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Idolâtrie
Dictionnaire Biblique Westphal Bost

L’idolâtrie, ou culte des images, présente en Israël deux aspects également inconciliables avec le culte de Jéhovah selon la loi et les prophètes ; et cela malgré la persistance — jusqu’après l’exil — avec laquelle le peuple et ses chefs, même souvent ses prêtres, ont voulu associer l’un et l’autre culte. Le premier aspect de l’idolâtrie est celui du culte des faux dieux représentés par des objets naturels ou artificiels. Le deuxième est celui du culte dont l’objet est bien Jéhovah, mais représenté par un objet visible le plus souvent artificiel. Nous les étudierons successivement.

I L’idolâtrie ou culte des faux dieux

Le mot idolâtrie est grec et n’a pas d’équivalent en hébreu. Quand nos traductions de l’Ancien Testament l’emploient, c’est pour rendre, par exemple, une expression comme celle-ci : « La désobéissance obstinée est comme faux dieux et idoles » (1 Samuel 15.23). Par contre les termes hébreux pour rendre la notion d’idoles sont très nombreux et équivalent à : images (taillées ou de fonte suivant les cas), dieux domestiques (théraphim), choses de néant, objets de terreur, abominations, non-dieux, dieux de fumier. Ces cinq derniers termes, fréquents dans les prophètes, marquent le suprême dédain ou la suprême répugnance pour des objets dont on évite à dessein de prononcer le nom particulier.

Quelle que soit la religion des pères d’Abraham (culte des astres, des ancêtres ou d’objets, tels que fontaines, arbres ou pierres, animés par un esprit ou un dieu protecteur), il est certain qu’au moment où Israël apparaît dans l’histoire il y a, en principe, rupture entre sa religion et le polythéisme des autres nations et que, des siècles plus tard, Moïse incarne la religion spirituelle de Jéhovah opposée au culte de toutes les autres divinités. Jéhovah est le seul Dieu d’Israël en attendant d’être, pour Israël d’abord, le seul Dieu de toute l’humanité. Les récits du veau d’or (Exode 32) et du culte de Baal-Péor des Moabites (Nombres 25) ne font qu’accentuer la vigueur du culte spirituel et saint de Jéhovah dès son origine, au désert.

Dès qu’il occupe Canaan, Israël adopte le culte idolâtre de ceux au milieu desquels il vit et qui sont beaucoup plus civilisés que le peuple de nomades qu’il a été jusqu’alors. Baal et Astarté (figurés par le Soleil et la Lune ou par des statues humaines ou par des symboles significatifs des dieux mâle et femelle), déifications des forces de la nature, sont bien à la portée du primitif Israël qui s’essaye à la vie sédentaire du cultivateur. Le culte de débauche et de cruauté qui faisait de la prostitution et des sacrifices d’enfants des actes sacrés ne répugnait point aux Israélites. Gédéon avait dans son domaine un autel élevé à Baal et surmonté d’une idole (Juges 6.25). C’est la guerre qui tourne le cœur des chefs vers Jéhovah. Il en sera ainsi pendant des siècles, jusqu’à l’exil, et malgré les réformateurs et les prophètes ; Baal et Astarté, les théraphim (dieux domestiques que l’on trouve encore chez David : 1 Samuel 19.13) ; mêlés à la vie du foyer et des champs, paraissent plus proches de l’Israélite et plus facilement accessibles que Jéhovah, toujours invisible : on peut les toucher et les voir, et tenter de les émouvoir par des sacrifices de chair humaine. Le culte des faux dieux peut être efficace pour la vie courante, notamment pour conjurer la sécheresse, protéger les moissons ; mais, quand il s’agit de guerres qui engagent la vie nationale, alors il convient d’aller jusqu’à Jéhovah, le maître des armées célestes et le haut protecteur du peuple. Quand, plusieurs siècles après Gédéon, Élie reproche au peuple de « boiter des deux côtés » (1 Rois 18.21), il blâme l’association de son idolâtrie au culte de Jéhovah : l’Éternel seul, ou Baal et les faux dieux, mais point de mélange. Le conflit des deux cultes qui s’affrontent ou qui essayent de se confondre fait tout le drame moral et politique de l’histoire d’Israël jusqu’à l’exil. Si David et Salomon paraissent un moment faire triompher le culte spirituel, aussitôt après eux reparaît le régime de l’idolâtrie, avec ses superstitions, cruautés et débauches. Après le schisme, le culte des faux dieux subsiste dans les deux royaumes. En Juda, qui possède le Temple unique et la dynastie de David, l’idolâtrie va parfois jusqu’à dresser ses faux dieux dans le sanctuaire ; mais les réactions sont vigoureuses aussi. La réforme d’Asa (1 Rois 15) et surtout celle d’Ézéchias (2 Rois 18), inspirée par Ésaïe, font momentanément triompher le culte spirituel. Mais l’effroyable règne de Manassé vient tout détruire. La dernière réforme, celle de Josias, inspirée par Jérémie, et qui tente de donner au peuple la loi du Deutéronome, n’est, elle aussi, que passagère. Elle n’empêche pas la ruine de Jérusalem, du Temple et l’exil en Caldée de l’élite du peuple. Le royaume du nord, Samarie, était, depuis plus de cent ans, tombé sous les coups des Assyriens. Ce royaume de Samarie avait été constitué par Jéroboam, en partie pour réagir contre l’idolâtrie dans laquelle Roboam, fils de Salomon, entraînait le peuple. Mais les sanctuaires établis à Dan et à Béthel, avec les taureaux qui devaient représenter l’Éternel, n’avaient fait que favoriser le culte idolâtre et des faux dieux. Achab était allé jusqu’à élever à Samarie un temple à Baal et une idole à Astarté. La dynastie d’Achab détruite, celle des Nimsides ne valut guère mieux : Jéhu et Jéroboam II apportèrent à Samarie la prospérité politique mais développèrent une idolâtrie formaliste et hypocrite qu’Amos flétrit par ses sombres discours de sévère spiritualité. Les hauts-lieux, les bocages, les jardins sacrés où l’on offrait des sacrifices de sang et de débauche se multipliaient malgré les deux sanctuaires qui passaient pour être consacrés à Jéhovah. L’Assyrien trouve un peuple asservi d’avance et Samarie tombe entre ses mains.

