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Esclave
Dictionnaire Biblique Westphal Bost

Les mots hébreux êbèd et âmâh et les mots grecs doulos, doulè et oïkètès, qui signifient ordinairement esclave, sont le plus souvent traduits dans nos Bibles : serviteur et servante

Comme tous les peuples de l’antiquité, Israël a connu le régime de l’esclavage. Mais s’il l’a tenu, lui aussi, pour naturel, légitime et indispensable, il l’a du moins pratiqué, en général, d’une façon plus éclairée, plus libérale et plus bienveillante. Sa législation sur ce point est plus humaine qu’aucune autre et les usages semblent aussi avoir été en Palestine moins rudes qu’ailleurs : il n’y a, en effet, dans l’histoire d’Israël, aucune trace de ces soulèvements d’esclaves et de ces guerres serviles comme il s’en est produit si souvent chez d’autres peuples, à Athènes et à Rome en particulier.

Bien qu’il soit impossible de le fixer avec quelque sûreté, il est incontestable que le nombre des esclaves a été chez les Israélites beaucoup plus restreint qu’en aucune autre nation. Dans l’ensemble de la littérature hébraïque, il n’y a pas, a cet égard, d’indices d’une situation analogue à celle de la république romaine, par exemple, où deux siècles avant Jésus-Christ, les esclaves, se comptant par centaines de milliers, représentaient environ les 5/11 de la société. Dans le dénombrement de Néhémie, au retour de l’exil, la proportion des esclaves par rapport à l’ensemble de la population est de un pour six (Néhémie 7.67), et rien ne permet de supposer qu’elle ait été plus forte à d’autres époques.

Il y avait en Israël deux catégories d’esclaves :

1.

Ceux qui étaient d’origine étrangère, soit captifs de guerre (Nombres 31.11 ; Nombres 31.25 ; Nombres 31.47), soit achetés à prix d’argent (Genèse 17.12 ; Genèse 17.23 ; Genèse 17.27 ; Lévitique 25.44 et suivant) ; ils étaient attachés à des particuliers (Genèse 15.2) ou bien employés à des travaux d’utilité publique (1 Rois 9.20-22) et aux corvées du sanctuaire (Josué 9.23 ; Josué 9.27) ;

2.

Ceux qui, de naissance israélite, étaient devenus esclaves : ou par contrainte judiciaire, à la suite de vols dont ils n’avaient pu restituer le montant (Exode 22.3), ou pour s’être vendus eux-mêmes afin d’échapper à l’indigence (Exode 21.2 ; Deutéronome 15.12 ; Lévitique 25.39), ou, enfin, par un usage que la loi semblait interdire (Exode 22.26 ; Deutéronome 24.10-13), mais qui était cependant de pratique courante, pour avoir été saisis et vendus par leurs créanciers en raison de leur insolvabilité (2 Rois 4.1 ; Amos 2.6 ; Amos 8.6 ; Job 24.9 ; Néhémie 5.6 ; Néhémie 5.8 ; Matthieu 18.25). Il n’y a pas lieu de penser que les Israélites se soient livrés eux-mêmes au trafic habituel des esclaves : ils ont été acheteurs occasionnels, pour leurs besoins domestiques, mais non marchands d’esclaves. Ce commerce était aux mains de leurs voisins, Phéniciens ou Édomites (Amos 1.6 ; Amos 1.9 ; Ézéchiel 27.13; Joël 3.6).

Légalement, l’esclave était, au même titre que les troupeaux et les champs, la propriété de son maître, mais non point tout à fait cependant sa chose, res, comme disait la loi romaine en son rude langage. Dans le plus ancien Code de lois, connu sous le nom de Livre de l’Alliance, il est appelé « l’argent de son maître » (Exode 21.21), et sa valeur est fixée à 30 sicles (verset 32) ; au cas où il était blessé par le bœuf d’un voisin, on y voyait un dommage fait au bien de son maître et c’est ce dernier qui était indemnisé. Dans le Décalogue et couramment dans les récits patriarcaux, l’esclave est rangé parmi le bétail (Exode 20.10 ; Exode 20.17 ; Deutéronome 5.14 ; Deutéronome 5.21 ; Genèse 12.16 ; Genèse 20.14)

La femme esclave n’était pas considérée autrement que l’homme. Le plus souvent, elle était, dans la maison, la propriété particulière de l’épouse (Genèse 16.6 ; Genèse 16.9 ; Genèse 25.12), à qui elle pouvait avoir été donnée en dot au moment du mariage (Genèse 24.59 ; Genèse 24.61 ; Genèse 29.24 ; Genèse 29.29) ; elle disposait si peu de sa personne que sa maîtresse pouvait la donner pour concubine à son mari (Genèse 16.1-5 ; Genèse 30.3 ; Genèse 30.9) ; le viol d’une esclave était puni au même titre que celui d’une jeune fille libre : considéré comme un préjudice fait au bien d’autrui, il entraînait vraisemblablement une action en dommages-intérêts au bénéfice du propriétaire (Lévitique 19.20 ; Exode 22.16 ; Deutéronome 22.28 et suivant).

