A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z


Péché

Deux catégories de termes :

  1. Le péché, c’est ce qui est contraire à l’ordre. Hébreu : racine khâtâ, ce qui manque le but ; âvôn, ce qui est tortueux ; chegâgâh, erreur ; ivvèlèt, nebâlâh, folie, aveuglement. Grec : hamartia, erreur ; parabasis, ce qui passe par-dessus la ligne normale ou à côté d’elle ; paraptôma, ce qui tombe à côté.
  2. Le péché, c’est aussi la révolte, l’infidélité. Hébreu : râah, mal ; pécha, révolte, défection ; rècha, méchanceté ; bâgad, trahison ; sârah, transgression, révolte. Grec : parakoè, désobéissance ; anomia, injustice ; opheïlêma, dette.

I Introduction

Le philosophe Charles Renouvier a écrit : « Une civilisation de surface, à qui il plaît de se détourner du problème du mal ou de se payer de solutions insuffisantes, est exposée, dans la suite des âges, à périr comme celle de l’antiquité… À mon avis la religion n’est rien, si elle n’est la reconnaissance du péché dans le général et dans le particulier et la rédemption du pécheur ». Les religions de la Bible répondent pleinement à une telle exigence, puisqu’elles nous présentent, à leur base, une conception très précise du péché, de sa nature, de son origine, de son étendue et de ses douloureuses conséquences.

Message essentiellement pratique que celui qui nous est offert. Le Livre de Dieu ne se meut pas sur le terrain abstrait des spéculations philosophiques et théologiques. Il poursuit, avant tout, une œuvre de libération et, pour que cette œuvre s’accomplisse, les écrivains sacrés veulent faire sentir aux hommes l’horreur de leur péché et de leur rupture avec Dieu.

Message absolument indispensable, par conséquent, et qui vient tout particulièrement à son heure. Le propre du péché, c’est d’aveugler l’homme sur sa situation véritable et, en l’aveuglant, de paralyser en lui les puissances qui auraient pu réagir utilement et le conduire au salut. La Bible nous guérit de cette cécité, et parce qu’elle ouvre d’abord les yeux sur la maladie dont souffre et meurt l’humanité, elle peut ensuite lui présenter le remède.

Nous allons parcourir les grandes étapes de la révélation et voir comment, aux diverses époques de l’histoire biblique, la Parole de Dieu a répandu largement la lumière sur le mal dont il s’agit pour les hommes d’être délivrés.

II Les origines

Les antiques traditions relatées dans les premiers chapitres de la Genèse (voir Création, Chute) expriment, au sujet du péché, un certain nombre de conceptions qui sont essentielles à la piété israélite et à la piété chrétienne et qui constituent les assises inébranlables de la doctrine biblique de la rédemption et du salut.

Première affirmation

Le caractère originel du péché… Celui-ci fait son apparition dans le monde dès le commencement de notre race. L’homme est la réalisation suprême de la puissance créatrice : terme dernier de toute une série d’actes qui, du chaos primitif, ont fait sortir le monde inorganique et qui, au milieu des choses inanimées, ont suscité les êtres vivants, il participe à la matière et à l’animalité, mais il possède, en même temps, un souffle divin (Genèse 2.7) ; il est fait, lui seul parmi tout ce qui existe, à l’image de son glorieux Créateur (1.26) ; enfin il est chargé de dominer sur l’ensemble de la création (Genèse 1.26 ; Genèse 1.28) et il est revêtu d’un pouvoir de contrôle et de direction (Genèse 2.15).

Mais, tout aussitôt, nous voyons se produire le grand drame, dans lequel l’homme contrevient aux dispositions prises pour son bonheur et pour le salut du monde. À peine créé, à peine installé avec sa compagne dans une existence pourvue de tout ce qui devait en assurer l’heureux développement, il dévie de la voie droite, celle de l’harmonie avec son Créateur, celle de sa destinée divine ; et cette déviation qui, dès l’aurore de la vie humaine, va troubler l’ordre de choses prévu et établi par Dieu, c’est le péché. Sans doute, nous le verrons, Dieu n’est pas et ne peut être vaincu. Mais le péché n’en est pas moins un fait primordial, qui influera désormais sur le cours de la destinée humaine et dont la Providence aura elle-même à tenir compte dans la réalisation de ses desseins éternels.

Seconde affirmation

Le caractère accidentel du péché… Le péché tel que nous le fait connaître la Bible n’est pas, comme chez Zoroastre, un principe éternel, inhérent à la nature des choses et enveloppant de ses mailles fatales la victime humaine. Il n’est pas, comme dans la Védanta hindoue et dans la philosophie platonicienne, un fait inséparable de l’individualité ou de la matière. Il n’est pas, comme le prétendent les gnostiques, un moment nécessaire du développement humain. Non, dès ses premières pages, la Bible adopte une interprétation opposée : l’homme était voué à la sainteté, il était fait pour le bonheur et c’est dans l’obéissance et dans l’accord avec son Père céleste qu’il aurait dû poursuivre son immortelle destinée. Par une initiative personnelle, par un acte de sa liberté, il a rompu le pacte qui l’unissait à Dieu et le péché est, au bout du compte, une désobéissance volontaire, une rébellion insensée, dont la responsabilité incombe à la créature et non au Créateur.

La Genèse ne nous explique pas l’origine première du mal dans l’univers : elle en constate l’existence et elle l’incarne dans ce personnage mystérieux du serpent, qui rappelle Tiamat, le monstre de la mythologie assyrienne, ennemi des dieux et destructeur de leur œuvre, et que la théologie chrétienne identifiera plus tard avec le diable. Mais si le mythe symbolique de la chute ne nous apprend rien sur la provenance et sur la nature de cet esprit mauvais, dont l’action va avoir de si tristes conséquences pour le monde, il décrit en termes imagés son apparition et son influence dans le cœur humain et manifeste un sens de la vérité psychologique tout à fait remarquable.

Le tentateur s’adresse à la femme, considérée par l’antiquité et par l’Orient comme l’être le plus faible et le plus accessible (voir Chute). Dès l’abord, il réussit à obtenir d’elle une oreille complaisante à ses suggestions. Il essaye de mettre en doute la réalité de la défense, l’existence même de la loi morale (Genèse 3.1 ; Genèse 3.3). Mais comme celle-ci est indubitable, il s’attache à en faire soupçonner le bien-fondé. Il insinue dans le cœur de son interlocutrice des doutes sur la sagesse et sur la bonté du Créateur (verset 5). Enfin, il provoque en elle, tout à la fois, la soif de la jouissance et l’orgueilleuse ambition de l’indépendance. Gagnée au mal, la femme fait partager ses mauvais désirs à son mari et tous les deux, oubliant leurs devoirs d’obéissance et de gratitude, s’éloignent de la voie tracée par le Père céleste et se laissent entraîner par les suggestions du mal.

Derrière les symboles du récit primitif, qu’il serait vain de railler ou de mépriser, on reconnaît aisément la marche habituelle de la tentation. Le tort de l’homme est de ne pas savoir dire non au mal. Cette faute est celle d’Adam et celle de tous ses descendants, dans la mesure où ils participent au même péché. Mais la faute originelle était loin d’être fatale : elle aurait pu et elle aurait dû être évitée. Elle constitue, au début de l’histoire humaine, l’accident tragique qui a mis l’homme en opposition avec Dieu et en contradiction avec son essence véritable.

Troisième affirmation

Le caractère religieux du péché… Dès l’origine, le péché est étroitement lié par la Bible à une conception religieuse de l’existence. Il ne se comprend que s’il y a deux êtres face à face : un Dieu qui commande et qui en vertu de sa perfection morale et de sa bonté infinie, a le droit de commander ; un homme qui désobéit au commandement divin et qui se révolte contre le Créateur. La morale tout humaine, dont on a voulu exclure Dieu, peut faire intervenir la notion du mal, celle d’un ordre de choses contraire à l’idéal. Seule, une morale religieuse a le pouvoir de mettre en jeu le concept singulièrement plus riche et plus expressif du péché. Et les différences qui existent en réalité entre deux notions analogues seulement en apparence suffit à faire mesurer l’abîme qui sépare les deux morales et la supériorité incontestable de la morale religieuse sur toute morale purement laïque.

D’abord, le péché dépasse infiniment le mal, au point de vue de son intensité et de son horreur tragique : celui-ci est simplement le bouleversement de l’ordre humain, celui-là désorganise le plan divin et constitue une atteinte à la sainteté et à l’amour du Dieu infiniment juste et bon.

Ensuite, le péché surpasse le mal par l’étendue de son domaine : le mal nuit à l’homme ; le péché, en plus du tort fait à l’homme, offense Dieu. Le péché comporte donc toute une série nouvelle de manquements, dont on ne saurait tenir compte si l’on se place à un point de vue purement humain.

Enfin, si le mal embrasse une certaine catégorie d’actes que l’on réprouve, le péché va jusqu’au fond de l’âme humaine ; il constitue essentiellement une disposition fondamentale de notre être caché, qui se traduit extérieurement par les actions méchantes. Les péchés divers sont les manifestations et les fruits de ce trouble profond apporté à nos relations avec Dieu, qui s’appelle le péché

Ainsi, entre le mal et le péché, il y a une triple différence d’intensité, d’étendue et de nature : l’infinie grandeur de la Bible vient de ce que, seule elle nous fait pleinement connaître l’Adversaire que nous avons à combattre et à détruire.

Le péché, ainsi caractérisé par la Bible, conduit l’homme aux conséquences les plus tragiques : c’est ce que nous montre encore le récit de la Genèse.

Avec une implacable logique, l’expérience du mal conduit la créature à la honte, au remords, à la souffrance, à cette séparation d’avec Dieu, qui constitue une véritable mort spirituelle. L’homme est chassé de la contrée charmante où il vivait paisible et heureux, mais l’expulsion du paradis terrestre est moins une initiative divine que la constatation d’un état de fait, voulu par l’homme lui-même. Ce n’est pas Dieu qui éloigne l’homme de sa présence et de sa communion vivifiantes, mais l’homme qui s’est séparé de Dieu et qui, par sa faute, a fait venir sur lui le châtiment et la mort, fruits inéluctables de sa désobéissance et de sa rébellion.

Seulement si la créature a voulu le péché et a cherché son malheur, Dieu ne l’abandonne pas et il a pitié d’elle (Genèse 3.21). Au moment même où celle-ci prend conscience de son état de perdition, il lui fait entrevoir l’œuvre de rédemption et de relèvement qu’il poursuivra désormais dans une humanité pécheresse et malheureuse (verset 13).

Les traditions subséquentes sur l’humanité préhistorique et sur les patriarches nous offrent des révélations qui sont les corollaires des vérités essentielles mises en lumière par le récit de la chute.

D’abord, le péché contre Dieu ne tarde pas à devenir le péché contre l’homme ; mais, en le devenant, il continue à être, avant tout, une offense contre Dieu… Caïn cède à la même puissance de rébellion que ses parents et, par là, il devient le meurtrier de son frère (Genèse 4.3 ; Genèse 4.8) ; cet acte sanguinaire est, du reste, envisagé comme un crime contre l’Éternel (verset 10).

Il serait inexact de voir dans le péché de Caïn la conséquence fatale de la chute d’Adam. La Bible insiste au contraire sur le fait que le crime aurait pu être évité (verset 7b). C’est volontairement, par un acte de liberté, que Caïn cède, comme ses parents, à l’impulsion qui le pousse au mal : il se laisse aller à la jalousie, puis à la violence et enfin au crime. Mais, une fois commis, le péché n’en déploie pas moins toutes les conséquences qu’il renferme : primitivement violation du commandement divin, il devient, subsidiairement, le trouble profond apporté aux relations humaines. Seulement, quelle qu’en soit la forme, individuelle ou sociale, il reste essentiellement une désobéissance à la volonté divine.

Un tel principe est affirmé encore dans des incidents comme celui de Joseph et de la femme de Potiphar. Ce n’est pas seulement par droiture morale que Joseph se refuse à tromper la confiance de son maître et à céder à la tentation. C’est surtout parce que s’y laisser aller, ce serait « un grand mal et un péché contre Dieu » (Genèse 39.9)

Après Caïn, après Lémec (Genèse 4.23), la multiplication des péchés conduit nécessairement l’humanité, malgré certaines exceptions, comme celles d’Hénoc (Genèse 5.21 ; Genèse 5.24) et de Noé (Genèse 6.8), à un endurcissement toujours plus grand et à une séparation toujours plus marquée d’avec son Dieu ; la Genèse ne manque pas de relever cette autre conséquence du péché. C’est un état de décadence, où « toutes les pensées du cœur des hommes se portaient chaque jour uniquement vers le mal », si bien que « l’Éternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et en fut affligé en son cœur » (Genèse 6.5 et suivant). De là le déluge et la destruction d’une humanité rebelle, la souffrance et la mort se manifestant toujours comme les fruits nécessaires du péché et de la révolte.

Après le déluge, l’homme persiste dans sa révolte et son éloignement, ainsi que le prouve l’histoire de la tour de Babel (Genèse 11.1 ; Genèse 11.9). Aussi, à cause de la faute commise par Adam et renouvelée par ses descendants, la création semble avoir décidément manqué son objet, et toute la préhistoire de l’humanité, d’après la Bible, se résume dans un endurcissement croissant et dans une opposition toujours plus complète à la volonté divine.

Cet état de choses entraîne une troisième conséquence que l’histoire biblique fait encore apparaître. La Providence divine ne peut se résigner au triomphe du mal : elle désire, malgré les obstacles accumulés, assurer l’avenir spirituel de l’humanité, et elle est conduite à adopter le principe de l’élection, c’est-à-dire à abandonner l’ensemble de l’humanité à sa perdition pour faire le salut de la minorité qui a été choisie. C’est ainsi que Dieu fait alliance avec Noé, puis avec Abraham et les patriarches. Une telle alliance est possible, car nous avons là des personnalités qui vivent dans la communion de Dieu. Noé « marchait avec Dieu » (Genèse 6.9). Abraham commence sa carrière par un acte d’obéissance et de confiance (Genèse 12.1-4). Au contraire, son petit-fils, Ésaü, incapable d’apprécier le privilège de l’élection, se verra écarté de l’alliance au bénéfice de Jacob, car, malgré ses grands défauts, celui-ci comprend la valeur des bénédictions divines. On voit par là comment l’élection conduit à un élargissement de l’idée du péché : c’est commettre une faute contre Dieu que de mépriser l’alliance qu’il a conclue avec les hommes de son choix.

