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Millenium
Dictionnaire Biblique Westphal Bost

On donne le nom de Millénium, ou Règne de mille ans, à la période désignée dans Apocalypse 20.1 ; Apocalypse 20.6, pendant laquelle le Christ et ses saints règnent sur la terre tandis que Satan est enchaîné. Pour les millénaristes, ou chiliastes (du grec chilias = millier), cette ère de triomphe est distincte du bonheur final et en est le prélude. Un dernier effort de Satan doit se produire au terme de mille ans. Apocalypse 20.1-6 est le seul passage biblique qui désigne expressément le millénium, ce qui rend difficile son interprétation, les points de comparaison faisant défaut. Les prophètes annoncent le règne du Messie, mais ne lui assignent pas de terme ; c’est un règne éternel. Par contre, les apocalypses juives lui fixent souvent des périodes d’une durée plus ou moins longue : 40 ans, 400, 600, 1 000, 2 000, 7 000 ans. Ces chiffres n’ont pas de valeur littérale, et correspondent à des souvenirs ou à des symboles religieux. On interprète la semaine de la création en la rapprochant de Psaumes 90.4 : « Un jour est comme mille ans ». L’œuvre divine et le destin du mondé s’accomplissent en une semaine de jours de mille ans.

Le millénium sera assimilable au Sabbat divin. Avant le judaïsme, et parallèlement à lui, le mazdéisme emploie la notion de millénium dans son eschatologie, la dernière série de trois millénaires sur les neuf que dure la lutte universelle s’achève par un millénaire de paix et de bonheur, pendant lequel le Dragon est enchaîné. Il est donc remarquable que cette notion si commune n’apparaisse qu’avec tant de discrétion dans l’eschatologie johannique, et qu’elle soit absente de l’Évangile, surtout si l’on songe à la place qu’occupe dans celui-ci la prédiction du retour du Christ. Le passage n’offre d’ailleurs aucune difficulté particulière si la vision du millénium est considérée comme un détail de la grande fresque des choses finales, une des strophes imagées par lesquelles le prophète annonce le triomphe ultime du Christ, en utilisant ici et là les matériaux et les symboles familiers : les suprêmes accomplissements nous sont-ils accessibles autrement que sous la forme imagée, comme la vie céleste elle-même ? Que de fois, d’ailleurs, dans la Bible, le nombre 1 000 est employé comme le signe d’une durée indéfinie et s’applique surtout à la louange et à la gloire. Cet usage est fréquent dans les Psaumes et nulle part les chiffres n’ont un sens plus généralement symbolique que dans l’Apocalypse. C’est donc comme un lointain et lumineux symbole que la piété chrétienne, sans vouloir ni pouvoir en préciser les détails, a généralement contemplé le « Règne de mille ans », et la foi traditionnelle des églises s’exprime bien dans ces lignes des « réflexions » de la vieille Bible d’Ostervald : « Quoi que l’on ne connaisse pas bien tout ce que cette prophétie signifie, on peut en recueillir en général qu’il y aura un temps où l’Église jouira du repos, et sera plus pure et plus sainte qu’elle n’a jamais été ; et qu’alors les Saints et surtout les martyrs seront couronnés d’une gloire particulière ; ce qui arrivera sans doute lorsque, tous les peuples s’étant convertis et le règne de l’Antéchrist étant aboli, le Seigneur régnera glorieusement dans son Église » (Bible d’Ostervald, Amsterdam et Rotterdam 1724).

Sous l’influence des spéculations apocalyptiques des Juifs, divers groupes chrétiens ont cherché, dès les premiers siècles, à tirer de ce passage des précisions qu’il ne comporte pas. On a voulu, en le combinant avec d’autres prédictions, utilisées sans tenir assez de compte du contexte et des circonstances historiques, le faire entrer dans un programme détaillé et pour ainsi dire dans un calendrier des choses finales. Chaque ligne, chaque mot soulève alors des controverses impossibles à trancher, à moins que l’interprète n’ait recours à sa propre inspiration, ce qui permet à chacun de rester de son avis. Les chiliastes ont ainsi repris, de génération en génération, d’interminables controverses qui recommencent sans se renouveler.

S’agit-il d’une scène terrestre ? Il le semble. Et pourtant le prophète voit des âmes, ce qui, pour divers auteurs, indique une scène céleste, et par conséquent une description toute symbolique du règne des élus. Quels seront les privilégiés de ce règne en quelque sorte préparatoire du Règne de Christ ? Qui s’assiéra sur les trônes dont parle le verset 4 ? Il est question de ceux qui ont été décapités et de ceux qui n’ont pas pris la marque de la Bête, ce qui paraît viser les persécutés et les témoins de la période romaine. Mais les millénialistes modernes qui n’entendent point être exclus de ce triomphe en élargissent le sens et le déclarent symbolique. Les opinions varient d’ailleurs selon ce qu’on entend par la Bête. Enfin, faut-il prendre littéralement le nombre 1 000 ? De nombreux interprètes le pensent, mais d’autres font remarquer que l’usage symbolique des nombres est courant, et que le nombre 1 000, bien loin de nous orienter vers des précisions numérables, montre l’inanité des mesures de temps devant l’éternité.