Bien que l’esclave appartînt ainsi complètement à son maître, il n’était pas dépourvu cependant de toute espèce de droits, et la législation mosaïque lui assurait quelques garanties élémentaires qu’il n’avait pas en d’autres pays. Ainsi, si la bastonnade était admise (Exode 21.21 ; Siracide 33.24-26), la mutilation d’un esclave par son maître avait pour conséquence légale l’affranchissement immédiat (Exode 21.26 et suivant) ; non seulement le meurtre, mais le vol et le : recel d’esclaves étaient punis de mort (Exode 21.12 ; Exode 21.16 ; Exode 21.20) ; au contraire de ce qui se passait à Rome, il y avait une sorte de droit d’asile universel pour l’esclave fugitif, qu’il n’était pas permis de rendre à son maître (Deutéronome 23.15) ; il était interdit de vendre, une fois qu’elle avait cessé de plaire, la captive de guerre dont on avait fait une concubine (Deutéronome 21.10-14).

Voir Crimes.

D’autre part, au point de vue religieux, l’esclave faisait partie de la famille, et en partageait tous les privilèges ; s’il était d’origine étrangère, il devait recevoir le signe de l’Alliance et être circoncis, moyennant quoi il cessait d’être un profane (Exode 12.44 ; Genèse 17.12-14 23-27) dès lors, comme ses maîtres, il avait droit au repos du sabbat (Exode 20.10 ; Exode 23.12 ; Deutéronome 5.14 et suivant) et participait aux fêtes religieuses (Deutéronome 12.12 ; Deutéronome 12.18 ; Deutéronome 16.11 ; Deutéronome 16.14) ; l’esclave du sacrificateur avait même le droit de manger des choses saintes, ce qui était interdit à la fille du sacrificateur entrée par le mariage dans une famille non sacerdotale (Lévitique 22.10-13).

Dans la pratique, l’esclave pouvait arriver à jouer dans la maison un rôle important et devenir une sorte d’intendant général, comme le magister servorum familioe des Latins (Genèse 24.2) ; on lui confiait parfois les missions les plus délicates (Genèse 24.2 ; Genèse 24.9) ; il était apte à hériter de son maître (Genèse 15.2) ; ses avis étaient, à l’occasion, sollicités et suivis (Juges 19.11 ; 1 Samuel 9.5-10) ; rien n’empêchait qu’il épousât la fille de son maître (1 Chroniques 2.35) ; les esclaves d’hommes importants étaient l’objet d’une certaine considération (1 Samuel 9.22) et pouvaient être envoyés en ambassade auprès des plus hauts, personnages (2 Samuel 10.2-4) ; ils avaient la libre disposition d’un pécule (1 Samuel 9.8 ; Lévitique 25.50), et pouvaient posséder eux-mêmes des esclaves, qui, tenaient ainsi le rôle des vicarii à Rome (2 Samuel 9.9 et suivant, Genèse 9.25).

Par une particularité essentielle de la législation hébraïque relative à l’esclavage, un terme légal était fixé à l’asservissement de l’esclave indigène, tandis que l’esclave d’origine étrangère était destiné à rester toute sa vie dans la servitude : c’était le seul point, d’importance capitale il est vrai, sur lequel différaient leurs statuts respectifs.