De ces hommes-là sortira une humanité nouvelle, le peuple de Dieu, dont la destinée devait être de revenir à la voie de l’obéissance et de la fidélité, abandonnée par l’humanité primitive sous la néfaste influence du péché.

III La loi

Dans le peuple d’Israël, le concept du péché se rattache étroitement aux notions connexes de l’alliance et de la loi (voir ce mot).

Toute la vie religieuse et morale du peuple est dominée par le sentiment du lien étroit, indissoluble, qui l’unit à son Dieu. Jéhovah a choisi les Hébreux parmi tous les peuples de la terre ; il les a mis à part pour son service et pour sa gloire ; il leur accorde sa protection et son salut. Le devoir de la nation, c’est de rester fidèle à l’alliance (voir ce mot). Si elle s’en détourne, elle tombe dans le péché et dans la malédiction qu’implique la désobéissance à la volonté divine.

Cette volonté, Dieu la précise en donnant sa loi à son peuple. La loi, c’est l’énoncé exact et complet des obligations que comporte l’alliance. Violer la loi, c’est se révolter contre l’alliance et tomber dans le péché. L’apparition de la loi constitue donc une étape capitale dans l’évolution du peuple hébreu et permet d’arriver à des précisions nouvelles en ce qui concerne la notion du péché (Exode 20.20).

L’adoration et le service du seul vrai Dieu, c’est ce que, tout naturellement, la loi prescrit avant toute autre chose. L’antique législation israélite représente le péché d’idolâtrie comme le plus grave, car il sépare radicalement l’homme de son Dieu. C’est ce qu’affirment expressément le Livre de l’Alliance (Exode 22.20 ; Exode 23.24 ; Exode 23.32), puis le Décalogue (Exode 20.3 ; Exode 20.7). Aussi, en se laissant aller à l’idolâtrie, Israël encourt-il les plus terribles châtiments.

L’histoire nous montre comment la nation s’est effectivement éloignée de son Dieu et comment, par là, elle s’est orientée vers la perdition et vers la mort. Sous les juges, les désastres nationaux se succèdent très rapidement : ils sont attribués à la révolte contre Dieu et à l’idolâtrie (Juges 2.10 ; Juges 2.15 ; Juges 3.7 ; Juges 4.1 ; Juges 6.1 ; Juges 6.3 ; Juges 8.33 ; Juges 8.35 ; Juges 10.6 ; Juges 10.9 ; Juges 13.1). Le retour à Dieu sous la conduite d’un chef et d’un héros est toujours marqué par les bénédictions de la paix et de la prospérité. Pendant les règnes de Saül et de David, nous trouvons peu de traces du péché d’idolâtrie.

De là la prospérité qui s’est manifestée sous leur double règne, comme ensuite, d’une manière assez générale, dans le royaume du sud. Mais Salomon, dans sa vieillesse, négligea le culte de son Dieu, et ce grave manquement est considéré comme la cause de la révolte de Jéroboam contre la dynastie de David (1 Rois 11.1 ; 1 Rois 11.13). Après le schisme, nous voyons ce leit motiv revenir à chaque règne, dans l’histoire du royaume du nord : « Il se livra au péché de Jéroboam, fils de Nébat, qui avait fait pécher Israël, et il ne s’en détourna pas » (2 Rois 3.3 ; 2 Rois 10.29 ; 2 Rois 13.2 etc.). Le peuple d’Israël ne se contente pas d’une telle forme du péché contre le vrai Dieu — le culte du taureau d’or — , il pratique aussi celui des Baals et des Astartés, beaucoup plus grave par ses conséquences religieuses et morales. C’est dans une telle idolâtrie que, déjà sous le règne triomphant d’Achab et de Jézabel, l’historien découvre la source profonde d’une terrible décadence nationale (1 Rois 16.30-33).

Ainsi Jéhovah réclame le service et l’adoration de son peuple. Mais ce service et cette adoration ne se manifestent pas simplement par le culte rendu à lui seul. Dieu entend aussi que la piété à son égard se manifeste par la pratique d’un certain nombre de devoirs vis-à-vis du prochain. C’est ainsi que le Livre de l’Alliance (Exode 21 ; Exode 22 ; Exode 23) formule tout un ensemble de règles morales et sociales qui reposent sur la loi royale de l’amour fraternel (par exemple : Tu ne maltraiteras pas l’étranger et tu ne l’opprimeras pas, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte ; tu n’affligeras point la veuve, ni l’orphelin : si tu les affliges et qu’ils viennent à moi, j’entendrai leurs cris… , Exode 22.21 ; Exode 22.23). Le Décalogue (voir ce mot), d’autre part, se divise en deux tables dont l’une formule les devoirs envers Dieu et l’autre les devoirs envers le prochain. Par conséquent, dans la législation israélite la plus ancienne, le devoir envers Dieu et le devoir envers l’homme sont étroitement liés l’un à l’autre, mais c’est le devoir envers Dieu qui a la primauté, et l’observation du devoir envers l’homme est considérée comme une forme de l’obéissance que le peuple doit à son Dieu.

La loi mosaïque ne se borne pas à prescrire l’attitude que l’homme doit avoir vis-à-vis de son Dieu et de son prochain. Le code lévitique s’élabore bientôt en système d’obligations légales et rituelles : non seulement la nomenclature des péchés se trouve, par là même, augmentée, mais encore leur contenu semble ne plus être le même : le péché est de plus en plus considéré comme la violation des prescriptions cérémonielles, qui sont regardées comme ayant leur but en elles-mêmes. Pourtant, il serait inexact de considérer ces règles comme n’ayant aucun rapport avec la loi morale et spirituelle, car les actes purement rituels (ceux qui sont prescrits, par exemple, par la loi sur les animaux purs et impurs, Lévitique 11) tirent leur signification profonde du fait qu’ils doivent inspirer une haute idée de la sainteté divine et une profonde horreur du péché humain (voir Pur et impur). Le péché cérémoniel lui-même trahit donc la méconnaissance de la sainteté et de l’amour divins.

Le Deutéronome fait ressortir davantage la nature religieuse et morale du péché, en fondant la fidélité à la loi sur l’amour que l’homme doit avoir pour son Dieu (Deutéronome 6.5 ; Deutéronome 10.12 ; Deutéronome 11.1). L’amour de l’homme pour Dieu s’impose comme un devoir de gratitude, puisque c’est Dieu qui, le premier, a aimé son peuple et l’a choisi pour en faire un témoignage de sa puissance (Deutéronome 4.37 ; Deutéronome 7.6 ; Deutéronome 7.8 ; Deutéronome 10.15). Et puisque l’obéissance est conditionnée par l’amour, les commandements doivent se trouver dans le cœur avant de se traduire dans la conduite (Deutéronome 6.6 ; Deutéronome 10.16 ; Deutéronome 11.18).

La piété israélite est amenée, de cette manière, à purifier les motifs qu’elle a d’obéir à la loi et de résister au péché. Certes, nous trouvons encore de nombreux échos de la vieille conception d’après laquelle l’observation des commandements s’impose en vertu du pacte qui conditionne la prospérité de la nation (Deutéronome 4.24 ; Deutéronome 4.40 ; Deutéronome 6.15, cf. Exode 20.5 ; Exode 23.22 et suivant). Mais nous voyons se former une idée plus haute de la culpabilité. D’abord on comprend que, si Dieu manifeste sa sévérité, c’est pour le bien de son peuple, c’est pour l’obliger à reconnaître que le péché conduit à la mort (Deutéronome 6.24 ; Deutéronome 10.13). Ensuite l’homme doit haïr le mal de la même manière que Dieu le hait et aimer la justice et la miséricorde pour la seule raison que Dieu les aime (Deutéronome 10.17 et suivant, Lévitique 19.32 ; Lévitique 19.37). C’est ainsi qu’Israël sera un peuple saint, entretenant des relations de confiance et d’amour avec son Dieu et réalisant par là sa glorieuse destinée (Deutéronome 7.6 ; Deutéronome 14.1 ; Deutéronome 26.18 ; Deutéronome 27.9 ; Deutéronome 28.9). Il est frappant de constater maintenant que, pour l’ancien Israël, le péché a toujours un caractère collectif et national. C’est avec le peuple pris dans son ensemble que Dieu a conclu son alliance. C’est aussi à la nation tout entière qu’il a donné sa loi (Exode 20.2 ; Lévitique 25.38). Aussi, même si le péché est commis par un individu isolé, il intéresse la collectivité et c’est elle qui en porte la responsabilité. Ce sont, au premier chef, les péchés des gouvernants qui incombent au peuple lui-même. Par exemple, quand David se laisse aller à l’orgueil et procède au dénombrement du royaume, il en est châtié par une peste meurtrière qui, comme le remarque David, décime une population innocente du crime de son roi (2 Samuel 24.15 ; 2 Samuel 24.17). Même les péchés des simples sujets engagent la responsabilité collective. Ainsi, Acan a transgressé la loi divine, non pas tant en désobéissant à l’ordre divin, qu’en retenant par devers lui des choses consacrées à l’Éternel (Josué 7). Cette faute purement individuelle (verset 20) est pourtant considérée comme intéressant le peuple dans son ensemble (verset 1-11) ; aussi en est-il puni par la défaite (verset 5,12) et il n’est lavé de sa faute que par la découverte et la destruction du coupable et de tout ce qui touchait au coupable (verset 13,24,26). Ainsi donc, les offenses personnelles ne sont pas essentiellement des questions à traiter entre le coupable et Dieu. Toute la communauté en prend sa part : c’est une abomination qui attire la colère de Dieu sur le corps tout entier.

La nature essentiellement sociale du péché est encore exprimée par le rituel des sacrifices (voir ce mot), surtout par celui du « grand jour de l’expiation », qui précise les mesures à prendre pour la rémission et pour l’expiation des fautes globalement commises par le peuple (Lévitique 4.13 ; Lévitique 16.15 et suivants).

La solidarité s’exerce également dans le temps : les générations ultérieures sont tout naturellement punies pour les fautes des générations antérieures (Exode 20.5 ; Deutéronome 5.9). Mais nous voyons apparaître le souci de la responsabilité personnelle et l’affirmation de la culpabilité individuelle (Deutéronome 24.16, cf. 2 Rois 14.6).

Dans cette époque se pose aussi, à plusieurs reprises, le problème de l’origine du péché. La piété hébraïque semble d’abord regarder Dieu comme l’auteur du mal, au moins pour une part. Si l’on se trouvait en présence d’un acte mauvais, inexplicable, fatal, on pensait que Dieu lui-même l’avait provoqué. Ce fut le cas du pharaon refusant sa liberté au peuple hébreu (Exode 4.21 ; Exode 7.3 ; Exode 14.8), d’Abimélec, le fils de Gédéon (Juges 9.23), de Saül aboutissant à une lamentable déchéance (1 Samuel 16.14 ; 1 Samuel 18.10 ; 1 Samuel 19.9 ; 1 Samuel 26.19). Mais la pensée israélite ne pouvait s’en tenir à un tel point de vue. La double relation de la faute commise par David à l’occasion du recensement est la preuve de cette évolution. Dans 2 Samuel 24.1, nous lisons : « La colère de l’Éternel s’enflamma de nouveau contre Israël et il excita David contre eux en disant : Va, fais le dénombrement d’Israël et de Juda ». Mais le rédacteur des Chroniques (1 Chroniques 21.1) rectifie : « Satan se leva contre Israël, et il excita David à faire le dénombrement d’Israël ». Dans le même ordre d’idées, le Siracide (Siracide 15.20) affirme : « Dieu n’a commandé à aucun homme d’être impie et il n’a donné licence à aucun homme de pécher ». Le même problème continuera à se poser aux hommes, puisque, plus tard, Jacques défendra d’imputer à Dieu la tentation au mal et affirmera que « le Père des lumières » est l’auteur de tout bien (1.13,17). Voir Satan, Tentation.

IV Les prophètes

L’enseignement des prophètes (voir ce mot), à partir du VIIIe siècle, constitue une étape nouvelle, et extrêmement importante, dans l’évolution de la pensée israélite au sujet du péché. Les prophètes voudraient conduire leur peuple au salut et à la vie, qui sont inséparables du service de l’Éternel. Ils s’efforcent donc de faire connaître le Dieu de la justice et de la miséricorde et, pour conduire la nation à la repentance et à la conversion, ils soulignent l’écart considérable qui sépare la réalité de l’idéal, ils font sentir à Israël la grandeur de ses manquements et de ses infidélités et ils s’appliquent à éveiller et à approfondir en lui la conscience de son état de navrante culpabilité.

Comme leurs devanciers, les prophètes montrent que les obligations particulières au peuple de Dieu ont été contractées le jour où l’Éternel a conclu avec lui son alliance et où, l’ayant mis à part, il est devenu son bienfaiteur et son sauveur. « Je vous ai choisis, vous seuls parmi toutes les familles de la terre », déclare Amos (Amos 3.2) ; et Osée : (Osée 13.5) « Je t’ai connu dans le désert, dans une terre aride ». Dans la parabole de la vigne, Ésaïe (Ésaïe 5.1 ; Ésaïe 5.7) résume admirablement tout ce que Dieu a fait pour la nation élue et les droits qu’il s’est acquis à sa reconnaissance et à son amour.

Malheureusement, la conduite d’Israël ne répond pas à la légitime attente de Jéhovah. Jérémie s’écrie : (Jérémie 2.7) « Je vous ai fait venir dans un pays semblable à un verger… , mais vous êtes venus et vous avez souillé mon pays ». Et, avec une véhémence puisée dans le sentiment du mécontentement divin, les hommes de Dieu font un tableau saisissant du mal qui règne à leur époque.

