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Daniel 2
Bible Annotée (interlinéaire)

Verset à verset  Double colonne 

Plan du commentaire biblique de Daniel 2

Ce chapitre raconte le songe de Nébucadnetsar représentant les quatre grandes monarchies qui se succèdent pour faire place enfin au royaume de Dieu. Ce sujet est repris et développé par la vision du chapitre 7. On peut même dire que, comme les révélations reçues par Daniel dans la suite ne sont toutes que le développement de celle-ci, ce chapitre 2 forme la base de la seconde partie du livre. Le fait que ce ne fut pas le prophète hébreu, mais le roi païen qui reçut cette révélation est significatif : En la personne du premier roi qui ait représenté la monarchie universelle, en la personne de celui qui venait de mettre fin au royaume d’Israël, la puissance de ce monde apprend à connaître son destin final et comment elle doit à son tour et à jamais faire place un jour au règne de Dieu. Cependant, il importe de le remarquer : bien que favorisé d’un songe divin, le monarque païen est incapable de le comprendre par lui-même ; ses sages ne peuvent pas non plus le lui interpréter. Ce songe n’est donc pour lui qu’un sujet de trouble intérieur, jusqu’au moment où un Israélite éclairé de Dieu vient le lui raconter et lui en donner la clef (Auberlen).

1 La seconde année du règne de Nébucadnetsar, Nébucadnetsar ayant eu des songes, son esprit fut frappé et son sommeil fut interrompu.

Nébucadnetsar fait un songe que les mages ne peuvent raconter (1-11)

La seconde année du règne de Nébucadnetsar. Ce monarque ne devint réellement roi qu’en 604, soit la sixième année de Jéhojakim. Nous avons déjà vu (Daniel 1.1 note) que, si Nébucadnetsar est appelé roi avant cette époque, c’est par anticipation (Le passage Jérémie 25.4 doit aussi être expliqué en partant du commencement de sa régence). Si l’on admet que les jeunes Israélites ont été envoyés à Babylone immédiatement après la prise de Jérusalem (606), ils avaient déjà terminé les trois années d’études dont il est question Daniel 1.5 ; Daniel 1.18, à l’époque de la seconde année de Nébucadnetsar, c’est-à-dire en 603-602. L’explication de quelques commentateurs qui placent l’interprétation du songe par Daniel pendant les années d’études de celui-ci, crée des difficultés ; voyez surtout Daniel 2.48.

Ayant eu des songes. Il n’est question dans la suite du récit que d’un seul songe ; le pluriel signifie simplement : il se trouva en état de songe.

Comparez les révélations accordées sous forme de songe à des hommes étrangers à la théocratie : Abimélec (Genèse 20.3), Laban (Genèse 31.24), Pharaon (Genèse 41.1-12). Le songe est la forme inférieure de la révélation et cette forme, dans la circonstance présente, était d’autant mieux choisie que les peuples païens en général et les Chaldéens en particulier attachaient aux songes une importance extrême et leur attribuaient un sens prophétique. Les documents contemporains attestent le fait.

Fut frappé. L’agitation que lui causa ce songe l’empêcha de se rendormir.

2 Et le roi dit d’appeler les lettrés, les magiciens, les enchanteurs et les Chaldéens pour expliquer au roi ces songes ; et ils vinrent et se tinrent devant le roi.

Les lettrés, les magiciens, les enchanteurs et les Chaldéens. Ces noms désignent, quatre classes de mages babyloniens dont les fonctions étaient distinctes.

Les lettrés : Chartummim : on les rencontre aussi en Égypte (Genèse 41.8, où ils doivent expliquer le songe de Pharaon et Exode 7.1, etc., où ils exécutent des enchantements). L’étymologie de ce nom est un mot qui signifie stylet et il paraît désigner des savants ou, comme les appelle Hérodote, des scribes sacrés, dont la fonction était d’écrire et d’interpréter les livres de magie. Selon une autre explication, qui nous semble moins probable, les Charturnmim étaient appelés ainsi du nom d’une baguette magique dont ils se servaient pour faire des conjurations.

