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Luc (Évangile de)

Le troisième dans la plupart des anciennes collections d’Évangiles comme dans l’ordre actuel des livres du Nouveau Testament ; dans l’ordre chronologique, il est en tout cas postérieur à Marc peut-être aussi à Matthieu (voir Évangiles synoptiques, introduction générale aux articles particuliers sur chacun de ces Évangiles).

I Témoignages de la tradition

1. L’auteur

Si notre Évangile est anonyme comme les trois autres, en ce sens que l’auteur ne s’y nomme pas, pourtant il s’introduit dans sa préface, très nettement mais une fois pour toutes, en parlant de lui-même à la 1ère personne du singulier pour définir le but qu’il s’est assigné dans son ouvrage : « j’ai cru bon, moi aussi…  » (Luc 1.3) ; et il introduit le premier lecteur auquel il le destine par la 2e personne du singulier et par le nom même de ce personnage : « … t’exposer, excellent Théophile… , afin que tu reconnaisses…  » (Luc 1.3 et suivant). Or un autre livre du Nouveau Testament, celui des Actes des apôtres, commencera de la même manière : « Dans mon premier livre, ô Théophile, j’ai parlé…  » (Actes 1.1) ; et cette 1ère personne du singulier, ici encore employée une seule fois, se prolongera au cours du récit dans plusieurs apparitions de la 1ère personne du pluriel, qui désigneront explicitement l’auteur comme témoin oculaire des scènes qu’il raconte : « Nous cherchâmes à partir…  » (Actes 16.10), etc.

D’où deux constatations, connexes et capitales.

(a) Cet emploi du « je », en nous ouvrant un jour sur les intentions et la méthode de l’auteur, et cet emploi du « nous », en nous renseignant sur certaines périodes de sa vie, constituent un phénomène littéraire remarquable, qui unit plus étroitement que dans les trois autres cas l’évangéliste à son Évangile.

(b) Le 3e Évangile et le livre des Actes ont le même auteur : ils sont dédiés au même Théophile, et le deuxième lui est explicitement présenté comme la suite d’un ouvrage en deux parties (Luc 1.1 ; Luc 1.4 ; Actes 1.1) ; ils ont même style, même vocabulaire, même genre narratif et descriptif, même inspiration générale, même mode de composition. Les témoignages anciens au sujet de l’un des deux portent donc implicitement sur l’autre, soit qu’ils nomment l’auteur de l’Évangile, soit qu’ils nomment l’auteur des Actes, soit à plus forte raison qu’ils nomment l’auteur des deux volumes.

Nous ne pouvons remonter pour Luc, comme pour Marc et Matthieu, jusqu’au témoignage de Papias, dont l’ouvrage ne nous a été conservé que par fragments, dans les citations d’Eusèbe. Le contemporain de Papias, Justin Martyr (avant 150 ou même 140), parlant de la sueur de sang, mentionnée par Luc seul (Luc 22.44), donne pour référence « les mémoires soit des apôtres, soit de ceux qui les accompagnèrent » (Dial., III, 8) : attribuant ainsi deux Évangiles à des apôtres et les deux autres à des disciples, il envisage comme un disciple l’auteur du passage auquel il fait allusion, puisque celui-ci ne se trouve pas dans les écrits des deux apôtres, Matthieu ou Jean.

Aucun texte aujourd’hui connu ne donne avant Irénée (vers 180) le nom de l’auteur soit du 3e Évangile, soit du livre des Actes. Ce silence n’implique en soi rien de défavorable à la tradition subséquente ; il doit être purement accidentel. Le cas est le même pour des livres aussi peu contestés que les épîtres de saint Paul aux Galates et aux Romains, que les Pères de l’Église avaient pourtant plus d’occasions de citer, et qui furent connues publiquement dès leur apparition dans les grandes églises destinataires, alors que Luc parut d’abord sous un patronage privé. Le témoignage d’Irénée, représentant de l’Asie mineure, de Rome et de la Gaule, attribue ouvertement à Luc, compagnon de Paul, la rédaction de l’Évangile prêché par celui-ci ; il énumère toute une série de traits qui lui sont propres et les assigne explicitement à Luc, observant que ceux qui récuseraient l’autorité de ce dernier rejetteraient bien des éléments essentiels de l’Évangile qu’ils professent, l’histoire de Zacharie et de Jean, la visite de l’ange à Marie, etc. (Adv. Hoer., III, 14.3 ; 1 Samuel 10.1, etc.). Par cette remarque, il ne suppose nullement la possibilité d’attribuer l’Évangile à un autre que Luc ; il combat seulement les doutes relatifs à l’autorité de cet évangéliste.

À la même époque, à Rome, le catalogue appelé canon de Muratori, en quelques phrases dont certains détails peuvent prêter à discussion, mais dont le sens général est très clair, nomme deux fois Luc, comme disciple de Paul et comme auteur du 3e Évangile et des Actes, et met en œuvre assez librement les données de leurs deux préambules et de Colossiens 4.14, passage auquel il se réfère expressément à propos du « médecin ».

Vers 200, Clément d’Alexandrie, qui avait reçu les traditions apostoliques de maîtres venus de Palestine, d’Assyrie, de Grèce et d’Égypte, fait aussi remonter avec précision l’Évangile à Luc (Strom., I, 21).

Tertullien (190-220), de l’Église d’Afrique, le cite tout au long contre Marcion, en tant qu’Évangile de Luc ; il observe : « parmi les apôtres, Jean et Matthieu nous inspirent la foi ; parmi les aides apostoliques, Luc et Marc l’affermissent » ; il signale l’opinion courante de son temps qui rattache Luc à Paul et Marc à Pierre ; il déclare que dans toutes les églises chrétiennes, fondées ou non par les apôtres, cet Évangile a été admis sans opposition dès qu’il a paru (Adversus Marcionem, IV, 2.5).

Origène (avant 250), cité par Eusèbe (Histoire ecclésiastique, VI, 25), dit : « En troisième lieu l’Évangile selon Luc, cité par Paul avec approbation », allusion à 2 Corinthiens 8.18 et suivant, qu’il appliquait à Luc (voir ce mot, paragraphe 4) et à l’expression de l’apôtre : « mon Évangile ».

Eusèbe de Césarée (après 300) le confirme : « On dit que Paul parle de l’Évangile selon Luc lorsqu’il écrit : mon Évangile » (Histoire ecclésiastique, III, 4).

Jérôme (fin du IVe siècle) rapporte à « quelques-uns » la même interprétation (De Vir. M., 7).

Inutile de poursuivre plus loin la série des témoignages : la voix des huit premiers siècles, dans toute la chrétienté, y compris un certain nombre de prologues de vieux manuscrits, dont quelques-uns doivent être fort anciens (voir Lagrange, Luc, pages XIIIss), désigne unanimement Luc. Il ne s’agit pas de vues particulières à ces divers témoins, mais d’une conviction générale, incontestée, et que personne n’ignore dans l’Église.

2. La notoriété de l’Évangile

Si donc le nom de l’auteur n’est pas, à notre connaissance, prononcé plus tôt que 180 dans les anciens écrits, en revanche nous avons maintes preuves que longtemps avant cette époque l’Évangile était connu, répandu, utilisé dans tous les grands centres chrétiens. Déjà la plupart des témoins précités qui l’attribuent à Luc l’invoquent couramment comme une autorité décisive : Clément d’Alexandrie en fait de fréquentes citations, empruntées à toutes les parties du livre ; Irénée plus encore, qui en cite à peu près tous les chapitres, et plus spécialement ceux qui sont presque entièrement particuliers à Luc (Luc 2 ; Luc 9-19 ; Luc 24 etc.) ; Tertullien ne se borne pas à le citer : il construit sur l’ensemble de cet Évangile, du chapitre 4 jusqu’à la fin, son traité contre l’hérétique Marcion.

Celui-ci fournit en faveur de Luc un témoignage involontaire, et plus ancien, par « l’Évangile du Seigneur » qu’il introduisit (vers 145) dans son Nouveau Testament personnel à sa communauté. Cet Évangile de Marcion n’était en aucune façon un écrit original qui, modifié et augmenté par la suite, serait devenu le 3e Évangile canonique, comme l’a soutenu depuis Albert Ritschl toute une école critique au XIXe siècle ; cette thèse est complètement abandonnée aujourd’hui : il ressort de l’examen des autres livres du Nouveau Testament marcionite (épîtres de Paul tendancieusement remaniées, etc.), comme de la comparaison entre Luc et les morceaux actuellement connus de l’Évangile en question, que celui-ci est au contraire, sans nul doute possible, le résultat des remaniements et des mutilations de tendance opérés par Marcion sur l’Évangile même de Luc. L’autorité du 3e Évangile se rehausse ainsi, d’abord de sa priorité sur Marcion, puis de l’emploi qu’en fit ce théologien en l’expurgeant pour les besoins de son gnosticisme.

D’autres gnostiques : Basilide, Valentin, Héra-cléon (125-180), ont fait aussi quelque usage de Luc ; le dernier des trois en a même écrit un commentaire.

Le païen Celse (après 160), adversaire militant de l’Évangile, le connaissait également, car il parle (d’après Origène, Cont. Cels., 2.32) de la généalogie de Jésus remontant à Adam (cf. Luc 2.23) — La composition même par Tatien (vers 175) du Diatessaron, harmonie de nos 4 Évangiles canoniques (voir Évangiles, harmonie des), établit la valeur alors reconnue à Luc comme aux trois autres.

Le maître de Tatien, mentionné plus haut, Justin Martyr (vers 150), cite bien des traits propres à Luc : Élisabeth, l’ange Gabriel, le recensement, etc.

Le Testament des XII Patriarches (voir Apocalypses), ouvrage judéo-chrétien (av. 135), a de nombreuses rencontres d’idées et d’expressions avec le 3e Évangile.

On croit encore pouvoir en relever de fréquentes citations probables dans la Didachè ou Doctrine des Apôtres (100-120) ; le titre même de cet antique document chrétien pourrait bien être emprunté à Luc : « Ils persévéraient dans la doctrine des apôtres ». En (Actes 2.42) remontant plus haut, il est permis de supposer aussi des allusions chez les Pères apostoliques : Polycarpe d’Éphèse, Ignace d’Antioche, Clément de Rome (vers l’an 100) ; mais on ne peut plus reconnaître à coup sûr si ces allusions renvoient exclusivement à Luc plutôt qu’à Matthieu, ou qu’à une harmonie synoptique, ou qu’à une autre source, ou même qu’à la tradition orale. Toutefois il semble bien que ces trois derniers auteurs citent les Actes, ce qui suppose par contre-coup l’usage de l’Évangile de Luc dès la fin du Ier siècle, dans quelques-unes des plus importantes régions, fort éloignées les unes des autres, où le christianisme s’était développé autour des plus puissantes églises.

II Contenu

Le dessein de l’évangéliste, qu’il définit donc dans sa préface (Luc 1.3), est d’exposer les faits « dans leur ordre » (grec kathexês, mot qu’il emploie encore dans Luc 8.1 ; Actes 3.24 ; Actes 11.4 ; Actes 18.23, au sens de : d’une manière suivie) ; il vise évidemment un ordre chronologique, car nous verrons qu’il a fort peu de préoccupations d’ordre systématique comme Matthieu. Il s’agit surtout d’un plan d’ensemble, de la « synopse », ou disposition générale des 3 Évangiles synoptiques ; les lignes directrices de Luc et de Matthieu, en effet, abstraction faite de leurs deux premiers et de leur dernier chapitres, sont à peu près parallèles, et ce parallélisme concorde avec celui de Marc. Le parallélisme Marc-Luc est même beaucoup plus étroit que le parallélisme Marc-Matthieu, parce qu’à la différence de Matthieu dont le plan systématique altère le cadre de Marc par d’importants déplacements, Luc n’y fait que quelques transpositions occasionnelles ; lorsqu’il y ajoute nombre de textes nouveaux, ces interruptions parfois prolongées dans les données de Marc n’en modifient guère l’ordre historique. À cause précisément de leur grande variété, il est impossible de grouper solidement entre elles, par sujets ou par moments, les multiples sections de chacune des grandes divisions. Inutile de pousser ici leur énumération jusque dans le menu détail : elles correspondent approximativement à la série des titres de péricopes adoptées par la plupart des versions modernes (Version Synodale, etc.).

