de l’Église, la dénomination « épîtres catholiques » est utilisée pour sept livres du Nouveau Testament : l’épître de Jacques, les deux épîtres de Pierre, les trois de Jean et celle de Jude. L’expression choisie signifie que les épîtres en question ne concernent pas une église ou des croyants déterminés, ni une personne particulière, mais qu’elles sont adressées aux croyants en général (catholique = « universel »). Une telle désignation n’est cependant pas tout à fait justifiée. En effet, nous trouvons des « adresses » précises pour l’épître de Jacques, la première épître de Pierre et les deuxième et troisième épîtres de Jean.
L’épître de Jacques commence de la manière suivante : « Jacques, esclave de Dieu et du Seigneur Jésus Christ, aux douze tribus qui sont dans la dispersion, salut ! » Beaucoup d’explications ont été données pour tenter de clarifier l’expression « douze tribus ». Certains exégètes pensent qu’elle recouvre tout le peuple d’Israël ; pour d’autres commentateurs, la formule concerne toute la chrétienté, vue en tant qu’« Israël spirituel ». Remarquons toutefois qu’un document au contenu strictement judéo-israélite n’aurait pas eu sa place dans le canon du Nouveau Testament ; d’autre part, la présence de liens si étroits avec le judaïsme indique que la lettre n’a pas été adressée aux chrétiens en général, mais à certains d’entre eux : effectivement, vers la fin des temps apostoliques déjà, la plupart des croyants sortaient du paganisme. Au chap. 2, verset 2, la synagogue est reconnue comme lieu de rassemblement, et nous trouvons de nombreuses références à la loi (chap. 2.9 ; 4.11). L’auteur appelle Abraham « notre père » (chap. 2.21). Comment expliquer tout cela ?
Au commencement du livre des Actes des apôtres, le lecteur découvre un tableau des premiers temps de l’Église, quand celle-ci n’était constituée encore que de Juifs (Actes 2 à 8 ; 11.19). Il apparaît que ces chrétiens issus de milieux judaïques ne s’étaient pas d’emblée séparés radicalement de leurs compatriotes incrédules ; les rencontres se déroulaient dans les synagogues et la loi était toujours observée (comp. Actes 15.1, 5 ; 21.20). L’épître de Jacques est adressée à ce groupement encore mélangé de Judéo-chrétiens et de Juifs. Quand Jacques écrit « frères » (par ex. chap. 1.2 ; 2.1 ; 3.1 ; 4.11 ; 5.7), il pense aux croyants parmi eux, à ceux qui possèdent la foi de notre Seigneur Jésus Christ, Seigneur de gloire. Mais lorsqu’il mentionne les « pécheurs » (chap. 4.8) et les « riches » (chap. 2.5, 6 ; 5.1), ces allusions concernent des Israélites incrédules.
En écrivant « aux douze tribus qui sont dans la dispersion », l’auteur de cette épître considère l’ensemble des Israélites, croyants ou incrédules. Lors du retour de la captivité babylonienne sous la direction de Zorobabel, Esdras et Néhémie, une grande partie du peuple d’Israël n’était pas rentrée en Palestine, mais s’était répandue dans le monde entier. Pourtant, la pensée de l’ensemble des douze tribus du peuple terrestre de Dieu est toujours demeurée vivante parmi les Israélites pieux, même après la division du royaume sous Roboam. Le prophète Elie éleva un autel avec douze pierres « selon le nombre des tribus des fils de Jacob » (1 Rois 18.31). Daniel pria pour « tout Israël » : son intercession ne concernait pas seulement Juda (Dan. 9.7) ; Esdras offrit douze boucs comme sacrifice pour le péché, « selon le nombre des tribus d’Israël » (Esdras 6.17); Paul enfin, évoquant Israël devant le roi Agrippa, mentionne « nos douze tribus » (Actes 26.7). Jacques, lui aussi, considère le peuple de la même façon que Dieu. D’autres auteurs, en revanche, tels que celui de l’épître aux Hébreux et Pierre dans sa première épître, s’adressent aux seuls Juifs qui ont reçu le Seigneur Jésus par la foi. Ceux-ci appartiennent, par conséquent, au résidu croyant « selon l’élection de la grâce » (Rom. 11.5) de la période actuelle.
L’identité de Jacques a fait l’objet de diverses suppositions au cours des siècles. Plusieurs commentateurs ont suggéré que Jacques serait un pseudonyme utilisé par un rédacteur qui aurait vécu après l’époque présumée de composition de la lettre. D’autres voient dans ce nom une allusion allégorique à Jacob, le patriarche d’Israël, écrivant à ses fils, les douze tribus. D’aucuns veulent voir en Jacques l’apôtre, le frère de Jean et le fils de Zébédée ; cependant, il est mort relativement tôt comme martyr (Actes 12.2). Certains ont encore pensé à Jacques, le fils d’Alphée. Mais cet homme est cité en dernier lieu en Actes 1.13. Quant au Jacques mentionné en Luc 6.15 et Actes 1.13, nous ne savons pratiquement rien de lui.
