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Israël, histoire et religion

Introduction

Le nom d’Israël, primitivement appliqué à l’ancêtre Jacob (voir ce mot), désigne le peuple qui, depuis douze cents ans environ avant Jésus-Christ, jusqu’au début de l’ère chrétienne, vécut en Palestine et qui — après avoir fait, tant dans le domaine politique que religieux, de nombreuses et riches expériences — consigna son histoire dans le livre sacré que nous appelons l’Ancien Testament. À l’époque la plus reculée les enfants d’Israël sont connus sous le nom d’Hébreux, branche de la souche sémitique. Plus tard ils furent divisés en deux fractions : Israélites et Juifs. Le terme d’Israël que nous employons s’applique à l’ensemble de la nation qui nous a laissé un sublime héritage. Notre étude nécessite un bref exposé du contenu des livres canoniques de l’Ancien Testament ; l’histoire des Juifs continua après que ces livres eurent été écrits, mais leur religion revêtit son caractère distinctif à la fin du premier siècle avant Jésus-Christ. C’est sur l’Ancien Testament que reposent les trois grandes religions missionnaires, conquérantes du monde : Judaïsme, Christianisme, Mahométisme. Pour les adeptes de ces religions, Abraham est le « père des croyants ». Le but de cet article n’est pas d’étudier en détail la formation du canon de l’Ancien Testament (voir article), ni le caractère de la canonicité, mais nous pouvons établir que ce recueil, différent du canon égyptien plus étendu, est palestinien, hébreu, tous les livres qui le composent ayant été écrits dans cette langue, à l’exception de fragments araméens dans Daniel et Esdras. Il est aussi protestant puisque les Réformateurs se refusèrent à placer sur le même rang les Apocryphes et à accorder à ceux-ci l’importance que leur reconnut le concile de Trente (1545-1563). Il est inutile de rappeler que les Juifs n’attribuaient pas une égale valeur à leurs livres sacrés. La Thora — qui comprend les cinq premiers livres de l’Ancien Testament était pour eux la révélation suprême. À nos yeux, éclairés par les lumières de notre époque, ils sont un des éléments intéressants et importants de l’histoire tout entière. Autour du Pentateuque (voir ce mot), des controverses ardentes, passionnées furent engagées pendant le siècle dernier. Sur bien des points subsistent des divergences d’opinions. Peut-être certains problèmes ne recevront-ils jamais une solution satisfaisante, mais, sur les données essentielles, l’accord existe entre les savants chrétiens. Notre but est de situer ce livre admirable dans le cadre de l’histoire mondiale et de découvrir sa valeur religieuse et son sens immuable.

C’est surtout la littérature, en effet, qui nous éclaire sur ce que fut la vie d’une époque déterminée. Si les faits concrets nous sont suffisamment connus, nous pouvons les classer méthodiquement ; mais quand il s’agit de la vie, la difficulté est plus grande : aussi, par exemple, les termes « préprophétique, prophétique et postprophétique », employés pour distinguer les périodes successives de la vie d’Israël, ne doivent-ils pas, quoiqu’ils aient sans doute une certaine valeur, être pris absolument à la lettre. Pour faciliter notre examen, nous étudierons au cours de chaque période son histoire, sa vie religieuse et sa littérature. La succession de ces périodes comprend :

  1. Les origines d’Israël et son arrivée en Palestine (environ 1250 avant Jésus-Christ).
  2. La période d’installation, qui embrasse environ deux cents ans.
  3. L’établissement de la royauté par David (1000 avant Jésus-Christ).
  4. Le schisme des dix tribus après la mort de Salomon (939).
  5. La destinée du royaume du nord jusqu’à sa destruction en 721.
  6. L’histoire du royaume du sud jusqu’à la ruine de Jérusalem en 586.
  7. La période de l’exil des Juifs déportés à Babylone : d’environ 600 à 540.
  8. La constitution du judaïsme après le retour de la captivité et la reconstruction du Temple (530) ; la Judée est incorporée à l’empire des Perses.
  9. Les débuts de l’empire grec, instauré par la victoire d’Alexandre le Grand (333), suivi, pour ce qui est d’Israël, de la domination égyptienne, puis de la domination syrienne, l’une et l’autre sous la suzeraineté grecque.
  10. La révolte des Macchabées (vers 160), dont la conséquence fut une brève période d’indépendance, jusqu’à ce que le pays passât sous la domination romaine.

Les causes qui influèrent le plus sur les formes de la vie religieuse furent les suivantes : la royauté, l’invasion assyrienne (VIIIe siècle avant Jésus-Christ), à laquelle se rattache le grand mouvement des Prophètes brusquement interrompu par l’exil, la reconstruction du temple et l’élaboration du système légaliste, autant d’événements importants au sein de cet organisme vivant.

I Les origines

D’études nombreuses et variées, il résulte que les Hébreux, comme les Grecs et les Romains, sont un peuple relativement moderne, bien que nos textes traditionnels reculent la perspective de leurs origines historiques jusque dans le plus lointain passé. Les sciences physiques, l’archéologie, les religions comparées, la critique littéraire, concourent ensemble à donner cette impression. Un examen détaillé de la période préhistorique ne serait pas ici à sa place, non plus qu’une apologétique unilatérale. L’étude des civilisations de Babylone et de l’Égypte a projeté un flot de lumière sur l’histoire du Proche-Orient et aidé à résoudre des questions difficiles. La vie d’Israël plongeait ses racines dans le passé de la race sémitique. Sa religion ne parvint pas, dès le début, à sa pleine maturité. Ceux qui ont fait une étude scrupuleuse et respectueuse des documents anciens sont convaincus que cette petite nation, en contact avec les civilisations primitives et, en quelque mesure, dépendante d’elles, a eu une religion progressive et individuelle qui lui appartenait en propre. Le chercheur chrétien voit dans ce fait une révélation spéciale. Il n’est pas nécessaire d’être intransigeant sur la doctrine de l’inspiration littérale pour croire qu’à cette époque reculée les initiateurs religieux d’Israël étaient guidés par le Saint-Esprit. Cette inspiration, nous la trouvons dans le message nouveau et éternel des prophètes et dans l’ascension du peuple élu, occupant dans l’histoire une place unique, comme héraut du Royaume de Dieu. Autrefois ce sujet portait le nom de « Théologie de l’Ancien Testament » et consistait à présenter les textes d’après le système dogmatique de l’interprète, en tenant souvent trop peu compte du contexte ou du sens primitif. Aujourd’hui l’expression « Histoire de la Religion d’Israël » révèle une différence de méthode et d’esprit. Il signifie que la religion ne se manifeste pas au moyen d’une spéculation abstraite, mais au cours de la vie progressive nationale et individuelle. Il est vrai que plusieurs des traits de la vie d’une nation qui évolue appartiennent à l’histoire. À côté des faits saillants de l’histoire politique d’Israël, des alternatives de victoires et de défaites, la langue, la littérature, les lois, le culte, servent à indiquer les changements survenus sous l’influence de circonstances exceptionnelles et de personnalités marquantes. Il est un sens dans lequel « cette vie n’était pas limitée à une seule époque, mais devait être pour tous les temps ». Elle l’a prouvé, en prenant un sens plus riche et en gagnant en puissance, dans la mesure où l’ardente lumière de la critique a été projetée sur elle. La littérature, qui en est le miroir, prit naissance en Palestine. Il n’est pas douteux que les Hébreux aient apporté du désert des traditions et des coutumes. Mais ces faibles survivances (totémisme, sacrifices d’enfants, adoration des ancêtres, etc.) furent plus tard rejetées comme superstitieuses. Le grand don fait au monde fut le puissant et grave monothéisme, la croyance en un Dieu vivant, créateur et maître de l’univers. Tel est le fondement sur lequel doit reposer toute la vie religieuse. Le savant d’aujourd’hui nous dit qu’il doit partir de l’hypothèse que, derrière toutes choses, il n’y a qu’une cause ; le monde étant une unité, toute investigation admettant la croyance à plusieurs dieux est vouée à l’insuccès. Cela est vrai, mais la foi en un Dieu unique n’est pas une présomption, elle est le terme de la marche de l’humanité, cherchant la source divine de la vie et de la force. Cette constatation peut être regardée comme un acte de foi, car elle implique la croyance que derrière l’ascension de l’humanité il y a l’action de l’Esprit divin faisant progressivement passer les hommes de leurs ténèbres épaisses à la pleine lumière. Mais il est un fait historique, c’est qu’il fut donné au peuple hébreu, l’une des plus petites nations, de jouer dans cette ascension du progrès humain un rôle de premier plan. Les fondations en furent posées longtemps avant que cette nation existât, mais les Juifs, les Grecs et les Romains ont fourni à notre civilisation chrétienne une très large contribution.

On a fait beaucoup de recherches et discuté au sujet de l’influence respective de Babylone et de l’Égypte sur la religion d’Israël. Au cours de la période historique nous noterons les points de contact ; ils sont nombreux et importants. Il suffît pour le moment d’observer qu’à cette époque reculée les rapports avec la religion babylonienne furent plus étroits. Dans aucun cas cependant ils ne peuvent être considérés comme ayant consisté en « emprunts » effectués de façon grossière et machinale. Les races, les traditions se ressemblaient, mais chaque nation avait son caractère propre. C’est la plus petite des trois qui marqua un progrès décisif vers la religion spirituelle. Un fait doit être clairement saisi et répété au fur et à mesure que de nouvelles explications surgissent, c’est que l’accroissement de la puissance et du prestige des divinités dans les grandes nations dépendait du développement des forces militaires et de la splendeur impériale de ces nations. Ceci paraît évident dans l’histoire de Babylone. Les dieux de la capitale dominaient et annihilaient les autres, et il est avéré que les Babyloniens ne franchirent pas le stade du polythéisme. La religion égyptienne, dont les rites comportaient l’adoration des animaux et le culte des morts, n’a pas laissé en Israël de traces sensibles. On a tenté de faire remonter la foi d’Israël à l’adoration monothéiste du Dieu-Soleil, attribuée à Ikhnaton (Aménophis IV, vers 1450), mais cette tentative avortée fut suivie d’une prompte et énergique réaction qui laissa la religion égyptienne plus pauvre qu’elle n’était auparavant. Si l’inspiration en fut élevée, elle manquait de racines profondes et dépérit.

La période préhistorique a laissé dans les souvenirs et la vie des tribus de vieilles traditions et coutumes. La religion de la révélation ne pouvait être nettement mise par écrit sur des tablettes. Elle devait être mêlée comme une semence vivante à la vie du peuple, courir des risques au milieu de l’abondante floraison de croyances aux dieux et aux démons, consommer enfin sa victoire et réaliser sa destinée au cours des années de luttes qui allaient suivre. Lors-qu’après des discussions prolongées on fut obligé de reconnaître que le Pentateuque — qui embrasse des périodes si diverses — n’avait pu être écrit par un seul homme au désert, il sembla que la grande figure de Moïse (voir ce mot) allait disparaître de la scène, mais il y a longtemps que cette conclusion négative n’est plus regardée comme nécessaire. Bien qu’il ne puisse plus être considéré comme l’auteur d’un vaste recueil où sont mélangés les récits et les lois, ni d’un code rituel soigneusement élaboré sur lequel repose le judaïsme le plus récent, Moïse garde son titre de fondateur de la religion.

Il est bien difficile, avec les documents que nous possédons, d’attribuer à l’exode une date précise, de savoir combien de tribus étaient établies aux frontières de l’Égypte, à quel chiffre on peut évaluer le nombre de celles du désert. Au milieu du désordre qui suivit l’essai de conquête d’une patrie à l’ouest du Jourdain, toute l’œuvre de Moïse faillit être anéantie. Le fait que, loin de disparaître, cette œuvre fut riche en résultats, prouve son authenticité et sa valeur. Ce n’est pas dans l’explosion spontanée d’un enthousiasme collectif que naissent les grands mouvements, comme certains le croient. Il y faut un chef, un guide, une personnalité puissante, un homme appelé de Dieu et investi d’une mission. Tel fut Moïse ; son admirable figure se dresse au seuil d’une grande époque ; environnée de brouillards, elle refuse de s’évanouir dans les ténèbres. L’histoire, après lui, implique et appelle l’action de Moïse, même ramenée à de modestes proportions. Demandons-nous ce que nous avons le droit de lui attribuer. Rien de moins que la fondation d’une religion nationale.

Il peut sembler étrange de parler de religion nationale avant que la nation existât, mais nous verrons qu’en un sens ce fut la religion qui fit la nation. Moïse rapprocha et unit entre elles des tribus qui acceptèrent, comme signe de cette union, un seul Dieu, Jéhovah, nom sacré, mêlé pendant des siècles à leurs prières et à leurs chants jusqu’à ce que, leur ardente vénération confinant à la superstition, ce nom fût considéré comme trop saint pour franchir les lèvres humaines. Exposé en peu de mots, cet événement peut sembler de faible importance ; mais, pour ceux qui étudient l’histoire des religions, il est, en réalité, d’une immense portée. Nous dominons ici la religion naturelle, car dans l’esprit de l’homme est née une pensée noble et féconde, celle d’une alliance entre le peuple et son Dieu unique. La pleine signification et les multiples conséquences qui découlent de cette grande idée ne pouvaient être perçues alors et, même à l’époque actuelle, ne sont pas encore parvenues à leur plein développement. Les antiques récits impliquent l’idée d’une élection antérieure, mais la vraie tradition d’Israël est que la naissance de la religion et celle de la nation furent simultanées et rattachées à la mission de Moïse. À partir de ce moment, une esquisse des destinées si changeantes de la nation peut être tracée avec des dates approximativement exactes. Le chapitre 5 de la Genèse renferme une chronologie qui a été étudiée par beaucoup de spécialistes et a donné lieu à de nombreuses discussions. Nous savons maintenant qu’elle appartient à une époque plus récente, parce qu’elle s’étend sur une très longue période de la vie de la nation. Ce n’est qu’après qu’une nation a pris pleinement conscience de sa mission, qu’elle cherche à définir son rôle dans le vaste monde et à l’établir sur une base scientifique ; jusque-là, de simples indications chronologiques pouvaient suffire (Amos 1.1 ; Ésaïe 6.1).

II Installation en Palestine

Le livre des Juges est une énigme pour le lecteur superficiel. Tout paraît y être dans la confusion ; il semble que l’œuvre accomplie par Moïse ait été réduite à néant. Il est vrai que ce livre présente un aspect plus fidèle de la situation que celui de Josué qui décrit, en un tableau idéalisé, le pays conquis et réparti sous les ordres d’un chef unique. La conquête ne fut pas faite en une fois et ne fut jamais complète. Elle fut nécessairement lente et progressive. Le livre des Juges, bien que composé à une époque plus récente (D), contient de vieux récits du type juif primitif (J), qui reflètent fidèlement le désordre et l’état chaotique des tribus. Bien qu’elles n’eussent pas de sanctuaire national et fussent exposées à descendre au niveau de l’ambiance cananéenne, les tribus restaient cependant attachées au nom sacré et aspiraient à une union plus étroite avec Jéhovah (Juges 7.18 ; Juges 8.23). Le cantique de Débora, magnifique poème (Juges 5.2 ; Juges 5.31), l’un des documents les plus anciens de la littérature hébraïque, dépeint la lutte de nombreuses tribus liguées contre les Cananéens. Les unes sont blâmées pour leur mollesse, les autres louées pour leur courage ; et l’on est surpris de constater que la tribu de Juda — destinée à jouer plus tard un rôle si important — n’est pas mentionnée. Des hommes qui, selon les données postérieures, semblent avoir été sauvages et superstitieux, ont laissé leurs noms écrits dans les annales de la gloire (Hébreux 11.32 ; Hébreux 11.38) et contribué, à leur manière, à édifier le Royaume. L’édifice matériel devait précéder le spirituel. Le livre des Juges, qui semble appartenir à un passé si éloigné du but à la fois objectif et religieux de cette étude, a une grande valeur aux yeux des historiens. Cananéens, Hébreux, Philistins y sont mélangés, sans que des frontières territoriales les séparent. Auxquels appartiendra la prédominance ? On ne saurait le dire encore. Ces éléments de la tradition la plus ancienne ont un prix exceptionnel. Les temps n’étant pas mûrs, il est heureux qu’aucun de ces héros n’ait fondé un royaume. C’eût été un royaume du type cananéen et non pas la fédération constituée et complétée par Saül et David. La place manque pour étudier en détail les origines et l’histoire de chacune des tribus — Moabites, Ammonites, Édomites, Amalécites — avec lesquelles les Hébreux furent en contact. Elles eurent une brève existence, s’épuisèrent en combats de tribus à tribus et disparurent sans laisser de traces dans l’histoire du monde.

Pendant trois cents ans environ avant l’arrivée des Hébreux, la Palestine avait été soumise à la domination égyptienne. Elle était divisée en petits royaumes impuissants, en raison de leurs discordes et de leur faiblesse, à repousser les invasions. Leurs recours au monarque égyptien (lettres de Tell el-Amarna) étaient inopérants. À l’est également la situation était telle que, vers 1400, la Palestine devait régler seule ses propres affaires. Trois acteurs principaux sont en scène à cette époque : les Cananéens, les Hébreux et les Philistins. Les Cananéens furent dispersés, détruits ou absorbés par les rudes envahisseurs de l’Est, de l’ouest et du sud. Leur religion et leurs coutumes leur survécurent, exercèrent une influence sur les nouveaux habitants et menacèrent la foi et le culte des Hébreux. Au travers de conflits avec les éléments inférieurs, la religion de ceux-ci s’affirme cependant plus claire et plus forte. Les Hébreux formaient, au milieu des indigènes, des groupes séparés et souvent en querelle les uns avec les autres, mais l’unité de race et de religion tendait sans cesse à se manifester. Quand d’incessantes luttes eurent affaibli les Cananéens, il fallut affronter un nouvel ennemi. Les Philistins, qui ont donné leur nom au pays, vinrent de l’ouest par la route maritime. Ces « pirates de la mer », comme on les appelle, s’établirent en sécurité sur la côte occidentale et y bâtirent des villes prospères. Ils venaient, croit-on, de l’île de Crète, et avaient hérité de la vieille civilisation égéenne. L’idée a été émise, mais non prouvée, que les Hébreux avaient adopté leur alphabet. Leur arrivée en Palestine date de l’an 1100 environ avant Jésus-Christ. C’étaient des guerriers bien armés, courageux et habiles. Pendant le siècle suivant, il s’agit d’établir qui, des Hébreux ou des Philistins, aurait la suprématie, question plus importante qu’il ne le semblait alors. Les Juges et le premier livre de Samuel sont les sources auxquelles nous pouvons puiser pour cette période. Ce sont des recueils de récits semblables à ceux des documents J et E. L’on y trouve les mêmes étranges confusions et répétitions. Il a pu exister des vies séparées de Samuel et de Saül ; cependant, à défaut de biographies méthodiques, il y a là des traditions rangées à côté les unes des autres et reflétant les idées d’époques anciennes et d’époques tardives. La guerre contre les Philistins dura longtemps sans résultats appréciables. Il devint évident que le seul espoir de victoire pour les Hébreux résidait dans l’alliance des tribus contre l’ennemi commun et que ce résultat ne serait obtenu que par l’établissement d’une forme quelconque de royauté. Il est difficile d’apprécier le rôle joué à ce moment par Samuel ; car le « Voyant », qui exerçait son influence sur une région déterminée, a été transformé par la tradition en chef théocratique du peuple tout entier. Les voyants et les prophètes extatiques de ces temps reculés prenaient part à la vie publique, exaltaient le patriotisme du peuple par leurs appels passionnés comme « champions de Jéhovah » et comme conservateurs du passé, protestant contre les coutumes des Cananéens, telles que la culture de la vigne, l’usage du vin et autres déviations de la simplicité de la vie nomade. Ces hommes contribuèrent à sauvegarder la religion ; mais pour qu’une religion nationale pût être fondée, il fallait que le peuple en grandissant devînt partie intégrante de sa nouvelle patrie.