  1. Introduction, Luc 1.1-4.13
    1. Préface de l’auteur : sa dédicace à Théophile, sa méthode, son but, Luc 1.1-4.
    2. Évangile de l’enfance, Luc 1.5-2.52
      1. Les annonciations : de Jean-Baptiste (Luc 1.5-25), de Jésus (Luc 1.25-38), visite d’Élisabeth à Marie (Luc 1.39-58) ;
      2. les naissances : de Jean-Baptiste (Luc 1.57-80), de Jésus (Luc 2.1-20) ;
      3. les présentations : du petit enfant au temple (Luc 2.21-40), du jeune garçon chez son Père (Luc 2.41-52).
    3. Préparation au ministère, Luc 3.1-4-13
      1. Jean : prédication, baptêmes, emprisonnement (Luc 3.1 ; Luc 3.20) ;
      2. Jésus : baptême, généalogie, tentation (Luc 3.21-4.13)
  2. Ministère auprès des foules, en Galilée, Luc 4.14-9.50. Tableau de grande activité populaire, s’ouvrant ici par une scène caractéristique, qui sous cette forme est propre à Luc.
    1. Jésus à Nazareth, 1ère prédication à ses compatriotes, qui provoque sensation puis révolte, Luc 4.12-30.
    2. Jésus le maître. Enseignement à Capernaüm et nombreuses guérisons, puis plusieurs discussions ; entre ces éléments se placent les appels isolés à divers disciples, qui sont bientôt étroitement mêlés aux incidents, Luc 4.31-6.11.
    3. Choix des douze, et discours. Le ministère s’étend en Galilée ; en contraste, la prière nocturne et solitaire avant leur désignation, et la proclamation publique du nouvel idéal, celui du Royaume de Dieu, Luc 6.12 ; Luc 6.49.
    4. Divers accueils fait à l’Évangile. Le centenier, la veuve, le Baptiste, la pécheresse ; puis, intercalées entre les compagnes fidèles à Jésus et la leçon donnée à sa mère et ses frères, la parabole du semeur et l’image de la lampe, Luc 7.1-8.21.
    5. Miracles d’extrême puissance. Sur le lac, apaisement d’une tempête ; au delà du lac, guérison d’un démoniaque ; au retour, guérison d’une femme malade et résurrection de la fille de Jaïrus, Luc 8.22-56.
    6. Initiation des douze
  3. Cette note domine désormais tous les épisodes, par moment plus accentuée que dans Marc : mission des apôtres, inquiétudes d’Hérode sur la personnalité de Jésus, multiplication des pains qui à cet égard instruit les Douze plus encore que la foule, confession de Pierre et annonce de la Passion du Fils de l’homme, appel au renoncement, illustré par la transfiguration, guérison de l’enfant après l’échec des disciples, nouvelle annonce de la Passion et leçon sur la vraie grandeur, Luc 9.1 ; Luc 9.50. Au populaire Évangile galiléen du Royaume succède l’austère Évangile du Messie, aux tragiques destinées.
  4. Ministère itinérant, Luc 9.51-19.28. On précisera plus tard dans quelle mesure cette volumineuse narration représente réellement un voyage. La rareté des données chronologiques ou géographiques, les rapprochements de sujets analogues rendent plus difficile encore que précédemment une distribution en sections qui soit autre chose qu’une table de matières. Il peut être commode, pour la répartition de matériaux aussi variés, de subdiviser le récit en trois coupures, aux mentions répétées de l’orientation vers Jérusalem (Luc 13.34 ; Luc 17.11 ; Luc 19.22), mais on ne saurait y voir trois étapes proprement dites d’un itinéraire impossible à en dégager.
    1ère Série d’épisodes, Luc 9.51-13.35.
    1. Entrée en Samarie : Jésus, repoussé (comparez le début de la 1ère division), définit les dispositions nécessaires pour le suivre, Luc 9.51 ; Luc 9.62.
    2. Mission des soixante-dix disciples ; leur joie au retour, bonheur de connaître la révélation du Fils et du Père, Luc 10.1-24.
    3. Question d’un scribe et parabole du bon Samaritain ; épisode de Béthanie, Luc 10.35 ; Luc 10.42 ; le lien peut être topographique autant que chronologique, ce village se trouvant sur la route de Jérusalem à Jérico.
    4. Instructions pour les disciples sur la prière. Luc 11.1 ; Luc 11.13.
    5. Jésus répudie toutes accointances démoniaques, et condamne le pharisaïsme, Luc 11.14-54.
    6. Instructions pour les disciples : sincérité, détachement, confiance, vigilance, signes des temps, Luc 12.
    7. Appels à la repentance, avec allusions au sort d’Israël : deux faits d’actualité, parabole du figuier stérile, résistance des chefs juifs, temps nécessaire à la croissance du Royaume, image de la porte étroite, projet d’Hérode et imprécation à l’adresse de Jérusalem, Luc 13
    2e Série d’épisodes, Luc 14.1-17.10.
    1. Exhortations à l’humilité, groupées autour d’incidents de repas, Luc 14.1-24.
    2. Conditions indispensables aux disciples de Jésus, Luc 14.25-35.
    3. La grâce de Dieu qui sauve, dans les paraboles des trois perdus : brebis, drachme, fils, Luc 15.
    4. De l’emploi des richesses : deux paraboles, séparées par des instructions sur la fidélité, Luc 16.
    5. Groupement d’exhortations détachées, Luc 17.1 ; Luc 17.10.
    3e Série d’épisodes, Luc 17.11-19.28.
    1. Le lépreux samaritain, seul reconnaissant, Luc 17.11 ; Luc 17.19 (opposer l’intolérance samaritaine, lre série, Luc 9.51).
    2. En réponse à une question des pharisiens, Jésus déclare le royaume de Dieu présent, et évoque le jugement futur, Luc 17.20 ; Luc 17.37.
    3. Deux paraboles sur la prière, dont la première est en rapport avec ce qui précède, Luc 18.1 ; Luc 18.14.
    4. Deux épisodes instructifs sur L’entrée dans le Royaume : petits enfants, jeune riche, Luc 18.15 ; Luc 18.39.
    5. Troisième annonce de la Passion, Luc 18.31 ; Luc 18.34.
    6. À Jérico : l’aveugle, Zachée, Luc 18.35-19.10.
    7. Parabole des mines, sur l’attente active et fidèle du Royaume à venir, Luc 19.11-28.
  5. Ministère à Jérusalem, Luc 19.29-24.53. Ici Luc retrouve l’étroit parallélisme avec Marc et Matthieu ; l’équilibre avec les deux premières divisions de l’Évangile nous engage à grouper en une troisième les deux dernières parties qu’on distingue généralement dans Marc et Matthieu, et qui deviennent dans ce plan les deux subdivisions de la IIIe partie.
    1. Les suprèmes appels, Luc 19.29-21 38. La fin du libre ministère de Jésus se concentre naturellement autour du temple, dont les indignes chefs vont consommer le crime.
      1. Entrée à Jérusalem, Luc 19.29-48.
        1. Manifestation messianique, dans les acclamations des pèlerins, suivie d’une lamentation sur la ville rebelle (Luc 19.29 ; Luc 19.44) ;
        2. purification du temple, suivie du complot des chefs en contraste avec l’enthousiasme populaire (Luc 19.45-48). Malgré ce dernier trait, qui ne changera rien au dénouement du drame, la IIIe partie de Luc commence donc comme les deux autres : après Nazareth en Galilée, après la Samarie, la Judée repousse l’apparition de son Sauveur.
      2. Discussions dans le temple, Luc 20.1-21.4
        Alternance de la défense et de l’attaque : pièges tendus à Jésus par les divers partis religieux :
        1. l’autorité,
        2. Dieu et César,
        3. la résurrection,

        Et offensives du Seigneur :

        1. parabole des vignerons,
        2. le Fils de David,
        3. les scribes, en contraste avec la pauvre veuve.
      3. Instructions sur les derniers temps, Luc 21.5 ; Luc 21.36.
      4. Discours eschatologique parallèle à celui de Marc et Matthieu, avec quelques modifications, et allégé d’importants passages reproduits plus tôt (cf. Luc 17.20-37).
      5. Une brève notice résume les déplacements de Jésus les jours et les nuits de cette dernière semaine, Luc 21.37.
    2. Passion, mort, réssurection et ascension, Luc 22-24. Luc introduit encore quelques adjonctions dans la narration de Marc commune aux trois synoptiques.
      1. Complot des prêtres et trahison de Judas, Luc 22.1 ; Luc 22.6.
      2. Institution de la Cène, suivie d’une discussion des Douze sur le plus grand, de la leçon de Jésus et de son avertissement à Pierre, Luc 22.7-35.
      3. Gethsémané : l’agonie et l’arrestation, Luc 22.39-53.
      4. Reniement de Pierre et comparution devant Caïphe, Luc 22.54-71.
      5. Comparutions devant Pilate et devant Hérode, Luc 23.1 ; Luc 23.23.
      6. Crucifiement et sépulture, Luc 23.28-56.
      7. Résurrection, apparitions et ascension, Luc 24.

III Composition

On l’a dit au paragraphe I, nous n’avons pas pour Luc comme pour Marc et Matthieu le témoignage de Papias sur la façon dont fut composé cet Évangile ; mais nous avons mieux que cela, dans la préface de l’évangéliste lui-même : « Plusieurs ayant entrepris d’écrire l’histoire des faits accomplis parmi nous, — tels que nous les ont transmis ceux qui en ont été dès le commencement les témoins oculaires et qui sont devenus ministres de la Parole, — j’ai cru aussi, excellent Théophile, que je devais te les écrire dans leur ordre, après m’être exactement informé de tout depuis l’origine, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus » (Luc 1.1 ; Luc 1.4). Ainsi, un auteur que les croyants tiennent avec raison pour inspiré n’invoque pas de soudaines intuitions divines, mais une méthode d’information dans la recherche et la critique des témoignages, qui conditionne aujourd’hui toute œuvre historique : il veut raconter exactement les faits, grâce aux documents qu’il a pris soin de réunir, de contrôler et de classer, dans le souci de la vérité. Il nous autorise donc, en nous prévenant qu’il s’est efforcé de puiser aux sources les meilleures, à nous demander ce que nous pouvons constater de certain ou supposer de vraisemblable au sujet de ces sources mêmes.

1. Les sources

La préface invoque à la fois des documents écrits : ceux des « divers historiens des faits, témoins oculaires et prédicateurs qui les ont transmis dès le début » (verset 1 et suivant), et des confirmations orales : celles des « informateurs » dont il a obtenu un témoignage « exact » (verset 3). Il n’en nomme aucun. Mais en ce qui concerne les informateurs possibles, la tradition sur Luc compagnon de Paul le met en relations étroites non seulement avec l’apôtre des païens, qui du reste ne pouvait affirmer en son propre nom sur le ministère de Jésus que ce qu’il avait « lui-même reçu » (cf. 1 Corinthiens 15.3 ; 1 Corinthiens 11.23), mais avec nombre de chrétiens capables de préciser leurs souvenirs personnels ; ceux-ci pouvant d’ailleurs, comme aussi saint Paul, rapporter fidèlement de seconde main bien des témoignages oculaires souvent entendus de la bouche de compagnons de Jésus. Les souvenirs des chrétiens venus de Jérusalem à Antioche, en particulier (Actes 11.19 et suivants), même si Luc n’était pas originaire de la grande cité syrienne, ont pu lui parvenir par l’intermédiaire même de Paul. Durant la captivité de deux ans à Césarée, Luc qui s’y est trouvé au moins un certain temps (« nous » : Actes 27.1) a eu le loisir et les moyens de consulter en Palestine bien des témoins ; sa qualité de médecin pouvait lui donner accès partout et de grandes facilités pour se renseigner. Il serait incroyable qu’il n’eût pas cherché à connaître les survivants — après une trentaine d’années — de l’incomparable histoire du Christ maintenant adoré comme le Seigneur. Au cours de ses voyages il a pu compléter ses recherches en maintes contrées de la Dispersion, où se trouvaient des chrétiens d’origine palestinienne, comme sans doute Rufus et d’autres (Romains 16.13). À Césarée même demeurait le diacre Philippe, ancien évangéliste de la Samarie (Actes 8.40), chez qui Luc avait été reçu avec Paul au retour du 3° voyage (Actes 21.8), et dont les quatre filles, prophétesses (verset 9), ne pouvaient qu’entretenir les souvenirs sacrés du Seigneur. Luc a été, pendant le 2e voyage, compagnon de Silas, « prophète de Jérusalem » (Actes 15.32). Il connaissait aussi Jean Marc, avec qui il est cité dans les trois passages où saint Paul mentionne l’un ou l’autre (voir Luc, paragraphe 2) et qui pouvait se trouver à Rome en même temps que Luc, lors de la captivité de l’apôtre ; il aurait donc pu y entendre jusqu’à Pierre lui-même.

La plupart des informations ainsi recueillies au cours des années auraient été surtout purement orales ; mais lorsqu’il s’agit de prédication et plus encore d’enseignement régulier, la différence s’atténue assez vite entre traditions orales bientôt stéréotypées par la répétition et notices écrites que recueille de préférence un auteur précisément soucieux de documentation, et qu’il peut même obtenir de ses informateurs. Notre évangéliste a certainement utilisé des unes et des autres, mais la part la plus notable de ses informations doit avoir consisté en écrits. Quand nous manquons de termes de comparaison, nous ne pouvons préciser, et les déterminations hypothétiques de sources doivent être maintenues sur le terrain d’une sage réserve (voir Évangiles synoptiques, tome I, p. 400) ; mais les données du problème synoptique nous fournissent amplement, par la comparaison avec Marc et Matthieu, de quoi déterminer en une grande mesure les « deux sources » mises en œuvre par Luc comme par Matthieu (voir article sur Matthieu, paragraphe III).

1° L’Évangile de Marc.

Quand on compare Marc et Luc disposés en deux colonnes, on retrouve dans Luc presque toutes les péricopes de Marc (plus des 5/6) ; la plupart sont des épisodes narratifs, avec un appoint relativement réduit d’éléments didactiques ; et on les y retrouve presque toujours dans le même ordre. Cette substance de Marc est évaluée aux 2/5 environ de l’Évangile de Luc. Si l’on distingue dans Marc une centaine de péricopes, il n’en manque guère dans Luc qu’une douzaine, dont quatre sont spéciales à Marc :

  1. intervention de la famille de Jésus inquiète pour sa raison (Marc 3.20),
  2. parabole de la semence (Marc 4.26 ; Marc 4.29),
  3. guérison d’un sourd-muet (Marc 7.32-36),
  4. guérisons d’un aveugle (Marc 8.22 ; Marc 8.26).

Les autres ayant été conservées par Matthieu :

  1. martyre du Précurseur (Marc 6.17 ; Marc 6.29),
  2. marche de Jésus sur les eaux et retour à Génézareth (Marc 6.45-56),
  3. critique des traditions rituelles (Marc 7.1 ; Marc 7.23),
  4. la Cananéenne (Marc 7.24 ; Marc 7.30),
  5. seconde multiplication des pains (Marc 8.1 ; Marc 8.10),
  6. question du divorce (Marc 10.1-12),
  7. malédiction du figuier (Marc 11.12-14 ; Marc 11.20-25),
  8. exhortation à veiller (Marc 13.33 ; Marc 13.37),
  9. outrages des soldats (Marc 15.16 ; Marc 15.20).

On indiquera plus loin (paragraphe 2, 2e) divers motifs probables pour ces suppressions de Luc. La forte proportion qu’il conserve de Marc prouve que cet Évangile est pour lui (comme pour Matthieu) une source historique de valeur primordiale.

2° Les « Logia ».