Les controverses entre ceux qui s’occupent spécialement de trouver la « clef » de ces passages, dont ils ne veulent attribuer l’obscurité qu’à un dessein providentiel de garder la révélation pour les « élus », ne sauraient amener de solution. D’une manière générale, on distingue deux groupes d’interprètes : les prétéristes, qui considèrent le millénium comme une prophétie déjà accomplie, et les futuristes, qui en placent la réalisation à la fin des temps.

Les prétéristes ont pour chef de files. Augustin, qui s’appuyait sur les passages de l’Évangile où l’homme fort est lié par un plus fort que lui (Marc 3.27 ; Matthieu 12.29; Luc 11.22), image, dit-il, du Christ qui dès son apparition met fin virtuellement au pouvoir de celui qu’il voit « tomber du ciel comme la foudre ». Pour Augustin, cette interprétation avait l’avantage de préserver l’Église des chiliastes, dont les prédictions trop terrestres déviaient vers les satisfactions matérielles. Ceux qui ont suivi cette ligne de pensée font valoir que la défaite de Satan est accomplie en principe, qu’il est « jeté dehors » (Jean 12.31), qu’il est jugé (Jean 16.11). Les âmes sauvées sont passées de la mort à la vie, ce qui est la première résurrection. Saint Paul dit, : dans le même sens, aux Corinthiens que le monde « appartient aux saints », et qu’ils sont déjà assis dans la gloire du Christ (Éphésiens 2.6). Cette théorie s’accompagne, chez les modernes, d’une interprétation symbolique du nombre 1 000. De même l’enchaînement de Satan est l’image de sa défaite dans l’ordre spirituel. Cette interprétation, élargie et appliquée à l’Église, est celle du catholicisme et d’un grand nombre de théologiens protestants pour qui l’Église représente en fait et actuellement la présence et le règne du Christ ici-bas (paraboles du Royaume). Il est cependant évident que pour l’auteur lui-même de l’Apocalypse il s’agit ici de la fin du monde, que d’ailleurs il considère comme prochaine.

Il y a deux positions futuristes, toutes deux défendues par des croyants qui, en général, entendent soutenir l’accomplissement littéral des prédictions apocalyptiques. L’une, le prémillénialisme, enseigne que l’Église sera d’abord enlevée à la rencontre du Sauveur ; puis aura lieu le retour glorieux de Christ, et alors commencera le millénium. Entre l’enlèvement de l’Église et le millénium se place la « tribulation », et aussi le jugement des nations. Il y a naturellement des variantes de détail.

Pour le postmillénialisme, le Christ ne paraîtra qu’après le règne de 1 000 ans, qui sera une période de paix et de prospérité, suivie d’une dernière révolte de Satan. Nous ne pouvons résumer ici l’argumentation des deux camps, laquelle se ramène en général à disposer les mêmes textes en ordre différent suivant la théorie que l’on croit la meilleure, et qui en doit ressortir. À quelles subtilités n’aboutit-on pas pour échapper aux textes qui paraissent soutenir l’opinion opposée ! Or, à prendre littéralement les textes, il y en a pour les deux théories, sans parler des nuances. Quelles complications, lorsqu’il s’agit d’indiquer l’ordre de succession de l’enlèvement de l’Église, de la parousie, de la tribulation, le nombre et la nature des résurrections et des jugements ! On pense éclaircir ces obscurités en dressant des plans, courbes, diagrammes avec flèches, ronds et accolades… mais ces diagrammes ne sont que l’image de l’erreur où l’on tombe en donnant une exactitude littérale et matérielle à des prédictions qui appartiennent au domaine de la vision consolante, de la foi qui contemple « à travers un miroir », et non à celui de la connaissance, du calcul, et de l’énigme à déchiffrer.

Le Millénium est une lumineuse vision, une parabole du triomphe final du Christ et de son règne. Si on la fait descendre sur le plan du calcul, on n’arrive pas à faire que les détails s’emboîtent. Et la situation devient encore plus compliquée quand on veut ajuster le passage relatif au Millénium aux prédictions de Daniel, vu l’impossibilité de s’entendre sur la succession des empires, si l’on veut que l’empire romain, visé par l’Apocalypse, soit aussi le dernier des empires visés par Daniel. Sans aller jusqu’à dire avec Calvin que de telles spéculations sont « un badinage », on peut considérer qu’elles nuisent au message consolateur de l’Apocalypse plus qu’elles ne lui servent. Voir Apocalypse.

Et. C.


Numérisation : Yves Petrakian