La vie de Saül est une tragédie. Son action dans le domaine religieux n’a rien de marquant. Des historiens attentifs pensent que la gloire de son brillant successeur l’a trop relégué dans l’ombre. Il a contribué à la cohésion du peuple. Il eut quelques succès au début de son règne, mais à la fin de sa carrière les ténèbres s’épaissirent et sa mort semble être un irréparable désastre. Cette faillite apparente, sévère avertissement aux jaloux insensés et aux nécromanciens, ne fut cependant pas complète (1 Samuel 19.15 ; 1 Samuel 28.8et suivants). De ce naufrage, désastre pour Saül lui-même et pour sa famille, sortit pour Israël un bienfait permanent.

La littérature de cette époque (1 Samuel) offre un grand intérêt aux historiens et soulève de nombreux problèmes critiques quant à la méthode de compilation des documents et à leur valeur comparée. Entre la période dénommée des « Juges » et l’avènement de la monarchie, il n’y a pas de démarcation précise. L’admirable histoire de Samuel enfant (1 Samuel 1-3) se détache sur un fond sombre comme un brillant tableau. La destinée du vieux prêtre Héli et de ses fils (1 Samuel 4.10-18) prouve que la réalité de la religion et la pureté de l’adoration étaient dangereusement menacées par la corruption ambiante (1 Samuel 2.17). L’histoire de la vocation de Samuel est un des plus beaux morceaux de la narration hébraïque. De même le récit de l’élection de David (1 Samuel 16) fortifie la conviction que même lorsque, par la méchanceté des hommes, tout espoir semble anéanti, Dieu prépare un avenir nouveau. La plus grande catastrophe fut la perte de l’arche, symbole de la présence de Jéhovah. D’après la tradition, les Philistins lui durent la victoire, mais cette capture valut aux vainqueurs tant de tribulations qu’ils furent heureux de s’en défaire. Les récits divers qu’a inspirés cette arche sainte (coffre sacré) nous rappellent qu’en ce temps-là, quand un peuple émigrait, il devait emporter son dieu avec lui ; il fallait pour cela qu’il en eût une représentation visible. Différentes explications ont été données des origines et du contenu de l’arche (voir ce mot). Plus tard elle jouera à nouveau un rôle important et accomplira sa destinée (2 Samuel 6). Le vieux sanctuaire de Silo était condamné à perdre son prestige. La littérature des époques anciennes y fait de fréquentes allusions (Juges 21.19 ; 1 Samuel 1.3 ; 1 Samuel 4.3), et plus tard Silo personnifiera le jugement de Dieu contre le culte idolâtre (Psaumes 78.60 ; Jérémie 7.14).

Il est impossible de tracer un tableau clair et précis de la vie religieuse, de la pensée et du culte en Palestine à cette période de l’histoire. Kamos dieu de Moab, Moloch dieu d’Amalek, Dagon dieu des Philistins et autres divinités avaient leurs territoires et leurs adorateurs. Les Hébreux admettaient que chaque dieu eût son pays (Juges 11.24). Leurs rites se ressemblaient beaucoup. Exception faite des exterminations par interdit ou des massacres des prisonniers de guerre, les sacrifices humains semblent avoir été peu pratiqués dans l’ancienne religion d’Israël. Les autres nations contemporaines n’y avaient recours que sous la pression de circonstances tragiques (2 Rois 3.27). En Israël ils étaient considérés comme une apostasie (2 Rois 16.3). La vie était probablement plus simple et plus austère dans le sud. Les conditions de l’existence y étaient plus dures et le pays moins fertile. Les riches plaines du Nord, plus fécondes et prospères à maints égards, étaient aussi plus ouvertes aux influences du dehors. Cependant il n’y avait pas encore de sanctuaire national. En quelque lieu que Dieu se fût manifesté, les hommes avaient, à cet endroit précis, élevé un autel qui devait servir de mémorial (Genèse 28.18 et suivant, Exode 20.24 et suivant). Parfois ces autels en remplaçaient d’autres dédiés à Baal, signifiant : Maître, Seigneur. Le Baal (voir ce mot) n’était pas le dieu et le seigneur du territoire entier, mais une divinité particulière, considérée comme propriétaire de son domaine restreint : Baal-Péor, divinité de la montagne (Nombres 25.3 ; Nombres 25.5) ; Baal-Hermon, divinité du mont Hermon (Juges 3.3). Pour conquérir la suprématie sur ces cultes indigènes, celui de Jéhovah eut des luttes à livrer. Quand il se fut établi dans les anciens sanctuaires, il courut le risque de conserver les cérémonies païennes et leurs rites sensuels. Ce conflit entre les deux formes de l’adoration dura longtemps. Ce fut beaucoup plus tard qu’il reçut une solution définitive (2 Rois 10,11,18). Les Hébreux avaient besoin d’apprendre que leur Dieu, bien qu’il fût adoré en des lieux divers, était cependant le seul Dieu (Deutéronome 6.4 s).

Il n’est pas aisé, on le voit, de présenter un compte rendu systématique de l’état religieux de la Palestine en ces temps reculés. Celui-ci offrait un mélange confus de croyances et de cérémonies. L’adoration de la nature et l’animisme en étaient un élément important. Les sources d’eau et les fontaines, les rochers et les arbres étaient, croyait-on, la demeure de dieux ou de démons (Ésaïe 1.29-31 ; Jérémie 2.20). Il est difficile de détruire des croyances et des coutumes si profondément enracinées ; elles survivront sous des formes variées, et l’on peut encore les retrouver en Palestine et ailleurs. Ce que nous appelons polythéisme et paganisme exerce un attrait extraordinaire sur les races humaines à un certain stade de leur développement. La nature y est représentée et divinisée de façon grossière. Belle et pittoresque à un certain point de vue, cette forme de religion est un appel puissant aux sentiments, aux passions qui font partie intégrante de la vie humaine. La preuve évidente de la vitalité et de la valeur morale de la religion des Hébreux, nous la trouvons dans le fait que, malgré des infiltrations du syncrétisme, elle resta fidèle à son principe monothéiste et s’enrichit des combats mêmes qu’elle eut à livrer.

III Établissement de la royauté

Le royaume uni sous le roi David Voir Atlas 5

Nous arrivons à une période moins obscure. Si la documentation est, à la vérité, peu abondante, les dates qui s’y rapportent sont plus dignes de confiance, étant contrôlables par des sources étrangères. Mille ans environ avant l’ère chrétienne, la royauté fut instaurée en Israël. Ce régime, inauguré par Saül le premier roi, fut complété et perfectionné par David ; et bien qu’Israël n’ait à aucun moment joué un rôle important dans la politique mondiale, les résultats de l’œuvre accomplie par David se font encore sentir et peuvent être rapprochés des hauts faits des Grecs et des Romains. La tradition juive récente exalte en lui l’organisateur du culte et l’auteur des hymnes sacrés. Ces titres n’ajoutent rien à sa renommée. L’œuvre accomplie par David, même réduite à ses moindres proportions, lui assigne un rang élevé parmi les grands noms de l’humanité. On ne peut nier qu’il fût à la fois musicien et poète. L’élégie composée après la mort de Saül et de Jonathan (2 Samuel 1.19-27) et déclarée authentique par une critique rigoureuse, l’atteste ; mais elle n’est pas, à strictement parler, un poème religieux (cf. 2 Samuel 3.33 et suivant). Le sens poétique et un sentiment de piété délicat s’expriment dans le beau récit de 2 Samuel 23.15-17 : exposer sa vie comme le firent ces hommes, c’est offrir à Dieu un sacrifice digne de lui. D’autres récits nous montrent en David un homme énergique, habile, capable, en cette période tourmentée, de maintenir ses droits, d’inspirer à ses successeurs confiance et loyauté, de concevoir de vastes projets et de les mettre à exécution. La criminelle tragédie qui marqua le début de son règne le fit juger sévèrement. Mais il est peu vraisemblable qu’un homme au caractère en somme chevaleresque ait pu, pour des fins politiques, pervertir les sources mêmes de la justice (2 Samuel 21). La conduite des prêtres et du peuple, en cette circonstance, fut conforme à l’esprit du temps. La famine était, croyait-on, le signe du courroux de Jéhovah considéré comme le vengeur de la rupture de l’alliance traitée avec lui, et le châtiment infligé aux fils de Saül semblait être le procédé de vengeance le plus naturel. On n’avait pas encore compris qu’il est injuste que les enfants soient punis pour l’iniquité des pères (2 Rois 14.6 ; Deutéronome 24.16). La tache la plus sombre qui ternit la mémoire de celui qui est appelé « un homme selon le cœur de Dieu » est celle du meurtre d’Urie le Héthien (2 Samuel 11). David était agité de passions violentes et incapable de les maîtriser. Un acte aussi vil eût semblé insignifiant aux despotes orientaux d’alors, et même aux rois d’une époque plus rapprochée de nous. Mais en Israël il y avait un prophète, Nathan, qui se dressa en justicier devant le roi et, au moyen d’une admirable parabole, éveilla en lui la repentance et provoqua sa confession (2 Samuel 12.13). Au sein de sa propre famille, des ferments de discorde et de révolte empoisonnèrent les dernières années de David. L’histoire du fils téméraire Absalom et du chagrin qui brisa le cœur de son père nous offre un tableau des plus pathétiques, remarquable de vigueur et d’émotion (2 Samuel 18.33). La royauté tint bon et la rébellion fut brisée.

S’il importe de se faire une idée de l’homme que fut David, notre but est avant tout de souligner son œuvre. Elle eut des conséquences qu’il n’avait pas soupçonnées. Sa vie comprend trois périodes :

  1. À la cour de Saül : ici pas d’histoire suivie, mais une série de récits sans lien entre eux et qu’il est, par suite, difficile d’harmoniser. La mort de Goliath tué par David (1 Sameul 17, cf. 2 Samuel 21.19 ; 1 Chroniques 20.5) — si elle est une légende — reflète du moins un fait historique : ce fut David qui mit fin aux provocations et aux menaces des Philistins.
  2. Chassé de la cour de Saül ; il mène alors une vie vagabonde, et il est réputé pour son habileté, son courage et son adresse.
  3. La réunion des tribus et le choix de Jérusalem comme capitale, grande tâche à laquelle il avait été destiné et préparé par les événements si divers de son existence. Voir Atlas 5

Les Cananéens ne comptaient plus comme force organisée à combattre. C’est avec le parti de Saül et avec les Philistins qu’il fallait maintenant se mesurer. L’Égypte et l’Assyrie sont en dehors de l’horizon historique. L’ordre des événements est difficile à établir, mais les résultats en sont clairs. David fut oint à Hébron comme premier roi de Juda (2 Samuel 2.4). D’après la tradition, David avait trente ans quand il commença à régner. Il régna pendant quarante ans, y compris les sept ans et six mois qu’il passa à Hébron. Juda et Israël furent ainsi réunis ; le royaume s’étendit de Dan à Béer-Séba et les tribus environnantes reconnurent qu’un maître puissant occupait le trône. Jérusalem, enlevée aux trop présomptueux Jébusiens (2 Samuel 5.6 et suivant), devint une place forte qui n’a cessé depuis de jouer un rôle dans l’histoire du monde. Là fut établi le plus important des sanctuaires ; non pas le seul, mais, en tant que capitale et résidence royale, celui de Jérusalem avait la prééminence. David, sautant et dansant devant l’Éternel (2 Samuel 6.16), était un adorateur sincère et enthousiaste. Le retour de l’arche à Jérusalem fut un acte politique et sage. Cette époque de guerres et d’instabilité n’était pas favorable à l’éclosion d’œuvres littéraires, mais le peuple trouvait dans des formes naïves un aliment intellectuel et spirituel.

Les querelles de famille qui troublèrent les dernières années de la vie et du règne de David, les intrigues rattachées à l’avènement au trône de Salomon, ne concernent pas directement notre exposé (1 Rois 1-3). De telles façons d’agir étaient pratiquées dans les cours royales et sous la domination des despotes, spécialement en Orient. Salomon hérita de son père un royaume doté d’une organisation nouvelle et de ressources considérables pour la construction de la « Maison de Dieu ». La situation politique était favorable : les petites tribus, sources de difficultés passagères, ne pouvaient causer de sérieux préjudices, les Philistins n’avaient plus aucune chance d’agrandir leur territoire. L’Égypte fraternisait et Hiram, roi de Tyr, offrait ses services (1 Rois 3.1 ; 1 Rois 5.1-12). Le fait saillant du règne de Salomon (960-930) fut la construction du temple, qui resta debout jusqu’à l’exil, au début du VIe siècle avant Jésus-Christ. Bien que le culte de Jéhovah ne pût, à cette époque, être limité à un centre particulier, cependant l’existence d’une capitale puissante, d’une forteresse établie sur un point stratégique, d’un temple qui, avec plus de raison que les petits autels environnants, s’affirmait la demeure du Dieu national, contribuait largement au développement de la religion. La capitale et le temple furent pour le peuple juif à la fois une force et une source de tentations. L’une et l’autre connurent les caprices du destin, furent le théâtre d’événements joyeux, de viles intrigues et de hideuses tragédies. Salomon fut le constructeur du temple, et le sort de la cité et celui du temple furent jusqu’à la fin intimement liés. Mille ans environ après Salomon, la catastrophe finale se déchaîna dans une révolte insensée contre Rome. Mais, on l’a dit avec raison, « ce qui semble extraordinaire, c’est que ces hommes atteints de folie ne se trompaient pas entièrement. Les enthousiastes qui, au moment même où Jérusalem était en flammes, la proclamaient éternelle, étaient plus près de la vérité que ceux qui ne voyaient en eux que de vulgaires criminels. Au point de vue militaire et immédiat, ils se trompaient ; ils avaient raison quant aux conséquences religieuses dans un lointain avenir. Cette époque tourmentée fut, en réalité, celle où Jérusalem devint la capitale spirituelle du monde. L’Apocalypse, aux pages inspirées par un brûlant amour, a pris place parmi les livres religieux de l’humanité et fixé à jamais l’image de la Cité bien-aimée » (E. Renan). Salomon avait construit édifice matériel ; l’œuvre spirituelle du millénaire suivant fut d’amasser le trésor éternel que ni les guerres, ni les ravages du temps ne peuvent détruire.

L’influence personnelle de Salomon sur ce grand mouvement ne fut pas considérable. À côté du temple s’élevaient des autels consacrés à d’autres dieux. La prospérité croissante de Jérusalem amenait à sa suite des maux sans nombre. La sagesse de Salomon est restée légendaire dans l’histoire et la tradition d’Israël et des peuples voisins, mais, à la lumière d’une critique historique impartiale, elle semble infirmée par les faits. À la fin du règne de son père, une extrême tension éprouvait le royaume. David, affaibli par l’âge, tourmenté par des courtisans turbulents et des querelles de famille, semblait avoir perdu l’ascendant sur son peuple ; toutefois, à l’heure où celui-ci était menacé de sombrer, une vague de loyalisme le souleva et la rébellion fut brisée grâce à la vigoureuse attaque de Joab, le guerrier vaillant. Salomon, au contraire, malgré tous les avantages de la paix et de la prospérité, laissa le royaume en pleine effervescence, peuplé de mécontents et prêt à tomber en ruines. S’il eût employé avec sagesse les trente années que dura son règne, il aurait pu unir plus étroitement les tribus, mais son despotisme et son extravagance ne firent qu’aggraver les divisions latentes. La splendeur croissante de la nouvelle capitale ne pouvait manquer d’exciter la jalousie des villes moins importantes ; les lourds impôts prélevés pour la construction des palais, les enrôlements d’hommes pour de rudes travaux obligatoires (1 Rois 5.13-18), la prétention, souvent affichée, d’imiter la pompe et le gouvernement absolu des monarques d’Orient, soulevèrent des mécontentements qui ne purent, tant que Salomon vécut, se donner libre cours (1 Rois 11), mais qui éclatèrent comme un incendie aussitôt que sa forte personnalité eut disparu (1 Rois 12).

On ne sait pas de façon précise quand les Hébreux commencèrent à faire de leur alphabet un usage littéraire (voir Écriture) ; on peut supposer que, pendant le règne de Salomon qui fut en général paisible et prospère, on s’employa activement à consigner par écrit les lois, les chants, les vieux récits. Une grande partie de cette littérature antique a probablement été perdue. Les peuples primitifs ont des traditions orales. Quelques-unes revêtirent une forme écrite avant d’être incorporées à des compilations plus récentes (Josué 10.13 ; 2 Samuel 11.7 ; 2 Samuel 11.27 ; Nombres 21.14 et suivant) - À la cour, des services spéciaux et des registres assuraient la conservation des documents officiels. Il se peut que les codes les plus anciens aient été mis par écrit : Exode 34, de J, ainsi que le « Livre de l’Alliance » (Exode 20.22-23.33), qui fut inséré plus tard dans E, document plus étendu. Le Décalogue, dans son expression la plus simple, peut-il être attribué à Moïse ? Sous sa forme la plus récente et dans ses diverses révisions, il appartient à la période prophétique.