La deuxième source de Luc serait-elle Matthieu ? Plusieurs savants le pensent encore, mais c’est extrêmement improbable. Il faudrait expliquer pourquoi le 3e évangéliste n’aurait pas conservé de Matthieu le récit de la visite des mages et tant d’affirmations évangéliques antijudaïsantes qui eussent été si précieuses pour son point de vue universaliste et missionnaire, comme la parabole des deux fils avec sa conclusion sensationnelle (Matthieu 21.28 et suivants), la sentence prononcée par Jésus contre les prêtres juifs, en conclusion de la parabole des vignerons : « Le Royaume de Dieu vous sera ôté, et sera donné à une nation qui en produira les fruits » (Matthieu 21.43), déclaration qui manque justement à la version de cette parabole dans Luc. Et pourquoi aurait-il laissé passer et accentué, au lieu de chercher à les éviter ou à en rendre compte, les différences si marquées, d’apparence quelquefois même contradictoire, entre les deux récits de la Nativité dans Matthieu (Matthieu 2.14 et suivant, fuite en Égypte) et dans Luc (Luc 2.39, retour à Nazareth), les deux généalogies (Matthieu 1 et Luc 3), les deux formes du discours soit sur la montagne (Matthieu 5.1 s) soit dans la plaine ou sur le plateau (Luc 6.17 et suivants), les apparitions du Ressuscité en Galilée (Matthieu 28) ou à Jérusalem (Luc 24) ? Nous ne voyons pas comment Luc aurait pu se servir de Matthieu d’une façon si incomplète, et se présenter parfois d’une façon si incompatible avec lui. Or puisqu’il a tenu compte, d’après sa préface, des Évangiles antérieurs, il faut en conclure qu’il ne l’a pas connu ; peut-être même l’a-t-il précédé (voir paragraphe VI).

Mais si Matthieu n’a donc pas été une source de Luc, la seconde source de celui-ci se trouve pourtant bien dans Matthieu, ou mieux, derrière cet Évangile : c’est l’ensemble des nombreux matériaux qu’ils ont en commun, généralement des instructions de Jésus, où l’on voit l’incorporation d’une partie des « Discours du Seigneur », ouvrage remontant à l’apôtre Matthieu. Comme il est dit ailleurs (Évangiles synoptiques, IV, 1, 2° B), l’utilisation des deux sources par Matthieu et par Luc se trahit dans le fait curieux de leurs doublets : les textes qu’ils reproduisent deux fois, dans des situations différentes. La parole sur la lampe dans Luc 8.16 est empruntée à Marc (Marc 4.21), celle de Luc 11.33 est parallèle à Matthieu 5.15 ; la déclaration du verset suivant, sur les secrets qui seront découverts (Luc 8.17), vient de Marc 4.22, et celle de Luc 12.2 rappelle Matthieu 10.26 ; l’exhortation à secouer la poussière des pieds, dans l’envoi des Douze de Luc 9.5, vient de Marc 6.11, et, dans l’envoi des Soixante-dix de Luc 10.11, répète Matthieu 10.14 ; bien des auteurs considèrent même toute la péricope des Soixante-dix (Luc 10) comme un doublet de la mission des Douze de Matthieu 10. Quoi qu’il en soit, ces divers exemples, qui pourraient être multipliés, sont des « témoins », pour Luc comme pour Matthieu, de l’emploi qu’ils ont fait l’un et l’autre à la fois de l’Évangile de Marc et du document des Discours.

L’apport de ce document doit représenter le cinquième environ de l’Évangile de Luc : évaluation rendue possible par le caractère didactique de ses morceaux qui les rend souvent reconnaissables et par la comparaison entre Luc et Matthieu lorsqu’ils les ont en commun ; et toutefois évaluation approximative, car il est impossible, puisqu’on n’en connaît pas l’original, de le retrouver toujours à coup sûr, à travers les affinités ou les disparates des textes, dans les remaniements plus ou moins considérables qu’il a pu subir chez l’un et chez l’autre évangélistes. Ceux-ci, par surcroît, ont dû se servir chacun d’une édition différente des Logia : hypothèse presque indispensable pour expliquer bon nombre des divergences que l’on constate encore entre eux et le fait qu’ils n’ont pas toujours conservé l’un et l’autre tous les enseignements de réelle importance. Matthieu dispose les sujets, à travers la trame historique de Marc, d’une manière assez apparente, en blocs de discours encadrés de formules consacrées ; Luc les répartit en entretiens plus dispersés, ou bien accumulés en séries décousues interrompant alors la narration de Marc. Il suit de là que malgré la grande place accordée par Luc aux paroles du Seigneur, il n’est pas l’Évangile didactique par excellence : ce caractère appartient à Matthieu, grâce aux discours-programmes sur le Royaume qui retentissent le long de son ouvrage ; d’un autre côté, l’Évangile des faits, c’est Marc, chez qui l’enseignement du Maître n’a qu’une part restreinte et secondaire ; quant à Luc, en combinant avec plus de proportion et plus de variété ce que Jésus a fait et ce qu’il a dit, il reçoit ses principales caractéristiques des richesses qu’il est le seul à révéler, dans sa IIe partie, ce qui pose le problème d’une ou de plusieurs sources nouvelles.

3° Le ministère itinéraire

Il s’agit des 10 chap (Luc 9.51-19 ; Luc 9.28) ouverts par le départ de la Galilée pour Jérusalem et l’entrée en Samarie, jalonnés de notes sur la marche vers la capitale, et se terminant à ses portes (Luc 9.51 ; Luc 9.57 ; Luc 10.38 ; Luc 13.22 ; Luc 13.33 ; Luc 14.25 ; Luc 17.11 ; Luc 18.31 ; Luc 18.35 ; Luc 19.1 ; Luc 19.11 ; Luc 19.28).

Plus d’un auteur a considéré ce long passage comme un récit de voyage, source particulière de Luc caractérisée quant à la composition par ce cadre géographique, et quant au fond par la révélation de la grâce de Dieu pour les pauvres et les pécheurs, qu’illustrent éloquemment certains de ses épisodes et surtout ses paraboles. Mais ni l’un ni l’autre de ces points de vue, géographique ou religieux, n’impliquent ici un document primitif homogène ; cette hypothèse aurait contre elle, comme on l’a dit ailleurs (voir Évangiles synoptiques, IV, 2, 2°, B), le parallélisme d’importantes péricopes avec Matthieu, sans doute emprunts communs aux Logia (Luc 9.57-60 ; Luc 10.1 ; Luc 10.24 ; Luc 11 ; Luc 12.1-12 ; Luc 12.22-59 ; Luc 13.18-35 ; Luc 14.15-35 ; Luc 15.3-7 ; Luc 16.10 ; Luc 16.18 ; Luc 17.1-10 ; Luc 17.20-37) et aussi de quelques éléments avec Marc (Luc 11.17 ; Luc 11.23 ; Luc 12.1 ; Luc 13.18 ; Luc 17.1 ; Luc 18.15-43).

D’ailleurs, le ton d’incontestable sympathie à l’égard des dédaignés de ce monde n’est pas particulier à cette 2e section : il donne son timbre à tout l’Évangile (voir paragraphe IV). Quant au cadre géographique, il se montre décevant à l’examen : ni les faits ni les enseignements ne sont presque jamais rattachés à des lieux précis ni même à des régions (voyez le vague des indications dans Luc 10.1-38 ; Luc 11.1 ; Luc 13.10 ; Luc 13.22 ; Luc 13.31 etc.) il est impossible de relever un itinéraire quelconque, les jalons apparents du voyage supposé ramènent parfois le lecteur en arrière (ex. : Luc 9.52, Jésus entre en Samarie ; mais, huit chapitres plus loin, Luc 17.11, il se trouve encore « sur les confins de la Samarie et de la Galilée ») ; l’ambiance même des récits évoque tantôt la Galilée centrale (Luc 10.13) et suivant, tantôt la basse Judée près de Jérico (Luc 10.30 ; Luc 18.35 et suivants), tantôt la Judée et Jérusalem (Luc 13.1-4 ; Luc 13.6-9), tantôt les alentours du temple (Luc 11.45 ; Luc 11.54 ; Luc 17.20-37, cf. les parallèle de Matthieu, en effet situés au temple).

Les péricopes sont rarement enchaînées l’une à l’autre comme les scènes d’une narration primitive identique. Ce n’est point là le tableau d’un voyage continu, mais une énumération de déplacements irréguliers au cours d’un ministère itinérant. Il n’est même pas sûr que Jésus et ses disciples y doivent être supposés constamment « en chemin ». Sous cette multiplicité épisodique semble se perdre par moment le fil de l’histoire, devenu moins perceptible quand Luc n’a plus Marc pour guide. C’est pourquoi l’on tend à voir aujourd’hui dans cette division maîtresse de l’Évangile la succession des renseignements, fort importants pour la plupart, qui manquaient de points de repère chronologiques ou topographiques ; Luc les aura répartis pour le mieux, en intercalant de temps à autre les brèves annonces de la prochaine arrivée à Jérusalem. Comme les instructions de Jésus qu’il y a reproduites, aussi bien que les incidents de son ministère, mettent souvent en relief le salut des pécheurs par la grâce de Dieu — et ceci, tout particulièrement dans les émouvantes paraboles par lui seul conservées —, on est fondé à parler ici, avec Aug. Sabatier, d’un « Évangile de Jésus missionnaire » ; et un compagnon de voyage de l’apôtre des païens n’aura guère pu l’écrire sans penser continuellement au ministère du missionnaire saint Paul, — d’ailleurs bien différent mais animé de la même inspiration largement humaine. Il est même légitime de supposer que là pourraient se trouver, notamment dans les mentions de la Samarie et des Samaritains, certaines des informations orales dont nous avons plus haut reconnu la vraisemblance, fournies à Luc par le diacre Philippe, l’ancien évangéliste de cette province.

4° L’Évangile de l’enfance

Nous avons essayé de caractériser ailleurs la source sans doute écrite, d’origine hébraïque et judéenne, qu’on pressent à travers les chapitres 1 et 2 de Luc, conçus presque exclusivement du point de vue de Marie, et totalement différents à cet égard comme à d’autres des chapitres 1 et 2 de Matthieu (Évangiles synoptiques, IV, 2, 2e, A). On remarque son accent israélite mais fortement piétiste, issu de la ferveur messianiste des humbles qui « craignaient Dieu ». La forme quasi liturgique et les citations scripturaires de leurs cantiques, leur utilisation subséquente dans le culte chrétien ne compromettent nullement à nos yeux leur vraisemblance ; il faut seulement admettre une part du style personnel du rédacteur hébreu de la source et peut-être de l’évangéliste grec, quoique Luc ait très fidèlement respecté tout le long de ces 2 chapitres les idées et les termes de l’Ancien Testament, qui constituait l’unique culture des humbles croyants d’Israël. Enfin les oppositions statuées par bien des critiques entre les faits miraculeux de la naissance de Jésus et la résistance des siens pendant son ministère ne nous paraissent pas inexplicables : ces souvenirs extraordinaires ne pouvaient qu’inciter la famille à attendre — comme tant de Juifs que Jésus a déçus — un glorieux Messie, à l’œuvre royale toute tissée de merveilleux. Il faut d’ailleurs reconnaître dans les traditions de ces pages intimes et poétiques, qui demeurèrent longtemps dans le domaine privé, un genre de témoignages moins rigoureusement contrôlable que la narration historique du ministère public dont se nourrirent de bonne heure la prédication apostolique et l’édification des fidèles.

Notons que la généalogie de Jésus (voir article), différente de celle que Matthieu donne en tête de son Évangile de l’enfance (Matthieu 1.1 et suivants), est transportée par Luc hors de ses pages préliminaires, au moment où le ministère de Jésus entre positivement dans l’histoire (Luc 3.23 et suivant).

5° Autres sources

Arrivés à ce point, les critiques les plus disposés aux distinctions de sources reconnaissent combien il est délicat de vouloir préciser les diverses provenances des autres éléments de Luc. Dans un ouvrage expressément composé sur documentation méthodique, quoi d’étonnant si nous ne pouvons identifier, de beaucoup, toutes ses informations écrites, lesquelles du reste peuvent avoir été simplement orales ? Ainsi, les ressemblances propres à Luc entre son récit de la sainte Cène et celui de Paul (Luc 22.19 et suivants, 1 Corinthiens 11.23 et suivant) ont fait supposer que l’évangéliste aurait connu pour la Passion une source apparentée à la pensée de l’apôtre ; cette hypothèse, défendable si l’évangéliste doit être considéré comme notablement postérieur à saint Paul, est inutile si l’Évangile est bien l’œuvre même de son compagnon, auditeur et témoin de sa parole et de son activité. Plusieurs détails précis spéciaux à Luc sur le milieu d’Hérode Antipas (Luc 8.3 ; Luc 13.31 ; Luc 23.7-12 ; Actes 13.1) peuvent lui avoir été donnés par quelqu’un de la cour du tétrarque : mais alors, de vive voix, car ces indications sont trop brèves pour justifier de l’existence d’un document écrit ; et il serait bien étrange que, possédant un tel document, Luc fût le seul des synoptiques à ne pas raconter la fin tragique du captif d’Hérode (Marc 6.14-29 parallèle Matthieu 14.1-12; Luc 3.19 et suivant). Il faut naturellement admettre, dans la contribution personnelle de l’évangéliste, tous les matériaux recueillis qu’il a tenus pour vérifiés et, avec eux, les éléments imputables à son propre travail de rédaction (raccords, notices, mises en scène) ou bien à ses tendances particulières de rédacteur. On trouvera plus loin (II, 2, 3°) l’énumération des plus notables éléments ajoutés ainsi aux données de ses sources principales.

2. La disposition

En partant du fait que Luc (comme Matthieu de son côté) combine Marc et les Logia, ainsi que d’autres sources, il est fort instructif de comparer :

  1. avec Marc sa première source principal
  2. avec Matthieu, combinaison différente du même Marc avec les Logia leur deuxième source principale commun
  3. Oon entrevoit ainsi — par les modifications que Luc fait subir à Marc, et par les différences entre Matthieu et Luc les deux combinaisons indépendantes l’une de l’autre — d’abord leurs habitudes de rédaction, puis leurs points de vue généraux, d’où découlent leurs caractères dominants.

