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Prosélyte
Dictionnaire Biblique Westphal Calmet

1. Sens du mot

Ce terme est un mot grec (prosèlutos, proprement : qui est venu s’ajouter) employé le plus souvent pour désigner quelqu’un qui a passé d’une religion à une autre, un nouveau converti. Il n’a pas de correspondant dans l’hébreu de l’Ancien Testament, mais la version des LXX traduit par ce mot le terme hébreu gèr, gérim, signifiant « étranger, étrangers » ; elle l’applique même aux Hébreux « en séjour » en Égypte (Exode 22.21 ; Exode 23.9 ; Deutéronome 10.19). Entre étranger et prosélyte il y eut d’abord une grande différence. Les Israélites revenus d’Égypte en Canaan vécurent à côté de populations qui n’avaient ni leur loi ni leurs coutumes. Plus forts qu’elles par l’organisation, la foi, conduits souvent par des chefs remarquables, ce sont eux qui, bien que moins nombreux et d’abord moins avancés dans la voie de la civilisation, finirent par absorber quelques-unes des autres populations. Celles-ci restaient pourtant ce que les Hébreux appelaient dédaigneusement des étrangers, vis-à-vis desquels ils ne se sentirent longtemps aucun devoir. L’étranger est par excellence l’homme qui n’a pas le culte de JVHH ; il est dès lors d’une autre race, d’une autre essence et n’a droit ni aux mêmes égards ni à la même considération (voir en particulier 2 Samuel 1.1 ; 2 Samuel 1.16). Peu à peu, cependant, sous des influences diverses et d’un ordre parfois peu élevé, l’Israélite se sentit poussé à gagner l’étranger à sa foi, l’esprit de prosélytisme fit son apparition, et si le terme employé pour désigner ces étrangers gagnés est encore souvent le même qu’autrefois, le sens en est différent. C’est ainsi qu’étranger et prosélyte, à l’origine deux catégories de personnes très différentes, se confondirent peu à peu (Exode 12.19 ; Lévitique 24.22), ce qui explique l’anachronisme des LXX employant le terme avant l’apparition de ce qu’il désigne. On trouve dans la Mischna le mot gèr avec le sens d’étranger converti au judaïsme. Les talmudistes ont même tiré du mot gèr le verbe nitgâyèr : se convertir (cf. Pesachim, 8.8, etc.).

2. Le prosélytisme juif

L’origine du prosélytisme en Israël doit incontestablement être cherchée dans la prédication prophétique. Seuls les prophètes ont entrevu — quelques-uns d’entre eux, et en partie seulement — dans le caractère universel de la religion de JVHH, le devoir de faire partager leur foi aux peuples voisins. Les circonstances historiques eurent leur influence sur le développement de ce nouvel esprit. Israël ne fut pas toujours groupé en une nation homogène. Les défaites et l’exil mirent le peuple en contact avec des civilisations et des coutumes bien différentes des leurs, et avec des religions bien inférieures aussi à la leur. De ce contact devaient inévitablement découler, d’un côté dédain et peut-être pitié, de l’autre admiration, tout au moins pour les principes d’une religion arrivée à un degré de spiritualité inconnu jusque-là, imprégnée d’un moralisme très épuré, éclairée par une espérance vivifiante, reposant sur un passé glorieux.

C’est après l’exil que les prophètes ont insisté sur le devoir de gagner à JVHH tous les peuples de la terre (voir en particulier le 2e Ésaïe, les passages sur le serviteur de l’Éternel : Ésaïe 42, Ésaïe 49 ; voir aussi certains Psaumes 33.8 ; Psaumes 65.9, etc.).

Le caractère de ce prosélytisme a varié au cours des siècles, et différé chez les inspirateurs ou chez les agents de cette propagande. L’inspiration prophétique est d’une très haute élévation spirituelle, et si même dès le début du mouvement il se mêla au zèle des Juifs un orgueil de race, la prédication prophétique n’en déclencha pas moins un intérêt nouveau pour l’étranger, considéré maintenant comme une créature, comme un adorateur possible, comme un éventuel sujet de JVHH (Amos 9.7). Plus tard, lorsque le souffle prophétique se fut affaibli puis éteint, il ne resta guère qu’un désir de domination et un immense orgueil qui voulut tout soumettre non plus tant à JVHH qu’aux lois et coutumes juives, tenues pour seules parfaites. Sous les Macchabées, l’épée devint un agent actif de propagande ; les étrangers habitant sur le territoire juif durent choisir entre la circoncision et l’exil, quand ce n’était pas le massacre ; cette propagande ne fut enrayée que par les décrets d’Adrien et d’Antonin interdisant la circoncision. Bien entendu en dehors des limites du royaume les zélateurs nombreux et actifs ne pouvaient employer les mêmes méthodes : là le déclin spirituel se marque dans la prédication des messagers, qui présentaient moins le Dieu unique, saint, aux exigences morales, que l’apologie de la circoncision, du sabbat, du temple de Jérusalem (Matthieu 23.15). Et pourtant, dans la plupart des centres de quelque importance, des groupements juifs s’étaient formés (voir Diaspora), que les missionnaires chrétiens rencontreront plus tard ; ces synagogues de la Dispersion leur faciliteront la tâche dans une certaine mesure, tout en leur opposant aussi par l’influence de leurs dirigeants traditionalistes une résistance plus grande que les milieux païens eux-mêmes.