L’art de la codification, comme les autres arts, s’apprit lentement. Ces collections de lois ne sont pas combinées entre elles d’après un système déterminé. Cependant on peut en dégager différents éléments : « Les Paroles », « Les Sentences », ayant chacun son caractère propre et son histoire distincte. À cet égard, la question de l’influence babylonienne a été soulevée, le code d’Hammourapi (2000 avant Jésus-Christ) offrant quelques points de ressemblance avec le code hébreu. Mais il n’y a pas lieu de conclure à un emprunt au sens strict du mot. Le code babylonien (voir Assyrie et Babylonie, paragraphe 8) avait été élaboré pour un empire fortement organisé, avec des clauses relatives à ses transactions juridiques et commerciales et, bien que plus ancien, il marque un progrès évident sur celui des Hébreux destiné à un petit peuple d’agriculteurs. Le code hébraïque s’est, à n’en pas douter, développé en Palestine, bien qu’on y trouve des réminiscences de la vie au désert. La loi du talion : « œil pour œil et dent pour dent, etc. », commune aux deux codes, est un ancien élément d’origine sémitique. Durant les siècles suivants se poursuivit le développement de la législation et de la littérature. Si nous ne pouvons plus attribuer à Salomon tous les Proverbes et le « Livre de la Sagesse », nous n’avons aucune raison de douter que sa cour ne fût devenue un centre littéraire élargi et actif, où l’on cultivait avec prédilection le genre littéraire des allégories, des énigmes, des proverbes. Plus tard, cette époque fut regardée comme l’âge d’or de la richesse et de la splendeur.

IV Le schisme

Au terme des trente années de ce règne, l’œuvre de David n’était pas achevée. La cohésion entre les différents clans et tribus était loin d’être parfaite. Dans ce pays de peu d’étendue, les moyens de communication étaient lents et incommodes. Les Hébreux, peuple au « col raide », étaient réfractaires à toute organisation. Si le mot moderne de « démocratie » ne saurait leur convenir, du moins ils refusèrent d’être opprimés et façonnés comme les fellahs d’Égypte ou les classes inférieures de Babylone. Leur roi n’était pas un dieu qu’il fallût adorer à genoux en obéissant à ses ordres arbitraires (1 Rois 12.14). La gloire exagérée dont Salomon avait trop hâtivement environné Jérusalem ne pouvait manquer de semer les germes de la division. L’inintelligence et l’entêtement de Roboam, d’une part, l’habileté de Jéroboam, d’autre part, agissaient parallèlement.

Quel jugement faut-il porter sur le schisme ? En tant que catastrophe politique, il est aisément explicable. Toutes les influences humaines nécessaires y ont contribué. Que serait-il advenu si le schisme ne s’était pas produit ? Nul ne le sait et les suppositions sont vaines. Il fut considéré plus tard comme la grande apostasie, d’où la phrase souvent citée : « Jéroboam, fils de Nébat, entraîna les Israélites dans le péché » (1 Rois 16.26). Cette opinion est justifiée par ses actes. En plaçant des veaux d’or à Dan et à Béthel afin d’empêcher le peuple d’aller en pèlerinage à Jérusalem, il rabaissa la religion dans le royaume du nord (1 Rois 12.26-32). adroite manœuvre politique, de même que l’institution, au quinzième jour du huitième mois, d’une fête semblable à « celle qu’on célébrait en Juda ». Et cependant la pensée de placer pareils événements sous le contrôle de Jéhovah n’est pas absente. Le schisme avait été prédit par le prophète Ahija de Silo (1 Rois 11.30-32) ; et quand Roboam réunit une armée pour attaquer Israël, Sémaja, « homme de Dieu », déclara : « Ainsi parle l’Éternel : Vous ne combattrez point contre vos frères, les Israélites, car tout cela est arrivé par ma volonté » (1 Rois 12.22-24).

Autour d’un événement aussi important, des opinions et appréciations diverses se donnent carrière ; mais, malgré de fréquentes discordes, un sentiment de fraternité persista avec l’espoir d’un glorieux retour à l’union dans l’avenir. Nous avons à expliquer le fait qu’au moment du partage, après deux cents ans d’existence en tant que nation, l’Israël du nord possédait un pays plus vaste et plus riche, une population plus nombreuse et d’autres avantages encore. Bien qu’un examen complet, du point de vue littéraire, n’entre pas dans le cadre de notre étude, il importe de noter que, dans le royaume du Nord, une grande activité a dû être déployée. L’opinion généralement admise établit un rapport entre l’origine du document élohiste et la vie des Israélites du royaume du Nord. Des comparaisons minutieuses ont révélé en eux un don exceptionnel pour la narration et un affinement croissant de la pensée. Le récit du sacrifice d’Isaac (Genèse 22.1-14), drame réaliste de la vie antique, présenté avec art sous une forme concise, en est un des plus remarquables exemples. Et dans la période historique, les faits qui se groupent autour de la personne d’Élie, décrivant l’indomptable énergie, les promptes impulsions et le caractère mobile du prophète de Thisbé, frappent par leurs qualités pittoresques. Le mérite de décrire nettement en peu de phrases des scènes d’actualité caractérise aussi les récits effrayants des exploits de Jéhu et de la mort de Jézabel. Il est certain que les Israélites furent des précurseurs dans cet art de la narration auquel les Grecs donnèrent plus tard un si vif éclat. Ce n’est pas un simple groupement de faits, mais un récit où se confondent, dans une merveilleuse harmonie, la mémoire et l’imagination. Dans bien des cas la vérité qu’il recouvre est plus large et plus significative que les détails concernant les personnes et les circonstances locales. Si c’est le royaume de Juda qui nous a transmis la contribution d’Israël à la littérature sacrée, il ne faut pas oublier que, même après la destruction de la nation, l’héritage littéraire venu du nord continua de vivre et d’exercer son influence.

Pendant deux cents ans, les deux royaumes des Hébreux existèrent côte à côte, parfois amis, parfois rivaux. Tout proche, un royaume araméen, dont la capitale était Damas, avait été fondé dans le nord-est ; ce qui, dans la suite, compliqua la situation. À la faveur de la paix qui régnait en Égypte et en Assyrie, ces puissances se fortifièrent, mais bientôt elles intervinrent à nouveau dans les affaires de la Palestine. Nos documents historiques concernant les deux royaumes hébreux sont rares et fragmentaires ; la préoccupation dominante des écrivains a trait à la religion, les vies des prophètes sont plus importantes à leurs yeux que les règnes des rois. Plusieurs chapitres sont consacrés au prophète Élisée, un seul au règne de Manassé qui est supposé avoir duré cinquante-cinq ans (2 Rois 21). Pour simplifier, nous parlerons en premier lieu du nouveau royaume d’Israël, afin d’être libre de développer en finissant ce qui concerne la ligne juive, au risque de nous répéter parfois. Un rapide aperçu de la situation politique aidera à apprécier les faits dans leurs relations avec la religion d’Israël et de Juda.

V Le royaume du Nord

En résumé, on peut dire que cette période de deux cents ans dans le royaume du nord fut remplie par les règnes d’hommes puissants, suivis dans la plupart des cas de règnes très courts, de meurtres et d’un état d’anarchie. Le même enseignement se dégage de beaucoup de sombres pages de l’histoire du monde : une communauté forte qui ne parvient pas à se donner un gouvernement constitutionnel est fatalement vouée à des alternatives de despotisme et d’anarchie. Si les petites tribus disséminées à l’intérieur et aux confins de la Palestine avaient formé une confédération effective, le danger menaçant que représentait pour elles la puissance assyrienne eût pu être écarté. Nous soulignons le fait sans qu’il implique un reproche, car l’art de l’organisation politique a été appris péniblement, lentement. Les conflits entre Juda, Israël et la Syrie les avaient tous affaiblis.

Jéroboam, monarque adroit et puissant, régna pendant vingt-deux ans, et transporta sa résidence à Thirtsa, à l’ouest du Jourdain. Son fils Nadab, dont le règne ne dura que deux ans, lui succéda. Il fut tué par Baésa qui, dès son avènement, fit périr toute la maison de Jéroboam (1 Rois 15.29), tragédie caractéristique de toute cette période. Sous Jéroboam le peuple s’était révolté contre Roboam, avec quelque apparence de raison, et le nouveau royaume fut rarement à l’abri de l’esprit révolutionnaire. Le trône était à la merci du premier chef assez intrépide pour tirer parti de l’agitation et du mécontentement. Ces révolutions avaient presque toutes un caractère militaire. Baésa, habile soldat, était probablement le général de l’armée de Nadab. L’un de ses premiers actes fut d’engager la lutte contre Asa en mettant le blocus devant Jérusalem. Il y eut guerre entre eux. Baésa eut un règne relativement long, mais Éla son fils régna moins de deux ans ; étant à Thirtsa, en train de boire et de s’enivrer, il fut tué par Zimri. Celui-ci n’occupa que pendant sept jours le trône qu’il avait usurpé. Omri, chef de l’armée du Nord, proclamé roi par le peuple, vint assiéger Thirtsa. Zimri, désespéré, mit le feu au palais du roi et périt dans les flammes (1 Rois 16.16 ; 1 Rois 16.19).

Omri, roi puissant, qui paraît avoir été grand homme de guerre, fonda une nouvelle dynastie. Il eut un rival, Tbibni (1 Rois 16.21 et suivant), et ne parvint à le vaincre qu’après plusieurs années de guerre civile. Le palais royal de Thirtsa ayant été détruit, Omri comprit la nécessité d’avoir une capitale nouvelle et plus forte. Il montra son sens stratégique en choisissant Samarie, signifiant : Tour du Guetteur. Il y bâtit une ville à peu près imprenable, preuve en soit le siège que les Assyriens firent plus tard de cette ville et qui dura trois ans (721 avant Jésus-Christ). Elle était dans une région féconde, suffisamment arrosée. La fière colline de Samarie (Ésaïe 28.1) descendait à l’est en pente douce jusqu’à la vallée fertile, mais était protégée sur les autres versants par ses flancs abrupts. Pendant cent cinquante ans, elle resta debout au milieu des tempêtes de cette époque instable. Omri est regardé par plusieurs comme le vrai fondateur du royaume et, dans les annales assyriennes, Israël figure sous le nom de « Pays d’Omri ». On a malheureusement peu de détails sur son règne. Il semble avoir remporté des victoires sur les Moabites, mais dut céder des territoires aux Syriens et fut en paix avec Juda. Une prophétie avait prédit que la Palestine serait de nouveau en contact avec les grandes puissances du monde, et cela durant des siècles. L’incursion d’Assurnazirpal, qui s’avança vers le Liban et la Méditerranée (876), fut momentanée. Omri et d’autres jugèrent prudent de lui payer un tribut afin de s’assurer sa protection. Le fils d’Omri, Achab, et sa femme Jézabel sont bien connus des lecteurs de la Bible parce que leur histoire est racontée de façon captivante et surtout à cause des récits miraculeux concernant le prophète Élie qui occupe le centre du tableau, et de ses conflits avec les adorateurs de Baal. Malgré ces événements, Achab semble avoir été un chef capable, doué de sagesse et de fermeté dans la gestion des affaires. L’histoire ancienne, dont le jugement sur les rois appartient à une époque postérieure, ne lui a pas rendu justice. La famine d’une part, l’hostilité des Syriens de l’autre, lui suscitèrent de graves difficultés. Cependant, lorsque l’Assyrie sema de nouveau la terreur en Syrie, il était prêt à faire front contre elle avec les Syriens (Salmanasar II, 854 avant Jésus-Christ). Les Assyriens prétendirent avoir été vainqueurs à Karkar sur l’Oronte, mais cette victoire ne les encouragea pas à poursuivre leur campagne. La paix fut de courte durée ; et quand les armées de Juda et d’Israël combattirent côte à côte contre les Syriens (1 Rois 22), Achab blessé, malgré le stratagème dont il avait usé, mourut avec la fierté d’un roi.

Ces récits renferment l’un des plus nobles spécimens de narration hébraïque : le témoignage d’Élie s’opposant à l’introduction en Israël du culte phénicien de Baal. S’ils ne peuvent être acceptés comme littéralement authentiques, ils mentionnent des faits contemporains tels que la famine, le règne de Jézabel, femme orgueilleuse, tyrannique et cruelle qui ne pouvait supporter qu’on lui résistât, comme le prouve l’histoire de la vigne de Naboth. En accord avec les idées de son temps, elle favorisa le culte de son dieu personnel, mais ce fut dans une intention politique. Achab, qui le toléra, ne semble pas avoir eu le désir de supprimer le culte de Jéhovah. Ces récits reflètent toujours l’esprit de la religion hébraïque. Celle-ci devait vaincre Baal ou mourir. En d’autres termes, les bienfaits attribués à Baal devaient l’être à Jéhovah. S’il n’était pas considéré comme le Dieu de la nature et de l’histoire, aucun progrès n’était possible. Le chapitre 18 du premier livre des Rois dépeint admirablement, avec une puissance dramatique et une passion farouche, l’opposition irréductible entre les deux religions, bien que le meurtre des prêtres de Baal rappelle les crimes de Jéhu (2 Rois 10). Une leçon que l’humanité fut lente à apprendre s’en dégage en tout cas : cette façon de résoudre les problèmes religieux conduit aux désastres nationaux. Le même problème, au cours de circonstances différentes, se posa en Judée. Les conséquences de la mort d’Achab ne se firent pas attendre : révolte des Moabites, restitution d’une partie de leur territoire, massacre des hommes, des femmes, des enfants israélites : « une joie pour Kamos et pour Moab ». Son fils Achazia mourut des suites d’une chute ; il n’eût pas été capable de sauver la situation : Élie dénonce en termes saisissants son infidélité à Jéhovah (2 Rois 11.6). Son frère Joram, qui remporta quelques succès dans sa lutte contre les Syriens, lui succéda (Il faut rappeler ici qu’un autre Joram, fils de Josaphat roi de Juda, mourut peu de temps après). Alors se répète l’histoire monotone des luttes et des meurtres. Ben-Hadad, roi de Syrie, est tué par Hazaël, un de ses courtisans, et le cruel Jéhu (celui qui conduisait son char avec furie) entre en scène. Les faits sont brutaux, mais leur signification est considérable. Il profite de l’opposition soulevée par Élie et d’autres contre la maison d’Achab. C’est ici une des plus sombres pages de l’histoire des Hébreux : nulle apparence de douceur ou de sens chevaleresque ; c’est la cruauté cynique poussée à l’excès. Le roi Joram, blessé, est assassiné à Jizréel (où il avait été se faire soigner) ainsi que le jeune roi de Juda, Achazia. La reine Jézabel vit que son destin était irrévocable ; elle l’affronta, revêtue de ses habits royaux, avec une apostrophe méprisante sur les lèvres : « Est-ce la paix, Zimri, assassin de ton maître ? » (2 Rois 9.31, cf. 1 Rois 16.11). La servilité des courtisans, leur hâte à s’incliner devant le nouveau gouvernement, provoquent cette remarque cynique : « Qui donc a tué tous ceux-ci ? » (2 Rois 10.9). On voudrait croire que ces horribles détails sont empreints d’exagération ; mais, même en l’admettant, ces drames montrent la vie nationale affaiblie, blessée à mort. C’est ce qui apparut au grand prophète disant, au nom de Jéhovah : « Dans un peu de temps je punirai la maison de Jéhu pour le sang versé à Jizréel et je mettrai fin à la royauté de la maison d’Israël » (Osée 1.4). Peut-être avons-nous à peine le droit de juger ces faits d’après notre critère actuel, formé au prix de longues et douloureuses expériences. Cependant, tandis que notre sympathie est du côté de l’élément puritain qui tendait à conserver à la religion sa simplicité et sa pureté, nous sentons bien que l’union du conservatisme religieux et des ambitions politiques d’un tyran altéré de sang est destructrice de ce qui fait la grandeur d’une nation. À cet égard le passage 2 Rois 10.15 ; 2 Rois 10.31 est instructif et mérite d’être lu avec attention. La chute de la maison d’Omri amena Israël jusqu’au bord de l’abîme. C’est à la triste période des règnes de Jéhu et de son fils Joachaz que se rattachent les récits concernant Élisée. Empruntés peut-être à d’autres écrits sur les prophètes, ils sont, à quelques égards, une imitation des histoires concernant Élie. Ils reflètent l’anarchie de l’époque, mais, à part l’épisode de Naaman le Syrien, n’ont pas grande valeur au point de vue théologique et même historique.

Nous sommes peu documentés sur le règne de Jéroboam II, qui dura quarante et un ans. Damas était durement opprimée par l’Assyrie, ce qui valut du repos à Israël, alors en paix avec Juda (Amos 7.10 ; environ 760). « Mais l’éclat brillant encore de ce royaume durant le règne de Jéroboam n’était autre que celui du soleil couchant, la dernière lueur d’un flambeau qui s’éteint. Sous le règne de Zacharie, son fils, Némésis atteignit la maison de Jéhu. Après avoir régné six mois, il fut tué par un certain Sallum qui, au bout d’un mois, fut à son tour détrôné par Ménahem et mis à mort au cours d’une guerre conduite avec un raffinement de cruelle barbarie. Dès lors, à pas de géant, Israël marche vers son destin » (Cornill).

Il est inutile de s’attarder à décrire les combats livrés entre factions. Les richesses d’Israël, que tant de luttes n’avaient pas épuisées, passaient à l’Assyrie sous forme de tributs. Le roi de Syrie Retsin et Pékah fils de Rémalia s’allièrent contre Juda (Ésaïe 7) ; celui-ci fit appel à l’Assyrie. Ce Pékah, qui assassina son roi Pékahia, fut le dernier roi d’Israël et fut tué lui-même par un certain Osée qui régna, comme vassal de l’Assyrie, sur les restes du royaume autrefois florissant. Il noua des intrigues avec l’Égypte, fut convaincu d’avoir fomenté un complot et jeté en prison par Salmanasar IV (725). Mais Samarie « la ville forte », même privée de roi, assiégée, résista pendant trois ans. Tel fut l’épilogue d’événements tragiques entre tous dans l’histoire du monde.

