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Création
Dictionnaire Biblique Westphal Bost

(le récit de la). « Dieu a créé le monde d’une matière informe » (Sagesse 11.17). Voir à l’article Cosmogonie ce qu’il faut penser de cette « matière ». Quant à l’œuvre créatrice qui « fit la terre et les deux », elle s’ouvre sur ces mots : « Alors Dieu dit », et s’accomplit D’après notre récit (Genèse 1.3-2.1) en huit paroles qui sont réparties en trois actes. Il s’agit de constituer le palais de la Vie dont l’homme doit être l’habitant, l’animateur, le roi. Les trois actes consécutifs sont pour en établir le cadre, le meubler, le peupler. Le moyen de création est la parole. Nous en avons le type resté intact dans la première formule : « Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut ». Dans la suite, à « Dieu dit » correspond « et cela s’accomplit ». La création par la parole sans intermédiaire, sans travail, sans durée, est la notion la plus élevée, la plus grandiose et la plus pure de la puissance divine en action. L’école d’Hermopolis, en Égypte, et sans doute aussi Zarathoustra, fondateur du mazdéisme, en Perse, étaient arrivés à cette notion. C’est à cette création en huit paroles que l’auteur du Psaumes 33.6 ; Psaumes 33.9 se réfère et c’est elle qu’il exalte quand il dit :

Par la parole de l’Éternel ont été faits les cieux,
Et toute leur armée par le souffle de sa bouche…
Dieu dit, et la chose existe ;
Il commande, et c’est fait

Les trois premières paroles (premier acte) établissent par trois victoires sur le chaos le cadre de l’habitat humain.

  • 1ère parole : victoire sur les ténèbres par la création de la lumière.
  • 2e parole : victoire sur l’abîme des eaux par la création de l’étendue du firmament qui sépare les eaux d’en haut d’avec les eaux d’en bas.
  • 3e parole : victoire sur la matière informe, bouillie stérile sous le firmament ; l’élément liquide se concentre, le sec apparaît : c’est la terre, demeure de l’homme.
  • La 4e et la 5e paroles, ayant pour but de meubler cette demeure, constituent le second acte créateur.

Il faut que, lorsque l’homme, et son cortège d’êtres vivants apparaîtront, ils trouvent de quoi s’installer, c’est-à-dire de quoi alimenter leur existence et rythmer leur activité.

  • 4e parole : création de la végétation nourricière, herbe, légumes et fruits. On sait que, pour les Hébreux, la vie proprement dite n’appartient qu’au règne animal, aux êtres doués de respiration visible (souffle) et de sang (sang = vie, Lévitique 17.12).
  • 5e parole : création du monde sidéral. L’astre est l’horloge des temps primitifs. Soleil, lune, étoiles sont établis comme signes pour marquer le temps et ses révolutions nécessaires, fixant l’activité et le repos des êtres (cf. Psaumes 104.19-24) et réglant cette vaste usine où va s’accomplir l’élaboration de la vie.

Tout est prêt. Notre monde est organisé, approvisionné, réglé : ses habitants peuvent apparaître. Les paroles 6, 7 et 8 constituent le troisième acte créateur. L’homme étant le centre et le but de la création, l’évocation des êtres vivants commence par la circonférence, par les animaux les plus éloignés de l’homme et les moins accessibles pour lui. La terre étant l’élément le plus noble, le dernier créé, doit fournir à la nature les êtres les plus parfaits.

  • 6e parole : création des poissons (l’eau = le plus ancien élément) et des oiseaux (firmament = 2e élément créé).
  • 7e parole : création des animaux produits par la terre (dernier élément créé), êtres vivants qui occupent le même sol que l’homme. Leur énumération commence par ceux qui vivent dans le commerce de l’homme : les animaux domestiques.
  • 8e parole : création de l’homme. Celui-ci ne vient pas directement d’un élément, mais il est introduit avec solennité comme l’accomplissement d’un dessein spécial de Dieu, comme un aboutissement : il rattache à Dieu toute la création. L’homme-est créé directement par Dieu ; il est fait à la ressemblance divine. C’est l’apparition du roi.