Les conditions d’admission des prosélytes dans les communautés juives de Palestine se réduisaient le plus souvent à trois principales : la circoncision, l’ablution conférant la pureté légale, et le sacrifice d’action de grâces au temple de Jérusalem, avec la participation personnelle au culte juif. Quand le temple fut détruit, on exigea d’abord des prosélytes l’obligation de mettre de côté le prix du sacrifice pour le jour où le temple serait restauré ; exigence qui devait tomber avec l’évanouissement des espérances de restauration.

Les prosélytes étaient soumis à toutes les redevances des Juifs mais sans avoir tous leurs droits : une jeune fille de famille prosélyte ne pouvait épouser un prêtre que si elle appartenait à la dixième génération de l’admission de sa famille dans le judaïsme. Les jeunes femmes ne tombaient pas sous le coup de certaines interdictions de mariage par la loi juive, mais elles n’étaient pas non plus au bénéfice de certaines lois de protection. Si, en principe, prosélytes et Juifs étaient sur le même pied, en pratique il subsistait toujours des différences ; ainsi toutes les formules où il était question des ancêtres leur étaient interdites puisque les leurs étaient des étrangers (la formule consacrée à l’offrande des prémices leur était impossible : Deutéronome 26.3). On trouve dans le traité Horayoth (3.8) cette hiérarchie significative : « Le prêtre a le pas sur le lévite, le lévite sur l’Israélite, l’Israélite sur le bâtard, le bâtard sur le nathinéen, le nathinéen sur le prosélyte, le prosélyte sur l’esclave affranchi ». Peu à peu les conditions du début devinrent moins strictes et les différences s’estompèrent ; seules les conditions pécuniaires restèrent élevées.

Au point de vue des diverses catégories de prosélytes, on a longtemps cru, et bien des auteurs répètent encore, qu’au temps des apôtres le judaïsme distinguait les « prosélytes de la justice », pratiquants de la loi juive comme il vient d’être dit, et les « prosélytes de la porte », observateurs seulement de quelques prescriptions essentielles comme les commandements dits « noachiques » (voir ce mot). En réalité, ces deux formules pourraient bien ne dater que de la fin du Moyen âge (XIIIe et suivant.) ; à cette époque, le prosèlutos (grec) comme le gèr (hébreu) c’était l’étranger, et le « prosélyte de la porte » était une désignation équivalant à celle de l’Ancien Testament : « l’étranger qui est dans tes portes » (Exode 20.10 ; Deutéronome 5.14). Mais aux temps d’Israël, le nom de gèr avait déjà pris le sens spécial d’un étranger qui se réclame de JVHH ; or, le judaïsme officiel n’admettait pas l’adoration de JVHH sans la condition absolue dé la circoncision et l’observation de la loi de Moïse : un prosélyte, en Israël, était donc un païen circoncis. C’est avec la Dispersion que la situation changea : un païen qui suivait les prières et les lectures de la synagogue se sentait en communion avec le Dieu vivant et rattaché de cœur à la congrégation d’Israël ; il était juif par sa foi, mais non selon la loi. On appelait en général ce genre d’adepte un « craignant Dieu » (grec, séboménos ton Théon, ou phoboûménos ton Théon ; cf. Psaumes 115.11 ; Psaumes 118.4 ; Malachie 3.16 ; Actes 17.4 ; Actes 18.7, etc.). Corneille, à Césarée, représente le type de cette catégorie de prosélytes ; et les « prosélytes pieux » d’Antioche de Pisidie (séboménoï prosèlutoï, Actes 13.43) sont sans doute les païens pieux fidèles aux assemblées de la synagogue. Il n’est donc pas prouvé qu’à l’avènement du christianisme on distinguait entre prosélytes de la justice, c’est-à-dire qui s’étaient faits juifs, et prosélytes de la porte, c’est-à-dire restés en dehors du judaïsme ; il vaut mieux dire qu’alors les deux catégories de païens rattachés au judaïsme étaient les prosélytes proprement dits, et les gens craignant Dieu. Ces derniers, quoique non officiellement enrôlés dans la synagogue, n’en assurèrent pas moins un appoint considérable aux conquêtes de l’Évangile missionnaire.