Étant données les circonstances, il est évident qu’Israël ne pouvait contribuer, de façon effective, au développement d’une religion plus spirituelle. La multiplicité de ses sanctuaires et de ses autels y faisait obstacle. Quand l’histoire d’une nation est constituée presque uniquement de guerres au dehors et au dedans, on s’étonnerait qu’il y eût place pour le progrès. Mais le désordre et les clameurs nous empêchent d’apercevoir les familles paisibles et les penseurs recueillis qui, même aux jours les plus sombres, continuent de vivre. Un fait est certain : Jéhovah, et non le Baal des Cananéens ou des Phéniciens, est le Dieu d’Israël. Le pays, dont la fécondité atteste sa présence constante, lui appartient ; la famine est le signe visible de son courroux ; les formes du culte sont empreintes, il est vrai, de paganisme ; elles n’en sont pas moins consacrées à son nom et destinées à implorer sa bénédiction.

Beaucoup de récits, frappants de beauté et de vérité, se rattachent aux dernières années du royaume du nord (voyez 2 Rois 5 : la foi et le patriotisme d’une enfant). Que, durant cette période fatale, un prophète tel qu’Osée, qui appartenait probablement à la classe aristocratique et sacerdotale, ait pu surgir, le fait est significatif ; mais c’est à Juda que nous devons d’avoir conservé le livre qui porte son nom.

Il est inutile de discuter la théorie dénommée : « Anglo-Israélite » d’après laquelle les descendants directs des dix tribus disparues peuvent être aujourd’hui retrouvés dans certaines nations modernes. On peut avec raison la caractériser ainsi : un mélange médiocre de théologie et de politique, produisant une forme pervertie du patriotisme qui n’a aucun fondement historique solide, qui repose sur une interprétation mécanique de la prophétie et qui est incompatible avec l’esprit du christianisme, puisque, dans une large mesure, elle ramène à un vieux nationalisme suranné. En termes simples et clairs, Paul a formulé un principe éternel : « … celui-là n’est pas Juif, qui ne l’est qu’au dehors… mais celui-là est Juif, qui l’est au dedans » (Romains 2.28 et suivant). Si cela est vrai, la préoccupation de savoir ce qu’il est advenu des « dix tribus » se justifie. L’histoire peut-elle nous éclairer sur ce point ?

« Douze tribus » : ce nombre idéal a joué un rôle dans la littérature, comme désignant les divers clans et familles qui contribuèrent à former la nation. Par la suite et comme conséquence de la conquête de Canaan, elles absorbèrent un grand nombre des habitants indigènes. De nombreux hôtes passagers devenaient membres du clan auquel ils étaient alliés (Juges 19.16). La formation et l’histoire des « douze tribus » soulèvent des problèmes compliqués, dont beaucoup n’ont pas reçu de solution (voir Tribus d’Israël). Il est peu probable qu’il y eût à l’origine un nombre déterminé de tribus et de clans d’égale importance et, même alors, cet état de choses n’aurait pu résister à l’usure du temps. Les guerres au dedans et au dehors fortifiaient ou affaiblissaient les régions qui en étaient le théâtre. D’après les plus anciennes données, Lévi était une tribu laïque (Genèse 49.5) ; elle devint plus tard, au cours de circonstances difficiles à préciser, une tribu sacerdotale (Deutéronome 33.8). Des causes nombreuses étaient à l’œuvre, tendant à briser ces divisions artificielles. L’existence des « dix tribus » à cette époque (722) était factice. Les répercussions de la conquête assyrienne sur le peuple d’Israël peuvent en partie l’expliquer, mais le champ reste ouvert aux conjectures. Il est certain que beaucoup furent déportés et que des immigrants vinrent prendre leurs places (2 Rois 17.24-28), ce qui accrut le désordre et porta un coup mortel à l’individualité de la nation, tellement que leurs frères de Juda les considéraient comme un peuple hybride, vivant sur un plan inférieur. De petits groupes purent maintenir leurs relations avec Jérusalem et, même dans les localités lointaines, conserver les vieux souvenirs. On suppose que Nahum était un Israélite qui vécut en Assyrie. Son petit livre est un brillant poème plus patriotique que religieux. Il exprime avec puissance la joie provoquée dans les petites nations par la chute de l’empire que sa barbarie avait rendu célèbre. Nous prendrons contact, dans la suite, avec la communauté samaritaine. La nation était brisée et beaucoup de ses membres étaient « perdus » en ce sens qu’ils n’étaient plus en rapports et en communion avec la religion vivante des Hébreux. Les petits groupements et les haines sectaires ont une extraordinaire ténacité et se prolongent à travers bien des générations (Jean 4.9).

VI Le royaume du sud

Le territoire laissé à Juda après le schisme était beaucoup moins important que celui d’Israël ; mais il présentait cet avantage, que la continuité de la dynastie de David y fut sauvegardée, malgré quelques événements tragiques, jusqu’à l’exil de Babylone (environ 600 avant Jésus-Christ), et ces années furent fécondes en résultats précieux pour la religion. Une grande partie de l’œuvre accomplie par David fut détruite, mais ce qui en resta eut une importance considérable, tant pour la vie du judaïsme que pour l’ensemble du monde.

On sait peu de chose des dix-sept années du règne de Roboam. Une incursion égyptienne, conduite par le roi Sisak, mit au pillage Israël et Juda. Ceux-ci furent en guerre l’un contre l’autre. Le fils de Roboam, Abijam, ne régna que trois ans. Il semble avoir conclu avec Damas une alliance offensive contre Israël. On attribue à Asa un règne de quarante et un ans ; c’est l’un des rois auxquels est rendu un sincère témoignage d’approbation. Tandis que les hauts-lieux consacrés, aux divinités païennes existaient encore, il sévit avec vigueur contre les pratiques idolâtres de sa mère (1 Rois 15.9-15). La lutte fratricide n’avait pas cessé, preuve en soit son appel à l’intervention de Ben-Hadad, roi de Syrie, pour le délivrer de l’oppression d’Israël. Cette ligne politique changea sous le règne de Josaphat, qui se joignit à Achab pour repousser l’agression syrienne. Ce fut un bon roi, si l’on s’en rapporte au jugement des historiens, mais le refrain monotone : « Les hauts-lieux n’avaient pas disparu » retentit encore, montrant combien ces cultes locaux étaient profondément enracinés et persistants. Dans ces vieux sanctuaires Jéhovah était adoré, mais au milieu de beaucoup de rites cananéens.

Un fait important à noter est qu’en Juda aussi le culte de Baal provoqua des dissensions et des effusions de sang. Quand la reine mère Athalie apprit la mort de son fils, elle, souveraine du royaume, femme ambitieuse et cruelle, peu disposée à céder sa place, fit mettre à mort les membres de la famille royale (2 Rois 10). Seul Joas, son petit-fils, âgé de quelques mois, fut épargné, mais à son insu. Elle éleva à Jérusalem un temple de Baal. Ainsi au même moment, la guerre civile, porteuse de misère, fruit de l’ambition égoïste et du fanatisme religieux, sévissait dans les deux capitales. Plus tard le sacrificateur Jéhojada plaça sur le trône son neveu Joas, âgé de sept ans ; Athalie fut tuée, et le temple de Baal détruit (2 Rois 11.12-21). Joas régna quarante ans. Le seul trait de ce long règne qui nous ait été conservé concerne la réforme financière du budget affecté au temple, page intéressante de l’histoire de l’Église. Malheureusement Joas dut verser entre les mains d’Hazaël, roi de Syrie, afin de le détourner d’attaquer Jérusalem, tout l’or et les objets sacrés qui se trouvaient dans le temple.

Le règne de son fils Amatsia offre un exemple de l’animosité surgissant entre deux rois qui auraient dû se conduire comme des frères. Amatsia demande à Joas, fils de Joachaz roi d’Israël, une entrevue sur pied d’égalité et reçoit sous forme d’un bref apologue une réponse tranchante (2 Rois 14.8 ; 2 Rois 14.10) ; le roi de Juda eut à payer chèrement sa présomption. Il est vrai que ces combats étaient peu meurtriers et, dans les intervalles d’accalmie, la vie pastorale devait s’écouler paisiblement ; mais les deux royaumes étaient affaiblis par ces luttes fratricides. Le long règne d’Azaria, cinquante-deux ans, et celui de son fils Jotham, seize ans, nous mènent presque à la fin du royaume d’Israël. Si ces chiffres sont exacts, ils supposent une période de paix, de stabilité et d’unité religieuse dans le royaume de Juda. Celui-ci, au moment de la chute d’Israël, attira à lui, jusqu’à un certain point, la nation sœur, ce qui ne l’empêcha pas de conserver son autonomie pendant cent trente ans environ. Lors de l’agression finale des Syriens et des Israélites contre Juda, Achaz céda, malgré les conseils d’Ésaïe, au désir d’appeler l’Assyrie à son aide. Le résultat fut, nous l’avons vu, l’anéantissement d’Israël en tant que nation et le tribut imposé à Juda par le grand empire (Ésaïe 7).

C’est à ce tournant de l’histoire politique des deux royaumes qu’apparurent les grands prophètes qui, d’un commun accord, sauvèrent la religion en la pénétrant d’une spiritualité plus élevée et en plaçant la moralité au-dessus du rite. L’inspiration atteint ici son point culminant ; les résultats n’ont pas cessé, depuis lors, d’en être sensibles et sont aujourd’hui plus hautement appréciés que jamais. Des discussions académiques sur les rapports de la morale et de la religion et la « psychologie de la prophétie » ne seraient pas ici à leur place. C’est un mouvement de vie, et ce sont les hommes qui y ont été mêlés qui nous intéressent. La méthode que Dieu emploie pour transmettre à l’âme humaine son message sublime et le revêtir du sceau de son autorité suprême est complexe et ne sera peut-être jamais entièrement comprise. Mais les faits historiques demeurent et appellent notre examen attentif. Quatre hommes : Amos, Osée, Ésaïe et Michée, ont marqué le VIIIe siècle d’une empreinte indélébile, tellement qu’il demeure l’une des grandes époques de l’histoire de la religion.

Une question se pose : dans quelle mesure leur message était-il nouveau ou original ? Il était nouveau en ce sens qu’il émanait de leur personnalité individuelle et présentait la religion sous un aspect plus large, plus pur, plus riche qu’auparavant. Ce n’était pas une plante nouvelle, mais plutôt une floraison nouvelle du vieil arbre. Si la morale n’avait pas été un élément constitutif de la religion des Hébreux, celle-ci n’aurait pu survivre au culte de la nature et aux âpres conflits avec le baalisme. Ces antiques récits sont, à n’en pas douter, animés de l’esprit prophétique. De quelque façon qu’on l’interprète, le tableau présentant le premier homme et la première femme avec la perspective des souffrances, résultat de la désobéissance (Genèse 2.3), est empreint de compassion pour l’homme qui, venu de la terre, tire d’elle sa subsistance au prix d’un dur labeur, puis y retourne, et pour la femme qui met au monde ses enfants dans la douleur. Remarquons aussi le blâme infligé par Nathan à David (2 Samuel 12.7) et le châtiment subi en expiation d’un traité violé (2 Samuel 21).

À la longue, la religion s’assimila maints éléments du culte de la nature, mais en les purifiant et en les faisant servir à des buts plus élevés. Les prophètes ne se considéraient pas comme les créateurs d’une religion nouvelle, mais comme des frères exhortant leurs frères à revenir à la source plus simple et plus pure de leur vieille foi (Jérémie 6.16 et suivant). Qu’ils fussent ou non animés de cette pensée, nous savons que la foi des ancêtres ne pouvait subsister qu’en s’élargissant, en étendant et appliquant ses principes aux conditions changeantes d’un monde plus vaste. Le message des prophètes du VIIIe siècle était à la fois national et social. Le devoir de la piété personnelle, les problèmes de l’individualisme commencent à se poser, mais le message des prophètes s’adressait à la communauté comme telle. Ce n’était pas, à proprement parler, un monothéisme théologique ou dogmatique ; mais il s’orientait dans cette direction, et le droit de Jéhovah à être le Dieu de l’humanité y était impliqué, sinon clairement affirmé.

Au sein de l’Israël primitif on trouve, dès le début, des voyants ou « Sages », des diseurs de proverbes et maximes, des prêtres qui officiaient à différents autels et des prophètes, hommes de caractère enthousiaste qui n’étaient astreints à aucune règle inflexible et inféodés à aucun sanctuaire particulier. Plus tard, ces catégories d’hommes seront déterminées d’une façon plus précise et auront leur littérature propre. Prophètes et prêtres (voir ces mots) sont parfois associés, parfois en conflit. Quelques-uns des prophètes, tels Osée, Jérémie et Ézéchiel, appartenaient à des familles sacerdotales. L’action de l’Esprit divin n’était limitée à aucune classe.

Amos 7.10-17 nous offre un vivant et dramatique tableau du conflit entre deux types religieux : l’austère prophète et le prêtre courtisan, Amos et Amatsia. C’était sous le règne de Jéroboam II (790-749), à une époque de prospérité précédant la catastrophe finale. Le peuple était assemblé à Béthel pour y célébrer une de ses grandes fêtes religieuses. Un homme rude des plaines de la Judée fait irruption au milieu de cette foule joyeuse, dénonce en termes enflammés les péchés de la nation et lui prédit le châtiment d’un Dieu juste qu’elle doit se préparer à rencontrer au jour du jugement. Cette histoire authentique est aussi un symbole du choc des idées et des forces qui étaient en présence. Le courtisan, le représentant officiel des conventions sociales et du luxe, se mesure avec l’homme fort et courageux qui personnifie la simplicité de la religion et la souveraineté de la conscience. Le prophète et le prêtre, avec leurs conceptions opposées de la religion et leurs façons différentes de comprendre la vie, forment ici un contraste absolu. Amatsia offre un spécimen assez misérable et superficiel de sa classe, mais il se peut que le culte des prêtres et du peuple contînt quelques éléments que le rude prophète ascète était incapable d’apprécier. Il ne semble guère probable que les prophètes, dans leur ensemble, eussent fait disparaître toutes les cérémonies du culte, mais Amos est le type de l’homme qui aurait été satisfait d’adorer Dieu dans le silence sous les cieux étoiles. À ses yeux, des sanctuaires comme celui de Béthel étaient des lieux non d’obéissance mais de transgression. Tout ce qui s’y passait, avec les excitations passionnées et les divertissements sensuels, le révolte (Amos 4.4). Il parcourt de son regard pénétrant toute la Palestine et prononce le même jugement sur tous ses peuples (Amos 1), ce qui signifie que le Dieu dont la loi a été manifestement violée était le même pour tous. Remarquons qu’ils n’étaient pas coupables envers la loi rituelle, mais envers l’humanité : perfidies en temps de paix, atrocités pendant la guerre. Israël porte l’opprobre de la corruption religieuse la plus méprisable (Amos 2.6-12). Amos lui déclare dans les termes les plus vigoureux et les plus nobles que les sacrifices matériels, si riches et si abondants qu’ils soient, ne sauraient remplacer une vie pure et une conduite intègre. « Éloignez de moi, dit-il au nom de Jéhovah, le bruit de vos cantiques et le son de vos harpes. Faites plutôt couler le bon droit comme de l’eau et la justice comme un fleuve intarissable ! » (Amos 5.21 ; Amos 5.24). Sous une forme imagée il annonce le jugement terrible, irrévocable, qui, malgré la prospérité présente, laissera le pays désolé (Amos 7.1-9). Cette prédiction s’accomplit à la lettre, au cours de la génération suivante, lorsqu’on put dire avec vérité : « Elle est tombée la vierge d’Israël, elle ne pourra plus se relever, elle est renversée sur le sol et personne ne la relève ! » (Amos 5.2).

Quand Osée écrivit son livre, la période de prospérité avait pris fin et le royaume du nord était en proie au désordre. Le texte en est assez obscur, mais, fût-il parfait, il n’approcherait pas de la clarté et de la vigueur de celui d’Amos. Les deux hommes sont de caractères bien dissemblables : l’un rude, presque froid, l’autre affectueux, sensible, sympathique. Tous deux sont opposés à la religion courante mais l’expriment de façons différentes. Tandis que leurs livres revêtent une forme le plus souvent poétique, l’émotion et l’humeur versatile propres au poète dominent dans celui d’Osée. Il a exercé son influence sur Jérémie, « le poète du cœur ». L’histoire de son mariage a soulevé bien des problèmes et donné lieu à de nombreuses interprétations. Il représente évidemment un amour outragé ; la tendresse et la bonté de Jéhovah ont été oubliées (Osée 12.2). L’enfant ingrate, l’épouse infidèle s’est adonnée au culte de Baal, ce qui est considéré comme une forme de l’adultère. Cette image tiendra une place importante dans la littérature subséquente. Le livre d’Osée est une suite de poèmes plutôt qu’un exposé méthodique : les transitions sont brusques, avec une alternance de reproches violents, de tendre compassion et d’appels à la repentance (Osée 10.10 ; Osée 14.1). L’affirmation dominante d’Amos est : justice ; celle d’Osée : miséricorde. La déclaration que notre Sauveur recommanda à l’attention de ses détracteurs (Matthieu 9.13) fut essentielle pour notre prophète : « Je prends plaisir à la bonté et non au sacrifice, à la connaissance de Dieu plutôt qu’aux holocaustes » (Osée 6.6).

Ce mot de « miséricorde » a une longue histoire et eut une influence considérable. Plus tard et dans l’une de ses acceptions, il fut employé pour désigner un parti, celui des « justes » (Psaumes 32.6). Pris en lui-même, ce mot est d’un sens très riche ; il parle de bonté, de loyauté, d’amour. Il ne peut être traduit par aucun autre mot, tant son sens est profond ; il unit des choses que nous avons coutume d’assigner à des sphères différentes. Pour le prophète la vie était une- ; le monde entier au sein duquel il vivait appartenait à Dieu, et ce mot « miséricorde » signifiait fidélité à l’égard de Dieu, bonté envers les hommes à tous les degrés de la vie humaine. Il devait unir religion, morale, philanthropie, les animant ensemble d’un esprit de pure adoration (voir Hasidéens).