La libération des esclaves israélites a été, d’ailleurs, au cours des siècles, l’objet de mesures successives, toujours plus libérales. Ainsi, à l’origine, le Livre de l’Alliance stipulait que l’Israélite ne pouvait être l’esclave d’un compatriote que pour une durée maxima de six ans : la septième année, il recouvrait de plein droit sa liberté, emmenant avec lui sa femme, s’il était déjà marié avant de devenir esclave, la laissant, au contraire, dans la servitude ainsi que ses enfants, s’il avait épousé une des esclaves de son maître, dont les droits primaient alors ceux du mari et du père. Une clause spéciale prévoyait cependant que, s’il le désirait, par attachement pour son maître ou pour sa femme et ses enfants, l’esclave pouvait renoncer à exercer son droit ; dans ce cas, il perdait définitivement la liberté : on lui perçait solennellement le lobe de l’oreille avec un poinçon et il portait ainsi désormais dans sa chair, selon l’usage de tout l’Orient, le sceau indélébile de l’esclavage à vie (Exode 21.2 ; Exode 21.6). Pour la jeune fille devenue esclave à prix d’argent, il n’y avait pas, semble-t-il, de droit absolu à la libération, parce que le plus souvent elle était la concubine de son maître ; elle n’était affranchie que si, ayant cessé de plaire au maître, celui-ci, auquel il était interdit de la vendre, renonçait à la donner à son fils ou négligeait d’assurer son entretien (Exode 21.7 ; Exode 21.11).

Par la suite, la réforme deutéronomique du VIIe siècle étendit aux femmes le droit à la libération qui, jusque-là, était reconnu aux hommes seuls ; grâce à une conception plus juste et plus saine du mariage, elle fit passer avant ceux du maître les droits de l’esclave époux et père qui, de cette façon, ne se trouva plus réduit à choisir entre sa liberté et ses affections naturelles : en conséquence, pour sauvegarder l’unité de la famille de l’affranchi, elle abolit les restrictions de Exode 21.3 et suivant. En même temps, par un souci d’humanité qui lui est habituel, elle imposa au maître l’obligation d’assurer ou du moins de faciliter le nouvel établissement de l’esclave qui le quittait à l’échéance légale, en lui donnant des présents en nature, bétail, blé, etc. ; toutes ces mesures généreuses étaient justifiées par le grand souvenir de la délivrance d’Égypte (Deutéronome 15.12 ; Deutéronome 15.18).

Il est difficile de savoir si les dispositions libérales du Livre de l’Alliance et du Deutéronome furent jamais effectivement appliquées. En tout cas, à l’époque de Jérémie, la loi prescrivant la libération des esclaves israélites après six années de servitude était, depuis longtemps, lettre morte, et une tentative du roi Sédécias pour la faire mettre ou remettre en vigueur n’eut pas de succès durable (Jérémie 34.8-17).

À côté des résistances qu’elle devait naturellement rencontrer de la part des propriétaires d’esclaves dont elle heurtait les intérêts égoïstes, cette loi portait peut-être en elle-même certaines difficultés d’application pratique auxquelles il semble qu’a voulu obvier, au retour de l’exil, la législation sacerdotale, dont la caractéristique essentielle est de substituer une échéance unique pour tous les esclaves et, par conséquent, fixe dans le temps, à des échéances individuelles et, par suite, mobiles et difficilement contrôlables. Selon les prescriptions de Lévitique 25.10 ; Lévitique 25.40 et suivant, en effet, l’année du Jubilé, qui se célébrait après sept sabbats d’années, c’est-à-dire tous les cinquante ans, devait apporter à l’esclave israélite sa libération définitive. Par rapport à la situation antérieure, cette mesure paraît aggraver le sort de l’esclave, dont la durée maxima d’asservissement était ainsi portée de sept à cinquante ans ; mais si, laissant les textes, on envisage les faits, on est conduit à penser que, les anciennes prescriptions sur le relâche septennal étant tombées en désuétude ou s’étant révélées inapplicables, elle constitue au contraire une tentative nouvelle pour aboutir par un procédé différent à un but qui n’avait pu être atteint, mais qui restait en vue. Du reste, le Code Sacerdotal tend à l’abolition de l’esclavage pour les Israélites : il veut que le fils d’Israël réduit par l’indigence à se vendre à son prochain soit considéré, non comme un esclave, mais comme un mercenaire, et qu’ainsi l’esclavage se ramène pour lui à n’être plus qu’une sorte de louage de services à long terme (Lévitique 25.39-43) ; il réserve pour l’indigène appauvri qui s’est vendu à un étranger habitant le pays, non seulement le droit à la libération au moment du Jubilé, mais même la faculté de se racheter en tout temps avant cette échéance (Lévitique 25.47 ; Lévitique 25.54) ; dans sa manière de voir, il n’y a d’esclaves proprement dits que ceux qui, par leur naissance, sont étrangers à l’Alliance divine (Lévitique 25.44 ; Lévitique 25.46), l’Israélite ne pouvant être asservi à aucun homme puisqu’il appartient exclusivement et de droit à l’Éternel (Lévitique 25.55). Ainsi, sous l’influence de l’individualisme religieux dont l’exil avait marqué l’éveil, l’évolution du droit israélite aboutit, vers le Ve siècle avant Jésus-Christ, à la reconnaissance, au moins théorique, de l’égalité naturelle de tous les enfants d’Israël, mais des enfants d’Israël seuls.