Péché religieux, en tout premier lieu… L’infidélité d’Israël se manifeste d’abord en ce qu’il abandonne le vrai Dieu pour se laisser entraîner, sous l’influence des nations païennes qui l’entourent, à l’adoration des faux dieux, au culte des idoles, à toutes les honteuses pratiques du paganisme (Amos 2.4 ; Osée 2.13 ; Ésaïe 2.7 et suivant, Jérémie 2.27 ; Jérémie 32.34 ; Ézéchiel 6.13). Ingratitude (Jérémie 2.5), incrédulité (Ésaïe 7.9), dureté de cœur (Ésaïe 46.12), confiance funeste dans le secours de l’homme : (Ésaïe 22.8-11 ; Jérémie 2.18) telles sont les formes diverses que revêt le péché contre Dieu, péché odieux en lui-même et indépendamment des conséquences fâcheuses qui en découlent, péché dont les prophètes essayent de faire sentir la laideur en dépeignant vigoureusement à la conscience de leur peuple la toute-puissance, la sainte majesté, la justice souveraine, la miséricorde infinie de l’Éternel. Toutefois, parce que Jéhovah est par excellence l’Être juste et miséricordieux, tous les actes contraires à son caractère ne peuvent manquer de l’offenser : le péché, tout en étant essentiellement religieux, prend chez les prophètes un caractère spécifiquement moral. Le mépris de la vie humaine, de la pureté, de la propriété sont autant d’offenses au nom de l’Éternel. Pour Osée, le péché, c’est l’éloignement du cœur d’Israël ; pour Ésaïe, l’insensibilité à la majesté sainte de l’Éternel ; pour tous les prophètes, une maladie d’ordre moral et la corruption, sous tel ou tel de ses aspects, de la vie de la communauté. Du reste, les prophètes ne manquent pas de mettre en relief la triste influence exercée sur le peuple par les vices inhérents au paganisme.

L’accent mis sur l’élément moral du péché conduit les prophètes à montrer l’insuffisance du zèle cultuel. Déjà Samuel avait dit à Saül : « L’Éternel trouve-t-il du plaisir dans les holocaustes et les sacrifices, comme dans l’obéissance à la voix de l’Éternel ? Voici, l’obéissance vaut mieux que les sacrifices et l’observation de sa parole vaut mieux que la graisse des béliers » (1 Samuel 15.22). Osée (Osée 6.6) s’exprime d’une manière semblable : « J’aime la piété et non les sacrifices, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (cf. Amos 5.21 ; Amos 5.25 ; Ésaïe 1.11-15 ; Jérémie 7.21-23 ; Malachie 1.10).

Au retour de l’exil, il est vrai, nous verrons croître l’importance des prescriptions légales et des rites cérémoniels, et les prophètes seront amenés à relever les infractions aux lois lévitiques comme des offenses à la sainteté divine (Ézéchiel 23.38 ; Ézéchiel 44.7 ; Malachie 1.14). Mais c’est parce que, conformément à la grande pensée de la révélation biblique, l’homme pieux doit prouver son obéissance par l’attention qu’il porte aux préceptes particuliers de la loi divine. Même quand ils s’attachent à l’observation des lois cérémonielles, les prophètes réagissent contre la tendance au légalisme, toujours plus marquée dans la religion juive et d’après laquelle le rite aurait sa valeur en lui-même. Pour eux, le péché n’est jamais la pure et simple violation des prescriptions légales, mais il conserve avant tout son aspect moral qui se ramène à la révolte contre la volonté du Dieu de sainteté et d’amour.

Religieux d’abord, moral ensuite, le péché revêt chez les prophètes un troisième aspect, qui est son caractère social. Nous avons déjà vu comment, dans l’enseignement biblique, le péché contre Dieu devenait fatalement le péché contre le prochain. C’est ce que nous constatons encore chez les prophètes qui observent dans leur peuple le péché social, sous ses formes les plus diverses : oppression des faibles, dépouillement des pauvres, corruption des juges dont les sentences sont achetées à prix d’argent, accaparement des terres, cupidité, indiscipline des mœurs, luxure, adultères, ivrognerie, vols, assassinats, dureté de cœur, injustice, fausseté, orgueil. Tels sont les différents modes de la corruption générale ; les prophètes les relèvent avec une vigueur et une clairvoyance qui font d’eux les précurseurs inspirés des grands mouvements sociaux des temps modernes, et qui leur permettent en même temps d’enrichir singulièrement la notion biblique du péché (Amos 2.6-8 ; Amos 3.10 ; Amos 4.1 ; Amos 5.3 ; Amos 5.7 ; Osée 4.1 ; Osée 12.8 ; Ésaïe 1.17 ; Ésaïe 5.8-25 ; Michée 2.2).

Quel que soit son aspect — religieux, moral ou social — le péché conserve une nature identique : il est une offense permanente à la majesté, à la sainteté et à la miséricorde de Dieu, dont il sépare l’homme (Ésaïe 59.2).

L’expérience des prophètes les conduit à reconnaître l’universalité absolue de ce péché. Tous sont infectés « depuis le plus petit jusqu’au plus grand,… depuis le prophète jusqu’au sacrificateur ». « Regardez, informez-vous, cherchez dans les places, s’il s’y trouve un homme, s’il y en a un qui pratique la justice, qui s’attache à la vérité » (Jérémie 8.6-10 ; Jérémie 5.1). « Il n’y a personne qui invoque ton nom, qui se réveille pour s’attacher à toi » (Ésaïe 64.7). Et, au moment où il va recevoir sa vocation sainte, l’homme de Dieu lui-même ne peut s’exclure de cette souillure universelle ; il s’écrie avec douleur : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures…  » (Ésaïe 6.5).

S’étendant à l’ensemble de la nation, le péché remonte aux générations antérieures, et si le prophète mentionne le péché originel, ce n’est pas pour y trouver une explication de la corruption de ses contemporains, mais pour montrer que, toujours, le peuple a été opposé à la direction de Dieu (Ésaïe 43.27 et suivant).

Le mal ne se cantonne pas en Israël : il existe dans tous les pays du monde. Amos montre son action chez les Syriens, les Philistins, les Tyriens, les Edomites, les Ammonites, les Moabites (chapitre 1) ; Ézéchiel chez les Ammonites, les Moabites, les Edomites, les Philistins, les Phéniciens, les égyptiens (chapitres 25-32). Le livre de Jonas explique que la juste domination de l’Éternel s’étend aussi sur les nations qui ne participent pas à l’alliance d’Abraham. Et, du moment que les prophètes arrivaient à la claire notion du monothéisme, ils devaient tout naturellement comprendre que tous les peuples, et non pas seulement le leur, offensaient, en péchant, la sainteté de l’Éternel.

Si le péché s’étend à toute la terre et embrasse tous les hommes indistinctement, c’est qu’il sort du plus profond de l’être intérieur et qu’il empoisonne, ensuite, la vie tout entière. Les prophètes affirment l’existence de cette source cachée du mal et ils la trouvent dans le cœur humain. « Ce peuple a un cœur indocile et rebelle ; ils se révoltent et s’en vont. Ils ne disent pas dans leur cœur : Craignons l’Éternel notre Dieu… Ils ont suivi les conseils, les penchants de leur mauvais cœur » (Jérémie 5.23 ; Jérémie 7.24 ; Jérémie 7.13 ; Jérémie 18.12). Et ce qui caractérise principalement le cœur mauvais, c’est d’être porté à la dissimulation, qui est la conséquence naturelle du péché. « Le cœur est tortueux, par-dessus tout, et il est méchant ; qui peut le connaître ? » (Jérémie 17.9). Cette disposition mauvaise se ramène aussi à l’égoïsme, « chacun suivant sa propre voie » (Ésaïe 53.6). De là résultent parfois, dans la prédication des prophètes, un pessimisme et un découragement profonds au sujet de l’homme et de sa destinée. « Je le sais, ô Éternel, la voie de l’homme n’est pas en son pouvoir ; ce n’est pas à l’homme, quand il marche, à diriger ses pas. » « Un Éthiopien peut-il changer sa peau, et un léopard ses taches ? De même pourriez-vous faire le bien, vous qui êtes accoutumés à faire le mal ? » (Jérémie 10.23 ; Jérémie 13.23 ; Jérémie 13.2-25). « Tu es endurci et ton cou est une barre de fer… Je savais que tu es infidèle et que, dès ta naissance, tu fus appelé rebelle. » « Nous étions tous errants comme des brebis » (Ésaïe 48.4-8 ; Ésaïe 53.6).

Comme les autres écrivains bibliques, les prophètes voient dans la culpabilité un fait collectif. C’est avec son peuple dans son ensemble que Dieu a conclu son alliance, c’est le peuple dans son ensemble, et non pas l’individu, qui s’oppose à cette alliance et qui, par conséquent, s’adonne au péché ; il n’y a pas, à proprement parler, de violation individuelle de la loi ou, du moins, toute faute, même personnelle, comporte une responsabilité nationale. Avant, comme après l’exil, les prophètes conservent cette notion collective du péché. « Le bœuf connaît son possesseur et l’âne la crèche de son maître. Israël ne connaît rien ; mon peuple n’a point d’intelligence. Malheur à la nation pécheresse, au peuple chargé d’iniquités ! » (Ésaïe 1.3 et suivant). « La jeune fille oublie-t-elle ses ornements, la fiancée sa ceinture ? Et mon peuple m’a oublié depuis des jours sans nombre… Même la cigogne connaît dans les cieux sa saison ; la tourterelle, l’hirondelle et la grue observent le temps de leur arrivée ; mais mon peuple ne connaît pas la loi de l’Éternel » (Jérémie 2.32 ; Jérémie 8.7).

Ce péché collectif, cette corruption générale se manifestent avec éclat dans l’infidélité de ceux qui devraient donner au peuple sa direction religieuse et morale : les prêtres et les prophètes. La nation est vraiment perdue et les prétendus envoyés de Dieu sont en réalité « des ennemis dans sa maison » ; ils s’adonnent, comme leurs concitoyens, au culte des idoles ; l’appât du gain est leur grande préoccupation ; leur impiété, leur fausseté et leur immoralité froissent perpétuellement la sainteté de l’Éternel (Osée 4.9 ; Osée 9.8 ; Michée 3.5 ; Michée 3.11 ; Jérémie 2.8-26 ; Ézéchiel 22.25-28 ; Malachie 1.6 ; Malachie 1.8).

Puisque c’est la collectivité qui se révolte contre son Dieu, c’est aussi sur elle que s’abattra le châtiment, conséquence de cette déchéance universelle. La nation sera abandonnée de Dieu, qui « lui cachera sa face » ; elle sera vouée à la destruction. « Le Seigneur dit : Je dirigerai contre eux mes regards, pour leur faire du mal et non du bien ». L’envahissement, la captivité, la ruine d’Israël seront considérés comme l’accomplissement historique de ces menaces prophétiques (Amos 2.13 ; Amos 2.16 ; Amos 3.11 ; Amos 6.7-9 ; Amos 9.4 ; Osée 13.7 ; Michée 3.4).

Ainsi, pour les prophètes, la culpabilité et la punition ont un caractère collectif. L’individu ne se sépare pas de la race, quand il commet et quand il expie le péché. Et une telle conviction exprime cette même notion de la solidarité humaine, que suppose et confirme la doctrine évangélique de la rédemption et de l’expiation (voir ces mots).

Pourtant, à côté de cette conception, et coexistant avec elle, une notion nouvelle de la responsabilité va surgir chez Jérémie et ses successeurs. L’exil devait entraîner la faillite de l’organisation nationale : il était naturel que l’individu fût mis au premier plan et que l’on parvînt à une conscience plus précise de sa valeur. Une réaction va donc se produire contre la notion uniquement collective du péché : l’on admet qu’il a sa source dans l’individu et l’on se préoccupe d’arriver à une plus juste attribution de la peine. « On ne dira plus : Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants en ont été agacées. Mais chacun mourra pour sa propre iniquité : tout homme qui mangera des raisins verts, ses dents en seront agacées » (Jérémie 31.29 et suivant). « Moi, l’Éternel, j’éprouve le cœur, je sonde les reins, pour rendre à chacun selon ses voies, selon le fruit de ses œuvres » (Jérémie 17.10 ; Jérémie 17.32 ; Lamentations 5.7). « L’âme qui pèche, c’est celle qui mourra. Le fils ne portera pas l’iniquité de son père et le père ne portera pas l’iniquité de son fils. La justice du juste sera sur lui et la méchanceté du méchant sera sur lui » (Ézéchiel 18.20, voir verset 2,19 ; Ézéchiel 14.13-23 ; Ézéchiel 33.12-20).

Tout ce qui précède montre, d’une manière très claire, que la mission des prophètes a été de réveiller d’abord la conscience de leur peuple. Pour y arriver, ils ont été conduits à faire une analyse du péché plus approfondie que celle que nous pourrions trouver ailleurs. Et si leur connaissance du péché est aussi précise et aussi complète, c’est parce qu’ils ont une haute idée de la justice et de la sainteté divines.

Mais le Dieu dont ils s’efforcent d’exprimer la pensée et la volonté n’est pas seulement le Saint, qui ne peut souffrir le mal ; c’est encore et surtout l’Être miséricordieux qui désire le salut de ses enfants rebelles et qui n’attend qu’une chose — leur repentance et leur conversion — pour leur accorder le pardon et le relèvement. De là, après les menaces les plus sévères, les plus réconfortantes promesses. « En ce temps-là, je relèverai de sa chute la maison de David…  » (Amos 9.11). « L’Éternel a déchiré, mais il nous guérira…  » (Osée 6.1-3). « Il ne garde pas sa colère à toujours… Il mettra sous ses pieds nos iniquités…  » (Michée 7.18-20). « Si vos péchés sont comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme la neige…  » (Ésaïe 1.18). Ainsi, Dieu manifestera sa fidélité à son peuple et il réalisera par là pleinement ses antiques promesses.