Les magiciens : Aschaphim. Ce mot ne se trouve que dans le livre de Daniel. Son sens parait être : ceux qui soufflent. Ce seraient des exorcistes qui, par des formules de conjuration et d’imprécation prononcées à demi-voix, prétendaient éloigner les démons et mettre à l’abri de leurs coups.

Les enchanteurs : Mecaschephim existaient également en Égypte (Exode 7.11) ; d’après Ésaïe 47.9 ; Ésaïe 47.12, ils étaient fortement représentés à Babylone.

Les Chaldéens : Casdim. Nous savons par Hérodote et Diodore de Sicile que c’étaient des prêtres issus de la race la plus ancienne du pays (Comparez Daniel 1.4). Comme tels, ils étaient sans doute chargés des offices sacerdotaux proprement dits et avaient la priorité sur les autres classes de mages. C’est pourquoi ils parlent au nom de tous (versets 4 et 10).

Outre ces quatre classes, d’autres passages (verset 27 ; Daniel 4.7, etc.) mentionnent encore les astrologues : Gazrim, qui annonçaient l’avenir et tiraient l’horoscope d’après les mouvements des astres. Quelques-uns voient plutôt en eux des devins, qui lisaient l’avenir dans les entrailles des victimes (de gazar, couper). Cette dernière opinion nous semble moins probable. Toutes ces cinq classes sont renfermées dans un terme général, celui de sages (versets 12 et 18 ; Daniel 4.6 et Jérémie 50.35). Ils formaient, d’après Diodore de Sicile, un collège sous la direction d’un chef (comparez verset 48) qui, vu l’extension considérable qu’avait alors la magie à Babylone et l’importance qui lui était attribuée, occupait une haute position dans l’État. Comme ces diverses classes se complétaient l’une l’autre, Nébucadnetsar les convoque toutes. Tous les moyens de divination devaient être employés pour découvrir le songe et son sens caché. Dans le cas où le songe annoncerait des malheurs, il fallait chercher à les détourner en rendant les dieux propices par des sacrifices et des prières. Et pour cela toutes les classes devaient être consultées. Chacune n’était sans doute représentée en cette circonstance que par ses chefs, ce qui explique l’absence de Daniel (verset 13).

3 Et le roi leur dit : J’ai fait un songe, et mon esprit est frappé, cherchant à connaître ce songe.

Cherchant à connaître ce songe. L’on pense ordinairement que le roi avait oublié le songe et que son agitation provenait des efforts de son esprit pour se le rappeler. La suite nous fait plutôt penser Nebucadnetsar ne l’avait point réellement oublié et qu’il avait des raisons pour mettre à l’épreuve l’intelligence surnaturelle que s’attribuaient ses devins. Le meilleur moyen de contrôler la vérité de l’explication qu’ils lui donneraient était de les forcer à lui raconter le songe lui-même qu’ils ne pouvaient certainement connaître par aucun procédé naturel (verset 9).

4 Les Chaldéens parlèrent au roi en araméen : Ô roi, vis éternellement ! Dis le songe à tes serviteurs, et nous en ferons savoir la signification.

En araméen. L’araméen n’est pas l’ancienne langue des Chaldéens (l’accadien), qui était hors d’usage au temps de Nébucadnetsar et dans laquelle Daniel et ses compagnons avaient été instruits durant ces années (Daniel 1.4). Ce n’était pas non plus la langue usitée à cette époque à Babylone, le dialecte assyro-babylonien qui apparaît dans les noms propres du livre de Daniel (voyez 1.7) et dans la plupart des inscriptions retrouvées en Assyrie et en Babylonie. L’araméen (ou syriaque) dont se servent ici les mages était la langue des populations qui occupent la Syrie actuelle. Elle paraît avoir été de bonne heure répandue dans toute l’Asie occidentale, comme langue des relations internationales, de la diplomatie (Ésaïe 36.11 ; Esdras 4.7) et du commerce. On possède des briques, poids, sceaux et étiquettes sur lesquelles des contrats de vente et de mariage sont gravés dans les deux langues, l’assyrienne et l’araméenne. On sait aussi par les inscriptions qu’il y avait à Babylone deux secrétaires du roi, l’un pour les affaires qui devaient se traiter en araméen, l’autre pour celles qui devaient se traiter en assyrien. Il n’y a donc rien d’impossible à ce que, en raison d’un usage que nous ne connaissons pas ou pour quelque but qui nous échappe, les Chaldéens, en tant que personnages officiels ou gens cultivés, se soient adressés au roi dans cette langue araméenne.