Coup sur coup, avec une sûreté et une fécondité toutes-puissantes, les paroles créatrices se sont succédé, illuminant le chaos, étendant le ciel, dégageant la terre, la couvrant des merveilles de la nature et lui donnant son chef. La création achevée, Dieu bénit le premier couple humain, investit l’homme de la royauté sur tous les êtres vivants, pose la condition universelle que la vie ne s’alimente pas au détriment de la vie et constate la perfection de son œuvre.

« Ainsi, conclut le rédacteur, furent achevés le ciel, la terre et toute leur armée. »

Ce récit, admirablement ordonné et d’une incomparable majesté, élève le Créateur infiniment au-dessus de l’humanité, par ses moyens d’action que Jésus, la Parole faite chair, reprendra durant les trois ans de son ministère, quand, par la simple émission de sa volonté, il apaisera la tempête, chassera les démons, ressuscitera Lazare : « Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri » (Matthieu 8.8) ; ce message du centenier à Jésus montre qu’il avait bien compris la méthode divine ; aussi Jésus déclare-t-il qu’il n’a jamais rencontré une pareille foi, pas même en Israël.

Quand l’auteur du code sacerdotal, P, composa, très postérieurement, ses généalogies, il trouva devant lui le récit en 8 paroles que nous venons d’analyser. C’était le temps où les hommes du Temple achevaient d’élaborer leur savante organisation des fêtes juives autour du chiffre 7 : depuis le sabbat, fête du 7e jour, jusqu’à l’année sabbatique, tous les 7 ans, et l’année jubilaire après 7 fois. 7 ans. Le caractère conventionnel de cette organisation ressort assez du fait qu’aucun document historique n’en mentionne la réalisation. Mais on peut s’expliquer que, dans le milieu où elle fut élaborée, la piété juive se soit représenté que la semaine était de création divine et que l’institution du sabbat avait pour origine le repos même de Dieu : le repos de Dieu, archétype et motif suprême du repos de l’homme, le Sabbat. C’est ainsi que, sans aucune intention de dénaturer, mais avec la conviction, au contraire, de compléter le texte primitif et de rétablir la vérité première, l’auteur des généalogies a dû s’appliquer à faire rentrer les 8 paroles créatrices dans le cadre d’une semaine avec, tout naturellement, le sabbat de Dieu pour conclusion. Il a fait son travail avec conviction et grand art. La majesté de sa création en 6 jours est aussi grande que la majesté de la création en 8 paroles. Malheureusement le récit primitif se prêtait mal à l’adaptation.

Les 6 jours créateurs sont bien, quoi qu’on en ait dit, des jours ouvrables ; il s’agit non de périodes, mais de jours civils dont le soir, signifiant : 12 heures de nuit, et le matin, signifiant : 12 heures de jour, font la journée. Or notre auteur, voulant accommoder les actes créateurs dans le cadre de la semaine, s’est vu acculé à la nécessité de mettre des soirs et des matins, c’est-à-dire des heures de nuit et des heures de lumière, 4 jours avant la création des luminaires établis par Dieu précisément pour distinguer les jours et les nuits. Il suffit de réfléchir à cet inconvénient pour voir s’écrouler tout le système. L’ordonnance qui établit le parallèle entre les 3 premiers et les 3 derniers jours est parfaite, mais elle n’est obtenue qu’en soudant arbitrairement 2 fois 2 paroles et cela de façon fort contraire à la logique de la création. Celle-ci, comme nous l’avons vu, lie la 3e parole aux 2 premières (établissement du cadre) et la 4e à la 5e (établissement des conditions de vie). De même la 7e est liée à la 6e (êtres vivants produits par la terre) et ne va pas de pair avec la 8e, laquelle introduit l’homme en le distinguant nettement comme une création - spéciale, unique en son genre. Ainsi, l’ordre réel, le lien organique sont détruits par le cadre factice des 6 jours.

Remarquons encore que Genèse 2.4b dit : « le jour où (hébreu beyôni ; LXX hê [i] hêmérâ [i] ; Vulgate in die quo) Dieu fit une terre et des cieux ». Cette formule ne cadre en aucune façon avec le travail en 6 jours, tandis qu’elle s’accorde parfaitement avec l’idée primitive : Dieu, pour créer une terre et des cieux, n’eut qu’à parler. Traduire ici beyôm par « lorsque », c’est éluder la difficulté par souci d’harmonisation.