    1° Déplacements

    On l’a vu par l’analyse du plan, Luc suit de près l’ordre de Marc. Alors que Matthieu le rompt parfois singulièrement, en y apportant du nouveau, pour rapprocher des éléments similaires, les disposer symétriquement, et même suivant des procédés de numération assez artificiels (voir Matthieu [Évangile de], III, 2), au contraire les rares cas où Luc s’en sépare ouvrent comme des parenthèses n’en disloquant guère la charpente maîtresse. Les déplacements dans Matthieu affectent surtout la première partie, où Luc reste plus proche de Marc ; dans la seconde, Luc apporte de nombreuses adjonctions, qui ne provoquent guère d’interversions dans la trame de Marc. Il semble que Luc, lorsqu’il a manqué de repères historiques pour ses informations dispersées et souvent épisodiques, ait juxtaposé des éléments plus ou moins analogues, ou même simplement ceux que, en dehors de toute analogie, il ne savait où situer. C’est pourquoi, malgré son intention de principe de suivre l’ordre des faits, la réalisation de ce principe paraît quelquefois moins probable que l’ordre de Marc : comme Matthieu, Luc était plus éloigné que Marc des témoignages directs sur la vie de Jésus. Mais son programme de contrôle et de confirmation des traditions évangéliques tendait à l’en rapprocher autant qu’il était possible à sa génération, tandis que Matthieu, en se proposant de présenter systématiquement la doctrine du Seigneur, attachait moins d’importance à l’enchaînement des faits.

    La transposition la plus intéressante chez Luc est celle de la prédication à Nazareth, qu’il place à l’entrée du ministère en Galilée, anticipant ainsi sur Marc (Luc 4.16 ; Luc 4.30 parallèle Marc 6.1 ; Marc 6.6) : l’anticipation est prouvée par l’allusion du verset 23 à l’activité déjà exercée à Capernaüm, alors que Luc ne l’abordera qu’ensuite (verset 31 et suivant). Son intention semble avoir été d’ouvrir chacune des trois divisions de l’Évangile par une entrée en scène de Jésus se heurtant immédiatement à un mauvais accueil, ici d’abord en Galilée, puis en Samarie (Luc 9.52 et suivants), et enfin à Jérusalem (Luc 19.41 et suivants). Cette conception témoigne en tout cas du sens dramatique de l’écrivain ; elle peut aussi représenter la philosophie de l’histoire d’un disciple de saint Paul, qui marque le rejet par son peuple de Celui qui venait exaucer les prophètes (cf. Luc 4.17 ; Luc 4.21), mais que les païens étaient prêts à recevoir (cf. Luc 4.25 ; Luc 4.27), et que la résistance des Juifs ne devait pas arrêter dans son œuvre rédemptrice (cf. Luc 4.28 ; Luc 4.30).

    Une deuxième modification d’une certaine importance chez Luc est sa version de la vocation des « pêcheurs d’hommes » (cf. Marc 1.16-20) en conclusion de la pêche miraculeuse (Luc 5.1 ; Luc 5.11) ; encore ici, une scène dramatique et symbolique à la fois.

    D’autres déplacements d’épisodes peuvent mieux s’expliquer par le fait que Luc suivrait une autre source : par exemple, la discussion sur Béel-Zébul est transportée de Luc 6.16 (où l’aurait placée le parallèle Marc 3.19) à Luc 11.4-22 qui renferme des éléments nouveaux ; la réponse de Jésus sur sa vraie famille est transportée du même contexte (parallèle Marc 3.31-35) à Luc 8.19-21. Par ailleurs Luc a dû ranger dans une même enclave certaines séries d’adjonctions, pour éviter de trop morceler Marc : telle la succession de Luc 6.20-8.3, qu’il savait avoir à placer au cours du ministère en Galilée, et quelques-unes au cours des chapitres 9-18.

    Quant à son plan général, il ne peut y avoir aucun doute sur l’intention de l’évangéliste de commencer une nouvelle division avec Luc 9.51. La déclaration particulièrement solennelle de ce verset annonce le voyage vers Jérusalem, qui correspond à la deuxième partie de Marc (Marc 8.27-10.52) ou de Matthieu (Matthieu 16.13-20.34) ; mais chez ceux-ci cette deuxième partie était déclenchée par l’entretien voisin de Césarée, pivot central où s’accusaient les intentions pédagogiques du Maître des Douze et la perspective désormais tragique de la croix inévitable, ce qui permettait d’intituler la division nouvelle : « ministère auprès des Douze, de Galilée en Judée ». En fait, Luc conserve sa place et son importance à ce pivot central, mais fort probablement il a retardé la coupure entre les deux parties afin d’ouvrir sa deuxième division comme la première par un tableau de résistance à Jésus (Luc 9.52 et suivants). De plus, la forte proportion dans cette deuxième partie de Luc d’apports nouveaux d’une portée profonde quant à la prédication du salut en général, rendra moins apparente, fondue en 10 chapitres au lieu des 2 ½ de Marc et des 4 ½ de Matthieu, l’œuvre d’éducation des Douze par le Seigneur. Voilà pourquoi il a mieux valu simplement intituler cette partie : « ministère itinérant ».

    La troisième division de Luc rejoint le parallélisme avec Marc, non sans quelques modifications de détail. L’annonce de la trahison y est transportée après l’institution de la Cène, l’avertissement à Pierre avant le départ de la chambre haute, son reniement avant l’unique séance du Sanhédrin que Luc rapporte au lieu des deux de Marc et Matthieu (Luc 22).

    2° Abréviations

    Luc ayant donc à se réserver une place considérable pour insérer dans la narration de Marc les développements fort étendus qu’il tenait de ses autres sources, pratique couramment des abréviations et des suppressions, comme l’a fait aussi Matthieu pour le même motif ; mais chacun d’eux procède suivant sa tournure d’esprit et son but particuliers.

    1.

    Le style sobre et concis de Luc fait volontiers disparaître ce qui lui semble inutile dans la phrase abondante et facilement prolixe de Marc. Lorsque celui-ci s’exprime à la façon hébraïque, en deux locutions équivalentes, il arrive souvent qu’une seule soit conservée. Exemples :

    • Marc (Marc 1.32) « quand le soir fut venu, après le coucher du soleil » = « quand le soleil fut couché » (Luc 4.40) ;
    • Marc (Marc 1.42) « la lèpre disparut et cet homme devint net » = « la lèpre le quitta » (Luc 5.13) ;
    • Marc (Marc 5.19) « va dans ta maison, chez les tiens » = « retourne dans ta maison » (Luc 8.39),
    • Marc « et raconte-leur tout ce que le Seigneur t’a fait et comment il a eu pitié de toi » = « et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi » (Luc) ;
    • comparez les suppressions de phrases en double : Marc 2.19 parallèle Luc 5.34, Marc 10.27 parallèle Luc 18.27, etc.

    Sont de même économisées : les répétitions d’indications déjà données par exemple sur l’heure avancée, Marc 6.35 parallèle Luc 9.12, ou les mentions préliminaires de faits racontés plus loin : du jeûne qui va être discuté, Marc 2.18 parallèle Luc 5.33 ; des épées et des bâtons qui vont être dénoncés, Marc 14.43-48 parallèle Luc 22.47-52 ; de la consigne de Judas à propos de son baiser, laquelle sera comprise lorsqu’il le donnera, Marc 14.44 parallèle Luc 22.47, ou telle conclusion qui va de soi dans le contexte (derniers mots de Marc 5.34 parallèle Luc 8.48).

    Bien des scènes de Marc sont condensées dans Luc :

    • introduction aux paraboles (Marc 4.1 parallèle Luc 8.4),
    • résurrection de la fille de Jaïrus (Marc 5.37 ; Marc 5.43 parallèle Luc 8.51 ; Luc 8.56),
    • offrande de la veuve (Marc 12.41 ; Marc 12.44 parallèle Luc 21.1 ; Luc 21.4),
    • spectateurs de la croix (Marc 15.40 parallèle Luc 23.49), etc.

    Toutefois, à la différence de Matthieu qui réduit parfois les récits de Marc jusqu’à une certaine sécheresse, Luc témoigne d’un sens littéraire qui prime son souci de brièveté : s’il sait élaguer avec élégance, il lui arrive aussi de remplacer des longueurs de Marc par une rédaction aussi longue mais plus artistique : Marc 2.12 parallèle Luc 5.25 et suivant, Marc 13.1 parallèle Luc 21.5 et suivant, etc.

    2.

    Son principe d’économie, doublé d’un principe d’harmonie, s’applique aussi bien au choix des péricopes qu’à celui de la syntaxe. Ainsi doit s’expliquer chez lui l’absence de scènes que leur analogie avec d’autres lui aura fait estimer trop peu nouvelles :

    • parabole de la semence Marc 4.26 et suivant ; cf. celle du grain de moutarde, Marc 4.30 parallèle Luc 13.18 et suivant,
    • marche de Jésus sur le lac Marc 6.45 et suivants ; cf. la tempête, Marc 4.35 parallèle Luc 8.22 et suivants,
    • deuxième multiplication des pains Marc 8.1 et suivant ; cf. la première, Marc 6.30 parallèle Luc 9.10,
    • malédiction du figuier Marc 11.12-14 ; Marc 11.20 ; cf. la parabole du figuier stérile, Luc 13.6 ; Luc 13.9,
    • question du scribe Marc 12.25 et suivants ; cf. celle du docteur, Luc 10.25 et suivants,
    • onction de Béthanie Marc 14.3 et suivant ; cf. celle de la pécheresse, Luc 7.36 et suivants.

    Il ne conserve qu’une des deux comparutions devant Caïphe (Luc 22.66-71, cf. Marc 14.55-64 ; Marc 15.1), ne mentionne qu’une des deux boissons offertes au Crucifié (Luc 23.36, cf. Marc 15.23 ; Marc 15.36), etc.

    3.

    D’autres suppressions, en grand nombre, marquent une tendance à laisser tomber des éléments anecdotiques, qui avaient frappé les témoins oculaires du ministère — et qu’à ce titre avait retenus Marc, secrétaire de l’apôtre Pierre — mais que les générations suivantes trouvèrent bientôt peu significatifs, voire insignifiants ou trop familiers.

    C’est ainsi qu’entre autres Luc n’a pas gardé de Marc :

    • les bêtes sauvages (Marc 1.13 parallèle Luc 4.13),
    • la poupe et le coussin (Marc 4.38 parallèle Luc 8.23),
    • le besoin de repos des Douze (Marc 6.31 parallèle Luc 9.10),
    • les 200 deniers (Marc 6.37 parallèle Luc 9.13),
    • le foulon (Marc 9.3 parallèle Luc 9.29),
    • le matériel des marchands de pigeons (Marc 11.15 parallèle Luc 19.45),
    • le fugitif nu (Marc 14.51 parallèle Luc 22.53),
    • l’achat du linceul (Marc 15.46 parallèle Luc 23.53), etc.

    Suivant le même principe de simplification, Luc néglige ou rend plus approximatives des précisions de temps : Marc 4.35 parallèle Luc 8.22, Marc 9.2 parallèle Luc 9.28, Marc 15.33 parallèle Luc 23.44, etc., de lieux : Marc 2.13 parallèle Luc 5.27, Marc 5.20 parallèle Luc 8.39, Marc 8.27 parallèle Luc 9.18, etc., de personnages : Marc 10.46 parallèle Luc 18.35, Marc 13.3 parallèle Luc 21.7, Marc 15.21 parallèle Luc 23.26, etc.

    Quoique la rédaction de Luc et celle de Matthieu aient été certainement indépendantes l’une de l’autre, la plupart de ces suppressions ont été faites par l’un et par l’autre, assurément pour les mêmes motifs. D’autres sont plus particulières à Luc, lorsque celui-ci a retranché de Marc des traits de caractère juif, peu adaptés à ses lecteurs ; nous y reviendrons (paragraphe III, 1).

    4.

    Luc et Matthieu sont portés – Luc toutefois moins que Matthieu – à ménager les apôtres, en les présentant sous un jour qui ne leur soit pas trop défavorable. Non que nos Évangiles cachent leurs fautes, leurs incompréhensions, leurs insuffisances : elles surgissent à chaque page. Mais ils arrondissent quelquefois les angles : Luc ne garde rien :

    • du blâme de Jésus à ses disciples qui ne comprennent pas les paraboles, blâme dont Matthieu avait fait une béatitude (Marc 4.13 parallèle Matthieu 13.16 et suivant, Luc 8.9 et suivant),
    • ni de sa réprimande pour leur endurcissement (Marc 8.17 parallèle Luc 12.1),
    • ni du démenti de Pierre et de la foudroyante réponse du Maître (Marc 8.32 parallèle Luc 9.20 et suivant),
    • ni de la question des disciples sur la cause de leur impuissance à guérir l’enfant (Marc 9.28 parallèle Luc 9.42 et suivant),
    • ni de leur étonnement à la déclaration de Jésus sur l’impossibilité pour un riche d’être sauvé (Marc 10.24 ; Marc 10.26 parallèle Luc 18.26),
    • ni de la demande ambitieuse des fils de Zébédée, qu’il condense en « une contestation parmi eux » (Marc 10.35 parallèle Luc 22.24 et suivants),
    • ni de l’occasion de chute (littéralement scandale) que Jésus prédit aux apôtres (Marc 14.27 parallèle Luc 22.31 et suivant),
    • ni de la mise à part à Gethsémané des trois intimes, qui s’y endorment (Marc 14.33 parallèle Luc 22.40 et suivants),
    • ni de la fuite des Onze (Marc 14.50 parallèle Luc 22.53).

L’incompréhension et la crainte des disciples, lors d’une des annonces qu’il leur fait de sa mort, sont atténuées par Matthieu en une « affliction profonde », et par Luc en une influence d’En-haut : « cette parole était voilée pour eux » (Marc 9.32 parallèle Matthieu 17.23; Luc 9.45). Leur reproche à Jésus, dans la tempête, d’après Marc, est adouci par Matthieu en une prière, et par Luc en un cri d’effroi : « Nous périssons ! » (Marc 4.32 parallèle Matthieu 8.25; Luc 8.24), ce qui épargne à la fois le caractère des apôtres et l’autorité du Christ.

5.

En effet, si notre évangéliste évite volontiers de trop charger les disciples, à plus forte raison sa vénération pour le Seigneur l’incite-t-elle à proscrire ce qui pouvait risquer de le rabaisser aux yeux des lecteurs. Presque autant que Matthieu, Luc omet les mouvements d’émotion de Jésus qu’il a trouvés dans Marc :

  • compassion Marc 14.1 parallèle Luc 5.13,
  • indignation Marc 3.5 parallèle Luc 6.10, Marc 10.14 parallèle Luc 18.16,
  • tendresse Marc 9.36 parallèle Luc 9.47, Marc 10.16 parallèle Luc 18.17, Marc 10.21 parallèle Luc 18.22,
  • frayeur angoissée Marc 14.33 parallèle Luc 22.40).