Ici encore, la littérature hébraïque ne fournissant pas les éléments d’information nécessaires, on ne saurait dire si ces ordonnances furent suivies d’effet ou si elles demeurèrent à l’état de conception idéale. En elles-mêmes cependant, elles représentent une étape importante, sinon dans les faits, du moins dans ce que l’on peut appeler l’histoire philosophique de l’esclavage chez les Hébreux. D’ailleurs, même si elles n’ont pas abouti aux fins qu’elles poursuivaient, elles n’ont pas été, semble-t-il, sans aucune efficacité pratique : il est permis de penser qu’elles ont dû contribuer à relever dans les esprits la dignité de l’esclave ; et peut-être faut-il reconnaître la trace de leur influence dans certains conseils du Siracide (IIe siècle avant Jésus-Christ), ; recommandant sans doute la plus grande rigueur à l’égard de l’esclave paresseux et indocile, mais allant d’autre part jusqu’à dire : « Si tu as un esclave, traite-le comme un frère ; aime comme toi-même l’esclave intelligent, et ne lui refuse pas la liberté » (Siracide 7.20 ; Siracide 33.29-31).

En proclamant le prix infini de toute âme humaine (Matthieu 16.26), l’Évangile réalise un progrès définitif sur le point de vue particulariste et national du Code Sacerdotal, dont quelques esprits généreux avaient d’ailleurs, déjà sous l’ancienne alliance, pressenti l’insuffisance et l’étroitesse (Job 31.13 ; Job 31.15; Joël 2.28 et suivant), et que les Esséniens avaient eux-mêmes dépassé en renonçant pour leur compte à la pratique de l’esclavage.

À vrai dire, Jésus n’a jamais parlé de l’abolition possible de l’esclavage ; il n’y a point à en être surpris, car il n’a pas voulu être un réformateur social et il ne s’est point attaqué aux institutions existantes. Il a placé des esclaves dans l’enseignement figuré de plusieurs de ses paraboles (Marc 12.2 ; Marc 12.4 ; Matthieu 10.24 ; Matthieu 20.27 ; Matthieu 24.45-47 ; Luc 17.7 ; Jean 8.35) ; il lui est même arrivé de faire allusion aux brutalités et au despotisme des maîtres (Matthieu 18.34; Luc 12.46-48), sans jamais cependant porter un jugement formel sur le régime de l’esclavage lui-même. Mais la condamnation de celui-ci est implicitement contenue dans tout son enseignement comme le fruit est contenu dans la graine ; il est incontestable que les exigences d’un ordre social nouveau, établi sur la base de l’égalité humaine, se trouvent dans quelques-unes de ses paroles les plus caractéristiques. Ainsi, en renversant l’échelle habituelle des valeurs et en faisant de la volonté de service le signe de la vraie grandeur (Matthieu 20.25 ; Matthieu 20.28 ; Matthieu 23.11 et suivant, Luc 22.24 ; Luc 22.27), — en s’identifiant, lui, le Juge des Assises finales, avec le plus humble des hommes (Matthieu 25.40 ; Matthieu 25.45), — en affirmant que la volonté de Dieu est qu’il ne se perde « aucun de ces petits » (Matthieu 18.14), — en déclarant enfin : « Un seul est votre Maître et vous êtes tous frères » (Matthieu 23.8), — Jésus a préparé la réhabilitation de l’esclave, qu’il a tiré de son avilissement séculaire et marqué du sceau de l’humanité ; il n’a pas réclamé son émancipation sociale, mais il lui a rendu sa place dans la grande famille dont Dieu est le Père ; il lui a restitué sa dignité d’homme et d’enfant de Dieu, et, ce faisant, il a posé, entre la foi chrétienne et le fait social, le germe d’une contradiction qui devait, par la suite, apparaître au grand jour et conduire au redressement d’une iniquité aussi vieille que le monde.