Alors vint Ésaïe, prophète et homme politique. Bien qu’il ne soit plus possible de lui attribuer les 66 chapitres du livre qui porte son nom, et que nous possédions peu de précisions sur les quarante années que dura son ministère, Ésaïe est, à part Jérémie, le prophète dont la personne et la vie nous sont le mieux connues. De l’étude attentive des quelques prophéties que nous pouvons, avec confiance, regarder comme authentiques, se dégage le profil d’un homme grand par sa puissance oratoire et ses dons littéraires. Plus orateur qu’écrivain, il n’en a pas moins marqué l’histoire de son pays d’une empreinte indélébile et donné un essor à sa plus noble littérature. Nous pouvons l’appeler « l’Ésaïe de Jérusalem », car c’est là qu’il vécut et travailla. Quand il commença son ministère en 740 environ, Rome, encore simple village, venait, croit-on, d’être bâtie. Bientôt Rome et Jérusalem s’affronteront ; pour le moment, l’une est à son berceau, l’autre lutte pour conserver la vie. Samarie se dressait dans son orgueil et sa jactance, mais le prophète judéen ne s’y trompait pas : il voyait le dénouement tout proche. « Malheur à la couronne orgueilleuse des buveurs d’Éphraïm ! » (Ésaïe 28.1-4). L’un de ses discours les plus importants fait allusion aux derniers événements de l’histoire nationale d’Israël (Ésaïe 7.1 ; Ésaïe 7.3). C’est sans doute immédiatement avant, que, répondant à l’appel de son Dieu, il s’affirma comme prédicateur de la justice. Tandis qu’il était au temple, il eut une vision au cours de laquelle il se sentit écrasé par le sentiment de son indignité en présence du Roi, l’Éternel des armées (Ésaïe 6). Sous l’empire de cette révélation, il prit l’engagement de devenir le messager du jugement divin, sachant qu’il assumait une tâche rude et, en apparence, désespérée. C’est en vain que nous essayerions de définir la nature de cette vision, mais la vie qui s’en dégagea et la carrière qu’elle inspira nous sont un garant de sa réalité. Le prophète s’écrie que « la main de l’Éternel l’a saisi ». Cette étreinte divine vivifie toute sa puissance d’énergie (Ésaïe 8.11). L’un de ses plus beaux discours est le magnifique « cantique de la vigne », chanté sans doute devant la foule à quelque fête solennelle. Le chant se transforme en prédication. En retour de la sollicitude et des soins dont Il a entouré la nation, Dieu n’a éprouvé qu’amères déceptions : au lieu de la droiture, la fausseté, au lieu de la justice, le cri des opprimés (Ésaïe 5.1 ; Ésaïe 5.7). Avec la même vigueur que les autres grands prophètes, Ésaïe dénonce la licence, l’improbité et les violences des riches (Ésaïe 5.8 et suivants), et défend la cause des veuves et des orphelins (Ésaïe 1.17). Sa complainte sur la « cité fidèle » (Ésaïe 1.21-26) montre son affection profonde pour Jérusalem et son désir ardent qu’elle soit gouvernée avec équité. Les cérémonies religieuses ne manquaient pas, les offrandes à Dieu étaient abondantes, mais tout cela ne pouvait remplacer le vrai sacrifice : celui d’une vie pure. Ésaïe se serait sûrement associé avec joie à la grandeur d’un culte qui aurait été l’expression d’une foi véritable et d’une conduite intègre.

Il appartenait à l’aristocratie et n’eût pas été déplacé parmi les princes et les personnages officiels. Il s’efforça d’influencer la politique extérieure et de guider la nation dans les sentiers de la sécurité. Il croyait que Jéhovah prendrait sous sa protection ceux qui rechercheraient sincèrement la justice. Il se méfiait de l’habileté des politiciens et des ruses des diplomates. En l’an 735, quand les Syriens et les Israélites attaquèrent Jérusalem, Ésaïe sortit à la rencontre d’Achaz (Ésaïe 7.3 et suivant), avec son fils Séar-Jasub dont le nom signifie : « Un reste reviendra ». Achaz a résolu d’appeler l’Assyrie à son aide, ce qu’Ésaïe considère comme un manque de foi. Il savait que l’Assyrie ne viendrait que trop tôt et que ce serait au préjudice de Juda. Son éloquence, son offre de lui donner un signe de la part du Seigneur, ne peuvent détourner Achaz de la voie où il s’est engagé. Conséquence : la Syrie et le royaume d’Israël furent écrasés, rendus inoffensifs, ainsi qu’Ésaïe l’avait prévu, et Juda, bien que conservant partiellement son indépendance, devint tributaire de l’Assyrie. L’Égypte aussi recommençait à s’agiter, menaçant Juda. Le prophète alors prouve la constance et la fermeté de son caractère : « J’ai voulu, dit-il, vous dissuader de donner des gages à l’Assyrie ; mais, maintenant que vous l’avez fait, l’honnêteté exige que vous teniez parole ». Manifestement l’Égypte était faible, on ne pouvait compter sur elle : après s’être servie des petits peuples comme d’auxiliaires, elle les abandonnait. En outre Ésaïe prenait son point d’appui dans des principes clairs. Son mépris de l’Égypte et de ceux qui étaient assez insensés pour avoir confiance en elle s’exprime avec force (Ésaïe 31.1). La rivalité entre l’Égypte et l’Assyrie ou Babylone continuera, pendant le siècle suivant, à exercer son influence perturbatrice dans l’existence des petites nations. Un jugement sévère est porté sur Achaz, qui régna seize ans : (2 Rois 16) Ésaïe rappelle sa servilité à l’égard de l’Assyrie, dont il sollicita l’aide contre Damas. Un fait qui intéresse l’historien autant, si ce n’est plus, que cet important événement politique, concerne le temple. Achaz, séduit à la vue de l’autel qui se trouvait à Damas, en envoya le modèle à Urie le sacrificateur, afin qu’il en construisît un semblable (2 Rois 16.10 ; 2 Rois 16.12). Par là nous voyons le roi affirmer son droit de régler les pratiques rituelles et l’offrande des sacrifices. Le règne d’Ézéchias, fils d’Achaz, qui dura vingt-neuf ans, nous amène presque au seuil du siècle suivant (environ 700). Il est représenté comme un roi bon et pieux qui, menacé par l’Assyrie, invoqua Jéhovah et fut puissamment encouragé, réconforté par Ésaïe (2 Rois 19.20). De même pendant sa maladie un miracle s’accomplit en sa faveur et sa vie fut prolongée de quinze années. L’ennemi, sous la pression de circonstances imparfaitement connues, fut contraint de lever le siège de Jérusalem et de regagner l’Assyrie. Cette délivrance fut, avec raison, attribuée à l’intervention de la Providence. Elle donna à Juda un regain de vie et accrut l’influence d’Ésaïe. On a pensé que ses prophéties puissantes, à cette époque, encouragèrent la croyance que la citadelle et le sanctuaire de Jéhovah devaient être inviolables, croyance à laquelle bien des malheurs furent dus dans la suite et qui ne peut être attribuée à un homme de l’intelligence et de la spiritualité d’Ésaïe. D’après la tradition, le vieux prophète aurait subi le martyre durant les jours troublés qui suivirent. On l’a dit avec raison, la partie pieuse de la nation fut déçue par la politique du nouveau roi. « Ils espéraient un Messie, ils eurent Manassé ». Il se peut qu’aux jours d’Ézéchias, en réponse à la prédication des prophètes, une réforme du culte ait été tentée et suivie d’une violente réaction. Le territoire de Juda étant très restreint, vu le peu d’étendue du pays qui s’ajoutait à la ville fortifiée, il semble que la centralisation aurait dû être assez aisée, mais les témoignages ne manquent pas que — même à l’intérieur de la cité — les survivances des pratiques païennes étaient difficiles à détruire. Les influences étrangères se firent à nouveau sentir dans une cour corrompue.

Pourtant, l’œuvre d’Ésaïe n’était pas anéantie. Il avait répandu la semence destinée à porter du fruit quand elle aurait été arrosée par le sang de ses fidèles successeurs. Il n’est peut-être pas exagéré de discerner dans son long ministère les faibles origines de l’Église, c’est-à-dire d’une petite communauté dont la religion repose sur la foi personnelle et non sur la seule tradition. « Enferme cet oracle, scelle cette révélation dans le cœur de mes disciples » (Ésaïe 8.16). Il trace sur une tablette en caractères usuels, destinés à être lus de tous, ses prédictions et ses menaces. Il ordonne que sa prophétie soit consignée dans un livre afin qu’elle demeure comme un témoignage impérissable (Ésaïe 30.8). Il ne faut pas voir ici les origines de la littérature hébraïque : il semble évident qu’à cette époque nombreux étaient ceux qui savaient lire et écrire ; mais peut-être, dans un sens limité, avons-nous ici les débuts de la formation d’un canon, c’est-à-dire d’une littérature sacrée qui assurera, pour les temps futurs, la conservation de la religion. Ésaïe ne croyait pas que le jugement de Dieu impliquât une destruction complète. Sa doctrine du « faible reste » (Ésaïe 19) signifie qu’aux jours les plus sombres, Dieu créera un monde nouveau avec les quelques croyants qui resteront (cf. Genèse 8.21 et suivant). Ces influences spirituelles ne peuvent s’exercer dans le vide ; seules les vies d’hommes pieux et consacrés seront leur sauvegarde et les rendront agissantes. Sans les disciples anonymes et les réformateurs, la religion aurait péri. Le miracle est qu’elle ait survécu à tant de crises et de catastrophes.

Nous avons peu de renseignements sur Michée, contemporain plus jeune d’Ésaïe, personnalité moins brillante, mais homme d’une grande énergie qui a laissé une trace profonde. La différence essentielle entre eux est que l’un fut un citadin, l’autre un rural, un prophète paysan. Son âpre langage, son ardente compassion pour les pauvres, font penser aux Paroles d’un croyant de Lamennais. Un esprit révolutionnaire inspire les attaques qu’il dirige contre les riches oppresseurs, les prophètes infidèles et les prêtres avides de gain (Michée 3.4). Il hait la perversité voluptueuse des villes. Samarie et Jérusalem sont les centres de l’oppression qui accable les pauvres, aussi un terrible châtiment leur est-il réservé (Michée 1.6 ; Michée 3.12). Il est intéressant d’observer que lorsque Jérémie prononça un jugement semblable, il fut déclaré digne de mort. La prophétie de Michée fut alors citée comme preuve que le vrai prophète, celui qui parle au nom de Jéhovah, doit jouir d’une grande liberté (Jérémie 26.18). Aux époques plus anciennes, durant les périodes de paix, de petites communautés menaient sans doute, dans les campagnes, une vie simple, pastorale. Ces paysans s’entr’aidaient et la servitude, telle qu’elle existait alors, n’avait rien d’inhumain. Mais le développement des villes et l’accroissement des richesses changèrent ces conditions, et la situation empira. Les riches voulaient agrandir leurs domaines et les moins aisés étaient dépossédés des petits lopins de terre qu’ils considéraient comme leur héritage dans le royaume de leur Dieu. Les hommes libres devenaient esclaves et les débiteurs étaient traités avec dureté. Des hommes qui, tant au point de vue national que religieux, auraient dû être frères, étaient ennemis. Un cri retentit à travers tous les discours des grands prophètes : c’est un appel à la justice. Les mots d’ordre d’Amos, d’Osée, d’Ésaïe, ont peut-être été résumés plus tard par un disciple en cette profession de foi brève, pratique, vivante aujourd’hui encore : « Faire ce qui est juste, aimer la miséricorde et marcher humblement avec son Dieu » (Michée 6.8).

La fin du VIIIe siècle fut une époque de dures épreuves pour Jérusalem. Ézéchias, soutenu par Ésaïe, défendit la cité attaquée par Sanchérib et remporta quelques succès sur les Philistins, qu’il repoussa jusqu’à Gaza, mais le pays souffrit beaucoup et resta finalement tributaire de l’Assyrie. Le nom de son fils et successeur Manassé figure toujours dans la liste des États soumis à l’Assyrie. Bien qu’il ait commencé à régner à l’âge de 12 ans et soit resté sur le trône pendant cinquante-cinq ans, nous n’avons sur lui que peu de détails, ce qui prouve la pauvreté de nos documents historiques. Nous devons nous contenter de savoir qu’il rétablit les hauts-lieux, importa des coutumes étrangères et répandit en abondance, à Jérusalem, le sang innocent (2 Rois 21). Son fils et successeur Amon ne régna que deux ans ; il fut assassiné dans son propre palais par des conspirateurs, lesquels furent tués à leur tour par le peuple, qui proclama roi son fils Josias, âgé de huit ans (2 Rois 22.1).

Ce siècle, dont l’histoire est si incomplète et obscure, marque en réalité une des périodes les plus importantes de la vie d’Israël. Ainsi qu’il arrive souvent, le mouvement destiné à durer s’était développé en silence. Nous savons, d’après ses résultats, que de grandes choses furent accomplies : les écrits prophétiques survécurent et revêtirent des formes appropriées au milieu. Ce fait apparut au grand jour, lors de la découverte, en la dix-huitième année du règne de Josias (640-609), d’un livre dans le Temple de Jérusalem. Les savants admettent généralement que ce livre était le Deutéronome, sinon dans sa forme actuelle, au moins dans ses parties essentielles. C’était à coup sûr un livre faisant époque et qui marqua dans l’histoire de Juda l’avènement de temps nouveaux. Jusqu’alors la nation était gardienne de la littérature, désormais ce sera le livre qui assurera le maintien de la nation. Un ouvrage inventé pour les besoins de la cause, un livre entièrement nouveau, n’aurait pu exercer cette influence. Le Deutéronome (voir ce mot) plongeait des racines profondes dans le passé et pouvait, avec quelque vérité, se réclamer du nom de Moïse. Quels qu’aient pu être les méthodes qui présidèrent à son élaboration ou les appels à la pureté et à la centralisation du culte qu’il renferme, il est certain que ce livre, pénétrant la vie du peuple vers la fin du VIIe siècle, devint aussitôt son drapeau et servit de point de ralliement aux réformateurs. Le Deutéronome se compose de discours et de poèmes attribués à Moïse (à l’exception du dernier chapitre) ; mais cette opinion ne résiste pas à un examen, même superficiel. Nous y remarquons des emprunts à des documents plus anciens, des répétitions. Il reproduit en les développant les ordonnances d’un code primitif : le Livre de l’Alliance, et renferme d’anciennes lois qui ont peu de rapport avec l’objet essentiel du recueil. Le but poursuivi était, vraisemblablement, de réformer le culte et de le centraliser à Jérusalem. Il n’y a qu’un seul Jéhovah et il ne doit avoir qu’un seul sanctuaire. Nous donnons aux lois qui se rapportent à ce principe essentiel le nom de Deutéronome (seconde loi) au sens spécial du mot. Exemples :

  1. Les ressources à assurer aux Lévites après la destruction des autels locaux.
  2. L’établissement de cités de refuge devant servir de sanctuaires ou d’asiles à ceux qui fuyaient devant les vengeurs du sang versé,
  3. La désignation des anciens comme juges des cas trop peu importants pour être soumis à la juridiction de Jérusalem.
  4. La distinction établie entre l’acte profane de la mise à mort des animaux pour en faire un aliment, et leur offrande sous forme de sacrifice.

Tout cela pénétrait profondément la vie religieuse et sociale du peuple. L’exiguïté du territoire peut avoir facilité ce travail de réformation, mais ces causes géographiques ne furent pas seules en jeu, il y en eut d’intellectuelles et de religieuses. L’existence du Dieu unique de la nation était proclamée et ceci était indispensable à la reconnaissance plus complète de sa souveraineté dans un monde agrandi. Les éléments prophétiques et sacerdotaux se trouvaient mélangés dans un livre qui renfermait l’histoire, les discours (Deutéronome 1-11), la loi (Deutéronome 12-26). L’enseignement proprement dit devait s’adapter aux formes ecclésiastiques en usage. Le danger du légalisme existait mais ne pouvait être évité. La pensée dominante était que les prédictions des prophètes s’étaient accomplies et que les malheurs de la nation étaient dus à la désobéissance et à l’idolâtrie (Zacharie 1.4-6). Josias et ses conseillers semblent avoir fait un vigoureux effort pour exécuter les ordres donnés dans ce livre : régler la célébration du culte divin ; débarrasser le pays des pratiques idolâtres (2 Rois 23.5 et suivant). Mais les écrits postérieurs nous montrent combien cette tâche était ardue. Josias est considéré par les historiens comme un roi pieux, un second David, et Jérémie le loue (Jérémie 22.10).

À ce moment l’empire assyrien est à l’apogée de sa grandeur ; puis, brusquement, il disparaît. Le règne d’Assourbanipal (668-625) fut l’âge d’or de l’art et de la littérature. Tyran cruel et débauché, il vivait dans le luxe grâce aux tributs imposés aux peuples qu’il avait conquis. Alors, rapide, vint le déclin. L’Égypte se fortifiait et commençait à secouer le joug assyrien. Les Aryens (Mèdes) et les Sémites (Babyloniens) s’unirent contre l’ennemi commun. Après plusieurs échecs, une victoire complète couronna leurs efforts. L’empire d’Assyrie fut anéanti et la ville de Ninive rasée au niveau du sol (606 ?voir le chant de triomphe de Nahum). À cette époque Juda subit un terrible désastre. Le nouveau pharaon, Néco, qui prétendait avoir sa part du butin, se mit à la tête d’une armée nombreuse. Josias tenta de l’arrêter, mais sa folle entreprise fut suivie d’une complète et rapide défaite dans les plaines de Méguiddo. Vaincu, le roi fut tué (2 Chroniques 35.22 ; 2 Chroniques 35.25). On ne saurait dire quel motif entraîna Josias dans cette téméraire aventure. Il est peu probable qu’il ait été encouragé par Jérémie, bien que celui-ci méprisât les Égyptiens. Quoi qu’il en soit, les conséquences furent désastreuses. Il semblait que Jéhovah fût impuissant à protéger son fidèle serviteur ou qu’il ne le voulût pas. La nation et la religion souffrirent cruellement l’une et l’autre du désordre qui suivit. Les petites nations étaient de nouveau tiraillées entre deux puissances hostiles : l’Égypte et Babylone. Joachaz, fils de Josias, choisi par le peuple, fut proclamé roi, mais Néco le détrôna, l’emmena captif en Égypte et plaça sur le trône son frère Jéhojakim. Nébucadnetsar, prince royal de Babylone, vainquit les Égyptiens à Carkémis sur l’Euphrate (605). Jéhojakim devint ainsi vassal de Babylone. Il eut l’imprudence de se révolter, et Nébucadnetsar souleva contre lui les peuples voisins. Il mourut laissant à son fils Jéhojakin, âgé de 18 ans, un héritage de profonde misère (Jérémie 22.24). Contraint de se rendre, il fut emmené à Babylone avec les meilleurs, de la nation et des trésors considérables (597). Sédécias, un autre fils de Josias, fut placé sur le trône. C’était le commencement de la fin. Ce qui restait du peuple était déchiré entre les deux factions égyptienne et babylonienne. Sédécias, après avoir signé la paix avec Babylone, finit par se révolter lui aussi et, malgré l’intervention de l’Égypte, qui retarda un moment la catastrophe finale, en dépit d’une résistance héroïque contre les ennemis du dehors et la famine au dedans, Jérusalem tomba (586). Sédécias, prisonnier, fut traité sans pitié ainsi que ses enfants.