Les prophètes ont été conduits à voir dans le cœur humain la source cachée du mal. C’est ce cœur mauvais que Dieu changera par un véritable miracle de sa puissance. « Je leur donnerai un même cœur et une même voie, afin qu’ils me craignent toujours… Je mettrai ma crainte dans leur cœur » (Jérémie 32.39 ; Jérémie 31.33 ; Jérémie 24.6). Et la parole prophétique qui exprime à la fois l’horreur de Dieu pour le péché et son désir de voir se lever enfin une humanité nouvelle, se trouve sous la plume d’Ézéchiel : « Je suis vivant, dit l’Éternel : ce que je désire, ce n’est pas que le méchant meure, c’est qu’il change de conduite et qu’il vive » (Ézéchiel 33.11 ; Ézéchiel 33.18 ; Ézéchiel 33.21-24 ; Ézéchiel 33.29-32).

V Les Écrits

L’influence du prophétisme se fait sentir très profondément sur un certain nombre des auteurs dont les ouvrages sont groupés dans la troisième partie du canon hébraïque, « les Écrits sacrés ».

C’est ainsi que dans les Psaumes, dans les Proverbes et dans le livre de Job, nous trouvons un vif sentiment de la culpabilité humaine, de l’horreur profonde que Dieu éprouve pour tout ce qui est mal, de l’offense commise à l’égard de sa justice et de sa sainteté, car le péché est en réalité dirigé contre Dieu.

Tu mots devant toi nos iniquités, Et à la lumière de ta face nos fautes cachées… Qui prend garde à la force de ta colère.

Et à ton courroux, selon la crainte qui t’est due (Psaumes 90.5-11 1) ? L’Éternel a en horreur les hommes pervers… (Proverbes 3.32 ; Proverbes 3.6 ; Proverbes 3.16-19)

Même lorsque le péché concerne essentiellement le prochain, ce qui en constitue le caractère tragique, c’est bien moins le tort occasionné à l’homme que l’offense faite à la majesté divine. Après la navrante aventure de David avec Bath-Séba et l’odieux crime à l’égard d’Urie, le psalmiste proclame :

Job, de son côté, énumère les formes multiples du péché social — impureté, tromperie, adultère, injustice, égoïsme, avarice, méchanceté — et il montre que, dans chaque cas, c’est la condamnation divine qui constitue la sanction la plus redoutable (Job 31).

Une haute notion de la sainteté divine conduit les écrivains de cette période à considérer le péché humain comme réellement universel.

L’homme serait-il juste devant Dieu ? Serait-il pur devant celui qui l’a fait ? (Job 4.17 ; Job 9.1 ; Job 14.4 ; Job 15.14-16 ; Job 25.4)

Tous sont égarés, tous sont pervertis ; Il n’en est pas un qui fasse le bien, Pas même un seul (Psaumes 14.1-3, voir Psaumes 51.5 ; Psaumes 143.3).

Qui dira : J’ai purifié mon cceur, Je suis net de mon péché ? (Proverbes 20.9).

Non, il n’y a point d’homme juste sur la terre qui fasse le bien et qui ne pèche jamais (Ecclésiaste 7.20).

Une telle solidarité dans le péché ne se manifeste pas seulement dans l’espace, elle dure aussi dans le temps. Si l’homme pèche, c’est que ses ancêtres ont péché : par l’hérédité, la contagion du mal se répand dans le monde tout entier.

Comment d’un être souillé sortira-t-il un homme pur ? Il n’en peut sortir aucun (Job 14.4).

Voici, je suis né dans l’iniquité, Et ma mère m’a conçu dans le péché (Psaumes 51.7).

Les prophètes avaient proclamé que Jéhovah fait passer la justice avant toute autre considération. Jérémie et Ézéchiel avaient affirmé que chacun doit souffrir pour ses propres fautes. De là, dans la pensée israélite, cette importante doctrine de la rémunération, qui exigeait une stricte proportion entre le péché et le châtiment, entre la justice et la récompense. C’est pour cela que l’Israélite pieux prêtera facilement tous les crimes imaginables à ses frères dans le malheur, et que les historiens bibliques n’hésiteront pas à attribuer des fautes plus ou moins supposées aux rois qui ont connu de grands revers. Mais les faits s’insurgent bien souvent contre la théorie, et il y a, tout de même, des cas fort nombreux où, incontestablement, le juste subit de douloureuses épreuves et où le méchant jouit d’une triomphante prospérité. Que faut-il penser de ces violations d’une loi qui, pour le croyant, devrait être absolue ? C’est là la question que se posent certains psalmistes (particulièrement le Psaume 73) et qui fait l’objet du livre de Job tout entier.

Pour écarter de Dieu tout soupçon d’injustice, la solution la plus souhaitable, c’est que le méchant reçoive au bout du compte le châtiment qu’il mérite. Son bonheur constitue un scandale pour la foi : le vœu ardent des psalmistes est, tout naturellement, que ce scandale cesse, et ils expriment souvent leur désir avec une dureté de cœur qui ne peut manquer de nous choquer (Psaumes 10.13 ; Psaumes 10.15 ; Psaumes 69.23 ; Psaumes 69.29 ; Psaumes 104.35 ; Psaumes 109.6-20 ; Psaumes 137.8 ; Psaumes 139.19-22 ; Psaumes 143.12 ; Psaumes 73.16 ; Psaumes 73.20). Le juste demande à l’Éternel de lui épargner la souffrance, la pauvreté, la mort et se réjouit, en même temps, de tout malheur qui vient fondre sur le méchant. Certains psalmistes, par contre, s’élèvent beaucoup plus haut : au milieu de l’adversité elle-même, ils trouvent leur joie et leur salut dans la certitude réconfortante de la présence divine (Psaumes 42.6-11 ; Psaumes 73.21 ; Psaumes 73.28).

Ma chair et mon cœur peuvent se consumer :
Dieu sera toujours le rocher de mon cœur et mon partage…
Pour moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bien :
Je place mon refuge dans le Seigneur, l’Éternel
— Psaumes 73.26 ; Psaumes 73.28

Le livre de Job (voir article) aborde à son tour le difficile problème. D’après la doctrine courante, un homme atteint, comme Job, d’un mal sans remède, ne peut être qu’un misérable. Et cette explication, plus cruelle que le mal lui-même, est celle que le poète attribue aux amis de Job. Éliphaz, le plus âgé, se place au point de vue de la tradition des pères : il insiste sur le fait que, à cause de sa faiblesse, l’homme est toujours pécheur ; Jéhovah a donc raison de l’écraser (Job 4.17 ; Job 4.19 ; Job 15.4 ; Job 15.16). Le juste lui-même, en pratiquant la justice ; ne se crée aucun droit vis-à-vis de Dieu (Job 22.2 et suivant). Éliphaz ajoute, du reste, que les maux soufferts par Job sont pour lui un moyen de correction et de salut. Bildad (Job 5.17 ; Job 5.19 ; Job 22.22 et suivant) représente la doctrine orthodoxe dans toute sa rigueur : Dieu applique strictement la justice (Job 8.3) ; oublier Dieu, c’est périr (Job 8.13) ; avoir recours à l’Éternel, c’est être sûr du relèvement. Tsophar (Job 8.5 ; Job 8.7), le plus bouillant, s’indigne (Job 11.2 ; Job 20.2 et suivant) et renchérit : si Job connaissait les secrets de Dieu, il verrait que Dieu ne le traite même pas selon ses iniquités. Et (Job 11.6) la conclusion des trois amis est la suivante : les souffrances endurées prouvent à Job que sa prétendue piété est purement illusoire et qu’elle recouvre en réalité un véritable fond de méchanceté. Que Job s’humilie, et Jéhovah le relèvera.

À de telles explications, Job oppose les faits. D’une part, l’injuste, lorsqu’il est heureux, est considéré (Job 21.28 ; Job 21.34). D’autre part, lui-même a pleinement conscience de son innocence et il la proclame (Job 9.21-24 ; Job 13.13-16). par là, il affirme l’autorité de la conscience, supérieure à celle du dogme ; il compte sur Dieu pour manifester sa justice (Job 16.19 ; Job 16.21 ; Job 19.25). Ainsi le poète répond que la doctrine traditionnelle de la rémunération est fausse : le juste doit persister malgré tout dans sa justice ; la souffrance ne diminue pas sa communion avec Dieu, à qui il faut s’en remettre même quand on ne le comprend pas. L’épilogue semble, pourtant, revenir à la solution traditionnelle, puisque Dieu rétablit Job dans sa prospérité antérieure (Job 42.10 ; Job 42.17).

Quoi qu’on puisse penser des souffrances du juste, le péché devrait attirer sur le genre humain un châtiment d’autant plus redoutable que la faute est plus grande. Mais le Dieu saint et juste est, en même temps, un Dieu « miséricordieux et compatissant ». « Il ne nous punit pas selon nos iniquités » et, dans sa profonde pitié pour l’homme, il consent à lui pardonner (Psaumes 103.8-12 ; Psaumes 51.9-14 ; Psaumes 130.3 ; Psaumes 130.7). Dieu, de plus, connaît notre faiblesse et l’humilité de notre condition : comment pourrait-il se faire que sa miséricorde soit en défaut ?

Si Dieu n’a pas confiance en ses serviteurs, S’il trouve de la folie chez ses anges.

Combien plus chez ceux qui habitent des maisons d’argile, Qui tirent leur origine de la poussière (Job 4.18 ; Job 4.7-21 ; Job 14.1 ; Job 14.3). Dans sa miséricorde, il pardonne l’iniquité… Il se souvient qu’ils n’étaient que chair, Un souffle qui s’en va et qui ne revient pas (Psaumes 78.38 ; Psaumes 78.90 ; Psaumes 103.14-16).

Enfin, parmi les péchés de l’homme, il y a ceux pour lesquels sa responsabilité est atténuée et qui appellent le pardon divin : les péchés de la jeunesse, d’une part, et ceux qui ont été commis par ignorance, d’autre part.

Pourquoi m’infliger d’amères souffrances, Me punir pour des fautes de jeunesse (Job 13.26) ? Ne te souviens pas des fautes de ma jeunesse ni de mes transgressions. Souviens-toi de moi selon ta miséricorde, À cause de ta bonté, ô Éternel (Psaumes 25.7) ! Qui connaît ses égarements ? Pardonne-moi ceux que j’ignore ! (Psaumes 10.13 ; Psaumes 10.90)

Dieu est prêt à pardonner. Seulement, pour que sa miséricorde s’exerce, il faut reconnaître la faute commise et le droit absolu, qui appartient à Dieu, de châtier le coupable. Si le pécheur se repent, Dieu consent à effacer sa faute et à le rétablir dans son intégrité primitive : entre la repentance et le pardon, il y a donc véritablement relation de cause à effet.

Je t’ai fait connaître mon péché, je n’ai pas caché mon iniquité ; J’ai dit : J’avouerai mes transgressions à l’Éternel ! Et tu as effacé la peine de mon péché
— Psaumes 32.5 ; Psaumes 32.34)

Ainsi se trouve confirmée la vérité déjà proclamée par les prophètes, à savoir que les cérémonies du culte lévitique et le sang des taureaux et des boucs sont, à eux seuls, incapables de procurer le pardon (Psaumes 50.7 ; Psaumes 50.15 ; Psaumes 51.18 et suivant). Au lieu des sacrifices et des holocaustes, Dieu réclame le cri d’une âme qui implore sa délivrance et la supplication d’un cœur écrasé sous le sentiment de sa faute. Aussi, nombreux sont les Psaumes — dits « Psaumes de la repentance » — où l’âme pécheresse exhale sa douleur et prie l’Éternel de lui accorder le salut (Psaume 32, Psaume 51, Psaume 143 etc.).

La piété israélite aboutit donc à cette double conclusion : les hommes sont pécheurs et ils le sont tous sans exception ; le pardon et le salut sont accessibles à ceux qui se repentent et qui mettent leur confiance en Dieu. Le pécheur pardonné, l’homme qui a la foi recevra le nom de « juste », tandis que le « méchant » est celui qui refuse la grâce divine et qui s’obstine dans son péché, celui qui, n’ayant pas la crainte de Dieu, devient, par une pente fatale, l’adversaire de Dieu et l’adversaire du juste qui se repose en Dieu.

Le méchant dans son orgueil poursuit les malheureux, Ils sont victimes des trames qu’il a conçues. Car le méchant se glorifie de sa convoitise, Et le ravisseur outrage, méprise l’Éternel. Le méchant dit avec arrogance : Il ne punit pas ! Il n’y a point de Dieu. Voilà toutes ses pensées
— Psaumes 10.2-4

Étant délivré du châtiment, le juste a part à toutes les bénédictions de Dieu, tandis que le méchant reste sous le coup de la malédiction et court à son malheur et à sa ruine.

Beaucoup de douleurs sont la part du méchant, Mais celui qui se confie en l’Éternel est environné de sa grâce (Psaumes 32.10 ; Psaumes 1.3-6 ; Psaumes 6.9 ; Psaumes 107.4) Sa ruine arrivera subitement ; Il sera brisé tout d’un coup et sans remède (Proverbes 6.15 ; Proverbes 6.24-33)

Il y a par conséquent un lien étroit entre la justice et la bénédiction, entre la méchanceté et la malédiction. Dans bien des cas, le sentiment du péché semblait indépendant des conséquences fâcheuses qui constituent la sanction extérieure aux manquements divins. Mais, dans d’autres cas, il n’en est pas ainsi, et la morale israélite revêt alors un caractère essentiellement utilitaire. En recherchant le pardon et la communion de son Dieu, le juste paraît surtout préoccupé d’éviter la punition du péché et de s’assurer la récompense inhérente au bien (Psaumes 6.2 ; Psaumes 10.12 ; Psaumes 102.28). Même, d’après le livre des Proverbes, ce sont surtout les biens matériels que Dieu réserve aux justes, et les châtiments extérieurs qui atteignent l’impie sont la honte, la maladie, la pauvreté et surtout la mort subite ; voir (Proverbes 10.3 ; Proverbes 13.18) Rétribution.