Reste la question du repos de Dieu. Genèse 2.1 a est une conclusion ; Genèse 2.1b introduisant le sabbat rouvre un récit terminé. Les LXX ont été embarrassés par ce conflit dans les termes et s’en sont tirés en changeant le texte. Il vaut mieux reconnaître que la préoccupation du repos n’est pas entrée dans le récit primitif, lequel ayant conçu la création sans y faire entrer des journées de travail, n’avait pas non plus à appeler en cause l’idée du repos, corrélative à l’idée de fatigue. L’institution du sabbat existait très anciennement chez les Babyloniens sous le nom de « sabbattu » (voir Sabbat). Un jour sur sept était consacré à la divinité, mais la raison d’être de ce jour n’était pas le repos de cette divinité elle-même ; c’était « le jour de l’apaisement du cœur ». L’idée du repos de Jéhovah ne se retrouve pas non plus dans les textes primitifs de la littérature hébraïque, ni chez les prophètes où l’activité de Jéhovah s’exerçant « à bras étendu » est présentée comme une action continue ; (cf. Ésaïe 40.28) le Psaume 104, qui exalte les œuvres merveilleuses de la création, ne les arrête pas aux 6 jours, mais présente toute apparition de la vie comme la suite ininterrompue de l’activité créatrice qui « renouvelle sans cesse la face de la terre » (verset 29 et suivant, Ésaïe 41.18-20). « Mon Père, dira un jour Jésus, agit continuellement » (Jean 5.17). La notion du repos de Dieu motivant le sabbat est aussi étrangère à Israël que la notion des fêtes sabbatiques ou jubilaires, dont on ne retrouve aucune trace dans les annales hébraïques avant l’exil, mais qui font partie du même système que celui de la création établie dans le cadre de la semaine. Ce sont là les travaux postérieurs d’une théologie sacerdotale plutôt juive qu’hébraïque. Le Décalogue primitif donné par Moïse (voir Décalogue) et dont nous avons deux versions avec commentaires (Exode 20 ; Deutéronome 5) instituait le « Sabbat pour Jéhovah » et non « de Jéhovah ». Le commentaire d’Exode 20 rattache le repos du 7e jour au texte de Genèse 2.2 et suivant. Mais le commentaire de Deutéronome 5, inspiré très directement par les temps mosaïques, lui donne pour motif qu’Israël a été esclave au pays d’Égypte, et doit par conséquent avoir pitié des esclaves, leur donner un jour de relâche par semaine, et accorder le même repos à toute bête de somme, afin que la nature entière, dont l’homme n’est que l’usufruitier, soit replacée tous les 7 jours dans la dépendance directe du Créateur. L’idée que Dieu est le maître de tout et que, devant lui, l’homme doit abdiquer, est essentiellement dans le mouvement de la prédication prophétique. Par contre, peut-on s’imaginer que si l’auteur du Deutéronome avait eu sous les yeux un décalogue de Moïse motivant le sabbat de la créature par le sabbat du Créateur, il se serait permis d’en effacer le repos de Dieu ? Parmi toutes les raisons qui militent contre l’antiquité du cadre de la semaine appliqué au récit de la création, le décalogue de Deutéronome 5 est une de celles qui doivent le plus retenir notre attention.