Jérémie pouvait partir pour Babylone et y terminer paisiblement ses jours, mais cela l’aurait exposé au soupçon d’obtenir une récompense en raison de ses opinions politiques. Il resta avec le pauvre peuple laissé dans le pays et, quand le gouverneur babylonien Guédalia fut assassiné, Jérémie fut, par une ironie du sort, traîné par les conspirateurs jusqu’en Égypte, ce pays qu’il avait haï et méprisé. Durant ses longues tribulations, son courage, sa force de caractère ne faiblirent pas. Ce prophète à l’esprit si noble eut le bon sens de comprendre que Dieu exigeait de ses compatriotes une attitude loyale vis-à-vis des vainqueurs. Il combattit de tout son pouvoir l’opinion fausse et ridicule que la cité et le sanctuaire étaient inviolables, en tant que demeure de Jéhovah.

VII L’Exil à Babylone

Plaçons-nous maintenant en face d’un fait extraordinaire : c’est qu’en dépit de la complète rupture apparente de la vie nationale, la religion survit et se prépare à sa destinée mondiale. Pour le comprendre en quelque mesure, il nous faut envisager ce qu’il advint du peuple et comment l’esprit religieux survécut en lui. Il est visible qu’Israël était le propagateur d’une idée, le messager d’une grande vérité que nous ne voudrions pas voir disparaître, mais dont le monde d’alors ne pouvait saisir la portée. Avant d’étudier la période de l’exil et ses conséquences, il nous faut apprécier l’œuvre de trois maîtres éminents : Jérémie, Ézéchiel et un prophète anonyme, « le second Ésaïe » (voir article à ces divers noms).

Jérémie remplit sa mission durant la période fatale qui précéda l’exil. L’homme disparaît dans l’ombre, mais son œuvre demeure et commence à porter des fruits. Le livre qui est appelé de son nom, bien qu’il soit mal ordonné, nous offre bien des récits frappants de sa vie ardente et tourmentée et de nombreux exemples de son style de prédicateur. Le livre se compose des discours du prophète, de notes biographiques de son secrétaire Baruc et d’appendices ajoutés par des compilateurs et des commentateurs. L’opinion extrême que la contribution authentique de Jérémie est tout entière sous forme poétique ne s’appuie pas sur des preuves, mais il est vrai que c’est surtout dans ces poèmes vivants, palpitants d’émotion, que nous sentons battre le cœur de l’homme (Jérémie 4.10 ; Jérémie 8.18 ; Jérémie 8.22). Il naquit à Anathoth, petite ville du pays de Benjamin, proche de Jérusalem, d’une famille sacerdotale mais qui ne paraît pas en relations avec le clergé de Jérusalem. Il semble avoir eu des rapports avec la maison de Joseph : noter son allusion à Silo et au deuil de Rachel (Jérémie 31.15-20). De bonne heure il dénonce la perversion du culte divin et de la conduite privée. Nul doute qu’il sympathisât avec l’esprit du mouvement « deutéronomique », mais il est difficile de savoir jusqu’à quel point il y a collaboré (Comp. Jérémie 32.11 ; Jérémie 44.10 ; Jérémie 44.23 avec Deutéronome 4.45 ; Deutéronome 6.17 ; Deutéronome 6.20, etc. ; Jérémie 3.1 ; Jérémie 3.8 avec Deutéronome 24.1 et suivants ; Jérémie 34.8 et suivant avec Deutéronome 15.12 et suivant ; Jérémie 28.9 avec Deutéronome 18.21 et suivant, etc. ; Jérémie 4 et Jérémie 5 avec (Deutéronome 10.16) et Deutéronome 28.49 ; Deutéronome 28.53). Jérémie fut l’un des premiers à signaler le danger de la routine et du légalisme. Pour lui la droiture avait plus de valeur que l’observation de la loi écrite (Jérémie 8.8). Destiné, semblait-il, à une carrière paisible au sein d’un foyer heureux, il fut sans cesse en lutte avec son Dieu, avec lui-même, avec le monde. La violence de ses sentiments s’exprime avec une passion farouche dans le passage où il maudit le jour où il est né, condamné à souffrir sans espoir (Jérémie 20.14-18, cf. Job 3.3). On a induit de passages tels que Jérémie 9.1 et suivants que Jérémie était un faible, se lamentant et pleurant sans cesse sur sa triste destinée. Cette appréciation est injuste. Seul un homme fort pouvait rester debout et résister durant ces longues années d’épreuves. Il souffrit réellement avec et pour ses compatriotes.

Accusé de manquer de patriotisme, il était plus sensible à l’intérêt véritable de sa patrie que ceux qui criaient : « Paix, paix ! » alors qu’il n’y avait pas de paix. Sa prédication, comme celle de ses précurseurs, dénonce la religion hypocrite et les injustices sociales. Ses tendres instances, ses appels ardents rappellent ceux d’Osée (Jérémie 3.22 ; Jérémie 4.1). Mais il nous faut chercher ce qui fut spécial à Jérémie et marqua chez lui un progrès.

On peut, en un sens, parler d’Ésaïe comme d’un théologien parce que tout son enseignement religieux et social rayonne d’un foyer central : Jéhovah reconnu comme le Seigneur et le Maître de la vie entière. D’après la même méthode nous pouvons appeler Jérémie un psychologue, étant donnée la façon dont il a sondé les profondeurs de sa propre âme. Bien différent du cri joyeux d’Ésaïe : « Me voici, envoie-moi ! » est le combat que, brisé par la contrainte divine, il livre avec Dieu. La Parole de l’Éternel était en lui « comme un feu brûlant qui consumait ses os » (Jérémie 20.9). Nous ne pouvons nous attarder au caractère littéraire de son œuvre. Loin d’être vague, son style est réaliste par la faculté qu’il possède de présenter des images en quelques traits frappants sous une forme condensée.

Quand la nation fut sur le point de disparaître, la création de libres associations nécessita un essor de l’individualisme ; mais il ne pouvait pas naître de façon artificielle, il devait se manifester par une expérience religieuse personnelle plus profonde. En Jérémie nous voyons le conflit de l’âme avec son Dieu ; telle de ses détresses fait penser à la lutte de Job. La prière personnelle est comme une préparation à la prière plus spirituelle des Psaumes. Il n’a pas élaboré un système cohérent de sa pensée. À la lueur des éclairs de son génie, nous voyons surgir des affirmations telles que la perversité du cœur humain (Jérémie 17.8, cf. Genèse 8.21), la folie de celui qui sans cesse recommence à pécher, auquel fait honte l’exemple même des oiseaux (Jérémie 8.4 ; Jérémie 8.7), l’esclavage de l’homme dominé par une habitude coupable : « Le noir Éthiopien peut-il changer sa peau ? » (Jérémie 13.23). Les hommes qui méditaient les paroles de Jérémie devaient être amenés à une conception plus profonde de la religion : spirituelle avant tout et non dépendante essentiellement de questions politiques et de cérémonies.

Le rôle du prophète Ézéchiel, qui fut emmené à Babylone en 597, a ceci de particulier qu’il exerça son ministère loin de sa patrie. Il vécut parmi les exilés, et le message qu’il leur apportait prédisait le sort d’Israël. Il appartenait à une famille aristocratique et sacerdotale et fut probablement, dans sa jeunesse, affecté au service du temple. Cinq ans après son arrivée à Babylone, il fut appelé à prophétiser contre « la nation rebelle ». Il ne cessa pas cependant d’être prêtre, bien qu’il n’eût pas l’occasion d’exercer la prêtrise. Il paraît à un tournant de l’histoire des Juifs entre les messagers de la justice et les dispensateurs de la consolation. Il s’intéressa, à n’en pas douter, à la réforme deutéronomique. Les passages suivants semblent prouver l’influence exercée sur lui par Jérémie : Jérémie 15.16 et Ézéchiel 3.3 ; Jérémie 6.17 et Ézéchiel 3.17 ; Jérémie 4.9 et Ézéchiel 7.27 ; Jérémie 15.1 et Ézéchiel 14.14 ; Jérémie 5.1 et Ézéchiel 22.30. Ézéchiel est probablement le principal auteur du livre qui porte son nom et qui est l’un des plus longs recueils prophétiques. On était à une époque littéraire. « Ce rouleau » (ce livre) est mentionné dans le récit de sa vocation (Ézéchiel 3.1). Il avait des loisirs lui permettant de se consacrer au ministère par la plume. À défaut de détails précis, nous savons qu’au moment où l’élite de la nation juive fut privée d’autres moyens d’instruction et d’édification, l’activité littéraire se développa. Ézéchiel sert de lien entre l’ancien hébraïsme et le nouveau judaïsme. Le fait qu’il ait été appelé « le père » à la fois du judaïsme et de la science eschatologique, montre bien son importance en cette période de transition. Son activité porta des fruits dans les générations qui lui succédèrent immédiatement. On peut établir dans le ministère d’Ézéchiel quelques divisions ou étapes :

  1. Avant la destruction de Jérusalem : le prophète prononce d’amers reproches ; l’histoire, à ses yeux, n’est qu’une longue apostasie ; il affirme que la catastrophe finale est inévitable et sera totale (Ézéchiel 1-24).
  2. Suivent en un style admirable une série de prophéties contre les peuples païens ; ils seront jugés et châtiés afin que le rétablissement futur d’Israël trouve le terrain libre (Ézéchiel 25-32).
  3. Quelques-uns des plus beaux passages des chapitres suivants décrivent les bénédictions à venir lorsque « cette terre désolée sera devenue comme le jardin d’Éden » (Ézéchiel 33-39).
  4. Il énumère enfin les nouveaux éléments de la loi sacerdotale et présente un tableau un peu factice du temple, celui-ci occupant le centre du pays et les différentes tribus groupées symétriquement au nord et au sud du sanctuaire (Ézéchiel 40-48).

Ézéchiel est un prédicateur puissant du jugement d’abord, de la miséricorde ensuite ; il abonde en gestes et en comparaisons symboliques. Il avait la conviction qu’une ruine complète devait précéder la création nouvelle. Il peut promettre à la nation qu’alors elle ressuscitera (vision des ossements desséchés, Ézéchiel 37), qu’un esprit et un cœur nouveaux seront donnés au peuple (Ézéchiel 36.26). Il prêche la responsabilité individuelle : chaque homme doit souffrir pour son propre péché et recevoir la récompense de sa propre vertu (Ézéchiel 18). Hardiment, sans détours, il expose sa manière de voir. Il se place, lui, prophète, en face de chacun de ses auditeurs, assumant ainsi le rôle de « sentinelle » (Ézéchiel 33.7-9) - Pour sauver l’Église, après le naufrage terrible de la nation, il fallait plus que de violents reproches et d’effrayantes peintures d’un châtiment à venir ; il fallait tenter un effort pour rassembler « le faible reste » et remplir d’espérance ceux qui étaient destinés à conserver vivant l’idéal spirituel. Le prophète doit être un « veilleur » qui avertit les exilés, en tant qu’individus, du danger qu’ils courent de perdre leur héritage dans le royaume de Jéhovah. À la fois théologien et poète, Ézéchiel, d’après une théorie qui lui est propre, représente Jéhovah comme un souverain absolu qui se révèle « pour l’honneur de son nom ». Sa théologie, sans doute, est un peu rude et autoritaire, mais nous devons admettre qu’au milieu de l’écroulement général, l’idée de la puissance prodigieuse et des desseins immuables de Dieu était la source suprême de l’inspiration. Un homme tel qu’Ézéchiel, possédant de fortes convictions, une fermeté inébranlable, une foi que rien ne faisait faiblir et des dons oratoires, devait laisser sur sa génération et sur celles qui la suivirent une empreinte ineffaçable (Ézéchiel 33.32 et suivant).

Voici maintenant une autre personnalité éminente de cette époque. On ignore son nom (on l’appelle généralement le second Ésaïe), et l’on ne sait au juste où se place sa carrière, mais son message miséricordieux demeure, parole de consolation et d’espérance qui traverse les âges (Ésaïe 40 à Ésaïe 55) - L’accent a complètement changé, les menaces terribles d’autrefois ont disparu, le prophète a entendu l’appel : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Ésaïe 40.1). La situation est claire : Jérusalem est en ruines, elle doit être rétablie et rebâtie. Le rôle historique et religieux de l’auteur est déterminé par les événements contemporains, les qualités particulières de son style et son monothéisme avancé. Cette partie d’Ésaïe (Ésaïe 40 à Ésaïe 55), qui commence par exalter la Parole de Dieu (Ésaïe 40.8) et se termine de même (Ésaïe 55.11), peut porter le nom de livre à cause de l’unité spirituelle qui relie ces chapitres entre eux. Ce n’est pas un exposé logique, mais une série de poèmes entremêlés de courtes poésies lyriques et composés sur deux thèmes principaux : Israël, le serviteur de Jéhovah, et Sion, l’épouse de Jéhovah. Que le premier thème appartienne ou non au recueil original, il est en harmonie avec l’enseignement général qui se dégage de l’ensemble et nous transporte sur les sommets les plus élevés de la révélation de l’Ancien Testament (voir Évangile). Cette prophétie est pleine de voix ; nous les entendons gémir ou chanter, nous saisissons l’avertissement qu’elles adressent à la conscience, nous écoutons leur tendre et apaisant appel au cœur attristé (Ésaïe 40.2). Ces voix sont aussi des échos, des reflets du cri des païens en détresse (Ésaïe 41.6), ou des murmures des Israélites dans leur désespoir (Ésaïe 40.27). Mais la voix qui domine est celle des prophètes et des hérauts annonçant le message de paix et d’espérance de la part du Dieu rédempteur (Ésaïe 52.1). Comment une nation abattue et dispersée sera-t-elle sauvée du désespoir et consolée ? La réponse nous est donnée, dans Ésaïe 40, par une affirmation puissante de la grandeur de Dieu. Ce réconfort n’est pas fait seulement de paroles musicales et joyeuses, il renferme une force : la situation présente est liée aux plans éternels de Dieu. Merveilleusement approprié à ces desseins, le grand manifeste du chapitre 40 proclame que le Dieu d’Israël est le créateur du monde, le guide de son histoire, le maître de toutes les formes variées de la vie. Les Babyloniens pouvaient, même alors, adorer les étoiles, mais que sont-elles, sinon les créatures de Jéhovah qui vont et viennent à son appel (Ésaïe 40.26) ? L’homme ne peut rien par lui-même, le secours doit venir de Dieu, nul sacrifice n’est suffisant (Ésaïe 40.16). Il n’a pas besoin d’holocaustes ; le pardon, la rédemption sont offerts gratuitement. L’initiative vient tout entière de Dieu. Il s’abaisse pour relever ceux qui sont tombés et leur communique de nouvelles forces. Mais cette élection divine n’est pas seulement un privilège, elle implique une responsabilité. Israël doit être la lumière qui éclairera les nations. Que les poèmes du « Serviteur de l’Éternel » soient interprétés à un point de vue individuel ou à un point de vue collectif, ils élèvent à un plan supérieur l’idée de substitution en montrant que ses souffrances ne doivent pas être considérées comme un châtiment, mais revêtir le sens d’une immolation volontaire (Ésaïe 53.3 et suivant).

Nous touchons ici aux sommets qui dominent la vie banale de chaque jour. Il nous faut redescendre dans la plaine et nous demander comment le peuple envisageait ces problèmes. Le fait que ces livres soient parvenus jusqu’à nous prouve qu’ils ont bien rempli leur mission. Désormais le devoir primordial des Juifs était de les conserver pour eux-mêmes et pour l’humanité. La complainte du Psaumes 137.4 : « Comment chanterions-nous les cantiques de l’Éternel sur une terre étrangère ? » exprime bien l’état de leur âme en cette période de découragement et de désorganisation. Élie signifie : comment pourrions-nous conserver notre religion et notre culte, alors que nous sommes séparés de la Terre sainte et contraints de vivre au milieu d’étrangers « impurs » ? Nous n’affirmons pas que ces pensées fussent discutées de façon aussi explicite. Les opinions divergeaient sans doute. Tous les Juifs de cette époque n’étaient pas « Sionistes » ; mais, bien que le judaïsme ne soit jamais devenu la religion universelle, ils s’en rapprochaient en apprenant qu’on peut adorer Dieu en dehors de son temple et que les sacrifices spirituels ont autant de valeur que les sacrifices matériels (Psaumes 50.13 ; Psaumes 51.16 ; Psaumes 51.19). Sans énoncer des idées absolues, nous pouvons dire que l’exil exerça sur le peuple israélite une triple influence :

  1. Il le rendit commerçant. Le Juif n’a pas toujours été un marchand ; il était, à l’époque la plus ancienne, un nomade et un guerrier ; puis il devint cultivateur du sol, chacun ayant pour idéal de pouvoir vivre sous sa vigne et son figuier, nul n’osant le menacer dans son bien. Lorsqu’il fut, malgré lui, poussé dans le vaste monde, le Juif fut obligé de s’adonner au commerce (voir ce mot), avec une énergie nouvelle et sur une plus vaste échelle. Depuis lors la possibilité de prendre racine dans des pays étrangers lui fut rarement offerte. En tant que commerçant il poursuivait un but utilitaire, menant une vie à part dans les grands empires où il s’était établi.
  2. Le Juif n’était pas précisément un missionnaire ; il ne disposait d’aucune organisation pour répandre sa foi parmi les païens. L’idée missionnaire trouve une expression dans certaines prophéties. Dans Ésaïe 2.2 ; Ésaïe 2.4, la puissance d’attraction de la vraie religion, centralisée à Jérusalem, incline les nations à apprendre les leçons de la justice et de la paix. Et, dans Ésaïe 42.1-4, l’éducateur débonnaire, animé de l’Esprit divin, doit « établir la justice sur la terre, et les îles mettront leur confiance en sa loi ». Il fallut attendre la religion chrétienne pour voir cette prophétie s’accomplir. Dans les pays étrangers le peuple juif dut adopter des formes simples de culte, de louanges, de prière et d’étude de l’Écriture sainte auxquelles s’adaptèrent les générations suivantes. Les communautés juives dispersées pouvaient être méprisées par ceux au milieu desquels elles vivaient, elles n’en gardaient pas moins la conviction de leur supériorité. Les Juifs se réjouissaient à la pensée qu’ils étaient seuls à posséder les « oracles de Dieu », et, à l’heure même où ils revendiquaient le monopole de si grands trésors, ils frayaient inconsciemment la voie à un nouveau mouvement missionnaire (Actes 12.24).
  3. Le Juif, au point de vue littéraire, avait, avant la captivité de Babylone, des livres et des scribes ; mais après cet événement mémorable, ces éléments littéraires jouèrent un rôle plus considérable dans la vie et la religion du peuple. Les Juifs qui revinrent dans leur ancienne patrie avaient appris à apprécier davantage le livre. La production littéraire avait été jusque-là lente et progressive ; la formation d’un « canon » ou recueil des livres « sacrés » reçut alors une impulsion nouvelle. La religion dont le livre est le centre tend à devenir rigide et formaliste, mais sur un plan intellectuel et spirituel plus élevé qu’une simple routine rituelle. Les Juifs, au cours des générations suivantes, travaillèrent laborieusement à réunir les fragments épars de la littérature sacrée et luttèrent avec l’énergie du désespoir pour les préserver de la destruction, accomplissant ainsi une œuvre plus grande qu’ils ne le soupçonnaient et se faisant les serviteurs de Dieu et des hommes.