Parmi les quatre personnes nommées Jacques dans le Nouveau Testament, beaucoup d’érudits désignent le frère du Seigneur comme l’auteur le plus probable de l’épître (comp. Marc 6.3). Incrédules au début, Jacques, Joses, Simon et Jude figurent au nombre de ceux qui crurent au Seigneur après sa résurrection (Jean 7.3-5 ; Actes 1.14 ; 1 Cor. 15.7). Lorsque Paul monta pour la première fois à Jérusalem, il ne vit aucun des apôtres, « sinon Jacques le frère du Seigneur » (Gal. 1.19). Après la mort de l’apôtre Jacques, on voit son homonyme, le frère de Jésus, occuper une position particulière parmi les croyants à Jérusalem : les paroles de Pierre en Actes 12.17 le confirment. En Galates 2.9, Paul nomme Jacques avec Pierre et Jean. L’apôtre parle des trois hommes comme étant des colonnes de l’assemblée. La position prépondérante de Jacques est encore constatée en Actes 15.13 et 21.18.
Comme son frère Jude, auteur de l’épître du même nom, Jacques fait montre d’une grande humilité. Il ne se nomme pas ici frère, mais esclave du Seigneur Jésus Christ (Jacq. 1.1).
Selon Josèphe (env. 37-100), Jacques serait mort en martyr vers 62/63 (en 66 selon Hegesippus qui vécut au 2e siècle). Ces dates permettent de fixer approximativement la période la plus tardive de rédaction de cette épître. D’un autre côté, le contenu de la lettre dénote un état particulier des assemblées en Judée et à Jérusalem. Une telle situation avait déjà été évoquée au début des Actes des apôtres. Nous ne trouvons aucun propos sur les grandes doctrines chrétiennes, proclamées avant tout par Paul, soit la position des croyants en Christ, les bénédictions et les devoirs de l’assemblée, et le glorieux avenir dans l’éternité. Cela pourrait indiquer que l’épître a été rédigée très tôt. Ne suivant pas les avis de Josèphe et Hegesippus, de nombreux érudits situent la date de rédaction aux alentours de 45. Une précision chronologique plus grande n’est guère possible. On ne peut cependant pas exclure que l’épître de Jacques soit l’écrit le plus ancien du Nouveau Testament.
On connaît bien le jugement négatif porté sur l’épître de Jacques par Luther. Il qualifiait le texte d’« épître de paille ». Erasme, le grand humaniste, donne aussi une appréciation plutôt défavorable relativement à cet écrit. Le principal argument invoqué par Luther est la contradiction apparente qui existe entre la doctrine de la justification dont parle Jacques et l’enseignement de Paul, si fondamental aux yeux du réformateur (comp. Jacq. 2.21 avec Rom. 3.28).
Déjà historiquement, il a fallu longtemps pour que cette épître soit reconnue d’une façon générale. Cette réticence s’explique sans doute par le fait que l’auteur n’était pas un apôtre et que le texte comporte des traits en partie judaïques.
On a retrouvé les premières traces certaines de cette lettre dans la partie orientale de l’Empire romain, en Égypte et en Palestine. De tels vestiges datent approximativement de l’an 200. Le Père de l’Église Origène (env. 185-254) et Eusèbe (env. 263-339) citent le document. En revanche, il manque dans le canon de Muratori, cette liste partiellement conservée des livres du Nouveau Testament, qui fut établie vers la fin du 2e siècle.
Au synode de Laodicée (vers 360), les églises orientales reconnurent l’appartenance de l’épître de Jacques au canon des Saintes Ecritures. En Occident, cette reconnaissance fut entérinée pendant les célèbres synodes de Rome (382), Hippone (393) et Carthage (397). A ces occasions, les participants admirent l’inspiration des écrits du Nouveau Testament par le Saint Esprit. On voulait alors contrer les fausses doctrines, qui étaient toujours plus largement répandues.
L’épître de Jacques est adressée à des Israélites qui avaient cru au Seigneur Jésus et à d’autres personnes dont la foi n’avait pas encore été manifestée une telle situation, en Palestine principalement, était typique des premiers temps de l’église chrétienne. De même que, dans l’Ancien Testament, le livre de Jonas représente une exception, en ce que le message du prophète est destiné à des païens, l’épître que nous étudions ici a aussi un caractère exceptionnel : Dieu, dans sa grâce, s’adresse à son peuple terrestre, Israël.
A la différence de la plupart des épîtres du Nouveau Testament, celle de Jacques n’offre pas un plan logique bien structuré. Le lecteur trouve beaucoup d’exhortations différentes (54 des 108 versets sont présentés à la forme impérative). Elles ont pour objet un comportement juste dans les épreuves de la foi, lorsqu’il s’agit de parler, dans les relations avec son prochain ou avec le monde, et dans les souffrances. La foi (mentionnée 16 fois) et les œuvres (15 fois) constituent en quelque sorte le fil conducteur qui traverse toute l’épître.