Dans une telle conception de la morale, le péché s’identifie avec la folie et la justice avec cela sagesse » (voir ces mots), et cette sagesse est moins la connaissance de Dieu que celle des moyens qui permettront d’arriver au bonheur. C’est en ce sens qu’il faut prendre la parole : « La crainte de l’Éternel est le commencement de la sagesse » (Proverbes 1.7 ; Proverbes 9.10). Cet utilitarisme intellectualiste, d’après lequel la pratique de la justice et de la piété est la première règle de l’intérêt bien entendu, aboutit aux préceptes de l’égoïsme terriblement terre à terre, que nous trouvons dans certains passages des Proverbes (Proverbes 11.15 ; Proverbes 6.32 ; Proverbes 6.35). On en arrive à méconnaître le besoin de rédemption, éloquemment exprimé par plusieurs Psaumes : le sage ordonne sa propre vie d’une manière aussi satisfaisante que possible et il laisse le méchant courir à la ruine qu’attire sur lui sa folie (Proverbes 1.20-33).

Nous voyons ainsi se dessiner une certaine évolution de la pensée israélite qui l’éloigné du prophétisme et la met parfois en complète opposition avec lui. Ce courant nouveau, le judaïsme, apparaît après l’exil et la restauration d’Esdras et de Néhémie. Il trouve son expression notamment dans le Code sacerdotal, dans les Chroniques, dans les livres apocryphes et dans les Talmuds.

Le judaïsme accentue, par exemple, le double caractère d’utilitarisme et d’intellectualisme que nous constatons dans la morale des Proverbes et de l’Ecclésiaste, et qui est certainement en désaccord avec la pensée prophétique. D’après le Siracide, il y a deux catégories d’hommes nettement différenciés (Siracide 33.14). Le pécheur doit être traité sans aucune miséricorde (Siracide 12.4). En effet, il ne peut venir aucun bien de celui qui se refuse à être instruit. Même point de vue dans la Sagesse de Salomon : il y a une incompatibilité absolue entre la sagesse et le péché (Siracide 1.4). L’ignorance et la folie ne sont pas simplement les causes du péché : elles s’identifient réellement avec lui (Siracide 2.21 ; Siracide 4.17 ; Siracide 4.20, etc.).

On accepte pourtant, pour le pécheur, la possibilité d’abandonner son péché et de revenir au Seigneur et à la justice. Mais c’est à la condition de cultiver la sagesse, de s’instruire par l’expérience de la vie quotidienne, d’accepter une exacte et continuelle discipline de la raison, considérée comme le guide suprême de la vie humaine (Siracide 14.20 ; Siracide 34.9 ; Siracide 37.16 ; Siracide 39.1 ; Siracide 39.11 ; Sagesse 2.1 ; Sagesse 6.12 ; Sagesse 17.1). La justice est immortelle et conduit à l’immortalité ceux qui cultivent la sagesse (Sagesse 1.15 ; Sagesse 2.23 ; Sagesse 3.4 ; Sagesse 6.18 ; Sagesse 8.13-17, etc.). Cette sagesse c’est, du reste, la manifestation de l’Esprit de Dieu (Sagesse 1.4-7 ; Sagesse 7.7 ; Sagesse 9.17 ; Sagesse 12.1).

Il semble parfois que le péché est inhérent à la nature physique, à la chair, le bâsâr (Siracide 23.6 ; Sagesse 12.10, 4 Macchabées 7.18, Hénoch 30.16). Mais « la chair », dans l’Ancien Testament tout comme dans le Nouveau Testament (voir plus loin la conception paulinienne de la sarx, source du péché), n’est pas le corps, mais bien plutôt l’homme tout entier, considéré avec sa faiblesse et sa misère dans sa relation avec le Créateur (voir Alexandre Westphal, Chair et esprit, Toulouse 1885).

L’homme n’a pas été créé méchant (Siracide 10.19). Mais tous les hommes sont coupables (Siracide 8.5). La faute en est, non au Créateur, mais à la créature. La corruption de l’humanité vient de la chute d’Adam (Siracide 15.14 ; Sagesse 2.24). Le premier péché est comparé à une mauvaise graine, semée dans le cœur d’Adam ; les suites en sont appelées « beaucoup d’iniquité qu’elle a produit jusqu’en ces temps-ci » (Pseudo-Esdras 4.30). L’Ecclésiastique affirme, de son côté, avec une absolue précision : « Le commencement du péché est venu d’une femme : nous mourons tous à cause d’elle » (Siracide 25.24).

La littérature talmudique admet un penchant au mal dans le cœur de tout homme. C’est « l’instinct mauvais », le jézer hâra. Nous nous rapprochons par là de la doctrine indiquée dans Genèse 4.7 (le péché guette devant la porte et veut se rendre l’homme favorable) et dans Jérémie 17.9 (le cœur de l’homme est essentiellement tortueux et méchant). Avec cet instinct du mal coexiste, il est vrai, l’instinct du bien, le jézer hattôb, et c’est à l’âge du discernement et de la responsabilité que se fera le choix décisif, que l’homme sortira de l’état de neutralité où il demeure pendant son enfance.

Le judaïsme s’écarte principalement de la pensée des prophètes — qui sera celle de l’Évangile — lorsqu’il affirme que le salut appartient au Juif par droit de naissance. Celui-ci est le fils aîné de Dieu et est assuré, quoi qu’il arrive, de jouir de la protection d’En-haut. Les autres hommes ne peuvent bénéficier du même salut que dans la mesure où les Juifs leur serviront de médiateurs. La pensée de Jésus, reprise et développée par l’apôtre Paul, est, tout au contraire, que Juifs et païens partagent la même culpabilité et sont, de ce fait, égaux devant le salut. Les uns comme les autres arrivent à la réconciliation avec Dieu et à la vie éternelle par une seule voie : non pas la justice de la loi, mais l’humble reconnaissance de leur péché et une sincère repentance. C’est sur ces fondements solides, déjà posés par les prophètes, que s’édifieront l’alliance nouvelle et cette humanité régénérée qui s’appelle le Royaume de Dieu.

VI Les Évangiles

Jésus, pas plus que ses devanciers, n’est un théoricien ni un théologien. Il est beaucoup plus et mieux que cela : le Sauveur. Il veut réconcilier le monde avec son Créateur et son Père : il veut fonder une humanité nouvelle, le Royaume de Dieu. Sur sa route, voilà le péché, l’éternel ennemi de la race humaine. Pour réaliser le plan divin, la première chose à faire, c’est de supprimer l’obstacle. C’est pourquoi le salut apporté par Jésus-Christ est d’abord la libération à l’égard du péché. Et l’ange définit exactement la mission du Rédempteur quand il dit à Joseph : « C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Matthieu 1.21).

En un combat semblable à celui que Jésus doit livrer – lutte tragique dans laquelle il donnera sa vie – , le point primordial est de connaître l’adversaire, de deviner ses plans, de savoir ses ruses, de découvrir son repaire. Il suffit d’étudier la pensée de Jésus pour constater que le Maître possède du péché une connaissance vivante, pratique, précise et approfondie.

Une telle connaissance, Jésus la puise tout d’abord dans « la Loi et les Prophètes ». Il est essentiellement un continuateur : dans son enseignement et dans son œuvre ; il prend à son compte les données de la révélation divine ; il les considère comme définitivement acquises ; il en fait son solide point de départ. Nous verrons comment son autorité souveraine a confirmé et consacré ce que ses prédécesseurs avaient dit du péché et comment il a dégagé les conséquences profondes et la signification éternelle du message de l’Ancien Testament

En outre, il y a, nous l’avons dit, une relation étroite entre l’idée que les hommes de la Bible se font du péché et celle qu’ils ont de Dieu. En développant le contenu spirituel et moral de l’Ancien Testament, qu’il s’est assimilé d’une manière si parfaite, Jésus éclaire sa conception du péché par la connaissance intime, vivante, immédiate qu’il possède du Père céleste. Le sentiment de la culpabilité humaine ne pouvait que s’approfondir et s’intensifier chez Celui en qui s’est incarnée la plus haute idée qu’on pût se faire de la majesté, de la sainteté et de l’amour de Dieu.

Enfin, notons que la sainteté absolue de Jésus-Christ lui conférait une autorité absolument unique pour reconnaître et pour définir le péché. Une conscience pure comme la sienne pouvait seule comprendre le mal dans toute son horreur et le deviner dans ses sources les plus cachées.

Ainsi, la valeur des révélations apportées par le Maître repose sur le triple fondement de sa compréhension parfaite de l’Écriture, de sa communion directe avec le Père céleste et d’une conscience sur laquelle le mal n’a jamais eu la moindre prise ; demandons-nous maintenant comment la nature du péché va se préciser à ses yeux.

Les contemporains de Jésus, et même l’élite de son peuple, se sont considérablement éloignés de l’enseignement prophétique. Il y a cinq siècles que la voix des prophètes a cessé de retentir, et c’est maintenant le triomphe du légalisme et du formalisme, dont ils avaient voulu saper les fondements. Pour les représentants autorisés du judaïsme et les chefs religieux de la nation, la volonté de Dieu, c’est l’accomplissement de la loi mosaïque, envisagée sous son aspect le plus extérieur et considérée comme un ensemble de prescriptions cérémonielles, multiples et précises. Pécher, c’est enfreindre la loi ainsi comprise. Les pécheurs, ce sont d’abord les païens qui, étrangers aux promesses et aux obligations réservées à la race d’Abraham, ignorent complètement les lois et les ordonnances juives (cf. Galates 2.15 : « Nous sommes Juifs de naissance et non pécheurs d’entre les païens »). Ce sont ensuite, parmi les Juifs eux-mêmes, tous ceux dont la vie n’est pas réglée sur l’observation minutieuse des commandements et des traditions rabbiniques, « les péagers et les gens de mauvaise vie ». Seuls les scribes et les pharisiens, stricts observateurs de la loi, méritent d’être considérés, au sens complet du mot, comme des justes (Marc 2.15-17 ; Matthieu 9.10 ; Matthieu 9.13).

Fidèle à l’inspiration prophétique, guidé par sa notion profondément spirituelle de la volonté divine, éclairé par une conscience infiniment délicate, Jésus ne pouvait s’en tenir ni à la conception purement extérieure et légale de la sainteté et du mal, ni à la classification tout humaine des justes et des pécheurs. Et ainsi il allait aboutir à un renversement des valeurs reconnues de son temps et opérer une véritable révolution morale.

En premier lieu, Jésus se refuse à accepter la notion que ses contemporains avaient du péché. Les lois mosaïques sont vraies, mais il faut en faire un autre usage que les pharisiens. Pour éviter le mal, il ne suffit pas d’en observer la lettre, il faut aussi en respecter l’esprit. Ainsi l’on commet l’iniquité, non seulement quand on accomplit un meurtre, mais encore quand on se laisse aller à la colère et à la haine, sources profondes du crime ; non seulement quand on consomme l’adultère, mais aussi quand on jette un regard de convoitise charnelle ; non seulement quand on viole un serment, exprimé sous les formes légales, mais encore quand, dans l’exercice ordinaire de la parole, on s’éloigne de la pure et stricte vérité. Et il en est ainsi pour tous les points de la loi divine : la non-résistance aux méchants, l’amour des ennemis, etc. (Matthieu 5.21 ; Matthieu 5.48). L’enfant de Dieu doit parvenir à une fidélité intime à la loi et à une perfection morale, qui fasse de lui un imitateur de son Père céleste (verset 48, cf. Éphésiens 5.1). Ne pas arriver à ce degré de sainteté morale, c’est commettre le péché.

En second lieu, ayant une telle idée du mal, Jésus ne pouvait se satisfaire de la justice apparente des pharisiens, ni les mettre dans une caste moralement supérieure et opposée à la catégorie des pécheurs. D’abord, en se plaçant eux-mêmes au pinacle de la sainteté, lès pharisiens pèchent, parce qu’ils manquent de la charité la plus élémentaire et qu’ils jugent avec dureté ceux qui ne partagent pas leurs préjugés. « Allez, leur dit le Maître, apprenez ce que signifie : Je prends plaisir à la miséricorde et non aux sacrifices » (Matthieu 9.13, cf. Osée 6.6). Ensuite, non seulement les pharisiens manquent d’humilité et d’amour, mais encore, sous leur piété de surface, ils cachent la méchanceté et l’injustice. Pour l’apparence, ils font de longues prières, mais, en même temps, ils dévorent les maisons des veuves (Matthieu 23.14). Ils payent la dîme des plus infimes sources de leurs revenus, mais ils négligent « ce qui est plus important dans la loi : la justice, la miséricorde et la fidélité » (Matthieu 23.23). « Ils nettoient le dehors de la coupe et du plat et, au dedans, ils sont pleins de rapine et d’intempérance » (verset 25). Au fond, leur péché est encore aggravé par leur hypocrisie (voir ce mot). « Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes » et non pour plaire à Dieu (Matthieu 23.5 ; cf. Matthieu 6.2 ; Matthieu 6.5-16) ; « ils disent et ne font pas » (Matthieu 23.3). Avec une éloquente indignation, qui rappelle celle des prophètes, Jésus met au grand jour toutes les tares morales qui se cachent sous cette fausse justice. « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors et qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impureté. Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais au dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité… Serpents, race de vipères ! comment échapperez-vous au châtiment de la géhenne ? » (verset 27 et suivant- 33).

Jésus résume le fond de sa pensée tout à la fois sur le sens véritable de la loi divine et sur l’erreur commise par les pharisiens en ce qui la concerne, quand il déclare à ses disciples : « Je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux » (Matthieu 5.20). « Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Faites et observez tout ce qu’ils vous disent, mais n’agissez pas selon leurs œuvres » (Matthieu 23.2 et suivant). « Ceux qui disent : Seigneur, Seigneur ! n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Matthieu 7.21).