VIII Le judaïsme après l’Exil

Nous n’avons pas de précisions quant au nombre des Juifs revenus à Jérusalem et de ceux qui furent dispersés au loin. Nous savons qu’à une époque antérieure des Juifs vivaient en Égypte, et qu’un certain nombre d’autres (sans doute ceux qui appartenaient au parti favorable à l’Égypte) vinrent y chercher un refuge après la grande catastrophe. Une fraction importante de l’élite de la nation fut transportée à Babylone, d’autres restèrent attachés à leur sol natal. Ainsi commença la dispersion (voir Diaspora), qui continua, même après que la ville sacrée eut été rebâtie, et s’étendit jusque sur es territoires grecs et romains. Babylone, cependant, restait le centre le plus important de la vie du peuple juif, et c’est de là qu’elle devait renaître.

Le nouvel empire babylonien était sous la dépendance de son fondateur Nébucadnetsar. Quand il mourut en 561, après avoir régné pendant quarante-trois ans, le déclin fut rapide et la fin fut consommée vingt ans après, deux des quatre derniers rois ayant été assassinés. Cyrus entre alors en scène et se rend glorieux par ses victoires et ses conquêtes (Ésaïe 41.2-23 ; Ésaïe 45.1). Par lui le gouvernement du Proche Orient passe de la race sémitique à la race aryenne ; il se maintiendra pendant les deux siècles suivants. La Perse domine un vaste empire. Cyrus, probablement pour des motifs politiques, permit aux Juifs de retourner en Palestine. Il désirait avoir aux confins de l’Égypte un peuple ami. Quelles que fussent ses raisons, ce geste fraya la voie à la restauration du judaïsme. Dans les limites de l’empire perse pouvait se développer une nation dont tous les intérêts étaient concentrés dans sa religion.

Nous voici de retour à Jérusalem où, en l’an 520 environ, un autel fut élevé au culte de Jéhovah. Nous avons ici trois prophètes à mentionner : Malachie (s’il n’est pas un personnage fictif), Aggée et Zacharie. Ceux-ci exercèrent leur ministère du temps du gouverneur Zorobabel, et de Jéhosua, grand-prêtre. Leur mission diffère de celle des premiers prophètes ; au lieu de dénoncer l’idolâtrie, ils devaient encourager le peuple à rebâtir le temple et à pourvoir à son entretien (Aggée 1.4-9 ; Aggée 2.3) ; Aggée lui déclare qu’il souffre parce qu’il n’a pas rempli son devoir envers la maison de Dieu. La prophétie Aggée 2.6-9 ne peut être regardée comme messianique ; elle prédit qu’après le cataclysme qui approche et ébranlera la terre, la gloire du second temple sera plus grande que celle du premier, et que les trésors afflueront vers lui (cf. Hébreux 12.26). La partie authentique du livre de Zacharie est une admirable prédication, un message de réconfort approprié aux besoins de la nation qui lutte (Zacharie 11.4). La paix règne sur la terre mais le jugement est proche, les peuples qui ont opprimé les Juifs seront écrasés, la cité n’aura pas besoin de muraille, car Dieu sera pour elle comme une muraille de feu dont elle sera entourée (Zacharie 2.5), et ses places seront remplies de jeunes garçons, de jeunes filles et de paisibles vieillards (Zacharie 8.4). Pendant la période la plus difficile, sous le règne de Darius, ces hommes remplirent leur mission en contribuant au relèvement d’Israël. Le troisième prophète, Mala-chie, appartient à une époque postérieure, bien que les circonstances soient presque semblables ; il réclame un clergé de mœurs plus pures (Malachie 2.1-10), un état social plus noble (Malachie 2.10-17), le paiement honnête des dîmes (Malachie 3.7 ; Malachie 3.12). Mais combien le style est différent ! nous ne trouvons pas, dans les livres précédents, ce ton de discussion scolastique. Cette méthode d’instruction et de raisonnement ne ressemble pas aux appels passionnés des grands prophètes, elle manque d’idéal. Çà et là jaillissent de brillants éclairs, mais il n’y a, dans le style, ni mouvements rapides, ni puissants coups d’aile. On peut dire que ce livre renferme des enseignements plutôt que de la prophétie (cf. certains passages de Ésaïe 56 à Ésaïe 66). Ainsi la reconstruction du temple, la fondation de l’Église juive sont entourées de circonstances très défavorables. La pauvreté du peuple, l’hostilité de ses voisins, les désillusions causées par les brillantes prophéties si imparfaitement accomplies, tout contribuait à inspirer un découragement profond. Le secours vint d’abord de Babylone, et plus tard d’ailleurs ; mais, dans ses premières phases, la lutte fut rude.

Un nouveau mouvement de grande importance nous amène au milieu du siècle suivant lorsque, la réforme deutéronomique étant achevée, le code sacerdotal pénétra la vie de la nation et régla tous les services et l’entretien du temple. Ce code s’était lentement développé. Les « lois de sainteté » (Lévitique 17 à Lévitique 26) sont antérieures à Ézéchiel, et le code sacerdotal qui les compléta fut certainement influencé par ce prophète. Le chapitre qui l’introduit (Genèse 1 ; Genèse 2.4) montre que la notion la plus élevée du monothéisme a été atteinte. Un seul Dieu est créateur du monde, des cieux et de la terre et de toutes les manifestations de la vie sur la terre et dans les mers. Cette loi fut lue publiquement et acceptée aux jours d’Esdras et de Néhémie (Néhémie 8). On ne pourrait exposer en quelques phrases les importants débats auxquels a donné lieu la mission de ces deux hommes. La réalité de l’existence d’Esdras a même été mise en doute. On a vu en lui la personnification de l’activité des scribes, si féconde à cette époque et dans celle qui suivit. Cette opinion ne paraît pas plausible. Tout le mouvement concernant les scribes doit s’être incarné en des formes réelles et non fictives. Le patriote Néhémie fut certainement un homme en chair et en os, dont l’histoire nous est parvenue avec toute la réalité de la vie (Néhémie 1). À eux deux, Esdras et Néhémie entreprirent un travail complexe :

  1. La construction de la muraille qui devait les protéger contre des voisins inquiétants.
  2. La condamnation des « mariages mixtes », procès laborieux qui fut conduit avec rudesse et intolérance.
  3. La séparation tranchée d’avec les Samaritains, dont la religion était regardée comme impure.
  4. L’affirmation des principes de l’orthodoxie légale.

Seuls des hommes de caractère ferme et des règles sévères pouvaient préparer le judaïsme aux luttes violentes qu’il avait encore à livrer. La Judée était un petit pays fermé aux relations extérieures, vivant sa vie propre, portion insignifiante du grand empire perse. Les destinées de cet empire jusqu’en 333 relèvent de l’histoire profane, qui raconte la tentative d’invasion de l’Europe brisée par la résistance héroïque des Grecs (Marathon, 490 ; Salamine, 486).

Il dut y avoir à cette époque une grande activité littéraire, bien que nous ignorions les noms de ceux qui, sous l’influence des idées ecclésiastiques qui se firent jour plus tard, récrivirent l’histoire dans les livres des Chroniques ou composèrent les Proverbes, importante contribution aux « Livres sapientiaux ». Les uns sont un monument du judaïsme, les autres une règle pratique de conduite pour toutes les circonstances de la vie. Le livre des Psaumes, dans sa forme actuelle, est postérieur à l’exil, bien que certaines parties lui soient antérieures. Les Psaume 1 ; Psaumes 19.8-14, Psaume 119, qui glorifient « la Loi », appartiennent à l’époque où la Thora fut complétée. Les Psaumes 8 et 104 semblent s’appuyer sur Genèse 1 ; le Psaume 139 est un long développement de l’idée religieuse ; le Psaume 73 traite le même sujet que le livre de Job, il est postérieur à Jérémie ; les Psaumes 50 et 51, avec leur notion de la spiritualité du sacrifice, appartiennent probablement à la même époque. Des hymnes chantés pendant les fêtes autour des autels peuvent avoir survécu aux générations précédentes, mais les poèmes théologiques et de caractère personnel sont plus récents. Les Psaumes doivent leur puissance stimulante aux poèmes inspirés par les sentiments si intenses du prophète Jérémie et aux poésies lyriques du second Ésaïe.

Les grandes discussions passionnées sur le problème de la souffrance, contenues dans le livre de Job, appartiennent à cette époque. Elles peuvent être un écho des souffrances de la nation ; en réalité c’est bien un problème personnel qui est posé. Comme introduction à ses poèmes, l’auteur peut s’être servi de la simple histoire de « Job le patient », mais son Job à lui ne l’était pas. Anciens et modernes ont transformé sa patience en discours téméraires allant jusqu’au blasphème. On a dit avec raison que ce livre est une protestation contre l’idée que toute souffrance provient du péché. Il est cela, mais il est plus encore : il montre que ce problème est plein de mystères et ne peut être résolu par des débats irritants. On est surpris que le judaïsme ait pu produire un tel livre ; peut-être sa conservation n’est-elle due qu’à certains passages destinés à adoucir les angles et à le rendre plus conforme à la saine orthodoxie. De l’avis unanime, le livre de Job est l’un des plus beaux qui existent ; il affirme dans un style admirable le droit que possède l’âme brisée, éperdue, d’en appeler directement à Dieu, le Juge suprême (Job 23.3 et suivant). Si nous y joignons les deux courtes et belles histoires de Ruth et de Jonas, nous avons une démonstration plus complète encore de l’universalité du judaïsme, au sein duquel le légalisme, par certains de ses côtés, devenait de plus en plus étroit. Le livre de Ruth, qu’il contienne ou non un enseignement particulier, montre que l’art de la narration n’était pas mort : largeur d’esprit, bonté à l’égard de l’étranger, simplicité et charme idylliques l’animent. Dans le livre de Jonas nous trouvons « l’idée missionnaire ». Il tourne en ridicule l’opinion que la prophétie est l’affaire du seul prédicateur et que sa réputation a plus d’importance que la miséricorde de Dieu envers ceux qui se repentent. « Le grand poisson » est une image hardie au sujet de laquelle on a perdu trop de temps (Jérémie 51.34). Que ce livre représente ou non Israël menacé d’infidélité à sa vocation missionnaire, ou qu’il soit une protestation contre le prédicateur qui, dans son zèle ignorant, oublie que Dieu et l’humanité sont plus grands que les systèmes théologiques, l’ouvrage renferme un enseignement immortel (Jonas 4.9 ; Jonas 4.11).

IX L’empire grec et les Juifs

Un autre personnage important entre maintenant en scène : Alexandre le Grand (356-323), fils de Philippe de Macédoine qui, s’étant rendu maître de la Grèce, se tourna du côté de l’Orient. Ayant vaincu les armées de Darius dans deux batailles décisive : au Granique (333) et à Issus (332), il vit le vaste empire perse livré à sa merci. Malgré sa mort prématurée à l’âge de 35 ans, et quoique sa brève carrière militaire n’ait pas satisfait toutes ses ambitions, elle exerça sur la civilisation mondiale une influence somme toute salutaire en rapprochant étroitement deux races différentes. Nulle part ailleurs les conséquences de ce rapprochement ne sont plus visibles que dans l’histoire du peuple juif. À la mort d’Alexandre (voir ce mot), le vaste empire qu’il avait conquis fut partagé entre ses généraux. Les deux fractions de ce partage qui nous intéressent sont l’Égypte et la Syrie, gouvernées par les Ptolémées et les Séleucides. Ainsi commença la période grecque de l’histoire des Juifs. Pendant le premier siècle après la mort d’Alexandre, la Palestine, placée sous la domination égyptienne, semble avoir été traitée avec justice. Les intrigues et les guerres étaient fréquentes entre l’Égypte et la Syrie (Daniel 11) et les Juifs, une fois de plus, servirent de gage à deux puissants acteurs. Plus grave que ces misérables querelles était le conflit spirituel entre l’hébraïsme et l’hellénisme. La ville d’Alexandrie (voir ce mot) fut bâtie et devint un centre commerçant et intellectuel très important. Ses habitants comprenaient des Égyptiens, des Grecs et des Juifs ; la langue et la culture grecques prédominaient. Les Juifs, qui furent encouragés à s’y établir, formèrent une partie notable de la population et furent amenés à demander une traduction grecque des écrits hébraïques. La première traduction de la Bible (dite des LXX ou Septante) remonte à 250 environ avant Jésus-Christ. La raison principale était sans doute que les Juifs avaient besoin de posséder leur loi dans la langue qu’ils parlaient habituellement. Ils ne tardèrent pas à vanter sa supériorité et son caractère original et à la comparer avec d’autres législations anciennes. Ce travail demanda un temps considérable. Les livres traduits les premiers et auxquels ils -attachaient le plus d’importance furent les cinq qu’ils attribuaient à Moïse. Bien qu’elle ne fût pas écrite dans le grec le plus pur, cette traduction servit un but élevé, devint la Bible des Juifs dispersés et fut plus tard utilisée, même en Palestine. L’apôtre Paul et les premiers chrétiens en firent un grand usage. La langue et les mœurs grecques s’étaient largement répandues en Égypte, en Palestine et en Syrie. L’influence du théâtre, des jeux du cirque et des écoles grecques se faisait sentir. Nous ne pouvons raconter avec précision l’histoire de la Synagogue (voir ce mot) à ses débuts. Mais nous savons que la religion des Juifs commençait à être enseignée, que, spécialement dans les localités éloignées du temple, on comprenait le devoir d’étudier les Saintes Écritures et d’instruire la jeunesse. Ainsi deux formes différentes de la pensée et de la vie allaient bientôt se trouver en présence et les conséquences de cette rencontre devaient se prolonger dans l’humanité. L’hellénisme n’était pas du type le plus pur, mais sa spontanéité, sa souplesse attiraient les jeunes intelligences, qui commençaient à trouver le joug de la loi lourd et fastidieux. Il y eut ainsi, au IIIe siècle, une période de calme relatif, de prospérité croissante, de « pénétration pacifique ». Juifs et Grecs se trouvaient réunis, prenaient part à l’activité civique et partageaient les mêmes divertissements. Ce fut certainement un danger pour le judaïsme traditionnel. Son histoire a maintes fois prouvé que le bien-être et la prospérité lui furent plus nuisibles que les souffrances et les persécutions. À la fin de ce siècle fut écrit le livre remarquable de l’Ecclésiaste ; il l’aurait difficilement été avant la période grecque. C’est l’œuvre d’un Juif dont le scepticisme et le pessimisme, sans être entièrement nouveaux, sont exposés dans un style moderne qui trahit l’ambiance grecque. La langue de cet ouvrage, fortement imprégnée d’araméen et apparentée aux formes rabbiniques, prouve qu’il parut à une époque tardive et que son attribution à Salomon n’est qu’une invention littéraire. Il n’est puissant ni d’esprit ni de style, mais la période qui le suivit est l’une des plus héroïques de l’histoire des Hébreux. L’influence grecque était considérable et certains pensent qu’elle aurait pu saper lentement l’édifice entier de la loi. Toutefois, lorsqu’une dure épreuve fut imposée aux membres pieux de la nation, on vit bien que le fondement du judaïsme avait été solidement établi.

Au début du siècle suivant, la Palestine passa de la domination égyptienne à la syrienne. L’établissement d’un gouvernement égyptien à Jérusalem avait irrité les Juifs ; ils pensaient qu’ils seraient plus heureux sous le gouvernement des Séleucides. Après l’avoir été, au début, ils furent bientôt menacés, non de tracasseries insignifiantes, mais de la perte totale de leur religion. Si la nation avait été assez étroitement unie pour présenter un front résistant et avait mis sa vie sociale en harmonie avec les principes de probité et de justice enseignés par les prophètes, le péril eût été moins grand. Le parti helléniste favorisait l’influence grecque et désirait la développer. On y trouvait beaucoup de jeunes prêtres qui s’intéressaient davantage aux exercices athlétiques du cirque qu’aux devoirs sacrés de leur ministère. De nombreux Juifs montrèrent bientôt où allaient leurs préférences en échangeant leurs noms hébreux contre des noms grecs. Ainsi Jésua ou Jésus devint Jason. L’une des pratiques qui révoltèrent le plus les Juifs pieux fut le trafic de la charge de grand-prêtre. Au début du règne d’Antiochus IV, un frère d’Onias II le grand-prêtre honoré, avait pris, afin d’être nommé à sa place, le nom de Jason ; il avait offert de payer un tribut plus élevé et promis de donner une somme importante pour la construction d’un gymnase à Jérusalem. Lorsqu’on commence à user de tels procédés, la place est acquise au plus offrant ; des membres du clergé juif doivent se partager la honte d’avoir ainsi déshonoré l’office sacré. La vie nationale était affaiblie et en proie au désordre. Un certain Joseph, fils de Tobie, l’un des premiers « péagers » ou receveurs généraux des impôts, réussit à conserver sa situation pendant vingt-deux ans, amassant de grandes richesses grâce à ses extorsions, et les faisant servir à des usages dépravés. Il laissa un fils, Hyrcan, aussi habile et aussi peu scrupuleux que lui-même. Le problème de la prospérité des méchants pesait lourdement sur les âmes fidèles (Psaumes 73.3-8). « Riche » semblait presque être devenu synonyme de « méchant », et « pauvre » de « pieux » (Luc 6.20 et suivants). Il semblait qu’avec de si nombreuses causes de faiblesse à l’intérieur, la religion dût être impuissante à réagir, mais les événements prouvèrent que tant d’années d’épreuves n’avaient pas été vaines.