Sans doute, en cette dernière circonstance, au jardin des Oliviers, lui seul désigne le terrible combat du Seigneur par le terme d’« agonie », et mentionne dans ce même instant la sueur de sang après l’apparition de l’ange du réconfort divin (Luc 22.43 et suivant). Seulement, dans cette épreuve sans égale, couronnée par un acte sublime de confiance en Dieu, l’évangéliste ne voit point une faiblesse humaine, mais au contraire la toute-puissance divine victorieuse de Satan (cf. « jusqu’à une autre occasion », Luc 4.13 ; « la puissance des ténèbres », Luc 22.53).

Aussi les expressions familières lui paraissent-elles déplacées pour le Seigneur : il change ici le « tombait à terre » de Marc (affaibli par la Version Synodale « se prosternait contre terre ») et il écrit : « se mettant à genoux » (Marc 14.35 parallèle Luc 22.41).

De même, au lieu de « l’Esprit poussa Jésus au désert », il a écrit : « il fut conduit par l’Esprit…  » (Marc 1.12 parallèle Luc 4.1) ; il a remplacé « le charpentier » par « le fils de Joseph » (Marc 6.3 parallèle Luc 4.22).

Comme Matthieu il a retranché le terme vulgaire de « cadavre » (ptôma) à propos du Crucifié (Marc 15.45 parallèle Luc 23.52 et suivants), le soupçon choquant des parents de Jésus craignant pour sa raison (Marc 3.21 parallèle Luc 8.19), les guérisons opérées avec la salive (Marc 7.31 ; Marc 8.22 et suivants).

Il supprime le cri de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc 15.34 ; Matthieu 27.46 parallèle Luc 23.44 et suivants).

Il paraphrase, pour éviter de dire, comme en un frisson d’horreur, que Judas a réellement baisé son Maître (Marc 14.45 parallèle Luc 22.47), que les gardes l’ont réellement souffleté et outragé de crachats (Marc 14.65 parallèle Luc 22.63 et suivants) ; pourtant il avait conservé l’annonce de cette dernière ignominie (Marc 10.34 parallèle Luc 18.32). C’est qu’il n’y a rien d’absolu dans sa tendance à hausser au-dessus des hommes la suprême grandeur du Christ : Luc a bien trop le souci des faits pour songer à nier les traits évidents, et tellement émouvants, de son humanité ; aussi n’a-t-il pas poussé les précautions aussi loin que Matthieu lorsque celui-ci supprime la plupart des questions qui sembleraient révéler des ignorances de Jésus, ou les désobéissances, les empressements indiscrets des foules, qui sembleraient révéler son impuissance en certains cas : à peine pourrait-on citer à cet égard, en regard des 15 à 18 exemples de Matthieu, 3 ou 4 suppressions de Luc qui peuvent du reste s’expliquer aussi bien par des raisons de composition.

Nos constatations nous ont en effet conduits insensiblement du domaine formel de la rédaction à la pensée même de l’évangéliste. D’une part, sa déférence instinctive pour les disciples, hésitant à les présenter aussi librement que Marc comme des compagnons familiers du Maître, et pour celui-ci sa vénération plus intense, plus susceptible aux profanations, éloignent déjà davantage dans le passé l’histoire évangélique et confirment la tradition même sur Luc, en ceci que son ouvrage n’est pas sorti directement de la première génération chrétienne. D’autre part, cette tendance qui devait plus tard dévier dans l’hagiographie n’est guère accentuée encore, à ce point que pour la percevoir il faut suivre studieusement ligne par ligne les parallèles synoptiques ; elle est surtout négative, se bornant à ménager les simples hommes qu’avaient été les apôtres, et la foi des chrétiens en un Seigneur qui dominait de haut nos misères humaines ; nous sommes encore bien loin du stade des créations pieuses qui devaient tenter, dans une sincérité naïve, d’ajouter quelque chose de grand à la mémoire des apôtres et même à la majesté du Sauveur. Dans cette direction, Luc se montre moins avancé que Matthieu ; il n’implique pas de longues années de réflexion et d’élaboration au sujet des traditions évangéliques. Nouvelle présomption en faveur du témoignage de l’ancienne Église à l’œuvre d’un compagnon de saint Paul, qui ne se situe ni très tôt ni très tard après les mémorables événements qu’il raconte en ses deux volumes.

3° Additions

Toutes les abréviations et suppressions, d’ensemble et de détail, que Luc a fait subir au texte de Marc, sont surabondamment compensées par les fort nombreux matériaux nouveaux qu’il y a encadrés, et qui font de lui le plus long des Évangiles. Laissant de côté des touches légères qu’il ajoute ici et là pour compléter utilement ses tableaux (par exemple : le sujet de l’entretien lors de la transfiguration, Luc 9.31 ; les prières de Jésus, Luc 9.18-29, etc.), nous nous contentons d’entr’ouvrir les deux ou trois riches collections de trésors sertis par lui dans la chaîne de Marc.

1.

D’abord ceux qu’on retrouve aussi dans Matthieu, et qui, pour la plupart, représentent leurs emprunts aux Logia, ordonnés différemment chez l’un et chez l’autre, comme on l’a dit plus haut. Les plus importants de ces passages sont :

  • reproches de Jean-Baptiste à la foule (Luc 3.7 ; Luc 3.9 ; Luc 3.17),
  • tentation (Luc 4.1-13),
  • discours sur le plateau (Luc 6.20 ; Luc 6.49),
  • centenier de Capernaüm (Luc 7.1 ; Luc 7.10),
  • message de Jean-Baptiste et son éloge par Jésus (Luc 7.18 ; Luc 7.35),
  • dispositions nécessaires aux disciples (Luc 9.57 ; Luc 9.60),
  • l’Évangile pour les petits (Luc 10.21 ; Luc 10.24),
  • oraison dominicale et prière (Luc 11.1-4 ; Luc 11.9-13),
  • discussion sur Béel-Zébul (Luc 11.14 et suivants),
  • reproches aux pharisiens (Luc 11.39),
  • exhortations au courage des confesseurs (Luc 12.2 ; Luc 12.12),
  • contre les soucis (Luc 12.22 ; Luc 12.34),
  • le service vigilant (Luc 12.39 ; Luc 12.46),
  • parabole du levain (Luc 13.20 et suivant),
  • la porte étroite (Luc 13.23 ; Luc 13.30),
  • appel à Jérusalem (Luc 13.34 et suivant),
  • parabole du grand festin (Luc 14.15 ; Luc 14.24),
  • parabole de la brebis perdue (Luc 15.4 et suivants),
  • l’avènement du Fils de l’homme (Luc 17.23 ; Luc 17.27),
  • parabole des mines (Luc 19.12-27).

Entre les parallèles de ces diverses péricopes dans Luc et dans Matthieu, bien des degrés de ressemblances et de dissemblances peuvent être notés, depuis leur identité presque intégrale pour la prédication de Jean-Baptiste jusqu’aux différences de points de vue et d’applications qui distinguent la parabole des mines dans Luc 19 et celle des talents dans Matthieu 25. Des passages communs à la mission des Douze d’après Matthieu et à celle des Soixante-dix d’après Luc ont permis à bien des auteurs de considérer le morceau de Luc comme un doublet : ayant pris à Marc 6.7 ; Marc 6.13 le bref récit de la mission des Douze (Luc 9.1 ; Luc 9.6), il en aurait répété ou employé pour celle des Soixante-dix (Luc 10.1-24) quelques éléments pris aux Logia ; (cf. Matthieu 9.37-10.20 ; Matthieu 11.21-27 ; Matthieu 13.16 et suivant) sans doute il n’existe aucune autre trace de ce groupe des Soixante-dix dans le Nouveau Testament, mais il semble surprenant qu’un auteur aussi désireux d’éviter les doubles emplois en ait commis un d’une telle importance : n’y aurait-il pas là au contraire une information personnelle au 3e Évangile, même si certains éléments en ont été confondus grâce à la similarité des sujets ?

La simple liste des thèmes traités montre la grande portée de tous ces passages. Leur dispersion dans Luc (qui peut avoir opéré des abréviations et des suppressions du texte des Logia comme il l’a fait pour le texte de Marc) y rend leur proportion moins sensible que dans leurs groupements en discours chez Matthieu Ils viennent s’ajouter aux enseignements que Marc possède en commun avec Luc et Matthieu, peut-être grâce à de modiques emprunts à cette même source des Discours (voir Marc [Évangile de], IV, 2, 2e) : présentation du Précurseur, paraboles du semeur, du grain de moutarde, dernières discussions dans le temple, etc.

2.

Plus abondante encore est la contribution des « autres sources », informations propres à Luc, dont voici les principales :

  • Évangile de l’enfance (chapitres 1 et 2),
  • repères historiques de l’apparition de Jean-Baptiste (Luc 3.1 et suivant),
  • ses applications directes à divers auditeurs (Luc 3.10 ; Luc 3.14),
  • généalogie (Luc 3.23 ; Luc 3.38),
  • malédictions parallèles aux béatitudes (Luc 6.24 ; Luc 6.26),
  • le fils de la veuve (Luc 7.11 ; Luc 7.17),
  • la pécheresse (Luc 7.36 ; Luc 7.50),
  • les femmes accompagnant Jésus (Luc 8.1 ; Luc 8.3),
  • des Samaritains le repoussant (Luc 9.51 ; Luc 9.56),
  • parabole du bon Samaritain (Luc 10.25 ; Luc 10.37),
  • Marthe et Marie (Luc 10.38-42),
  • paraboles de l’ami importun (Luc 11.5 ; Luc 11.8),
  • du riche insensé (Luc 12.15 ; Luc 12.21),
  • la leçon d’un massacre et parabole du figuier stérile (Luc 13.19),
  • guérison d’une infirme (Luc 13.10 ; Luc 13.17),
  • menaces d’Hérode (Luc 13.31-33),
  • guérison d’un hydropique et leçons à propos de repas (Luc 14.1-14),
  • deux paraboles sur la prévoyance (Luc 14.28 ; Luc 14.33),
  • paraboles de la drachme perdue, du fils perdu (Luc 15.6 ; Luc 15.32),
  • de l’économe infidèle (Luc 16.1 ; Luc 16.12),
  • du mauvais riche et de Lazare (Luc 16.19 ; Luc 16.31),
  • du serviteur inutile (Luc 17.7 ; Luc 17.10),
  • les dix lépreux (Luc 17.11 ; Luc 17.19),
  • déclaration sur le Royaume de Dieu intérieur (Luc 17.20 et suivant),
  • allusions à l’histoire de Lot (Luc 17.28 ; Luc 17.32),
  • paraboles du juge inique (Luc 18.1 ; Luc 18.8),
  • du pharisien et du péager (Luc 18.9-14),
  • Zachée (Luc 19.1 ; Luc 19.10),
  • pleurs de Jésus sur Jérusalem (Luc 19.41 ; Luc 19.44),
  • les deux épées (Luc 22.35 ; Luc 22.38),
  • l’ange et la sueur de sang (Luc 22.43 et suivant),
  • Pilate et Hérode (Luc 23.4-16),
  • lamentation des femmes de Jérusalem (Luc 23.27 ; Luc 23.31),
  • la prière pour les bourreaux (Luc 23.34),
  • les deux malfaiteurs (Luc 23.32 ; Luc 23.39-43),
  • préparation des aromates (Luc 23.55 et suivant),
  • les pèlerins d’Emmaüs (Luc 24.13 ; Luc 24.35),
  • l’apparition aux Onze et l’ascension (Luc 24.36-53).

Peut-être faudrait-il ajouter à cette liste les morceaux qui paraissent presque indépendants des traditions parallèles :

  • la prédication à Nazareth (Luc 4.16-30, en contraste avec Marc 6.1-6 parallèle Matthieu 13.53 ; Matthieu 13.58),
  • la pêche miraculeuse et la vocation de Pierre (Luc 5.1 ; Luc 5.11, en contraste avec Marc 1.16-20 parallèle Matthieu 4.18-22).

Cette liste est particulièrement significative : comme on le savait déjà, beaucoup plus de la moitié de ces pages de Luc appartiennent à sa deuxième grande division ; et voilà décidément son apport le plus personnel et le plus riche, entre Marc l’Évangile des faits et Matthieu l’Évangile des discours, ce qui nous amène aux caractères les plus remarquables de notre évangéliste.

IV Caractères

1. De fond

1° Évangile universaliste

La bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ s’adresse à tous les hommes. Cette universalité du message divin, évidemment proclamée par les quatre Évangiles, inspire plus particulièrement celui de Luc.

(a) Au delà du judaïsme En dehors de l’Évangile de l’enfance, Luc apparaît assez affranchi des conceptions juives. Certes il ne les ignore ni ne les passe sous silence, car il reste fidèle à ses sources et à l’histoire pour constater que Jésus accomplit « toutes les Écritures » (Luc 24.27), « la loi de Moïse, les prophètes et les Psaumes » (Luc 24.44, division classique en 3 parties de l’Ancien Testament hébreu), pour montrer l’Évangile surgissant de la piété des humbles et des pauvres d’Israël (Luc 1 et Luc 2; Luc 3.1-17 ; Luc 4.42 ; Luc 4.44 ; Luc 6.20 ; Luc 7.4-6 ; Luc 7.18-35 etc), pour dresser enfin dans sa réalité tragique le conflit provoqué par le judaïsme officiel (Luc 5.21 ; Luc 5.30 ; Luc 6.2 ; Luc 6.7 ; Luc 9.22 ; Luc 11.37 ; Luc 19.42 ; Luc 19.46 ; Luc 20 ; Luc 22 etc.) qui a « rejeté le dessein de Dieu à son égard » (Luc 7.30) et qui fera tomber Jérusalem sous le châtiment des nations (Luc 21.24).

