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Stoïciens

Cette secte que l’Évangile rencontra de bonne heure sur son chemin, et contre laquelle Paul fut appelé à lutter à Athènes (Actes 17.18 ; cf. v. 22-31), représentait la propre justice, et correspondait ainsi aux pharisiens d’entre les Juifs, comme les épicuriens (ibid.) répondaient aux sadducéens par le sensualisme et le matérialisme de leurs doctrines. La philosophie avait alors rempli le cercle de la pensée humaine livrée à elle-même, et tout ce qu’elle a enseigné depuis ne sont que les mêmes idées sous d’autres formules avec des lambeaux de vérité arrachés au christianisme ; elle oscille sans cesse, et ne connaît que deux pôles extrêmes. La vérité ne peut être saisie que par l’esprit de vérité.

Zenon fut le fondateur de cette secte. Né en Chypre vers 340 ans avant Jésus-Christ (la même année qu’Epicure, d’autres disent en 362), il se retira du commerce après y avoir éprouvé des pertes considérables. À Athènes, il se mit en relation avec le cynique Cratès, le mégarique Stilpon, et d’autres philosophes, et ne tarda pas à se vouer lui-même à la philosophie. Il s’établit dans un local nommé Sria, c’est de là que son école fut nommée le Portique, et ses partisans stoïciens. Il réunit autour de lui un grand nombre de disciples, et captiva même le roi de Macédoine, Antigone Gonatas, qui l’honora toujours d’une estime particulière. Son but était de rendre à l’homme sa vigueur première qui tendait à s’énerver par le luxe et la mollesse. Il parvint à un âge très avancé, et ayant fait une chute, il pensa que la terre le rappelait, et il donna l’exemple du suicide. Il était matérialiste. La nature, qui dicte à l’homme ses devoirs, était pour lui un enchaînement de lois immuables qui régissent l’homme invariablement ; le fatalisme en devait découler, et, comme Zenon maintenait le fait de la volonté individuelle, il ne pouvait se tirer de cette contradiction entre ses dogmes que par un sophisme. Sa logique était trop subtile ; Sénèque, qui était lui-même stoïcien, blâmait leur genre de dialectique, et l’a parodiée dans le raisonnement bien connu. La théologie de Zenon était le panthéisme, sans que peut-être il s’en rendît bien compte lui-même. En morale, et c’était la partie principale de sa philosophie, Zenon voulait que la vertu fût le seul mobile de la conduite de l’homme. Il n’admet d’autre bien que la vertu, d’autre mal que le vice, et trace du vrai sage un tableau idéal qui le place bien au-dessus de l’humanité ; il condamne toutes les passions comme autant de faiblesses et de maladies de l’âme, et donne ainsi à sa morale quelque chose de paradoxal et de farouche.

M. Vinet, dans ses Éssais de Philosophie, tout en reconnaissant qu’on peut « s’humilier devant le stoïcisme, et l’admirer, mais avec effroi, avec compassion », le juge et le condamne en ces termes : Le stoïcisme, c’est l’homme qui, pour avoir un Dieu, se fait dieu lui-même. Le stoïcien, à la vérité, parle quelquefois des dieux, mais dans un sens sur lequel il ne faut pas se tromper. Ils sont un autre nom de son idéal, non la règle ni la raison première de sa volonté. Le stoïcien a conçu la vertu sous la notion de la force, non sous celle de l’obéissance. Elle ne se présente pas à lui sous l’aspect du devoir, mais sous celui de la dignité, soit personnelle, soit collective. Sans doute que dans le lointain, le sentiment obscur du devoir se décèle comme la source de cette notion de la vertu ; mais le stoïcien se cache à lui-même cette origine ; et si, dans cette religion de l’orgueil, le mot devoir se prononce encore, c’est d’un devoir envers soi-même qu’il est question, et le respect envers soi-même est le motif et la substance de tout bien. Il y a dans cette religion les apparences d’une hostilité permanente, d’une guerre à mort contre la volonté, mais seulement les apparences ; car s’obéir à soi-même ce n’est pas obéir, et des devoirs dont on est le premier et le dernier terme, ne sont pas des devoirs.

Encore ici, la volonté propre est déifiée ; on l’exalte, à la vérité, on l’élève en quelque manière au-dessus d’elle-même, afin de pouvoir plus convenablement l’adorer ; on la rend presque inaccessible, afin de pouvoir se figurer, dans la volonté, quelque chose d’autre et de plus grand que la volonté ; mais tous ces artifices involontaires sont inutiles ; et voici ce qui arrive : ou l’on rabaisse enfin jusqu’à soi la règle afin de pouvoir y atteindre ; ou bien on la maintient à sa première hauteur, et l’orgueil, sévèrement averti de son impuissance, devient du désespoir. On s’avoue que Dieu n’aurait pas mis la règle si haut qu’on l’a mise ; que Dieu qui a fait la nature, n’aurait pas tué la nature ; il n’en avait pas besoin ; le sacrifice implicite de la volonté est tout ce qu’il aurait demandé ; dès lors plus de tension, plus d’efforts démesurés ; une disposition tranquille et sereine, fondée sur la confiance en Dieu et sur la promesse de son secours ; et, dans les grandes occasions, la certitude que la force viendra, l’humble appel au donateur de cette force, l’amour, dont le ressort n’a point de limites connues, l’amour qui transforme toutes choses, jusqu’à se faire de la souffrance un aliment exquis, l’amour enfin, qui veut un objet hors de l’âme, et qui, par conséquent, est étranger au principe d’action du stoïcien, dont la vertu n’est qu’un mouvement de rotation sur son axe.

Quelle que soit la valeur rationnelle et morale du stoïcisme, il a ses hommes, et, dans chacun d’eux, son domaine et son temps, Il est moins un système et une foi que le tempérament de quelques âmes fortes ; et dans ces âmes, il ne s’applique pas à tout, comme fait l’amour ; il ne cultive qu’une portion du champ de l’âme il est ordinairement obligé de se faire dur pour être fort ; et surtout, viennent des moments inattendus, il apprend enfin à se mesurer ; après avoir brisé des rochers, il se brise contre un grain de sable ; il n’avait pas recouvert uniformément et également l’âme entière ; sa cuirasse d’airain, fait toujours défaut quelque part ; il se donne de terribles démentis ; il ne plie pas peut-être, mais il rompt ; il ne se courbe jamais, mais il tombe, et ses chutes sont d’autant plus éclatantes qu’il tombe de plus haut ; car le stoïcisme est la forme la plus spirituelle de l’orgueil ; et l’orgueil, dit l’éternelle sagesse, marche devant l’écrasement. »

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