On a pu signaler certains prosélytes dont l’adhésion au judaïsme s’inspirait de motifs sans noblesse : ainsi les « prosélytes des lions », que la terreur seule poussa à se soumettre au Dieu d’Israël (2 Rois 17.24 et suivant ; cf., dans le même ordre d’idées, Esther 8.15 ; Esther 8.17). Sous la domination romaine, les Juifs étant exempts d’obligations militaires, cet avantage poussa plus d’un païen à se rallier au judaïsme. Malgré ces cas, peu généralisés, les motifs de l’adhésion au judaïsme étaient habituellement purs et spirituels. Les prosélytes encouraient comme les Juifs les sarcasmes des païens et les mesures de rigueur périodiques qui, dans le monde entier, n’ont cessé de frapper les Juifs.

3. Le prosélytisme au temps de Jésus et du christianisme primitif

L’exclamation de Jésus : « Malheur à vous, pharisiens, qui parcourez le monde pour faire un prosélyte et qui en faites ensuite un fils de la géhenne ! » (Matthieu 23.15) nous prouve que l’active propagande du judaïsme à l’étranger n’était pas ralentie au début de l’ère chrétienne. Plusieurs personnages du Nouveau Testament sont des nouveaux convertis, par exemple ce centenier qui a fait, à ses frais, construire une synagogue (Luc 7.5). Le jour de la Pentecôte, nombreux sont à Jérusalem les prosélytes qui écoutent le message de Pierre (Actes 2.11). Paul et Barnabas à Antioche sont suivis par une grande foule de prosélytes pieux (Actes 13.16-43). Un des sept diacres élus par les fidèles à Jérusalem est un prosélyte, Nicolas d’Antioche (Actes 6.5). Le prosélytisme juif au temps de Jésus était surtout au service de la loi, qu’il commentait stérilement. Les haggadistes seuls, prédicateurs populaires qui racontaient l’histoire du peuple élu en ajoutant force détails de leur invention, avaient conservé une éloquence et une conviction vivantes. Mais de grands docteurs juifs comme Shammaï avaient horreur du prosélytisme, et leur avis prévalut. Les païens convertis au judaïsme furent accessibles à la prédication chrétienne, mais ils ne le furent ni plus ni moins que les païens. Beaucoup adoptèrent intégralement l’attitude judaïsante à l’égard du christianisme : les uns s’opposèrent d’abord à lui, et les autres, lorsqu’ils l’eurent accepté, réclamèrent de tous les convertis venus du paganisme l’adoption de la loi et des coutumes juives.

Le christianisme primitif hérita sans aucun doute de l’esprit du prosélytisme juif : l’apôtre Paul est la plus vivante illustration de cette affirmation ; mais il le transforma et l’élargit rapidement : il parcourut le monde, sortant de Palestine, s’adressant d’abord aux communautés juives de la Diaspora ; tantôt rejeté tantôt accueilli par elles, il se tourna vers les païens. Héritier de la mission juive, le christianisme apportait beaucoup mieux à l’âme humaine ; c’est ainsi qu’il la supplanta, en combattant et dépassant le prosélytisme juif étroit et formaliste. Cela ne put se faire sans heurts ni résistance de la part des chrétiens eux-mêmes, qui ne comprirent pas toujours le devoir de la mission auprès des païens. Lors de la conférence de Jérusalem (Actes 15 ; Galates 2), beaucoup de judéo-chrétiens ne pouvaient concevoir le christianisme sans la loi mosaïque et tout ce que la tradition juive y avait ajouté ; l’esprit large et véritablement missionnaire triompha, mais l’apôtre Paul eut souvent encore à lutter contre le particularisme et l’étroitesse de certains prosélytismes maladroits (1 Corinthiens 5 ; 1 Corinthiens 9.2). C’était déjà la difficulté qu’éprouvent certains esprits à concevoir le message qu’ils ont à porter au monde de la part du Christ, comme un message de vie pour le monde, et non pas comme de simples traditions et coutumes. C’est la même difficulté qu’éprouvent encore aujourd’hui certains prosélytismes contemporains à s’élever au-dessus de la propagande confessionnelle, vers les hauteurs spirituelles de la vraie liberté chrétienne. Voir aussi Mission.

E. B.


Numérisation : Yves Petrakian