Mais Luc ne s’intéresse guère aux rites ni aux discussions rabbiniques, ou tout au moins s’adapte-t-il aux lecteurs qu’il vise et qui, eux, n’y prendront pas d’intérêt : aussi ne reproduit-il pas, de Marc, les débats sur la pureté légale (Marc 7.1 ; Marc 7.23), sur le levain des pharisiens (Marc 8.14 ; Marc 8.21), sur le divorce (Marc 10.2 ; Marc 10.12), l’allusion au retour d’Élie (Marc 9.11 ; Marc 9.13), l’accusation contre Jésus d’avoir voulu détruire le temple (Marc 14.58 ; Marc 15.29 et suivant), même le costume de Jean-Baptiste, allusion implicite à Élie (Marc 1.6 parallèle Luc 3.3 et suivants, cf. 2 Rois 1.8).

C’est sans doute par égard pour les païens qu’il ne conserve pas l’épisode de la Cananéenne, où l’attitude étrange de Jésus demandait explications (Marc 7.24-30 parallèle Matthieu 15.21 ; Matthieu 15.28) ; la suppression des autres épisodes de ce voyage de Jésus en pays païen, vers Tyr et Sidon (Marc 7.24-8.26), doit avoir des motifs particuliers pour chaque péricope, comme ceux qu’on a relevés plus haut (II, 2, 2e), et qui ont primé l’intérêt de Luc pour les païens. Par ailleurs il rapporte plusieurs déclarations sur le salut offert aux païens (Luc 2.32 ; Luc 4.25-27 ; Luc 24.47).

Il fait de même une place aux Samaritains, montrant l’Évangile porté dans leur province (Luc 9.51 ; Luc 17.11), et dans deux occasions un de ces « étrangers » méritant (Luc 10.30 ; Luc 17.15 et suivants).

Il a le souci des péagers, méprisés par les autorités juives non seulement pour les indélicatesses professionnelles qu’on leur reprochait à tort ou à raison, mais encore parce que n’étant pas des pratiquants du cérémonial israélite ils étaient tenus pour des « pécheurs » (Luc 3.12 ; Luc 15.1 ; Luc 18.9 ; Luc 18.14 ; Luc 19.2 ; Luc 19.10).

Quant aux pécheurs proprement dits, il montre de très grands coupables sauvés (Luc 7.37 ; Luc 15.11 ; Luc 23.40).

En fidèle disciple du Seigneur à travers l’apôtre Paul, il voit la grâce de Dieu dominant de très haut toutes barrières nationales ou confessionnelles : par exemple dans la condamnation de l’intolérance (Luc 9.49 ; Luc 9.55) ou l’attitude du père dans la parabole du fils aîné (Luc 15.25-32).

Aussi, tandis que Matthieu (Matthieu 1.1 et suivants) faisait partir d’Abraham, père des croyants d’Israël, la « généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham », Luc la fait remonter de « Jésus, fils de Joseph (à ce que l’on croyait)…  », au delà d’Abraham, jusqu’à Adam, lui-même « fils de Dieu » (Luc 3.23-38) point de vue bien typique de l’Évangile destiné à l’humanité tout entière.

Il introduit l’apparition de Jean-Baptiste par la citation de Ésaïe 40 commune aux quatre Évangiles, mais lui seul la pousse jusqu’à : « toute créature verra le salut de Dieu » (Luc 3.6) ; et il ferme le ministère itinérant du Seigneur par la proclamation universaliste et miséricordieuse : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui est perdu » (Luc 19.10).

(b) Parmi les pauvres Ceux-ci sont de temps à autre mentionnés ou mis en scène, soit explicitement soit implicitement (Luc 1.53 ; Luc 2.7 ; Luc 2.8-24 ; Luc 4.18 ; Luc 6.20 ; Luc 16.20 et suivants) ; d’autre part, d’assez nombreux passages relatifs aux richesses en dénoncent principalement les méfaits.

Aussi a-t-on soutenu que notre évangéliste avait subi l’influence des Ébionites, et même utilisé une source provenant de ce groupement quasi monastique, qui condamnait l’argent par parti pris et faisait de la pauvreté une vertu en soi. C’est beaucoup exagérer le point de vue de Luc : la parole de Jésus qu’il rapporte sur les riches (Luc 18.25), à propos du jeune homme, est commune aux trois synoptiques ; dans la parabole du mauvais riche et de Lazare (Luc 16.19-31), celui-ci, au ciel, est « dans le sein d’Abraham », lequel avait été un riche sur la terre, et si Lazare est au ciel ce n’est pas parce que pauvre, mais, en contraste avec l’égoïste et matérialiste riche, parce que croyant, son nom de Lazare étant le seul nom propre imaginé par Jésus dans une parabole et devant donc avoir, pour les Juifs attentifs à la signification des noms de personnes, un sens intentionnel, et précisément c’est : « Dieu est mon aide » (voir Lazare).

Par ailleurs Luc est le seul à faire l’éloge du riche Joseph d’Arimathée (Luc 23.50 et suivant, cf. Jean 19.38). Sans doute, c’est lui qui nous fournit le plus grand nombre de paraboles et d’épisodes sur la richesse (riche insensé, Luc 12.16 ; économe infidèle, Luc 16.9 ; Luc 16.11, etc.), mais il n’en est pas ébionite pour cela. C’est exagérer aussi que de le désigner de l’épithète moderne, et tout anachronique, de « socialiste ». Il est vrai, sans doute, qu’on peut le rapprocher à cet égard du prophète Amos et de l’épître de Jacques ; la forme qu’il donne aux béatitudes, doublées des malédictions (Luc 6.20 ; Luc 6.26), semble en faire porter l’accent sur les situations matérielles (ce qui n’est qu’une apparence), et rappelle les invectives de ces deux auteurs contre les riches exploiteurs des malheureux (Amos 2.6 ; Amos 4.1 ; Amos 5.11 ; Amos 8.4, etc., Jacques 2.1 ; Jacques 2.7-9 ; Jacques 5.1 ; Jacques 5.6). Mais, en général, le ton de Luc est au moins aussi favorable aux riches que celui de Marc ou de Matthieu : il ne relève pas comme eux l’ascétisme de Jean au désert (Marc 1.6 parallèle), ni leur expression péjorative : la séduction des richesses (Marc 4.19 parallèle), ni la mention des « champs » à abandonner pour l’Évangile (Marc 10.29 parallèle) ; lui seul conserve l’observation de Jésus sur celui qui est à table « plus grand » (humainement parlant) que celui qui le sert (Luc 22.27) ; lui seul présente les femmes dans l’aisance auxquelles Jésus dut quelque assistance (Luc 8.2 et suivant) ; lui-même Luc bénéficie certainement du patronage d’un riche : Théophile.

Comme dans les appels directs qu’il rapporte du Précurseur (Luc 3.10-14), il s’inspire, non de revendications égalitaires au nom de la seule justice outragée, mais de la charité supérieure célébrée par saint Paul, qui chez lui se manifeste dans une sorte de « sens social », humain autant que religieux : il vibre de sympathie pour toutes les victimes, de la pauvreté sans doute, mais encore, d’une façon générale, du péché.

(c) Les femmes Dans la société antique, en Orient au moins autant qu’en Grèce et à Rome, la première des victimes était la femme, objet de mépris, d’injustices et de sévices, parmi les Juifs comme parmi les païens. Rien d’étonnant si l’humanité de Luc a souligné mieux que personne l’œuvre du Sauveur rendant à la femme toute sa dignité, et son égalité avec l’homme devant Dieu.

Et en effet, tout en présentant la plupart des femmes qui paraissaient déjà dans Marc et Matthieu :

  • belle-mère de Pierre, Luc 4.38 parallèle ;
  • fille de Jaïrus, Luc 8.42 ; Luc 8.49 ; Luc 8.55 parallèle ;
  • femme malade, Luc 9.43 ; Luc 9.48 parallèle ;
  • deux femmes supposées en train de moudre ensemble, Luc 17 33 parallèle ;
  • pauvre veuve du temple, Luc 21.1 ; Luc 21.4 parallèle ;
  • visiteuses de la croix et du tombeau, Luc 23.49-55 ; Luc 24.1 ; Luc 24.10 parallèle,

Il en introduit de nouvelles, tout le long de l’Évangile :

  • Élisabeth (Luc 1.24 et suivant),
  • Marie (Luc 1.26 et suivants),
  • Anne la prophétesse (Luc 2.36 ; Luc 2.38),
  • la veuve de Naïn (Luc 7.12 ; Luc 7.15),
  • la pécheresse (Luc 7.37 ; Luc 7.50),
  • les compagnes qui assistaient Jésus (Luc 8.2 et suivant),
  • Marthe et Marie (Luc 10.38 ; Luc 10.42),
  • la femme anonyme qui bénit la mère de Jésus (Luc 11.27),
  • l’infirme (Luc 13.11 ; Luc 13.13),
  • la femme à la drachme (Luc 15.8 et suivant),
  • la veuve victorieuse du juge (Luc 18.3 ; Luc 18.5),
  • les « filles de Jérusalem » (Luc 23.27 et suivants).

Dans deux déclarations analogues de Jésus sur le choix à faire entre lui et les siens, Luc ajoute la mention de l’épouse à celles des parents et des enfants (comparez Luc 14.26 et Matthieu 10.37 ; Luc 18.29 et Marc 10.29 parallèle Matthieu 19.29). Ces observations, qui trouveraient d’autres exemples dans le 2e volume de Luc (Actes 1.14 ; Actes 9.36 ; Actes 12.12 ; Actes 16.14-16 etc.), tendent à confirmer l’hypothèse déjà suggérée d’informations trouvées par lui chez le diacre Philippe, dont les quatre filles prophétesses (Actes 21.8 et suivant) devaient rappeler avec prédilection les souvenirs relatifs à tant de sœurs en la foi.

L’apôtre Paul, à son tour, devait dans ses voyages et dans ses épîtres rendre hommage aux femmes qui servaient Dieu dans l’Église (cf. Romains 16 etc.).

Il est d’ailleurs tout à fait inexact de voir en Luc le point de départ du culte de Marie : deux réponses de Jésus comme celles de Luc 8.21 et Luc 11.28, en plaçant la famille spirituelle au-dessus de toute considération de parenté naturelle, démentent péremptoirement cette assertion.

Aux trois points de vue que nous venons de considérer, Luc est donc l’Évangile qui fournit les plus frappantes illustrations de la grande parole de saint Paul : « Il n’y a plus ici ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni homme ni femme : vous êtes tous un en Jésus-Christ » (Galates 3.28).

2° Évangile de la piété personnelle

  1. La famille Comme le laisse prévoir sa sympathie pour la condition des humbles et de la femme, Luc nous montre aussi le Christ des relations sociales, domestiques ; lui seul parle des repas de Luc 7.36 ; Luc 10.38 ; Luc 14.1 ; Luc 19.6 ; Luc 24.30, lui seul conserve les images ou paraboles au cadre familial de Luc 11.5 ; Luc 13.25 ; Luc 15.8 ; Luc 15.11 ; Luc 10.34 et suivant.
    Le grain de moutarde, qui est semé d’après Marc dans la terre, d’après Matthieu dans un champ, l’est, d’après Luc, dans un jardin (Luc 13.19).
    L’affirmation rédemptrice de Jésus : « Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison » (Luc 19.9), annonce les conversions en famille des païens qui croiront, eux et toute leur maison (Actes 16.15 ; Actes 16.31 etc.), et les réunions de frères qui se tiendront dans les maisons (Colossiens 4.15 etc.).
  2. La prière Bien entendu, tous les Évangiles parlent souvent de la prière ; mais c’est chez Luc qu’elle tient la plus grande place. D’abord, par l’exemple de Jésus : 7 fois Luc est le seul à le montrer priant (voir Luc 3.21 ; Luc 5.16 ; Luc 6.12 ; Luc 9.18 ; Luc 9.29 ; Luc 11.1 ; Luc 23.34 ; Luc 23.46, cf. Luc 22.32). Puis, par les exhortations du Maître (Luc 11.5 ; Luc 18.1 ; Luc 18.11 etc.). Par là aussi, Luc se rapproche de Paul, qui connaît le Christ par prière et vision (Actes 18.9 ; Actes 27.23 ; 2 Corinthiens 12.2 ; 2 Corinthiens 12.3 ; 2 Corinthiens 12.8 etc.).
  3. La louange C’est un des traits les plus frappants de la physionomie de Luc : lui qui note fréquemment les émotions de ses personnages : crainte, joie, voix forte, etc., il revient avec prédilection à l’expression des actions de grâces.

Quoique non juif, son Évangile s’ouvre et se ferme avec l’adoration dans le temple (Luc 1.9 ; Luc 24.53) ; nous lui devons les hymnes passés dans nos liturgies et nos cultes :

  • le Gloria des anges (Luc 2.14),
  • le Magnificat de Marie (Luc 1.46 et suivants),
  • le Benedictus de Zacharie (Luc 1.68 et suivants),
  • le Nunc dimittis de Siméon ; (Luc 2.29 et suivants) voir article à ces divers titres.

Les expressions : « louer Dieu, bénir Dieu, donner gloire à Dieu, glorifier Dieu », sont presque spéciales à Luc, et extrêmement fréquentes chez lui. Les termes « joie » et « se réjouir », qui sont 15 fois dans Matthieu et Marc réunis, se trouvent 31 fois dans Luc et les Actes. En cela il annonce l’Évangile de la chambre haute (Jean 13-17) et se rapproche encore de saint Paul (1 Thessaloniciens, Philippiens, etc.).

(d) On voit donc en quel sens on a pu appeler Luc l’Évangile de Paul

Il l’est en effet quant au ton général.

Il met en lumière, comme l’apôtre des païens, la foi et la repentance sans les œuvres de la Loi, le pardon, le salut gratuit, l’action du Saint-Esprit (nommé 12 fois dans l’Évangile et 41 dans les Actes ; comparez Matthieu 5 fois, Marc 4 ; Jean 4).

Il montre le Christ missionnaire faisant face à la résistance de son propre peuple, et la portée universelle de son Évangile, constatations dont saint Paul a fait la théorie dans Romains 9-11 et ailleurs.