Le problème de l’esclavage se posa pratiquement devant la conscience chrétienne lorsqu’un grand nombre d’esclaves eurent embrassé la foi nouvelle : l’apôtre Paul, en particulier, eut alors l’occasion de l’aborder à plusieurs reprises. Pas plus que Jésus, toutefois, il ne se prononce explicitement sur cette institution elle-même et n’en réclame ou même n’en prévoit l’abolition. Pour lui, d’ailleurs, la question est sans importance réelle : le retour du Christ et, par conséquent, la métamorphose universelle étant à ses yeux imminents (1 Corinthiens 7.29 ; Romains 13.11 ; Philippiens 4.5), il n’y a ni urgence ni intérêt majeur à sortir de la condition où l’on se trouve (1 Corinthiens 7.20 ; 1 Corinthiens 7.24). Il affirme seulement que, en Jésus qui est le Seigneur de tous (Romains 10.12), toutes les distinctions extérieures s’effacent et qu’il n’y a plus ni esclave ni homme libre (1 Corinthiens 12.13 ; Galates 3.28 ; Colossiens 3.11) ; pour lui, les inégalités sociales se renversent et, en quelque sorte, se compensent dans la foi : par la foi l’homme libre devient un esclave du Christ et l’esclave un affranchi du Seigneur (1 Corinthiens 7.22) ; non seulement l’apôtre oppose l’esclavage du péché à l’esclavage de Dieu (Romains 6.5-22 etc.), mais chaque fois qu’il se désigne lui-même comme serviteur de Dieu et de Jésus-Christ, il donne à ce titre son plein sens : doulos = esclave (Romains 1.1 ; Philippiens 1.1 etc.). Né à la vie nouvelle, l’esclave possède la vraie liberté et n’a plus à se mettre en peine de sa servitude : eût-il même la possibilité de s’affranchir, mieux vaudrait encore qu’il n’en usât pas, va jusqu’à dire l’apôtre (1 Corinthiens 7.21), et qu’il restât dans ses liens afin de montrer à ses maîtres, par sa droiture, son zèle, sa docilité et sa simplicité de cœur, qu’il est vraiment libre, et de faire, en tout, honneur au nom de Dieu (Colossiens 3.22 ; Colossiens 3.24 ; 1 Timothée 6.1 et suivant, Tite 2.9 et suivant). D’autre part, l’apôtre invite le maître de l’esclave à se rappeler de son côté qu’il a, lui-même, aux cieux, un Maître qui ne fait pas de différence entre les hommes (Éphésiens 6.9 ; Colossiens 4.1), et il l’exhorte à considérer son esclave comme un frère bien-aimé (Philémon 1.16 ; Colossiens 4.9). Parlant d’Onésime, l’esclave fugitif qu’il renvoie à Philémon son maître, auquel il considère qu’il ne cesse pas d’appartenir, il le fait en le représentant comme une partie de lui-même ou comme un autre lui-même (Philémon 1.12 ; Philémon 1.17). Pour saint Paul, donc, le problème trouve sa solution dans une attitude respective des esclaves et des maîtres, inspirée de part et d’autre de l’esprit évangélique.

L’apôtre Pierre ne s’élève pas davantage contre la pratique de l’esclavage. Il songe même si peu à en contester la nécessité sociale qu’il engage les esclaves à obéir scrupuleusement et avec respect même aux maîtres les plus exigeants et les plus durs ; il leur demande de se montrer en tout irréprochables, malgré les mauvais traitements dont ils peuvent être l’objet : c’est là, leur dit-il, à la fois votre vocation et votre gloire ; le Christ lui-même ayant enduré des peines et des tourments immérités, l’esclave maltraité qui souffre avec résignation et piété se relève et grandit à ses propres yeux dans la pensée qu’il suit les traces du Christ ; plus son sort est misérable, s’il l’accepte sans révolte ni découragement, plus il a la faveur de ressembler à l’Agneau qui a été immolé : ce qui le diminue du côté des hommes, le grandit du côté de Dieu (1 Pierre 2.18-25). Ainsi l’apôtre Pierre ne cherche pas, lui non plus, à bouleverser les institutions, ce qui du reste serait à ses yeux sans grand intérêt, la fin de toutes choses étant, dans sa pensée, prochaine (1 Pierre 4.7) ; mais s’il ne se préoccupe pas d’assurer à l’esclave la liberté civile, il lui ouvre la voie vers la liberté intérieure et transfigure son sort en l’assimilant à celui du Christ.