Étendre, bien au delà des étroites limites de la morale pharisaïque, les exigences de la loi divine, c’était élargir la notion de ce péché radical qui est une offense faite au Créateur et constitue une dette (opheïlêma) à son égard ; voir (Matthieu 6.12) Dette. Dévoiler les tares de ceux qui se prétendent hypocritement d’accord avec Dieu, c’était découvrir, parmi ces prétendus justes, des pécheurs semblables aux autres hommes. Et, par conséquent, le péché compris comme il doit l’être devient un fait réellement universel. Jésus appelle indistinctement tous les hommes « les méchants » (Matthieu 7.11). Ses contemporains forment « une race adultère et perverse » (Matthieu 12.39 ; Matthieu 16.4). Ceux qui, comme le jeune homme riche, croient être parvenus à la justice, se trompent et ne sont pas en mesure d’entrer dans le Royaume de Dieu, parce qu’ils n’ont pas encore pris au sérieux le devoir du renoncement total (Matthieu 19.16 ; Matthieu 19.26). Et celui qui voit le péché, non pas en lui, mais chez le prochain, est plus mauvais que lui. « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil…  » (Matthieu 7.3 ; Matthieu 7.5). Seul Jésus, en vertu de sa nature divine, fait exception à cette corruption universelle (Jean 4.34 ; Jean 8.29-46 ; Jean 17.4).

Jésus ne s’en tient pas aux apparences ; il n’envisage pas la réalité morale seulement de l’extérieur. Pour lui, le péché existe là même où les hommes ne savent pas le voir, et, comme les prophètes, Jésus lui reconnaît une retraite cachée, d’où il importe de l’extirper : les profondeurs du cœur humain. Le mal est aux sources profondes de la vie, et par là il souille toutes les pensées, toutes les paroles, toutes les actions humaines. Il empoisonne l’existence à sa base. « C’est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages, les calomnies » (Matthieu 15.19). « Race de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, méchants comme vous l’êtes ? Car c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle. L’homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur, et l’homme méchant tire de mauvaises choses de son mauvais trésor » (Matthieu 12.34). Le péché se manifeste dans les actes parce qu’il constitue l’être caché, dans l’homme : les fruits sont mauvais parce que l’arbre lui-même est mauvais dans son essence (Matthieu 7.16 ; Matthieu 7.18). Le péché n’est donc pas dans la vie un simple épisode et, pour parler comme les philosophes, un « épiphénomène » ; il est devenu un trait essentiel de la nature humaine et donne à sa conduite une direction persistante qui est foncièrement mauvaise.

Jésus ne se demande pas quelle est l’origine première du mal. Il en constate l’action néfaste dans le cœur de l’homme et dans l’ensemble de l’humanité. Le monde est sous la domination de la « puissance des ténèbres » (Luc 22.53) ou « puissance de l’ennemi » (Luc 10.19), le diable, que le 4e évangéliste appelle le meurtrier et le menteur (Jean 8.44). Quand on demande au maître de la parabole qui a jeté de l’ivraie dans son champ, il répond : « c’est un ennemi qui a fait cela » ; Jésus précise : « l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable » (Matthieu 13.28 ; Matthieu 13.39). C’est le diable qui, d’après Jésus, enlève la bonne semence dans le cœur de celui qui a écouté la parole de Dieu mais ne l’a pas comprise (Matthieu 13.19). Jésus explique qu’une parole loyale n’a pas besoin d’une confirmation extérieure : « ce qu’on y ajoute vient du Malin » (Matthieu 5.37). C’est cet esprit du mal qui fait naître la tentation dans le cœur ; avant l’épreuve de sa mort, le Maître avertit son apôtre : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment » (Luc 22.31).

En un mot, pour Jésus l’homme est foncièrement mauvais, puisque son cœur est sous la puissance du péché, et il est soumis à une domination fatale, celle du diable, du moins tant que la grâce divine n’a pas fait son œuvre de rénovation en lui et ne l’a pas intégré au Royaume de Dieu.

Mais quelles sont les tristes conséquences du pouvoir que Satan exerce dans le monde ?

C’est d’abord la privation de cette liberté, qui appartient aux enfants de Dieu ; c’est l’esclavage. « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque se livre au péché est esclave du péché » (Jean 8.34, cf. Romains 6.16 ; Romains 6.22 ; Tite 3.3 ; 2 Pierre 2.19). Il faut faire un choix entre deux états, entre deux maîtres : ou Dieu ou Mammon ; tant que l’homme n’a pas accepté de se plier à la volonté de Dieu, il est soumis à la puissance pernicieuse du Malin (Matthieu 6.21).

En second lieu, la lèpre hideuse du péché offre ce caractère d’être contagieuse et de faire de ceux qui en sont atteints des agents actifs de dissolution et de mort. De là viennent les scandales (voir ce mot), ou occasions de chute pour le prochain, dont le pécheur porte la lourde responsabilité. « Malheur au monde à cause des scandales ! Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! » (Matthieu 18.7). Cette culpabilité s’aggrave quand elle a pour conséquence de conduire au mal « un de ces petits qui croient en moi » et qui auraient pu rester dans l’innocence (Matthieu 18.6). La contagion du mal, par la force de la parole et de l’exemple, risque d’atteindre les âmes les plus éloignées du mal. Jésus lui-même ne se considère pas comme étant à l’abri de son atteinte. Ne l’entendons-nous pas dire à Pierre, au moment où celui-ci aurait voulu le détourner de la voie du sacrifice, et de sa mission rédemptrice : « Arrière de moi, Satan ! tu m’es en scandale ; car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes » (Matthieu 16.23) ? D’ailleurs, Jésus dépeint le règne de Dieu comme excluant tout ce qui peut faire tomber les hommes. « Le Fils de l’homme enverra ses anges, qui arracheront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l’iniquité » (Matthieu 13.41). En d’autres termes, partout où le péché existe, il y a inévitablement une force d’attraction qui entraîne et pervertit les âmes placées dans sa sphère d’action. Et il est juste d’appliquer à la puissance du mal la loi de la solidarité énoncée par l’apôtre Paul : « Nul de nous ne vit pour lui-même, et nul ne meurt pour lui-même » (Romains 14.7). En troisième lieu, le mal qui fait de l’homme son esclave, son auxiliaire et son complice, corrompt la nature tout entière et propage la souffrance, la maladie et la mort. Sans doute, Jésus s’élève contre la conception courante, suivant laquelle il y aurait une relation immédiate et directe entre la douleur et le péché. En présence de l’aveugle-né, il proteste contre cette vue étroite des disciples, d’après laquelle une telle infirmité impliquerait nécessairement la responsabilité directe de ce malheureux ou de ses parents (Jean 9.1 ; Jean 9.3). Et quand on lui parle des Galiléens mis à mort par Pilate, ou des dix-huit personnes sur lesquelles était tombée la tour de Siloé, il répond : « Croyez-vous que ces hommes fussent plus coupables que les autres habitants de la Galilée ou de la Judée ? » (Luc 13.1 ; Luc 13.5). Cependant, il existe pour Jésus une relation générale et essentielle entre la souffrance et le péché. Le diable est le chef des démons qui provoquent la maladie. Quand le Sauveur libère une malheureuse possédée, il s’écrie avec un accent de miséricorde : « Cette femme, qui est une fille d’Abraham, et que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de cette chaîne le jour du sabbat ? » (Luc 13.16). Quand il guérit le démoniaque aveugle et muet, il montre aux pharisiens l’absurdité qu’il V a à l’accuser de chasser les démons par Béelzébul, le prince des démons et l’auteur des maladies et des infirmités (Matthieu 12.22-30). Avant de rendre la liberté de ses mouvements au paralytique de Capernaüm, il lui pardonne ses péchés, origine première de sa maladie (Matthieu 9.2 ; Matthieu 9.6). Et à l’infirme de Béthesda il dit, après avoir accompli son miracle : « Voici, tu as été guéri ; ne pèche plus de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire » (Jean 5.14). En somme, si Jésus s’interdit tout jugement sévère sur ceux qu’il a la mission de conduire à la vie (Jean 8.15 : « Vous jugez selon la chair et moi je ne juge personne »), et si, par conséquent, il se refuse à toute application trop étroite de la loi qui unit la douleur au péché, il n’en affirme pas moins l’existence de cette loi générale et il voit dans l’opposition de l’homme à la volonté divine la source de tous les maux qui ont fondu sur l’espèce -humaine.

C’est sur cette terre douloureuse, profondément atteinte par le péché, que Jésus est venu accomplir son œuvre rédemptrice, « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Luc 19.10, cf. Matthieu 20.28). Seulement, pour obtenir ce salut, il faut que l’homme accepte de passer par la voie de la repentance, c’est-à-dire qu’il reconnaisse son état de péché et qu’il s’en détourne. Les prophètes l’avaient déjà affirmé. Jean-Baptiste, le précurseur, avait préparé le chemin du Sauveur en éveillant chez les multitudes la vive conscience de leur misère et en les conduisant à l’aveu de leurs fautes (Marc 1.4). Jésus ouvre son ministère en proclamant le même message : « Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche » (Matthieu 4.17). Ainsi Jésus, grâce à la puissance divine qui l’habite, accomplit et achève ce qui avait été révélé avant lui. Son enseignement sans égal, son ministère si court, mais si rempli, sa mort expiatoire sur le Calvaire, terme dernier de toute l’action éducatrice et salvatrice du Dieu d’amour, conduisent une humanité perdue au salut depuis si longtemps désiré. Pierre le déclare à ses compatriotes : « C’est à vous premièrement que Dieu, ayant suscité son serviteur, l’a envoyé pour vous bénir, en détournant chacun de vous de ses iniquités » (Actes 3.26). « Dieu l’a élevé par sa droite comme Prince et Sauveur pour donner à Israël la repentance et le pardon de ses péchés » (Actes 5.31).

Mais, en présence du salut désormais réalisé, un grand devoir s’impose à tous les hommes : celui de l’accepter ; car, sans cela, ils n’ont aucun moyen de se soustraire eux-mêmes et de soustraire le monde à l’odieuse domination de Satan. Ne pas se plier à cette obligation sainte, c’est commettre un péché d’un genre nouveau, le péché suprême, celui qui consiste à repousser la grâce divine et à fermer son cœur et sa vie à l’amour divin, manifesté en Jésus-Christ. C’est sur ce point que nous voyons s’éclairer la conception propre à Jésus et se manifester la révolution morale et spirituelle accomplie par le Sauveur.

En face de lui et de son œuvre, il y a deux attitudes possibles, mais deux seulement, et ces attitudes sont adoptées par deux catégories d’hommes, opposées l’une à l’autre. D’abord, « les justes qui n’ont pas besoin de repentance »… Nous (Luc 15.7) savons ce qu’il faut penser de cette prétendue justice, soi-disant exempte de péché. Parce qu’ils estiment ne pas avoir besoin du salut, parce qu’ils ferment volontairement les yeux sur leur situation misérable, parce qu’ils se drapent orgueilleusement dans le manteau de leur hypocrite suffisance, de tels hommes se privent du pardon et de la paix, dont ils ont tout autant besoin que les autres hommes. Pas plus que son Père céleste, Jésus, son fidèle représentant sur la terre, ne songe à violenter la liberté humaine. Il propose, mais il n’impose pas son salut. Le Sauveur ne peut rien contre le refus obstiné de ceux qui s’opposent à sa grâce. Et avec la douceur, mais aussi avec la fermeté qui le caractérisent, il déclare : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades… Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Matthieu 9.12 et suivant).

Les pharisiens refusent, et avec eux, dans tous les pays et dans tous les temps, ceux qui s’endurcissent dans leur péché et dans leur incrédulité. Tant que la lumière n’était pas venue dans le monde, la culpabilité n’existait pas, ou, du moins, elle était considérablement atténuée. Savoir la vérité et ne pas vouloir se repentir : voilà le grand crime contre Dieu, la néfaste révolte contre sa volonté sainte et miséricordieuse. « Si je n’étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont aucune excuse de leur péché » (Jean 15.22 ; Jean 15.24 ; Jean 9.41). Et, dans de multiples occasions, Jésus montre aux hommes de son pays quelles lourdes responsabilités cette incrédulité fait peser sur leurs épaules (Luc 10.13 et suivant, Matthieu 12.41 ; Matthieu 23.37). Cet endurcissement irrémédiable de l’âme, qui a été mise en présence de la lumière et de la grâce, mais qui s’y oppose absolument, c’est ce que Jésus appelle « le péché contre le Saint-Esprit » (Marc 3.22-30; Luc 12.10 ; Matthieu 12.22 ; Matthieu 12.32), « péché éternel » et pour lequel aucun pardon n’est possible, parce que, en le commettant, l’homme se ferme toute issue qui puisse le conduire à la vérité et au salut.

Mais, en face de ceux qui s’enferment dans leur irréductible opposition, il y a ceux qui acceptent et qui, humblement et simplement, reçoivent le pardon et pénètrent dans le Royaume de Dieu. Ces hommes qui arrivent au salut et à la vie éternelle appartiennent bien souvent à cette classe méprisée de Juifs que leurs compatriotes appellent « les pécheurs », ou bien ils peuvent être au nombre de ces païens pour lesquels les enfants d’Abraham professent le plus souverain mépris. Mais Jésus déclare à ceux qui se croient justes : « Je vous le dis en vérité, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu » (Matthieu 21.31). Et dans la touchante parabole dite « en vue de certaines personnes se persuadant qu’elles étaient justes, et ne faisant aucun cas des autres », Jésus montre comment le pharisien, fier de sa prétendue valeur morale et religieuse, n’a pas trouvé dans son orgueilleuse prière la paix qui descend d’En-haut, alors que le péager, « se tenant à distance, n’osant pas même lever les yeux au ciel, et se frappant la poitrine en disant : Ô Dieu, sois apaisé envers moi qui suis un pécheur ! », est retourné dans sa maison, enrichi par le pardon divin et renouvelé dans son être spirituel (Luc 18.9-14). Merveille de la grâce céleste, que les hommes ne peuvent songer à s’acquérir par leurs propres mérites, mais qu’ils trouvent dans l’aveu de leur misère. Combien Jésus a eu raison de dire, par conséquent, que les premiers seront les derniers et les derniers les premiers (Matthieu 19.30 ; Matthieu 20.16 ; Marc 10.31; Luc 13.30) ! C’est au salut que la grâce divine appelle tous les hommes. Jésus l’affirme : « Ce n’est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu’il se perde un seul de ces petits » (Matthieu 18.14). Mais pour parvenir à l’affranchissement et à la vie éternelle, il importe d’accepter le message du Sauveur, d’arriver d’abord, sous l’influence du Saint-Esprit, au sentiment véritable de notre tragique culpabilité, puis de passer par cette nouvelle naissance qui fait de nous des êtres complètement régénérés (Jean 3.1 ; Jean 3.7).

