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Plénitude
Dictionnaire Biblique Westphal Calmet

(grec plérôma). Ce terme est, dans la Bible, d’un emploi plus fréquent que nos traductions ne le laisseraient supposer.

C’est par lui que les LXX traduisent l’hébreu melô. Il exprime dans l’Ancien Testament l’idée de grandeur, de totalité ; il indique tout ce qui se trouve sur la terre ou dans la mer (Psaumes 50.12 ; Psaumes 96.11 ; Jérémie 8.16 ; Ézéchiel 12.19 ; 1 Chroniques 16.32).

Le verbe d’où dérive le mot grec exprime dans le Nouveau Testament l’idée de « remplir » (par exemple un filet : Matthieu 13.48 ; cf., dans un sens abstrait, Luc 2.40) ou celle de « parachever », d’« accomplir » (Jésus est venu accomplir la loi et les prophètes : Matthieu 5.17).

Quant au substantif lui-même, sa terminaison ma, qu’elle indique un sens actif ou passif (ce qui est discuté), ajoute en tout cas une certaine idée de réalité concrète. Le mot peut exprimer un achèvement idéal ou à venir. L’apôtre s’en sert pour montrer dans l’amour l’accomplissement de la loi (Romains 13.10), pour annoncer le moment où le peuple se sera converti dans sa totalité (Romains 11.12) et où seront accomplis les temps voulus par Dieu (Galates 4.4 ; Éphésiens 1.10).

Le mot peut aussi avoir le sens de « compléter » : l’apôtre l’emploie quand il a en vue ce qui manque aux souffrances de Christ (Colossiens 1.24), quand il remercie les frères de Macédoine d’avoir pourvu à ses besoins (2 Corinthiens 11.9), tandis qu’il espère apporter avec lui aux chrétiens de Rome une pleine bénédiction de la part de Christ (Romains 15.29).

Le mot peut, de même, exprimer l’idée d’un développement spirituel qui tend à son terme (Éphésiens 4.13). Dans ce dernier cas, on pourrait opposer kénose (voir ce mot) de Philippiens 2.7 à plérôme

C’est par la notion spéculative qui s’y rattache que le mot de Plérôme présente le plus haut intérêt.

Il s’est trouvé en faveur dans les milieux d’Asie auxquels saint Paul écrivait pendant sa captivité et où le 4e Évangile devait être rédigé. C’est un vocable emprunté au langage populaire, et qui a permis d’exprimer quelques-unes des idées les plus hautes de la pensée religieuse. Paul s’est sans doute servi d’un terme qui était alors d’un usage courant. Peut-être les premiers gnostiques l’employaient-ils. Leurs docteurs, Valentin, Marcion et d’autres (voir Eugène de Faye, Gnostiques et Gnosticisme), reprendront à l’apôtre un mot dont il avait consacré l’usage, et en altéreront gravement le sens. C’est en tout cas la prédication de certains novateurs aventureux qui a amené le grand apôtre à préciser sa pensée tout en restant fidèle à sa conception primitive. Les premiers gnostiques annonçaient l’existence entre Dieu et l’homme de toute une série d’intermédiaires : éons, logoï, autorités, dont le Christ n’aurait été que le premier. Tout autre est la pensée de saint Paul. Il avait déjà montré le plan de salut se réalisant par le règne du Christ établi sur la création entière et le Christ lui-même se soumettant à Dieu « afin que Dieu soit tout en tous » (1 Corinthiens 15.28). Sans doute Jésus est subordonné à Dieu : n’est-il pas (Colossiens 1.15) le premier-né de toute la création ? mais il a plu à Dieu qu’en lui résidât toute la plénitude de l’être (Colossiens 1.19). Jésus n’est donc pas un intermédiaire entre plusieurs autres. Le Christ est le seul médiateur entre Dieu et les hommes. Dieu a voulu que toute plénitude habitât en lui et il a voulu, par lui, réconcilier tout avec lui-même, en faisant la paix par lui, par le sang de la croix (Colossiens 1.19 et suivant).

Mais l’apôtre va plus loin et donne à sa pensée un développement inattendu. Il applique à l’Église cette même notion du Plérôme. Il complète la théorie qu’il avait déjà esquissée dans Romains 12.4s et dans 1 Corinthiens 12.12 ; 1 Corinthiens 12.27. L’Église est réellement, objectivement, le corps de Christ ; elle réalise la plénitude de Celui qui remplit tout en tous (Éphésiens 1.23), ce qui revient à dire, non seulement que l’Église tire sa vie de l’union avec son divin Chef, signifiant : Tête, mais que, dans l’Église elle-même, se réalise la plénitude de vie qui est en Christ. On pourrait montrer que, ici comme ailleurs encore (Romains 11.33-36 ; 1 Corinthiens 3.23 etc.), la pensée de l’apôtre se développe en spirale. Il se trouve ramené à son point de départ qu’il saisit maintenant d’un plan supérieur. Il voit dans le Christ la plénitude de Dieu, dans l’Église la plénitude de Christ ; mais « l’Église, au point de vue idéal, peut être appelée à bon droit le plérôme réalisé du Dieu qui remplit tout en toutes choses » (A. Sabatier). Conception métaphysique si l’on veut, mais conception essentiellement morale dans son principe essentiel et dans ses conséquences, qui n’aurait d’autre effet que de pousser l’homme à se sauver lui-même, c’est-à-dire de l’exposer à de vaines illusions et à un désespoir plus certain encore. L’apôtre n’entend pas seulement affirmer la dignité, la valeur suprême du Christ pour la foi. Il proclame que, possédant un tel Sauveur, le chrétien doit trouver en lui le principe d’une vie sainte. Il a tout pleinement en Christ. Il convient que, Christ habitant en lui, il comprenne et connaisse, il parvienne à la pleine stature du Christ et soit rempli jusqu’à toute la plénitude de Dieu (Éphésiens 3.19 ; Éphésiens 4.13 ; Colossiens 2.10).

Deux tempéraments religieux aussi différents que Paul et Jean se rencontrent sur le terrain de l’expérience mystique pour apporter des affirmations d’une admirable concordance (cf. Jean 1.16). Un tel accord est l’aboutissement idéal des aspirations morales des prophètes.

E. P.


Numérisation : Yves Petrakian