Luc a modifié parfois le vocabulaire de ses sources pour se rapprocher, consciemment ou non, de celui de Paul : « grâce » au lieu de « récompense » (Luc 6 32 parallèle Matthieu 5.46), « miséricordieux » au lieu de « parfait » (6.36 parallèle Matthieu 5.48, cf. 2 Corinthiens 8.3), etc. Mais son œuvre n’en est pas pour cela un ouvrage de combat qui opposerait par exemple la théologie paulinienne à celle de Pierre dans Marc. Marc avait reçu de Pierre son information, Luc a reçu de Paul son inspiration ; l’un et l’autre ont voulu écrire l’histoire du Seigneur pour lui rendre témoignage et lui gagner des âmes consacrées, mais sans esprit de parti théologique ni ecclésiastique.

2. De forme

1° Œuvre littéraire

Un auteur inspiré de telles idées générales est évidemment doué d’une vive sensibilité. Elle s’exprime en effet dans la forme donnée à son œuvre. Luc est un artiste. Il lui arrive, naturellement, de résumer et de fondre la fraîcheur du témoignage oral dans un résumé plus terne d’historien ultérieur (comparer, par exemple, Marc 1.35-39 parallèle Luc 4.42 ; Luc 4.44) ; mais lorsqu’il reprend à son compte une tradition des synoptiques, il est généralement plus personnel que ses parallèles.

Il raconte avec effet, met en saillie les harmonies et les oppositions, expose des tableaux d’un pittoresque, d’un charme plus apprêtés sans doute que les qualités spontanées des descriptions de Marc, mais qui saisissent par leur grâce comme celles-ci saisissent par leur force.

De ce talent pictural de notre évangéliste provient sans doute la légende ancienne qui fait de Luc un peintre, auteur du portrait de la Vierge : c’est que personne n’a présenté Marie avec autant de relief que lui (voir Luc, paragraphe 5). Il a d’ailleurs exercé une profonde influence sur l’art chrétien, dont il est en somme l’initiateur : à ses récits vivants remonte l’idée des innombrables Annonciations, Visitations, Adorations des Bergers, Crèches et Saintes Familles, Présentations au Temple, Jésus parmi les Docteurs, Christ pleurant sur Jérusalem, Enfant Prodigue, Bon Samaritain, Chemin d’Emmaüs, etc.

Il ne dépeint pas seulement les situations, mais aussi les personnes : Zacharie, Anne, Zachée, Hérode Antipas, etc. S’il a moins de traits proprement descriptifs que Marc, il a beaucoup plus de traits de caractères : par exemple, il ne parle pas du vêtement de Jean-Baptiste (Marc 1.6), mais il ajoute ses exhortations appropriées aux uns et aux autres et l’impression éprouvée par la foule (Luc 3.10 ; Luc 3.15).

Il présente volontiers personnages ou situations en contraste, ce qui est encore un trait de tempérament dramatique, retenant souvent en cela, d’ailleurs, la maîtrise pédagogique de l’enseignement de Jésus lui-même :

  • Zacharie incrédule et Marie croyante (Luc 1.18 ; Luc 1.38),
  • pécheresse humble et pharisien orgueilleux (Luc 7.37 ; Luc 7.47),
  • les deux sœurs (Luc 10.38 ; Luc 10.42),
  • les deux frères (Luc 15.12 ; Luc 15.29),
  • le riche et Lazare (Luc 16.19 ; Luc 16.25),
  • Juifs ingrats et Samaritain reconnaissant (Luc 17.17),
  • pharisien et péager (Luc 18.10 ; Luc 18.14), etc.

Son antithèse fondamentale, qui de temps en temps affleure au cours de son Évangile, oppose l’œuvre de Satan à celle de Christ (Luc 4.13 ; Luc 10.17 ; Luc 10.20 ; Luc 13.16 ; Luc 22.3 ; Luc 22.31-53) ; un de ses fils conducteurs est l’hostilité grandissante des scribes et pharisiens contre Jésus : (Luc 11.52 ; Luc 12.1 ; Luc 13.15 etc.) en cela aussi il annonce le 4e Évangile.

Toutes ces qualités font de ce 3e Évangile un fidèle reflet de la vie, avec jeux d’ombre et de lumière, conflits ou ententes des caractères, œuvre triomphante d’un Maître plein d’amour dans une humanité livrée aux tragédies de la vie présente. Voilà pourquoi Renan a pu le qualifier « le plus beau livre du monde ».

2° Le style

Le caractère le plus immédiatement apparent de sa langue en est la variété. Sans doute à la fois consciemment pour s’adapter à son sujet, et inconsciemment parce qu’il suit la forme de ses sources, il peut passer d’un grec aussi hébraïsant que la traduction des LXX à un grec classique comme celui de Xénophon. Dans les Actes, le passage est graduel de la Palestine aux pays païens ; mais dans l’Évangile c’est brusquement que dès l’entrée la langue élégante de la préface cesse au verset 4, pour faire place dès le verset 5 à une langue intensément hébraïque : c’est très sensible, même en français. La forme de cette préface est celle de plus d’un historien antique, Hérodote, Thucydide, Polybe ; elle ressemble plus encore à celles des médecins de son temps (voir plus loin).

Quant aux éléments juifs, accentués surtout dans chapitres 1-2, ils subsistent à des degrés divers dans tout l’Évangile, mais avec le vocabulaire le plus riche du Nouveau Testament ; les termes grecs qui lui sont particuliers sont très nombreux (l’Évangile, 300 ; avec les Actes, 715), beaucoup d’autres (environ 200) sont propres à lui et à saint Paul. Ces expressions, comme sa syntaxe et son style, l’avoisinent beaucoup plus aux écrivains classiques que les autres évangélistes, et témoignent de sa culture hellénique approfondie. La variété de sa langue est le fait d’un Grec cultivé, auteur de goût et de talent capable de reproduire strictement ses sources ou bien de les adapter librement quoique fidèlement ; qui a, de plus, subi quelque influence du Juif de la Dispersion saint Paul, et qui pour les citations de l’Ancien Testament s’est servi de la traduction des LXX

3° Langage médical

On a parfois exagéré les traces, dans ses deux volumes, du vocabulaire et des observations d’un médecin. Pourtant, même après avoir écarté, comme il convient, les termes appartenant déjà aux LXX ou à telle autre source d’où Luc a pu les tirer, on conserve encore bien des traits de détail dont l’ensemble pourrait marquer un certain pli professionnel. Luc n’écrit jamais paralytique (grec paralutikos), mot populaire de Marc et Matthieu, mais paralysé (grec paralélumménos), mot savant (Luc 5.18 etc.). Seul il parle d’un hydropique (Luc 14.2). Il modifie : « elle avait la fièvre » (Marc-Matthieu) en : « atteinte d’une fièvre violente » (Luc 4.38, comme Actes 28.8), et le simple « lépreux » (Marc-Matthieu) en « un homme plein de lèpre » (Luc 5.12). Dans Luc 7.15 et Actes 9.40, « se mit sur son séant » est un verbe technique s’appliquant aux malades qui commencent à se soulever au lit. Lui seul garde la citation par Jésus du proverbe : « Médecin, guéris-toi toi-même » (Luc 4.23). Il conserve de Marc 5.26 la mention des médecins qu’avait supprimée Matthieu, mais il supprime l’observation, peu obligeante à leur égard, qu’entre leurs mains l’état de la malade avait plutôt empiré (Luc 8.43). Plusieurs fois il précise la durée d’une maladie (Luc 13.11, etc.), deux fois l’âge du malade en le rattachant à son mal (Luc 8.42 ; Actes 4.22). Il est le seul à rapporter que le Ressuscité ait mangé (Luc 24.41 ; Luc 24.43) et il fait faire allusion plus tard par Pierre à ce cas singulier (Actes 10.41). Les descriptions proprement médicales sont assez fréquentes dans les Actes (Actes 3.7 ; Actes 9.8 ; Actes 9.18 ; Actes 19.12 ; Actes 28.6). La préface de l’Évangile, construite sur le type régulier des prologues grecs, offre d’étroites coïncidences avec celles des traités médicaux ; ainsi celui Sur l’ancienne médecine, attribué à Hippocrate (460-350 avant Jésus-Christ) : « Que de gens ont entrepris de parler ou d’écrire sur la médecine, etc. », et surtout celui Sur la matière médicale, de Dioscoride, médecin militaire qui devait être originaire de Cilicie comme saint Paul et peut-être son contemporain : « Beaucoup d’anciens et aussi de modernes ayant écrit sur la préparation des remèdes, leurs vertus et la façon de les contrôler, je vais m’efforcer, très cher Horeïos, de t’offrir pour traiter ce sujet un zèle qui ne soit ni vide ni irréfléchi…  » Notre Évangile est bien résumé dans le dernier mot qu’à la fin de son 2e volume Luc citera de son maître Paul : « que je les guérisse ! » (Actes 28.27). C’est la Bonne Nouvelle du divin Médecin, pour les plus infirmes, les plus indignes, les plus indigents.

V Valeur historique et religieuse

1. Les faits

Son programme et ses principes d’historien nous sont apparus dans son prologue : (Luc 1.1-4) il a eu des devanciers, comme eux il veut rapporter par écrit les faits remontant aux témoignages primitifs, dans ce dessein il a réuni des informations qu’il a soigneusement vérifiées, pour composer un récit aussi complet, ordonné que possible, et démonstratif pour la foi de ses lecteurs. Cette dernière intention, ad demonstrandum, ne doit pas être prise pour une tendance apologétique de nature à rendre suspecte son exactitude ad narrandum ; bien au contraire, il est l’auteur biblique qui se montre le plus soucieux de ne retenir que les faits rigoureusement contrôlés.

Son but n’est pas non plus de composer des mémoires détachés ; il a le souci de la chronologie générale. Comme on l’a vu, il semble qu’il situe les épisodes chaque fois qu’il le peut. C’est lui seul qui rattache son sujet à la grande histoire (Luc 2.1 ; Luc 3.1 et suivant) ; ce dernier point de repère est très remarquable par les 6 ou 7 noms propres des autorités politiques et religieuses du temps, en contraste avec le solitaire du désert à qui Dieu parle et qui va parler en son nom. Dans ce point de vue chronologique, il se trouve employer les mots année et mois 26 et 10 fois, contre 23 et 8 dans le reste du Nouveau Testament. Il nous fait suivre, par des termes adéquats, les stades de l’évolution physique et morale de l’enfant Jésus, puis de l’homme fait et du Rédempteur (Luc 2.40 ; Luc 2.42 ; Luc 2.51 ; Luc 3.33 ; Luc 4.13 ; Luc 9.51 ; Luc 22.28-33 etc.).

Son propos de disposer ses matériaux « dans leur ordre » était celui de toute rédaction suivie, sans impliquer une stricte chronologie. La chronologie n’est pas son fort, et il est moins rigoureux que les historiens proprement dits : d’abord parce qu’il ne pouvait recourir à des pièces officielles, importantes pour l’histoire générale mais inexistantes pour le sujet qu’il avait à traiter, et surtout parce que cette histoire pure n’était pas son intérêt principal, la valeur de l’œuvre de Jésus en étant indépendante. En lui l’artiste préserve le chercheur d’archives des minuties secondaires ; et son parti pris d’exacte vérité le laisse pourtant indifférent à de menues précisions, comme on l’a montré plus haut (III, 2, 2e) dans nombre de suppressions de détails — lieux, moments ou personnes — qui devaient lui paraître trop anecdotiques. Sa documentation personnelle en épisodes et paraboles, obtenue de provenances diverses, manquait de données suffisantes pour les localiser dans l’espace ou dans le temps. Voilà pourquoi les renseignements historiques de second ordre seront le plus souvent à demander à Marc (complété par Jean).

Même pour les informations de grande histoire, l’exactitude de Luc a parfois été contestée, à propos du recensement de Quirinius (Luc 2.1 et suivants), dont on ne connaît aucune confirmation profane. Mais ce silence ne prouve jusqu’ici que notre ignorance et la complexité du problème ; non seulement la possibilité du recensement n’est contredite par aucun document contemporain, mais on sait au contraire que Quirinius en fit faire un quelques années plus tard, et les papyrus témoignent de la coutume plus ou moins périodique de tels dénombrements officiels. Si les savants n’ont pas encore clairement élucidé toutes les difficultés du problème, la réalité du recensement lui-même apparaît de plus en plus comme extrêmement vraisemblable, et beaucoup de critiques la tiennent pour certaine (voir Chronologie du Nouveau Testament, tome I, p. 196).

D’ailleurs, le second volume de Luc, qui renferme tant de points de contact avec une histoire générale riche en documents, n’est pas pris en défaut à l’épreuve des vérifications. Il emploie sans erreur les noms officiels des provinces, les titres techniques de l’époque, qui pourtant variaient beaucoup d’un endroit à un autre (premiers, proconsuls, politarques, etc.), il connaît à fond les conditions de la navigation méditerranéenne (mer, climat, saisons, ports, etc.). La justification sur toute la ligne des renseignements de l’auteur des Actes (sauf dans le passage sur Theudas [voir ce mot], aujourd’hui expliqué), son exacte géographie historique, politique et maritime, reportent une autorité correspondante à son Évangile. « La crédibilité de l’histoire écrite par Luc ne saurait être surpassée », écrivait en 1915 le savant archéologue W. Ramsay.

2. Les idées

La probité qu’il faut donc lui reconnaître quant à son récit des faits s’applique également à sa présentation des idées. Luc n’a point écrit en polémiste, pour glorifier ou pour rabaisser certains hommes ou certains partis. Inspiré de paulinisme.

Il n’en est pas moins favorable aux Douze. Il ne représente pas une théologie personnelle : en suivant ses sources, il se fait l’écho des opinions régnantes dans les milieux chrétiens dont il les tient ; si son écho revêt parfois un timbre particulier, où percent tels traits de sa sensibilité propre, la voix de l’Évangile n’en est pas altérée : elle est tout au plus personnalisée.

En ce qui concerne Dieu, qui pour tous les croyants est tout-puissant et bon (Luc 18.27-18 et suivant), un encouragement de Jésus, spécial à Luc (Luc 12.32), affirme sa prévenance providentielle : « Ne crains point, petit troupeau ; car il a plu à votre Père de vous donner le royaume. »

Différant en ceci de Matthieu, Luc ne présente pas Dieu comme Roi, et sa parabole du festin, tableau de la grâce divine, élimine cette image qui se trouve, avec de dures applications, dans la parabole des noces de Matthieu (Luc 14.16 parallèle Matthieu 22.2-7 ; Matthieu 22.11 ; Matthieu 22.13).