VII Les épîtres

Les apôtres continuent l’enseignement du Maître. Dans leur prédication et dans leurs écrits ils font, eux aussi, une large place à la préoccupation du mal qu’il s’agit de condamner et de détruire : par là ils sont amenés à confirmer et à développer le témoignage du Sauveur et à apporter de nouveaux enrichissements à la doctrine biblique du péché.

1. Paul

Au point de vue qui nous occupe, la conversion de l’apôtre Paul sur le chemin de Damas a un double et décisif résultat. D’abord elle conduit Paul au sentiment poignant de son péché, l’obstacle qui jusqu’alors l’avait éloigné de la vérité et du Messie. Ensuite, elle le détache brusquement et radicalement des cadres étroits du judaïsme et l’oriente vers la conception d’un salut qui est universel, comme la corruption elle-même. L’autorité avec laquelle Paul s’exprime au sujet du péché lui vient de l’expérience de sa conversion et de son ardent désir de conduire les âmes au salut.

L’apôtre s’attache d’abord à démontrer l’universalité du péché et, en Israélite profondément attaché à la Révélation biblique, il le fait en s’appuyant sur l’Écriture. Il relève toute une série de passages où la souillure universelle est affirmée (Romains 3.10 ; Romains 3.18) et il déclare très justement : « L’Écriture a tout enfermé sous le péché, afin que ce qui avait été promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croient » (Galates 3.22).

Deux données de la Parole de Dieu semblent particulièrement aptes à rendre évidente l’universalité du péché : la chute originelle qu’affirme le livre de la Genèse, et le rôle de la loi que Moïse a donnée à son peuple.

Les déclarations de Paul sur le péché d’Adam et sur les conséquences qui en découlent pour l’ensemble de l’humanité (Romains 5.12 ; Romains 5.21, cf. 1 Corinthiens 15.21 et suivant) ont exercé une grande influence sur le développement de la pensée chrétienne. Mais il faut se garder d’attribuer à l’apôtre des doctrines que la théologie postérieure a tirées de ses écrits : soit l’idée que les hommes, existant en germe dans leur premier ancêtre, auraient péché avec lui (traduction fautive : « en qui tous péchèrent », Romains 5.12), soit celle qu’Adam serait tombé en sa qualité de représentant de la race et qu’en lui toute l’humanité aurait fauté, soit enfin la théorie moderne de l’hérédité, d’après laquelle le premier homme aurait légué à ses descendants une nature entachée de péché. Non, ce que cherche Paul dans son exposé, c’est d’établir entre Adam et Jésus-Christ un parallèle qui lui permette d’éclairer l’œuvre du Sauveur. Le premier homme a péché et, à sa suite, tous ses descendants, ce Par un seul homme, le péché est entré dans le monde » (Romains 5.12). C’est là une constatation qui ne tend nullement à ôter au pécheur sa liberté et sa responsabilité, mais qui prouve l’étendue de la corruption. À la suite du péché d’Adam, la mort a fait son entrée sur la terre. « La mort s’est étendue sur tous les hommes parce que tous ont péché » (verset 12). Seulement, le Christ est venu, et « par un seul acte de justice » (verset 18) » , par l’obéissance d’un seul » (verset 19) il crée une humanité nouvelle, où se manifestera « la justification qui donne la vie » (verset 18). De cet exposé se dégage pour nous une pensée extrêmement claire — celle que veut nous communiquer l’apôtre : c’est que l’homme, dès l’origine, est plongé dans le péché et en subit la condamnation, qui est la mort, tant qu’il ne participe pas à l’œuvre du salut accomplie par Jésus-Christ.

Pour faire comprendre à ses lecteurs la puissance universelle du péché, Paul invoque encore le fait de la loi. Et ici aussi il découvre un parallélisme, non plus entre l’humanité naturelle et l’humanité régénérée, mais entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Avant la loi, l’humanité, fille d’Adam, était assujettie au péché. Après la loi, et malgré la loi, elle subit cette même domination qui, grâce à la loi, s’avère réellement universelle. Les Juifs ont bien tort de mettre dans la loi leur gloire et leur espérance de salut. La loi ne procure pas la justice et la vie : elle montre, au contraire, son impuissance à y conduire. « Tous ceux qui s’attachent aux œuvres de la loi sont sous la malédiction ; car il est écrit : Maudit est quiconque n’observe pas tout ce qui est écrit dans le livre de la loi et ne le met pas en pratique » (Galates 3.10, cf. Deutéronome 27.26). Du reste, admettre le salut par la loi, ce serait rendre inutile l’œuvre du Christ. « Si la justice s’obtient par la loi, Christ est donc mort en vain… S’il eût été donné une loi qui procure la vie, la justice viendrait réellement de la loi » (Galates 2.21 ; Galates 3.21). Donc, sous le règne de la loi, comme avant la loi, le péché subsiste et avec lui la condamnation. Mais il faut aller plus loin encore et voir dans la loi un facteur incontestable du péché. Avant la loi, l’homme ignorait son péché : la loi a essentiellement pour rôle de lui en donner conscience, « C’est par la loi que vient la connaissance du péché… Je n’ai connu le péché que par la loi » (Romains 3.20 ; Romains 7.7). Or, la responsabilité est en raison directe du degré de connaissance : la loi, bien loin d’exclure le péché, devient en quelque sorte la cause du péché. « Le péché n’est pas imputé quand il n’y a pas loi » (Romains 5.13). « Sans la loi, le péché est mort » (Romains 7.8). Mais : « Quand le commandement vint, le péché reprit vie… Ainsi le commandement qui conduit à la vie se trouva pour moi conduire à la mort » (Romains 7.9 ; Romains 7.13). « La loi est intervenue pour que l’offense abondât » (Romains 5.20). « La loi produit la colère ». Seulement (Romains 4.15) c’est précisément en cela que la loi se montre utile : elle manifeste, dans toute son horreur, le mal et la condamnation qu’il entraîne ; elle prouve l’absolue nécessité de l’œuvre de Jésus-Christ ; elle est « le pédagogue qui nous conduit à Christ » (Galates 3.24), précisément parce qu’elle met en lumière la pleine universalité du péché humain.

L’expérience corrobore entièrement les enseignements de l’Écriture au sujet de l’universelle culpabilité et de l’universelle condamnation. Paul connaissait bien les païens : aussi peut-il brosser un tableau dramatique de leur épouvantable corruption (Romains 1.24-32). Leur odieuse immoralité a sa, source profonde dans leur éloignement volontaire d’un Dieu qui se fait connaître dans ses œuvres et qu’ils sont inexcusables d’avoir abandonné pour le culte des faux dieux (verset 18,24). Et l’apôtre peut aussi rappeler aux chrétiens sortis du paganisme leur misère morale antérieure. Mais (Éphésiens 2.2 et suivant) les Juifs sont coupables, eux aussi, parce qu’avec des connaissances plus complètes ils commettent les mêmes iniquités. Ils sont plus condamnables encore, puisque leurs lumières sont plus grandes. Et Paul a les mêmes accents que son Maître pour flétrir leur péché et pour dévoiler leur hypocrisie. Enfin (Romains 2.1 ; Romains 2.29 ; Romains 10.3), s’examinant lui-même, après avoir dépeint ses contemporains, Paul se trouve atteint lui aussi par une semblable maladie. Dans une page dramatique, il décrit la puissance que le péché avait sur lui, à un moment où il ne bénéficiait pas encore de la grâce divine : « Je suis charnel, vendu au péché… Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas… Le péché habite en moi…  » (Romains 7.11-25). Et, avec une profonde humilité, il déclare souvent à quel point, personnellement, il avait besoin du pardon divin. « Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier » (1 Timothée 1.15, cf. 1 Corinthiens 9.27 ; 1 Corinthiens 15.9 ; 2 Corinthiens 12.9).

Ainsi, que l’on parte de l’Écriture ou de l’expérience, et que cette expérience se fasse dans le domaine social ou dans la conscience individuelle, la conclusion est la même et elle est décisive : « Il n’y a point de distinction, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Romains 3.23).

Le péché est un fait universel, mais d’où vient-il ? Par delà les actions mauvaises ou « péchés », Jésus avait vu leur principe permanent et caché, « le péché)> ;. Il avait montré que les manifestations extérieures du mal répondent à une disposition secrète du cœur humain, qui donne son orientation à la vie tout entière et la gouverne du dedans. Paul, de même, ne se contente pas de mettre en lumière les ravages extérieurs du mal. Il se livre à une étude psychologique extrêmement poussée de la nature humaine et fait voir que le péché a sa source dans le fond même de l’être ; par suite, il exerce sa puissance de domination sur l’existence tout entière. « … Ce qui est bon, je le sais, n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair… Si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi… Je vois dans mes membres une autre loi… qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres. Misérable que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ? ». Cette (Romains 7.14 ; Romains 7.25 ; Romains 7.6 ; Romains 7.12 ; Romains 7.14) nature essentiellement corrompue qui constitue notre état de péché, Paul l’appelle de différents noms : le vieil homme (Romains 6.6 ; Éphésiens 4.22 ; Colossiens 3.9), l’homme naturel ou ce psychique » (1 Corinthiens 2.14), la chair ; et à ces diverses entités il oppose : l’homme nouveau (Éphésiens 4.24 ; Colossiens 3.9), l’homme spirituel ou « pneumatique » (1 Corinthiens 3.1), l’esprit.

C’est donc à un véritable dualisme moral que Paul semble aboutir, et certains théologiens ont vu dans la pensée paulinienne l’intrusion d’éléments empruntés à la philosophie grecque et, en particulier, au platonisme. Il y a là, nous semble-t-il, une erreur profonde. Platon établit, dans l’ordre de la réalité et dans celui de la connaissance, une opposition absolue entre les choses matérielles, le domaine du changeant, du relatif, de l’apparence, et la réalité immuable, éternelle, le monde des « Idées », entre la connaissance sensible qui s’en tient au phénomène, et la connaissance rationnelle qui porte sur l’essence véritable et dont le point culminant est l’intuition intellectuelle. Doctrine essentiellement intellectualiste, d’où l’élément proprement moral paraît absent : la matière, en effet, y est tenue pour mauvaise dans son essence, et non pas par suite d’une transgression coupable ; d’autre part, pour être dans la vérité et dans le bien, il suffit de faire un bon usage de la raison. La pensée paulinienne est très différente et ne peut être pleinement saisie que si on la considère, non pas dans son prétendu rapport avec le platonisme, mais comme le développement d’une notion essentiellement biblique. Paul, en effet, emploie le terme « chair » dans son sens purement hébraïque, celui que Jésus lui-même lui a donné (Matthieu 26.41 ; Jean 8.15). Voir Chair.

La chair, c’est d’abord la créature avec toutes les limitations qui lui viennent de l’existence terrestre. Paul écrit, par exemple : « Ce fut à cause d’une infirmité de la chair que je vous ai pour la première fois annoncé l’Évangile » (Galates 4.13). Il parle des « tribulations de la chair » (1 Corinthiens 7.28). Vivre sur la terre, au lieu de s’en aller auprès du Christ, c’est « demeurer dans la chair » (Philippiens 1.22-24). Quand Paul est « absent de corps », que ses paroissiens ne voient pas « son visage en la chair », Il est avec eux « en esprit ». En (Colossiens 2.1-5) second lieu, d’une manière dérivée, l’apôtre entend par « la chair » l’homme que le péché a profondément corrompu et qui se refuse à suivre les directions de l’Esprit. « Nous vivions autrefois selon les convoitises de notre chair et de nos passions, accomplissant la volonté de la chair et de nos pensées, et nous étions par nature des enfants de colère comme les autres…  » (Éphésiens 2.3). « Je dis donc : Marchez selon l’Esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair. Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit…  » (Galates 5.16 et suivant).

À la chair ainsi comprise, Paul rattache étroitement les passions coupables, les « convoitises charnelles » comme « l’impudicité, la dissolution, l’idolâtrie,… l’ivrognerie, les excès de table et les choses semblables ». Notons toutefois que parmi « les œuvres de la chair » il énumère des péchés qui ont leur origine, non pas dans le corps, mais dans l’âme elle-même, tels que « l’idolâtrie, la magie, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l’envie » (Galates 5.19 ; Galates 5.21). Nous avons ainsi la preuve que, dans un sens second, la chair ne peut être identifiée au corps, à la matière : elle est la condition de l’homme qui, avec son corps et son âme, avec toutes ses facultés, s’oppose à la volonté divine. Ce (cf. 1 Corinthiens 3.1 ; 1 Corinthiens 3.4 ; Éphésiens 2.3) n’est pas tout : pour l’apôtre, le corps, « les membres », « la chair » sont si peu, dans leur nature essentielle, la source du péché, que, quand ils sont régénérés par l’Esprit, ils deviennent des forces au service du bien, « Ne livrez pas vos membres au péché, comme des instruments d’iniquité ; mais donnez-vous vous-mêmes à Dieu, comme étant vivants, de morts que vous étiez, et offrez à Dieu vos membres comme des instruments de justice » (Romains 6.13, voir verset 19 ; 1 Corinthiens 9.27 ; Galates 2.20). La vie du Christ se manifeste ainsi dans notre chair mortelle (2 Corinthiens 4.11).

En résumé, il faut distinguer soigneusement les deux sens pauliniens du mot « chair ». La chair peut être le corps, mais Paul ne professe en aucune façon la théorie grecque suivant laquelle, par son essence matérielle, le corps serait nécessairement le siège du mal, car le corps peut être régénéré par l’Esprit pour être mis au service de la justice et de la sainteté. D’autre part, la chair est aussi, pour l’apôtre, le siège du péché : c’est qu’alors il s’agit non plus simplement du corps, mais de cette tendance profonde, en l’homme, à se séparer de son Créateur et à se révolter contre sa loi sainte : dans un tel cas, elle intéresse l’âme tout autant que le corps, elle est l’homme tout entier, privé de l’Esprit divin et en rébellion contre lui. On voit combien, dans un cas comme dans l’autre, Paul est loin du dualisme platonicien.