Que l’on se rattache à la création en 8 paroles ou à la création en 6 jours, un fait demeure, c’est que, même avec le système des jours considérés comme des périodes et assimilés aux âges de la géologie, on ne saurait sans s’abuser gravement présenter le récit biblique de la création comme un exposé scientifique corroboré par les découvertes modernes. Genèse 1 part de la croyance que la terre est plate et qu’elle est le centre de l’univers (voir Cosmogonie). D’après son récit, le soleil et les étoiles ont été créés après la terre. Enfin, les oiseaux ont précédé tous les animaux terrestres, et les végétaux ont atteint leurs formes les pins évoluées avant qu’aucune forme animale n’ait apparu. Il faut reconnaître que l’auteur a partagé pour l’ensemble les croyances de ses contemporains. Mais dans la façon dont il a pensé ces croyances et dont il les a exprimées, sa méditation d’homme de Dieu l’a élevé si haut au-dessus des fantaisies du paganisme qu’il est arrivé, même au point de vue scientifique, à des clartés donnant à son récit le caractère d’une véritable révélation : création par un Dieu unique, harmonie du plan de la nature, unité de la race humaine, évolution allant de l’océan primitif en passant par le monde inorganique, puis les végétaux, puis le monde animal : les poissons, les reptiles, les mammifères, jusqu’à l’homme présenté comme le roi de la création du fait qu’il est formé à l’image du Créateur. Quand le savant des temps modernes s’est mis à la recherche des secrets de la nature, il a trouvé ces jalons déjà posés dans la première page de la Bible. Qui pourra dire à quel point ces jalons ont orienté et fécondé ses hypothèses ? L’ingratitude peut méconnaître, non supprimer l’effet du service rendu.

Si nous laissons maintenant le domaine scientifique, réservé par Dieu à la conquête de l’homme libre, pour nous placer sur le terrain de la vérité religieuse où l’homme de la Chute ne pouvait par lui-même accéder sans le secours divin, notre récit de la création nous apporte l’accent de la parole même de Dieu. Il nous révèle que la création conçue par la toute-sagesse, exécutée par la toute-puissance, avait un but suprême : l’apparition d’un être fait à la ressemblance divine et capable d’établir, sur la terre délivrée du chaos, le règne de Dieu. Le plan compromis par le premier Adam a été rétabli par le second. À la première création dénaturée par le péché succéderont les nouveaux cieux et la nouvelle terre où la justice habitera (2 Pierre 3.13), mais ceux-ci ne feront autre chose que de réaliser, par le détour de la Rédemption, la pensée initiale, le plan de la première création voulue pour le bonheur de la créature et pour la gloire du Créateur. La parole inaugurale de l’Ancien Testament qui tira le monde des ténèbres répond à la parole du Nouveau Testament : « le Fils bien-aimé du Père, image du Dieu invisible, en qui, par qui et pour qui tout a été créé » (Colossiens 1.12-16). Et comme l’œuvre du Christ crucifié a pour origine le don de ce Fils bien-aimé au monde (Jean 3.16), toute l’histoire de la création, depuis le « que la lumière soit » (Genèse 1.3, comparez 2 Corinthiens 4.6) jusqu’au « rétablissement de toutes choses » (Actes 3.21) par la victoire de « l’Agneau immolé » (Apocalypse 13.8 ; Apocalypse 22.3 ; Apocalypse 22.6), nous apparaît, dans son unité, comme une œuvre d’amour, l’amour gratuit de Dieu, « chaîne immense qui descend du ciel et qui remonte au ciel en ramassant l’homme au passage » (L. Bonnet).

En même temps que le récit de la création pose les fondements sur lesquels toute l’histoire du Royaume de Dieu devra s’édifier, il jette des clartés décisives sur ce que nous pouvons savoir et de la nature de Dieu et de la destinée de l’homme. L’homme est fait à l’image du Créateur. Puis donc que l’image (voir ce mot) est intelligence, cœur, conscience, volonté, Dieu, le modèle, est au sens absolu : intelligence, cœur, conscience, volonté ; Dieu est la personne parfaite. D’autre part, l’œuvre du Créateur (le modèle) ayant consisté à mettre la lumière à la place des ténèbres, l’ordre à la place du désordre, la vie à la place de la mort, la fécondité à la place de la stérilité, et de tout ordonner de façon que le bonheur règne sur la terre, l’homme (l’image), pour réaliser sa destinée (ressembler à Dieu), doit vouer son action à mettre partout où il intervient : lumière, ordre, vie, fécondité, bonheur. Si, au cours de la civilisation dite chrétienne, l’homme baptisé au nom de Jésus-Christ avait pris en considération les choses élémentaires que lui enseigne le récit biblique de la création, la société contemporaine ne s’agiterait pas dans les convulsions où la mettent, en dépit de l’Évangile, les modernes faiseurs de chaos.

Alexandre Westphal


Numérisation : Yves Petrakian