Au début du IIe siècle, la puissance croissante de Rome compliquait la situation internationale. Antiochus le Grand (voir article) dut signer une paix humiliante et payer un tribut aux Romains, ce qui entraîna une aggravation des impôts prélevés sur la Syrie et la Palestine et souvent même des vols commis dans les temples, qui étaient les maisons de banque de l’époque. Antiochus IV monta sur le trône en 170 ; il avait été retenu à Rome, comme otage. Son frère obtint qu’il fût relâché ; mais avant son retour, ce frère ayant été assassiné, la royauté lui échut. Cet Antiochus, appelé soit Épiphane (l’Illustre) soit Épimane (l’Insensé), méritait ces deux titres. Il était énergique, habile, mais aussi farouche et inconstant. Ce fut lui qui accéléra le conflit d’où devait sortir ou la mort du judaïsme ou sa vivante rénovation. Le parti helléniste était favorable au roi et, sans vouloir renoncer à son culte, désirait être « tolérant », acceptant de voir Jérusalem devenir à bien des égards une ville païenne. Ménélas, qui n’appartenait pas à la tribu sacerdotale, étant devenu grand-prêtre à la faveur de l’intrigue et du vol, une violente dissension intérieure en fut la conséquence. On peut en trouver les détails dans 1 Macchabées écrit historique de valeur. Deux ans après que le temple eut été dévalisé (168), Antiochus IV instaura par décret le culte et la constitution civile helléniques à Jérusalem. La ville fut livrée au pillage, brûlée et beaucoup de ses habitants furent chassés. Le comble de l’outrage fut l’érection d’un autel païen (au mois de kis-lev, le 25 décembre), pour y sacrifier des porcs, animaux impurs, sur l’autel même des holocaustes (l’abomination de la désolation de Daniel 9.27 ; Daniel 12.1, Matthieu 24.15). Les livres sacrés devaient être détruits, l’observation de la loi mosaïque était un crime ; dans beaucoup de cas il fallait choisir entre l’apostasie et la mort. L’heure était critique ; et pourtant, en dépit de ces persécutions, le judaïsme triompha du danger qui, pendant la longue période de paix sous la domination des Ptolémées, l’avait souvent menacé de perdre la conviction qu’il était le peuple élu à qui Dieu avait confié une mission toute spéciale.

X De la révolte des Macchabées à la domination romaine

Un vieillard de famille noble, sacerdotale, Mattathias, vivait avec ses cinq fils à Modein, au nord-est de Lydde. Des envoyés du roi y vinrent et le désignèrent pour présider à l’offrande d’un sacrifice idolâtre. Au lieu de cela il tua le Juif qui avait offert le sacrifice et leva l’étendard de la révolte. « Que ceux qui ont du zèle pour la loi et gardent l’alliance, me suivent ! » Il ne vécut pas longtemps, mais ses valeureux fils étaient capables de continuer son œuvre. Ils furent suivis par un grand nombre de membres pieux de la communauté, les hasidéens, et par d’autres, mécontents du gouvernement syrien. Le nom de famille de ces chefs était celui d’Asmonéens et ils reçurent celui de Macchabées (voir article), — allusion sans doute au mot « marteau ». Tel, dans l’histoire de France, Charles, surnommé Martel. Judas, grand soldat et grand patriote, est une des plus nobles figures de l’histoire. Sa petite armée avait l’avantage de bien connaître le pays et de pouvoir soit attaquer hardiment, soit faire une guerre de guérillas. Il remporta de magnifiques victoires et, trois ans, jour pour jour, après la profanation du temple, tandis que ses soldats tenaient en échec la garnison syrienne de la citadelle, il purifia les lieux sacrés. Les Syriens avaient de leur côté des difficultés et trouvèrent avantageux de conclure la paix. S’ils eussent, ainsi que les Hellénistes, profité de la leçon et fait preuve de modération, les choses auraient pu continuer comme par le passé. La partie pieuse de la nation se contenta de la liberté religieuse et ne désira pas avidement une indépendance politique, la religion beaucoup plus que la politique étant son suprême intérêt. Les Macchabées savaient fort bien qu’il fallait à leur liberté religieuse un fondement plus solide que les vagues promesses des Syriens et des Hellénistes. Lorsque de cruelles représailles devinrent à nouveau le mot d’ordre, il fallut livrer bataille jusqu’à la mort. En mars 161, Judas Macchabée, écrasé par des forces supérieures, fut vaincu et tué. Ses frères, Jonathan et Simon, moins nobles que lui de caractère, étaient des guerriers et des diplomates habiles. La sombre histoire de cette période misérable d’intrigues et de trahisons s’éclairait parfois d’actes valeureux et de ferveur patriotique. Un fait demeure lumineux, c’est que tous ces frères qui périrent de mort violente furent les fondateurs d’une dynastie et d’un royaume nouveaux. Les divisions intestines de la Syrie facilitèrent leur entreprise et permirent à Jean Hyrcan Ier, fils de Simon, de poursuivre une politique agressive. Il organisa des forces militaires considérables et fonda un royaume dont l’importance n’avait pas été égalée depuis les jours de Salomon. À propos des deux fils et successeurs de Jean Hyrcan, l’union du pouvoir sacerdotal et du pouvoir séculier a pu être comparée à la pire période de la puissance temporelle des papes. Il n’est pas nécessaire de continuer le récit de cette histoire tourmentée jusqu’au moment (40 avant Jésus-Christ) où Hérode « le Grand », grâce à l’intrigue et au secours de Rome, devint gouverneur de la Judée.

La formation du canon de l’Ancien Testament était alors à peu près achevée et les livres apocryphes (voir ce mot) commençaient à paraître. Les différentes classes de la nation existaient telles que nous les révèle le Nouveau Testament : les scribes, ordre important, laïques consacrés à l’étude de la loi ; les pharisiens, groupe « séparé », successeurs de la fraction « pieuse » de la nation, souvent en conflit avec les politiciens ; et les Sadducéens, parti sacerdotal officiel dont la religion était plus formaliste que spirituelle. En présence de tant d’éléments opposés, comment espérer l’établissement du « Royaume de Dieu » dans la stabilité et la paix ?

Il faut mentionner brièvement la littérature eschatologique comme l’un des traits marquants de la période qui suivit l’exil. Traitant de la vigilance nationale, elle remplaça et, en un sens, continua la mission orale des anciens prophètes, mais sous une forme moins spirituelle et moins noble. Elle semble, avec Ézéchiel, s’épanouir brusquement. En réalité, ses racines plongeaient plus avant dans la pensée de la prophétie hébraïque. La prédiction d’Ézéchiel, relative à la reconstruction du temple avec les services qui en dépendaient, a reçu son plein accomplissement mais sous une forme différente du tableau qu’il s’en était fait ; son livre contient aussi une vision mythologique des puissantes forces hostiles du monde réunies pour que, conformément à la volonté de Jéhovah, leur destruction fût le prélude d’une paix durable. Jérémie et le second Ésaïe croyaient que le temple serait relevé et qu’un « reste » survivrait, mais ils n’étaient pas fascinés par la perspective de l’anéantissement des païens. Aggée et Zacharie semblent avoir subi l’influence d’Ézéchiel ; leurs prophéties simples et brèves annoncent un prochain ébranlement du monde d’où sortiront pour Israël de plus grandes bénédictions.

Les chapitres 24 à 27 d’Ésaïe, écrits à une date incertaine, probablement sous la domination perse, sont un remarquable morceau littéraire, ayant sa langue et sa théologie particulières. De merveilleux poèmes y sont enchâssés (Ésaïe 25.6 ; Ésaïe 26.1 ; Ésaïe 27.2 ; Ésaïe 27.6, chant qu’on peut comparer au cantique de la vigne : Ésaïe 5.1-9). L’Éternel vient pour juger les nations et délivrer son peuple (Ésaïe 26.20 et suivant) ; alors, quand sonnera la trompette, les exilés de l’Assyrie et les proscrits de l’Égypte viendront adorer Jéhovah sur sa montagne sainte à Jérusalem (Ésaïe 27.13). La même inspiration anime les chapitres 9-14 de Zacharie, bien qu’ils soient postérieurs. L’unité de composition de cette section est douteuse : Zacharie 9.13 fait peut-être allusion à la période grecque. Cet ouvrage renferme beaucoup de passages qui ont reçu une interprétation et une application messianiques, et une prophétie bien nette de l’affranchissement tant des Judéens que des Israélites (Zacharie 10.6-12).

Mais c’est le livre de Daniel qui est considéré comme le modèle achevé d’une apocalypse. Il se compose de récits et de visions écrits en deux langues différentes, problème qui n’a pas encore été élucidé. Il place son héros à Babylone et lui fait prédire les malheurs de l’époque des Macchabées. Probablement écrit vers l’an 168, il contient aussi des traditions antérieures. On ne sait rien de la présence d’un Daniel à Babylone ni d’une persécution dans cette capitale. Le livre de Daniel est bien au courant des affaires politiques de son temps et, jusqu’à un certain point, des faits concernant l’Égypte et la Syrie ; mais pour les périodes babylonienne et perse, il semble ne s’appuyer que sur des traditions vagues et incertaines. Il n’est pas douteux que ceux qui, les premiers, lurent ce livre ou les portions qui en circulaient, en pénétrèrent aisément le symbolisme et puisèrent dans ces prédictions consolation et espérance. La croyance en l’existence des anges et en une résurrection, tout au moins partielle, indique une époque postérieure. Le livre de Daniel, si on l’étudié comme un message adressé aux contemporains et non comme une anticipation littérale du long processus de l’histoire, reste très vivant.

L’espérance messianique appartient à cette partie du sujet que nous traitons ici. Beaucoup d’ouvrages savants ont été écrits sur cette question ; l’influence d’une certaine critique tend souvent à en diminuer l’importance. D’une façon générale, les passages qui parlent d’un temps de paix et de bénédictions à venir et nous présentent le tableau idéal d’un roi juste régnant sur un peuple fidèle, ont trait à cette espérance, ainsi que les textes qui prédisent que Jérusalem glorieuse et puissante deviendra le centre de la vie religieuse du monde (Ésaïe 9.1 ; Ésaïe 9.6 ; Ésaïe 11.1 ; Ésaïe 2.2 ; Ésaïe 2.4 ; Ésaïe 25.6 ; Ésaïe 25.8). Revendication de l’universalité : « tous les peuples », mais aussi limitation : « sur cette montagne ». La note dominante en est l’espérance d’un grand roi, représentant de Jéhovah et sauveur de son peuple. Parfois c’est Jéhovah lui-même que l’on se représente comme le véritable roi exerçant le pouvoir sur son peuple. Enfin, la notion de ce roi fut personnifiée dans « l’Oint de Dieu » (le Messie) et si les Hébreux n’allèrent pas jusqu’à déifier leurs rois comme les autres nations orientales, ils considérèrent leur personne comme sacrée et leur puissance comme émanant directement du ciel. Le fait que la dynastie de David se maintint invariablement sur le trône jusqu’à l’exil, confirma l’espérance qu’elle serait restaurée en la personne d’un de ses descendants.

C’est dans Ésaïe 53 qu’il nous faut chercher la notion d’un « Messie souffrant ». Il a été très diversement commenté, mais les savants chrétiens qui l’interprètent dans un sens national, croient cependant que Jésus-Christ est la suprême réalisation du serviteur de l’Éternel idéal, annoncé par le prophète. Nous devons admettre que les auteurs du Nouveau Testament ont le droit de donner un sens spirituel à certains passages s’appliquant à leur Maître ; ces passages ne peuvent être considérés de façon mécanique, dans leurs moindres détails, comme une prédiction. Mais ce qui reste vrai, c’est que l’esprit de la prophétie est un témoignage à Jésus-Christ (voir Serviteur de l’Éternel).

Conclusion

En approchant du terme de notre étude, nous comprenons mieux que l’explication de tout le mystère réside dans l’élargissement et la purification de la conception de Dieu au cœur de Juifs indomptables dans leur foi et inspirés dans leur méditation. La question était religieuse, non politique, et devait arriver à être libérée de considérations étrangères ou simplement nationales. Seul parmi beaucoup d’autres, Dieu était devenu le Dieu unique de son peuple et, grâce à l’enseignement spirituel de ses serviteurs, était regardé comme le Dieu du ciel et de la terre, le Dieu de l’univers. Ainsi fut abandonné le culte grossier et sensuel qui prédominait autrefois. Jéhovah demandait la miséricorde et non les sacrifices, les actions de grâces et la louange pouvaient en tenir lieu, le sacrifice suprême était un cœur brisé (Psaumes 51.18 et suivant). La parole : « l’obéissance vaut mieux que le sacrifice » commençait à être comprise et à recevoir une application plus large. Le passage remarquable Psaumes 40.8 et suivant est placé par un écrivain plus récent, qui lui donne un sens messianique, dans la bouche du « Fils de Dieu » et cet écrivain ajoute : « Il abolit ainsi le premier ordre de sacrifices pour établir le second » (Hébreux 10.4-9). Il en est de même de l’idée du péché ; de plus en plus l’accent est mis sur les violations de la justice plutôt que sur les infidélités dans l’observance des rites. Il est vrai que toutes les ordonnances concernant le temple subsistaient, minutieusement réglementées, aussi bien que le grand jour de confession et d’expiation nationales (voir Fêtes), et que la casuistique et les subterfuges pour se soustraire aux lois gênantes ne manquaient pas. Mais une piété réelle et une dévotion paisible devaient habiter les maisons juives, et il ne faut pas juger le pharisaïsme d’après ses pires représentants. Lorsqu’un peu plus tard disparut l’organisation tout entière édifiée sur le sacrifice, la piété juive survécut et montra sa remarquable ténacité. C’est par les éléments de vérité et de vie saine qu’il possède, qu’un grand système résiste à l’épreuve du temps.

La croyance en l’immortalité personnelle (voir Eschatologie) ne progresse guère dans l’Ancien Testament. Le royaume de Dieu est une perspective nationale qui doit se réaliser en Palestine, dans la paix et la prospérité, lorsque la nature elle-même sera délivrée des luttes et du sang versé (Ésaïe 11.6 et suivant). Qu’un homme vécût jusqu’à un âge avancé, mourût en paix et fût enseveli dans le tombeau de famille, cela semblait la destinée normale, et les spéculations sur un avenir ténébreux et incertain n’occupaient guère les esprits. Plus tard l’influence étrangère stimula peut-être les préoccupations de l’au-delà. L’homme pieux, dans sa détresse, termine une prière émouvante par ces mots : « Détourne de moi ton regard et que je reprenne mes forces, avant que je m’en aille et que je ne sois plus ! » (Psaumes 39.13). Le poète du livre de Job fixe sur l’avenir un long et ardent regard, mais sans posséder une assurance claire et ferme. L’auteur de l’Ecclésiaste ne trouve ni dans l’espérance nationale ni dans la foi personnelle le soulagement de son doute. Le passage : Psaumes 71.20 signifie peut-être que la mort ne peut briser le lien spirituel qui unit l’âme croyante à son Dieu. Ces préoccupations prennent une plus grande place dans la littérature subséquente. Au temps de notre Sauveur existait un parti qui croyait a la résurrection (Matthieu 22.23), Mais, sous l’influence de la prédication chrétienne, l’espérance du royaume de Dieu véritable et de la vie future du croyant reçut une impulsion nouvelle.

Quant à l’importance de l’Ancien Testament dans la pensée de Jésus-Christ, un regard sur les Évangiles suffit à démontrer en quels rapports étroits avec les livres sacrés de ses compatriotes il vécut dès sa jeunesse. Il cite de mémoire des passages des Psaumes, des livres historiques ou des prophètes. Il fait constamment allusion à quelque événement de l’histoire ou à une grande parole prophétique. Il reconnaît l’insuffisance de la loi mosaïque et cependant affirme qu’elle doit être accomplie. Il dénonce les traditions et la casuistique qui rendent inopérante la Parole de Dieu. Il est lui-même l’accomplissement des plus nobles aspirations de la loi. À la lumière de son jugement, nous regardons l’Ancien Testament, dans sa faiblesse et sa grandeur réunies, comme un livre prophétique dont l’action fut si considérable qu’elle ne saurait être détruite (Deutéronome 6.1-9). Et cependant on peut dire des saints de l’ancienne alliance qu’une révélation à venir était nécessaire à la réalisation de leurs espérances (Hébreux 11.40). Jésus le Christ, l’Oint de Dieu, au sens le plus élevé du mot, a des liens étroits et formels avec l’Ancien Testament, mais par son esprit il le dépasse. Le caractère de son enseignement, avec ses paraboles, ses comparaisons, nous rappelle les proverbes des « sages » de l’antiquité ; il se sent lui-même étroitement uni aux prophètes et il est reconnu comme tel par le peuple que frappe son autorité, que touchent ses appels directs au cœur des hommes. À une époque rapprochée de la sienne, une grande valeur avait été reconnue à l’élément apocalyptique ; Jésus, lui, ne se meut pas dans les sphères politiques. Le royaume de Dieu, pour lui, n’est pas de ce monde ; il est une puissance qui doit pénétrer la vie de l’humanité tout entière et rétablir l’union entre le Créateur et sa créature. Aussi avons-nous le droit de regarder Jésus-Christ comme le couronnement suprême de ces longs siècles de labeur et d’espérance. W.G. J.

Voir Bertholet, Histoire de la civilisation d’Israël, Payot, Paris 1930 ; Adolphe Lods, Israël, I, Renaissance du Livre, Paris 1930.

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