Ce sont les grands adversaires du culte des faux dieux, les témoins vivants du Dieu saint, les prophètes, qui nous montrent à quel degré d’idolâtrie le peuple du royaume du sud parvint en ses dernières années de vie indépendante. « Ô Juda, s’écrie Jérémie (Jérémie 2.28), tu as autant de dieux que de villes ! » Et, à la même époque, au commencement du VIe siècle, c’est Ézéchiel (Ézéchiel 8) qui, après avoir parlé de « l’idole de la jalousie » (Astarté), érigée à l’entrée de la porte intérieure de la ville, énumère les faux dieux qui règnent en Juda sous leur triple forme : animaux, Thammuz (Adonis ou le printemps qui par sa mort entraîne les femmes aux larmes et aux débauches rituelles), et le Soleil ou Baal que l’on adore en tournant le dos au Temple de Jéhovah. Il fallut l’exil, ses souffrances et la rencontre brutale de tout le paganisme babylonien, pour guérir à tout jamais de l’idolâtrie au moins la partie du peuple — la meilleure — qui revint en Palestine. La réforme d’Esdras, la loi interdisant les mariages avec des païens, la publication de la loi de Moïse eurent raison du culte idolâtre ; et le peuple, dépendant des Perses, puis des Grecs, puis des Romains, vécut fidèle, au moins extérieurement, et jusqu’au fanatisme, à sa loi et à son culte restauré ; il fut même capable de souffrir avec héroïsme les persécutions d’Antiochus Épiphane. C’est l’histoire des Macchabées.

II Le culte idolâtre de Jéhovah

C’est bien à ce culte du Dieu national que Jéroboam attire son peuple quand il élève un taureau à Dan, un autre à Béthel, aux deux extrémités du royaume de Samarie. En dehors du Décalogue, dont l’édition actuelle portant des commentaires n’est certainement pas antérieure au VIIIe siècle, c’est dans ce siècle même que nous trouvons les premières protestations jéhovistes contre le culte des images, même des images de Jéhovah. « Ton veau d’or, ô Samarie, est rejeté ! » s’écrie avec mépris le prophète Osée (Osée 8.5), vers l’an 750, à peu près à l’époque où Jéroboam II pontifiait à Béthel sous les diatribes d’Amos.