L’Église primitive n’eut pas une attitude différente, même après que se fut évanouie la croyance au retour imminent du Christ : elle admit le fait de l’esclavage, n’en contesta pas la légitimité et ne parut pas en soupçonner l’abolition possible. Les Pères de l’Église parlent sur ce sujet comme les apôtres eux-mêmes. Ignace d’Antioche exhorte les esclaves à servir avec zèle, pour la gloire de Dieu, et à ne pas désirer la liberté, de peur de devenir esclaves de leurs passions. Isidore de Péluse conseille à l’esclave de rester dans l’esclavage, même si la liberté lui est offerte. Selon Chrysostome, l’esclave qui obéit aux ordres de son maître observe les préceptes de Dieu. Mais tout en se tenant théoriquement à ce point de vue de conservatisme social, l’Église primitive renverse, pour son propre compte, la barrière qui, dans la société civile, sépare l’esclave de l’homme libre : elle accueille le premier au même titre et avec les mêmes prérogatives que le second ; elle lui dispense tous les sacrements ; elle l’admet à toutes les fonctions ecclésiastiques, même les plus hautes (au début du IIIe siècle l’évêque de Rome, Calliste, aurait été esclave) ; elle bénit et consacre son mariage qui est, pour elle, un conjugium, une union légitime et non plus, comme dans le droit romain, un contu-bernium, un concubinage ; elle lui accorde la même sépulture qu’à l’homme libre et, s’il meurt martyr, elle conserve son nom sur ses diptyques à côté des plus illustres. Plus encore, elle compte les affranchissements d’esclaves au nombre des œuvres pieuses recommandées aux fidèles.

Plus tard, l’Église défendit aux Juifs et aux païens d’avoir des chrétiens parmi leurs esclaves ; elle interdit la traite des blancs et fit les plus grands efforts pour racheter les esclaves chrétiens des Musulmans, tout en autorisant, il faut le dire, le chrétien, laïc ou clerc, à avoir des esclaves sarrasins ; au XVe siècle, le pape lui-même n’avait pas de scrupule à en posséder un certain nombre.

La découverte de l’Amérique amena un développement odieux de la traite des noirs ; les esclavagistes surent même se faire des partisans chez les chrétiens, en exploitant à leur profit l’interprétation juive qui voyait dans la malédiction de Cham la consécration par Dieu de l’esclavage des nègres (voir R. Allier, Une Énigme troublante, Paris, 1929).

Enfin la question de l’abolition de l’esclavage fut courageusement posée devant la conscience humaine par les Quakers qui, au nom des principes chrétiens, entreprirent une vigoureuse campagne d’opinion et fondèrent dans l’Ancien et le Nouveau Monde des associations anti esclavagistes très agissantes. Cet effort, poursuivi avec une ardeur infatigable durant de longues années, aboutit à ses fins. Le commerce des esclaves fut aboli par l’Amérique du nord en 1776, par le Danemark en 1792, par la Convention Nationale en France en 1793 (cette mesure fut rapportée sous le Consulat en 1802 et remise en vigueur par Napoléon pendant les Cent Jours en 1815), par l’Angleterre enfin en 1807. L’esclavage lui-même a disparu des colonies britanniques (1833), des colonies françaises (1848), des possessions néerlandaises (1862), des États-Unis de l’Amérique du nord (1865), du Brésil (1871). Les principaux apôtres de ce grand mouvement d’émancipation étaient tous des chrétiens convaincus, et leur ardeur de propagande avait sa source dans leur foi religieuse ; leurs noms doivent être conservés avec respect, car ils ont été de grands serviteurs du Christ : George Fox, William Penn, David Hartlay, Wilberforce, Buxton, Livingstone, Lincoln, l’abbé Grégoire, Schcelcher, le cardinal Lavigerie, Mme Beecher-Stowe, avec son magnifique ouvrage la Case de l’oncle Tom (1852). Grâce à eux, l’« ulcère béant du monde » dont parlait Livingstone a disparu de tous les pays où des nations chrétiennes ont établi leur autorité, c’est-à-dire de la plus grande partie du globe. Aujourd’hui, la Société des Nations, sous les auspices de laquelle a été signée, en 1926, une convention internationale contre l’esclavage, traque dans leurs derniers retranchements les trafiquants encore embusqués aux confins de la civilisation asiatique ou africaine, et veille à ce que le travail forcé dans les colonies ne soit pas une nouvelle forme d’esclavage. Ch. K.

Voir Bertholet, Histoire de la civilisation d’Israël, pages 185ss, etc.


Numérisation : Yves Petrakian