Quand l’homme est « chair » et non pas « esprit », quand il suit orgueilleusement les pensées et les penchants de son propre cœur, quand, par là, il s’oppose aux directions divines et subit la domination du péché (Romains 1.21 ; Éphésiens 2.3 ; Colossiens 2.18), de néfastes conséquences en découlent pour lui. D’abord, il ignore tout de la vérité divine, de la vérité nécessaire à son âme, il est plongé dans les ténèbres. « L’homme naturel ne reçoit pas les choses de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c’est spirituellement qu’on en juge ». Ensuite (1 Corinthiens 2.14 ; 1 Corinthiens 2.3 ; 2 Corinthiens 4.4 ; Romains 1.25 ; Romains 6.19), il est incapable d’accomplir le bien qu’il voudrait faire et l’emprise que le péché exerce sur lui est un véritable esclavage. Enfin (Romains 6.16 ; Romains 6.22 ; Romains 7.14-25), il est en butte à la malédiction divine, et son châtiment suprême, c’est la mort (Romains 6.23), non pas tant la mort physique (« tous meurent en Adam », 1 Corinthiens 15.22 ; cf. Romains 5.12 ; Romains 5.14) que la mort spirituelle, celle-ci étant l’éloignement radical de Dieu, source unique de la vie. « L’irritation et la colère à ceux qui, par esprit de dispute, sont rebelles à la vérité et obéissent à l’injustice. Tribulation et angoisse sur toute âme d’homme qui fait le mal…  » (Romains 2.8 et suivant, Romains 6.9 ; Romains 7.5 ; Romains 8.6 ; Romains 8.13 ; 1 Corinthiens 15.56 ; Éphésiens 2.1-3).

Telles sont les conclusions auxquelles Paul aboutit, à son tour, dans son étude approfondie du péché, de son action universelle, de ses causes intimes et de ses tragiques conséquences. Mais si l’apôtre indique avec une éloquence aussi dramatique la puissance destructrice du péché, c’est afin de faire ressortir avec d’autant plus de vigueur la nécessité de l’œuvre rédemptrice accomplie par le Sauveur, tout particulièrement dans sa mort et dans sa résurrection. Pour arriver au salut, le chrétien doit s’associer si étroitement à la mort et à la résurrection du Christ, qu’il les réalise en lui-même par une expérience toute personnelle. Il était mort dans ses péchés, mais il doit accepter une autre mort, salutaire cette fois-ci, celle qui consiste à « mourir au péché », à « crucifier la chair avec ses passions et ses convoitises » (Romains 6.2 ; Romains 6.11 ; Romains 8.2 ; Romains 8.14 ; Galates 5.24, Colossiens 2 : et suivant). Mort avec le Christ, il ressuscite avec lui et accède à une vie nouvelle, la vie sainte et féconde de l’Esprit (Éphésiens 2.1 ; Éphésiens 2.5 ; Galates 2.20). Sans doute, il ne réalise pas du premier coup la perfection morale et il devra continuer à lutter contre l’influence pernicieuse du mal. Mais son Sauveur, désormais » , vit en lui » (Galates 2.20) et agit sur lui comme « un esprit vivifiant » (1 Corinthiens 15.45). Par là, il possède « les armes de l’Esprit » qui lui permettront de lutter victorieusement contre l’adversaire et de réaliser dans toute sa plénitude sa vocation divine (Éphésiens 6.11 ; Éphésiens 6.17 ; 2 Corinthiens 6.7 ; 2 Corinthiens 10.4 ; Romains 13.12 ; 1 Timothée 1.18).

2. Jean

Suivant la pensée de l’apôtre Jean, telle qu’elle est exprimée dans le 4e Évangile et dans les épîtres, il y a ici-bas un conflit tragique entre la vérité et l’erreur, la lumière et les ténèbres, la vie et la mort. Jésus a été envoyé sur la terre pour lutter contre les forces du mal et pour sauver le monde (Jean 1.29 ; Jean 3.16 et suivant, 1 Jean 3.5 ; 1 Jean 3.8 ; 1 Jean 4.9, etc.). Mais les hommes n’ont pas voulu accueillir celui qui leur apportait la lumière et la vie (Jean 1.11 ; Jean 5.40).

Le péché reçoit donc des déterminations nouvelles. Il est le refus de l’homme de s’assimiler la révélation divine ; il est l’opposition à l’œuvre de Jésus-Christ, malgré toutes les preuves de la vérité de son message et de la puissance de son action. Il se ramène à l’incrédulité, puisqu’il consiste à nier la divinité du Sauveur et à ne pas vouloir aller à lui : ne pas confesser le Christ, c’est le fait d’un antéchrist (Jean 5.40 ; Jean 16.8 ; 1 Jean 2.22 ; 1 Jean 4.3). Le péché se réduit aussi au mensonge, car il se manifeste comme une rébellion contre la lumière et comme un aveuglement volontaire (Jean 3.18-21 ; Jean 8.44 ; Jean 9.41). Enfin, il suppose également la haine de Dieu, dont on se refuse à accepter l’amour et à chercher la gloire. Ces (Jean 5.42-44 ; Jean 15.23-25) divers caractères du péché nous font voir en lui un état de révolte contre l’ordre de choses providentiellement établi par Dieu. Il est le refus d’accepter la volonté de Dieu et sa loi de sainteté et d’amour (1 Jean 3.10). « Quiconque pèche transgresse la loi, et le péché est la transgression de la loi » (1 Jean 3.4). Voilà peut-être la définition la plus précise que la Parole de Dieu nous donne du péché.

Le royaume des ténèbres, c’est ce que l’apôtre Jean appelle « le monde » (voir ce mot). « Le monde entier est sous la puissance du Malin » (1 Jean 5.19). « Celui qui pèche est du diable » (1 Jean 3.8). Il y a une opposition absolue entre le monde et Dieu : celui qui aime le monde ne possède pas l’amour de Dieu et celui qui n’a pas l’amour de Dieu se laisse dominer par le désir des biens passagers (1 Jean 2.15 ; 1 Jean 2.17). Parce qu’il est en lutte avec Dieu et avec celui que Dieu a envoyé, le monde s’oppose aux enfants de lumière : il les hait et il les persécute, comme il l’a fait pour leur Maître (Jean 15.18 ; Jean 15.22). Les ennemis du Dieu de vérité et de ses enfants sont ligués sous le commandement du « Prince de ce monde », le diable ou le Malin, mais celui-ci ne pourra pas éviter le jugement qui fondra sur lui à l’avènement de la lumière par le triomphe de Jésus-Christ (Jean 8.44 ; Jean 12.31 ; Jean 14.30 ; Jean 16.11). En face du monde, nous trouvons les enfants de Dieu (voir article). Sans doute, ils vivent dans le monde, mais ils ont rompu avec la vie du monde : (Jean 17.15 et suivant) ils sont nés à une existence nouvelle et engendrés de Dieu (Jean 3.3 ; 1 Jean 3.9 ; 1 Jean 5.18). Une existence ainsi transformée est délivrée du péché. Sans doute, le péché est absolument universel et, avant l’intervention de la grâce divine, le chrétien était, lui aussi, sous sa domination. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous » (1 Jean 1.8). Mais il suffit que l’enfant de Dieu confesse ses péchés : il recevra le pardon que Jésus-Christ lui assure auprès du Père par une double œuvre d’expiation et d’intercession (1 Jean 1.9 ; 1 Jean 2.1 et suivant, Jean 14.16 ; Jean 17.11 ; Jean 17.13). Une fois pardonné, le chrétien ne doit plus pécher. Puisqu’il est né de Dieu, le péché devient une impossibilité spirituelle (1 Jean 3.9 ; 1 Jean 5.18 ; 3 Jean 11). Désormais l’enfant de Dieu s’efforce de demeurer en Christ et de suivre, dans son existence journalière, la vivante leçon de choses que lui donne le Sauveur : il tend à une parfaite ressemblance avec Celui en qui il n’y a pas de péché (Jean 13.15 ; Jean 15.4 ; 1 Jean 2.6 ; 1 Jean 3.5 et suivant). Une vie sans péché est la raison d’être du message du salut (1 Jean 2.1, cf. Jean 20.31).

3. Épître aux hébreux

Pour l’auteur de cette épître, le péché se caractérise par le fait qu’il souille la conscience (Hébreux 9.14) et sépare l’homme de Dieu (Hébreux 12.14). C’est une puissance qui enveloppe sa victime et l’empêche de poursuivre sa course « dans la carrière qui lui est ouverte » (Hébreux 12.1).

Grâce au sacrifice de Jésus-Christ, la culpabilité peut être enlevée. Les institutions mosaïques, « ombres des biens à venir », se montraient radicalement impuissantes à « ôter le péché ». Ce contraste entre l’ancienne et la nouvelle alliance prouve la supériorité de la seconde sur la première : par celle-là seule les consciences sont affranchies et trouvent un libre accès auprès de Dieu (Hébreux 10.1-4 ; Hébreux 10.10-14 ; Hébreux 10.18-20 ; Hébreux 9.9 ; Hébreux 9.11-14).

Il existe pourtant une catégorie de péchés que le sang du Christ ne saurait effacer et pour lesquels il ne reste que l’attente terrible du jugement : ce sont les péchés accomplis volontairement et avec la pleine connaissance de la vérité, ceux que l’on commet après avoir déjà fait l’expérience du salut ; ils impliquent le mépris du sacrifice de Jésus-Christ et constituent un véritable blasphème contre le Saint-Esprit ; par eux, on crucifie à nouveau le Fils de Dieu et on l’expose à l’ignominie. De (Hébreux 6.4 ; Hébreux 6.8 ; Hébreux 10.26 ; Hébreux 10.31 ; Hébreux 12.16 et suivant) tels péchés rappellent le beyad rââh de l’ancienne alliance, péché volontaire qui ne comportait pas d’annulation (Nombres 15.30 et suivant), alors que le bichegâgâh, faute commise sans intention, laissait la place au pardon procuré par les sacrifices expiatoires (Lévitique 4 ; Lévitique 5 ; Nombres 15.22-29). Ces péchés peuvent être identifiés plus exactement encore avec « le péché contre le Saint-Esprit » dont Jésus disait qu’il ne pouvait être pardonné (voir plus haut), ou avec ce « péché qui va à la mort » dont parle l’apôtre Jean et pour lequel il déclare qu’il est inutile d’intercéder, puisque le pardon ne peut plus intervenir (1 Jean 5.16 et suivant).

Le croyant doit donc rester inébranlable dans la foi et dans la sainteté ; il ne faut pas qu’il se laisse décourager par l’épreuve ou par la persécution. La souffrance peut, au contraire, être pour lui un heureux moyen d’avancement spirituel. Pour en éprouver tout le bénéfice, le disciple du Maître n’a qu’à suivre l’exemple « du chef et du consommateur de la foi », sur lequel il s’agit de tenir les yeux fixés. Ne voyons-nous pas que le Sauveur a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes et que, par elles aussi, il est parvenu au plus haut degré de perfection et de gloire ? (12.2 5.7,9 2.10, cf. 1 Pierre 4.1 et suivant).

VIII Conclusion

Seules, les vérités éternelles possèdent, dans l’écoulement humain, un caractère de fixité absolue. Cette unité profonde de la pensée religieuse au milieu de la diversité et de l’évolution mouvante constitue une des preuves les plus frappantes de l’inspiration de l’Écriture. Une illustration remarquable de cette vérité générale nous est fournie par la doctrine biblique du péché.

La notion du mal moral apparaît dès l’entrée de la Bible, dans les traditions les plus anciennes sur l’origine de l’espèce humaine. Elle a, de prime abord, ses traits bien caractéristiques. Nous la retrouvons chez les écrivains postérieurs, toujours la même, mais avec ces développements, ces enrichissements qu’apporte la vie, au cours de l’histoire du peuple d’Israël et au travers des diverses phases de la révélation : la Loi, les Prophètes, les Écrits sacrés. Alors Jésus vient et il fonde son œuvre de rédemption et de salut sur cette conception du péché, qui lui vient de l’Ancien Testament, mais qu’il approfondit et revivifie à son tour et dont ses continuateurs, les apôtres, feront également le point de départ solide de leur œuvre de mission et d’évangélisation.

C’est dire la capitale importance de ce grand fait, de ce fait tragique, si méconnu et si négligé par les hommes : le péché. Maeterlinck écrivait : « Il est utile que l’on s’efforce d’élever sa vie… Mais cela même n’est pas indispensable, et que la différence aux yeux d’un Dieu doit paraître petite…  » Le célèbre moraliste disait aussi que le péché, chez l’homme, devait produire chez Dieu l’impression que nous font des petits chiens jouant sur un tapis. Il y a là deux attitudes opposées entre lesquelles il faut choisir : celle de la Bible, celle de l’Évangile, celle de l’Église, celle de Dieu lui-même d’une part, et d’autre part celle du scepticisme, celle de l’immoralisme, celle du monde et du Prince de ce monde. Ne pas croire au péché, avec les déterminations si précises que la Parole de Dieu nous apporte en ce qui le concerne, c’est ne rien comprendre au message de l’Évangile et c’est rester enfermé, sans espoir de salut, dans ces ténèbres et cette misère morales et spirituelles, où nous voyons actuellement l’humanité. Mais arriver, grâce à la Bible et sous l’action de l’Esprit divin, à la juste notion de notre grande misère et au sentiment exact de la situation anormale où vivent et meurent les hommes, c’est être disposé à s’ouvrir aux vérités de la religion et à la grâce de Dieu. Que l’humanité contemporaine se laisse éclairer par la Bible sur la tragique réalité de son péché, elle sera bien près alors de revenir à son Dieu et de découvrir son Sauveur. Th. C.

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