Mais auparavant, l’horreur sainte du culte des images dont on trouve des échos dans le Pentateuque et qui a parfaitement pu exister en effet à l’époque de Moïse, ne laisse pas de trace dans l’histoire du prophète Élie. Il est l’ennemi du baalisme, il ne semble pas l’être des images et il ne l’est certainement pas des hauts-lieux puisqu’il sacrifie, en sûreté de conscience, sur le Carmel. D’autre part, il est positivement question d’images qui doivent être des représentations, tout au moins des symboles, de l’Éternel, dans les livres des Juges et de Samuel. Gédéon a détruit, sur l’ordre de Dieu, l’autel de Baal et la statue d’Astarté ; mais, après sa victoire sur Madian, il construit en toute bonne conscience, avec l’or pris à l’ennemi, un éphod qui est certainement une sorte de statue (Juges 8.27). Cet éphod, il est vrai, provoqua sans tarder un culte idolâtre abominable. « Il fut un piège pour Gédéon et pour sa maison ». Dans l’épisode si caractéristique de Mica d’Éphraïm (Juges 17), l’éphod est mentionné comme un objet indispensable au culte que Mica doit à Jéhovah, tout aussi indispensable que le prêtre lui-même. David va chercher dans le sanctuaire de Nob, chez le prêtre Ahimélec, l’épée de Goliath qui était « derrière l’éphod » (1 Samuel 21.9). Plus tard, lorsque menacé par Saül il éprouve le besoin de consulter l’Éternel, il dit au prêtre Abiathar : (1 Samuel 23.9) « Apporte l’éphod », comme on parle d’un objet connu et indispensable. Et l’Éternel répond aux questions que David lui pose ainsi devant l’éphod (voir ce mot).

La guerre aux images, à toute image, commence en réalité au VIIIe siècle ; ce sont les prophètes qui la déchaînent pour fonder ou restaurer le culte spirituel du Dieu saint. C’est Amos à Béthel ; Osée prêchant contre « le veau de Samarie » ; Ésaïe à Jérusalem inspirant les réformes d’Ézéchias : (2 Rois 18.4) ce fut alors qu’on mit en pièces le fameux serpent d’airain dont la place était légitime dans le Temple ; ce Néhustan était devenu un piège, une idole pour les Israélites. Au VIIe siècle, la réforme de Josias (2 Rois 23) chassa du Temple toutes les idoles qu’y avait installées le règne de Manassé. Le Deutéronome (Deutéronome 16.21 et suivant) est d’un bout à l’autre contre les images ; or il date de l’époque de Josias. Les prophètes d’après l’exil, notamment le deuxième Ésaïe (Ésaïe 40.19 ; Ésaïe 41.7 ; Ésaïe 46.6), parlent des idoles et de l’idolâtrie avec le mépris des choses vaincues qui ne sont plus que des choses étrangères. Mais l’horreur de l’idolâtrie restera désormais au fond du cœur juif. Au Ier siècle de l’ère chrétienne, les Juifs de Corinthe convertis au christianisme ne pouvaient voir sans répulsion un de leurs frères manger la viande qui avait participé aux sacrifices idolâtres. Il fallait que le Juif Saul de Tarse eût remporté une victoire bien décisive sur son vieux judaïsme pour pouvoir exhorter avec sérénité les Juifs chrétiens à ne plus se formaliser de telles choses : « Il n’y a point d’idoles dans le monde, il n’y a qu’un seul Dieu ! » (1 Corinthiens 8.4). Et quand, auparavant, il avait trouvé à Athènes tant d’autels idolâtres et tant d’idoles, son cœur de croyant outré pour l’honneur de Dieu n’en avait conçu aucune répulsion pour ses frères païens ; au contraire il n’avait vu là que l’occasion d’élever plus haut leur regard, vers le Dieu inconnu qu’ils cherchaient à tâtons, trop bas, au milieu des images terrestres (Actes 17.16 et suivants, cf, 1 Corinthiens 5.10). Toutefois, chez les chrétiens, il dénonce comme idolâtrie non seulement les cultes de faux dieux (Galates 5.20 ; 1 Corinthiens 6.10), mais aussi la participation aux fêtes païennes (1 Corinthiens 10.7), et, au figuré, l’avarice comme culte de Mammon (Colossiens 3.5 ; Éphésiens 5.5). Cf (1 Pierre 4.3 ; Apocalypse 2.1 ; Apocalypse 22.16 ; 1 Jean 5.21).


Numérisation : Yves Petrakian