Luc ne désigne pas souvent Dieu comme Père (Luc 11.2), mais la parabole de l’enfant prodigue le décrit magnifiquement comme tel (Luc 15).

En ce qui concerne Jésus, qui chez les trois synoptiques est « Fils de l’homme ».

  • dans sa solidarité avec l’humanité (Luc 7.34 ; Luc 9.58),
  • dans son autorité spirituelle (Luc 5.24),
  • dans sa destinée de souffrances prochaines et de gloire finale (Luc 9.22 ; Luc 9.44 ; Luc 21.27 ; Luc 22.69 etc.),

Les deux mentions de ce titre propres à Luc s’appliquent :

  • à sa rédemption des perdus (Luc 19.10)
  • et à l’incroyable scandale de la trahison de Judas (Luc 22.22 ; Luc 22.48).
  • Dans les deux cas où le titre de Fils de Dieu est attribué à Jésus chez Luc, il doit avoir la simple valeur d’une désignation messianique (Luc 4.41 ; Luc 22.70) ; mais cette filialité divine s’affirme implicitement chaque fois que Jésus exprime son accord absolu avec son Père (Luc 2.49 ; Luc 10.22 ; Luc 22.29 ; Luc 24.48 etc.).

    Luc n’a pas gardé l’appel éperdu : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc 15.34 parallèle Matthieu 27.48), peut-être pour épargner la majesté du Seigneur, ou parce que des païens n’y auraient pas reconnu la citation du début d’un psaume (Psaumes 22.2) qui se termine dans la gloire ; mais en revanche nous lui devons de connaître la sérénité des deux requêtes au « Père » : en faveur des bourreaux, et à l’instant suprême (Luc 23.34 ; Luc 23.46).

    C’est chez Luc (Luc 5.17 ; Luc 7.13 ; Luc 10.1-39 ; Luc 10.41 etc.) qu’apparaît dans les Évangiles, et couramment, l’appellation de Seigneur (voir ce mot) : nouveau point de contact avec Jean. Lui seul rapporte l’ascension et la promesse de l’Esprit (Luc 24.49 ; Luc 24.51), car Marc 16.19 fait partie d’un appendice probablement rédigé d’après les autres Évangiles et les Actes.

    Luc conserve, malgré sa provenance israélite, et à cause de son importance primordiale, la notion du Royaume de Dieu (voir article) ; mais tout son Évangile en respire la pure spiritualité, hors des considérations politiques : seul il raconte le dialogue à ce sujet entre Jésus et les pharisiens (Luc 17.20 et suivants) et souligne la lenteur des disciples à le comprendre (Luc 24.21 ; Actes 1.6). Sa version des béatitudes et des malédictions, prise au sens littéral, semble méconnaître les conditions spirituelles des sujets du Royaume (cf. Luc 6.20 ; Luc 6.26 parallèle Matthieu 5.3 ; Matthieu 5.10) ; mais contre cette interprétation matérielle s’inscriraient en faux toutes les paraboles de la grâce et du pardon, et le fait qu’il n’a pas reproduit celles qui comparaient le Royaume à une valeur marchande (Matthieu 13.44 ; Matthieu 13.46).

    Il accentue aussi, à propos du salut, la mise en garde du Maître déjà donnée par Matthieu contre toute conception terrestre de trésor (Luc 12.33 et suivant et tout le chapitre jusque-là, cf. Matthieu 6.25 ; Matthieu 6.34). Le salut dépend d’ailleurs des relations personnelles avec Jésus (Luc 10.16), dans la repentance (Luc 5.32 ; Luc 24.47) et la foi (Luc 7.9 ; Luc 7.50 ; Luc 17.19 ; Luc 18.8) Que Luc n’ait pas conservé la fondamentale déclaration rédemptrice de Marc 10.45 parallèle Matthieu 20.28, c’est sans doute parce qu’il a transporté la situation, fort condensée (Luc 22.34 et suivant), juste après l’institution de la Cène, où Jésus vient de prononcer l’autre grande déclaration rédemptrice : « la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous » (Luc 22.20).

    En ce qui concerne les derniers temps, la forme de l’apocalypse dans Luc (Luc 21.20 ; Luc 21.27) rapproche et même confond la destruction de Jérusalem et l’avènement du Seigneur ; mais dans deux développements analogues (Luc 12.35 ; Luc 12.48 ; Luc 17.20-18.8), le caractère spirituel de ces perspectives est plus accentué que dans Marc et Matthieu.

    VI Origine

    Il ressort de tout ce qui précède que notre évangéliste n’était pas juif et n’écrivait pas pour des Juifs. Son destinataire porte un nom grec : Théophile (voir ce mot), personnage réel et non pas symbolique, dont l’épithète officielle : excellent (voir ce mot) marque la haute position. L’auteur lui dédie son livre en deux volumes pour affermir son instruction chrétienne au moyen d’un exposé des faits objectif et indépendant, conçu par un esprit classique. Peut-être devait-il en même temps obtenir de son premier lecteur le patronage pouvant en assurer la copie et la circulation.

    À travers Théophile l’Évangile a donc pour destinataires des pagano-chrétiens, ou chrétiens d’origine païenne.

    Voilà pourquoi n’y paraissent pas les mots hébreux de Marc :

    • abba (Marc 14.36 parallèle Luc 22.42),
    • hosanna (Marc 11.9 parallèle Luc 19.38),
    • Golgotha (Marc 15.22 parallèle Luc 23.33) ;

    Ou bien ils sont traduits en grec :

    • Cananite devient Zélote (Marc 3.18 parallèle Luc 6.15),
    • rabbi devient maître (Luc 9.33 etc.)

    La Judée désigne au sens large le pays des Juifs, la Palestine (Luc 1.5 etc.).

    L’épithète d’impur qualifie le terme de démon (Luc 4.33, etc.), parce que pour les Grecs il y avait de bons démons, au sens d’esprits (cf. le démon de Socrate) ; la tournure de Luc 9.29, pour décrire la transfiguration, évite le mot grec métamorphose du texte de Marc (Marc 9.2), qui était associé aux mythologies païennes (Ovide, etc.) ; le changement du « toit percé » (Marc 2.4) en « tuiles enlevées » (Luc 5.19) s’accommode à des lecteurs occidentaux ne connaissant guère les toits plats en terrasses.

    Tout en respectant l’autorité de la loi israélite (Luc 16.17), Luc ne garde pas les nombreux exemples que d’après les Logia Jésus en avait cités et interprétés (comparez Matthieu 5.17 parallèle Luc 6.27 et suivants).

    Ses citations de l’Ancien Testament sont rares, presque toujours faites par Jésus lui-même ou par des Juifs ; et pourtant elles suivent la traduction grecque des LXX, l’Ancien Testament hébreu ne devant pas être accessible à notre évangéliste, de culture grecque.

    Dès lors, la tradition qui désigne en cet auteur, précisément, un Grec instruit, gagné au christianisme, compagnon de l’apôtre Paul, ce compagnon étant le médecin Luc que nomme celui-ci dans trois de ses épîtres, concorde avec bien des données de l’ouvrage lui-même. Sans doute, la majorité des critiques n’attribuent aujourd’hui à Luc que le récit de voyage des Actes écrit à la 1ère personne du pluriel, et le distinguent ainsi de l’auteur à Théophile, qui aurait fait de ce récit la source principale de son 2e volume. Cette conclusion s’appuie surtout sur des différences de points de vue entre les Actes et saint Paul, à propos desquelles on va jusqu’à dire qu’elle seule peut sauver la sincérité de Paul et de Luc (voir Actes des apôtres).

    Il nous semble encore permis, sans méconnaître la réalité de quelque divergence entre les conceptions générales de ces deux auteurs, de la juger explicable et même naturelle, si d’une part on tient compte des conditions respectives du genre historique des Actes et du genre épistolaire de circonstance des épîtres (par exemple sur la question des voyages à Jérusalem d’Actes 11.30 ; Actes 15.1 et suivants et de Galates 1.18 ; Galates 2.1 ; Galates 2.10), et si d’autre part on admet que Luc n’étant pas théologien comme le grand apôtre n’a pas saisi dans toute leur portée les principes essentiels pour l’Église primitive (par exemple sur les rites juifs et la liberté chrétienne) : peut-être son cœur généreux et conciliant a-t-il inconsciemment estompé certains des conflits dont les grandes épîtres nous donnent un écho frémissant, tandis que le but et le plan de son ouvrage pouvaient le décider consciemment à ne pas accentuer sous les yeux de païens récemment convertis des controverses probablement périmées pour leurs milieux à l’époque où il écrivait. L’autorité de savants tels qu’Ad. Harnack, W. Ramsay, J. Hawkins, résolument favorables à la tradition sur Luc ami de Théophile, auteur de l’Évangile et des Actes, prouve bien, en regard des nombreux adversaires de cette tradition, que la solution du difficile problème divise à l’heure actuelle les spécialistes les plus éminents. L’époque de la rédaction de l’Évangile — qui dut précéder de quelques années celle du livre des Actes — dépend d’abord de celle de Marc, sa première source, après laquelle il faut supposer une certaine période pour l’évolution d’une vénération grandissante à l’égard des apôtres. Cette évolution nous a paru moins avancée peut-être chez Luc que chez Matthieu ; ayant donc admis entre Marc et Matthieu un intervalle de 10 à 15 ans, nous serons amené à une évaluation analogue, plutôt un peu moindre, pour l’intervalle entre Marc et Luc, soit 8 à 12 ans, ce qui pourrait placer l’Évangile entre 72 et 75 environ ; le livre des Actes aurait alors paru vers 80.

    Cette évaluation n’est guère affectée par la question de savoir si l’apocalypse de Luc (chapitre 21) fut écrite avant ou après l’événement qu’elle annonce, de la ruine de Jérusalem (en 70). C’est qu’il est difficile de se prononcer avec objectivité en présence d’apparences contradictoires : paraissent postérieures à cette ruine les précisions du verset 20, « Jérusalem investie par des armées » (cf. Luc 19.43 : « tes ennemis t’environneront de tranchées, t’investiront de toutes parts, te détruiront entièrement, etc. »), qui remplacent comme par une description de quelque chose de vu le prophétique et mystérieux hébraïsme du parallèle « l’abomination de la désolation » (Marc 13.14 ; Matthieu 24.13) ; mais paraît antérieure aux événements la prédiction du verset 21, car en fait les chrétiens devaient s’enfuir à Pella, dans une vallée, et non pas « dans les montagnes ». Cette page eschatologique a du reste un caractère si particulier qu’elle a pu avoir une existence indépendante et circuler en subissant diverses retouches, avant d’être insérée successivement dans les trois synoptiques. Il faudrait d’ailleurs, pour traiter sous tous ses aspects le problème de la date du 3e Évangile, tenir compte des éléments du problème pour le livre des Actes (voir article).

    L’incertitude de la date rend la question du lieu de composition tout à fait insoluble. Si l’ouvrage en deux volumes était en rapport avec le procès de Paul, ce serait sans doute Rome. En ce cas, la date devrait en être reportée en arrière, ce que rend fort improbable le caractère secondaire de l’Évangile. De toute manière, il est issu de milieux pagano-chrétiens.

    Conclusion

    Évangile, en effet, écrit par un païen devenu chrétien, qui insiste donc sur l’universalisme de la Bonne Nouvelle ; par un compagnon de Paul, qui a compris à son école la gratuité du salut ; par un médecin connaissant la souffrance, homme de cœur ouvert à toutes les misères ; par un esprit instruit désireux d’assurer aux témoignages chrétiens les garanties d’une exacte méthode, mais en même temps âme simple et transparente peu disposée à suivre en leur complexité les discussions de doctrine. Si Luc n’a pas eu la pensée géniale d’un saint Paul pour embrasser dans toute leur ampleur les problèmes des temps nouveaux, il n’en demeure pas moins que, reflétant le plus pur esprit de Jésus-Christ, il a compris l’étendue infinie des compassions du Sauveur envers les petits, les parias, les épaves, le pardon de Dieu pour tous les pécheurs repentants, son salut pour toutes les âmes perdues, de toutes les nations. Son Évangile est le plus humain, celui « de la mansuétude du Christ » (Dante), celui du sublime amour divin tout-puissant pour chercher et trouver, pour guérir et sauver : l’Évangile de la grâce.

    Quand les Pères de l’Église attribuèrent les symboles aux quatre Évangiles, on comprend qu’ils aient désigne Jean par l’aigle, et Marc finalement par le lion ; mais nous ne les suivons pas dans leur attribution tout artificielle, à Luc, du taureau (sans doute parce qu’il s’ouvre par un sacrifice, Luc 1.8 et suivants) : cet emblème juif s’applique mieux à Matthieu Le symbole qui convient à Luc, c’est l’homme. Son Évangile est celui de l’« Être humain », que l’on voie dans cet emblème l’humanité tout entière, ou bien l’Être « humain » par excellence : Dieu, notre Père en Jésus-Christ.

    Ouvrages à utiliser (en français)

    • A. Sabatier, Luc (Encycl. Licht., tome VIII, 1880) ; Synopt (Id., tome XI, 1881).
    • Frédéric Godet, Commentaire de l’Évangile de saint Luc, 2 volumes, 3e édition, 1888.
    • Alexandre Westphal, Jésus de Nazareth d’aprés les témoins de sa vie, 1914 ; les Apôtres, 1918.
    • M. Goguel, Introduction au Nouveau Testament, tome I, 1923 ; Bible du Centenaire, 1918 ; M. Goguel et H. Monnier, le Nouveau Testament avec introduction et notes, 1929.
    • H. Pernot, Pages choisies des évangiles, 1925 ; Étude sur la langue des Évangiles, 1927.
    • Le P. Lagrange, Évangile selon saint Luc, 1921 ;
    • Le P. Lavergne, l’Évangile selon saint Luc, pet. édition, Études Bibliques, 1933 ;
    • RR.PP. Lagrange et Lavergne, Synopse des 4 Évangiles en français, nouvelle édition 1929 (catholique).

    On trouvera notamment dans l’Introduction de M. Goguel et le commentaire du Professeur Lagrange une bibliographie en langue étrangère. Voir aussi à la fin de notre article Évangiles synoptiques.

    JN L.

    Luc

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