Par ce changement continuel de sujets, l’épître de Jacques fait un peu penser aux livres de l’Ecclésiaste et des Proverbes dans l’Ancien Testament, ou encore à ce qu’on appelle le Sermon sur la montagne en Matthieu 5 à 7.
Présente dans la plupart des autres épîtres, celles de Paul en particulier, la base doctrinale n’est en revanche pas abordée dans l’épître de Jacques. Ainsi, on ne trouve aucun élément concernant l’œuvre expiatoire de Christ, la position des chrétiens devant Dieu, la doctrine de l’assemblée de Dieu, le corps de Christ. Pourtant, la vérité chrétienne sert de fondement à l’épître : Dieu en tant que Père, Fils et Saint Esprit s’est révélé (chap. 1.1, 27 ; 2.19 ; 4.5) ; par la parole de Dieu, le nouvel homme a été engendré (chap. 1.18) ; Jésus Christ est notre Seigneur (chap. 1.1), celui en qui nous croyons (chap. 2.1), et sa venue est proche (chap. 5.7, 8). De même, le croyant sait que le Saint Esprit demeure en lui (chap. 4.5).
Jacques parle peu du Seigneur Jésus. Il ne mentionne que deux fois Son nom (chap. 1.1 ; 2.1). Mais on peut dire que Jacques parle souvent comme le Seigneur. Les ressemblances qui existent entre le texte de l’épître et le Sermon sur la montagne ont déjà été relevées. Dans ses discours aussi, le Seigneur s’adressait souvent à un auditoire mélangé de Juifs croyants et incrédules ; il exposait devant eux quel devait être le contenu d’une foi pratique. L’épître de Jacques a donc une portée très concrète et le lecteur trouve des exhortations à vivre une vie de foi dans la pensée de Christ. Une telle vie est caractérisée par les bonnes oeuvres. En ce sens, Jacques ne contredit pas Paul, mais complète les écrits de l’apôtre.
Une contradiction apparente existe entre la « doctrine de la justification » telle que Jacques la décrit et l’exposé de Paul contenu dans les épîtres aux Romains et aux Galates. Martin Luther en particulier a rencontré beaucoup de difficultés à cet égard. Lorsque Paul parle de la justification par la foi en Romains 3.28 ; 5.1 et en Galates 2.16, il se réfère à la relation de l’homme avec Dieu. Personne ne peut être justifié devant Dieu par des bonnes œuvres ou des œuvres de loi. Pécheur, l’homme ne peut accomplir aucune bonne œuvre devant Dieu. La foi au Seigneur Jésus constitue l’unique chemin de la justification devant Dieu. Cette justification correspond à une déclaration de justice de la part de Dieu.
En présentant la justification par les œuvres, Jacques examine un tout autre aspect (chap. 2.21, 24). Il ne considère pas le pécheur, mais le croyant ; sous ce rapport, les œuvres ne sont pas des œuvres de loi, mais des actes de foi. La justification n’est pas devant Dieu, elle se trouve devant les hommes. Ces œuvres résultent de la foi. Si les vraies bonnes œuvres n’existent pas sans la foi, il n’y a pas non plus de vraie foi sans les œuvres. Paul considère notre position, Jacques, notre pratique.
Comparaisons entre l’épître de Jacques et l’évangile selon Matthieu :
Jacques | Matthieu | Jacques | Matthieu | ||||
Chapitre | 1.2 | Chapitre | 5.10-12 | Chapitre | 3.17, 18 | Chapitre | 5.9 |
1.4 | 5.48 | 4.4 | 6.24 | ||||
1.5 | 7.7 | 4.10 | 5.5 | ||||
1.6 | 21.21 | 4.11 | 7.1-5 | ||||
1.9 | 5.3 | 5.2, 3 | 6.19 | ||||
1.20 | 5.22 | 5.8 | 24.33 | ||||
1.22 | 7.21, 24 | 5.10 | 5.12 | ||||
2.8 | 22.39 | 5.12 | 5.33-37 | ||||
2.10 | 5.19 | ||||||
2.13 | 5.7 ; 6.14 + 15 | ||||||
2.14 | 7.21-23 |
I. Jacques 1.1 : | Salutation |
II. Jacques 1.2-18 : | Foi et attaques |
III. Jacques 1.19 à 2.26 : | Foi et œuvres |
IV. Jacques 3.1-18 : | Foi et paroles |
V. Jacques 4.1 à 5.6 : | Le cœur partagé |
VI. Jacques 5.7-20 : | Patience et espérance. |
Tiré de « Vue d’ensemble du Nouveau Testament »,
Arend Remmers, EBLC Chailly-Montreux Suisse.
Cette Bible est dans le domaine public.