Ce qu’il y a de particulier, c’est que ce soit précisément ici, après les mots : en araméen, que le récit passe de la langue hébraïque au dialecte araméen, qui continue jusqu’à la fin du chapitre 7. Par cette raison, quelques-uns ont pensé que les sages n’avaient pas parlé en araméen, mais que les mots : en araméen, doivent être mis comme en parenthèse et indiquent simplement que le récit continue dans cette langue. Cela n’explique point encore la transition si brusque à une autre langue. Ce changement est l’un des problèmes les plus embarrassants du livre de Daniel. Nous y reviendrons dans la conclusion.

Ô roi, vis éternellement : formule consacrée chez les Perses et les Babyloniens, lorsqu’on s’adressait au roi (Néhémie 2.3).

5 Le roi répondit et dit aux Chaldéens : C’est chose arrêtée par moi. Si vous ne me faites savoir le songe et ce qu’il signifie, vous serez mis en pièces et vos maisons seront réduites en cloaques.

C’est chose arrêtée par moi. D’autres, partant de l’idée que Nébucadnetsar avait oublié son songe, ont traduit : La chose m’est échappée, sens qui nous paraît grammaticalement impossible et peu compatible avec la conduite des mages ci-après.

Vous serez mis en pièces : supplice usité chez plusieurs peuples de l’antiquité, notamment chez les Babyloniens (comparez Daniel 3.29 ; Ézéchiel 16.40) ; chez les Israélites aussi en temps de guerre (1 Samuel 15.33).

En cloaques : comparez 2 Rois 10.27.

6 Mais si vous me dites le songe et ce qu’il signifie, vous recevrez de moi dons, récompenses et grands honneurs : ainsi dites-moi le songe et ce qu’il signifie. 7 Ils répondirent pour la seconde fois et dirent : Que le roi dise le songe à ses serviteurs, et nous en ferons savoir la signification. 8 Le roi répondit et dit : À coup sûr, je sais que vous cherchez à gagner du temps, parce que vous voyez que c’est chose arrêtée par moi.

Parce que vous voyez que… Les sages ont répété leur prière respectueuse (verset 7) ; le roi leur déclare qu’ils ne font par là que justifier sa défiance : D’une part, vous ne pouvez pas dire le songe ; de l’autre, vous me voyez décidé à sévir ; vous employez donc le seul moyen qui vous reste : gagner du temps.

9 Car puisque vous ne me faites pas savoir le songe, c’est que vous avez une seule pensée : de préparer un discours mensonger et trompeur à me dire, en attendant que les temps changent ; ainsi dites-moi le songe, et je saurai que vous m’en aurez fait connaître la signification.

De préparer un discours. Vous mettez à présent toute votre habileté à chercher une réponse dilatoire pour me tranquilliser, en attendant que j’aie oublié la chose ou que quelque circonstance heureuse vous tire d’affaire.

Dites-moi le songe et je saurai. Ces paroles montrent bien qu’en leur demandant le songe, le roi voulait se mettre à l’abri d’une mystification. En effet, une interprétation leur eût été aisée à trouver, s’il leur eût lui-même déclaré le songe.

10 Les Chaldéens répondirent devant le roi et dirent : Il n’y a pas d’homme sur la terre qui puisse faire savoir ce que le roi demande. Aussi jamais roi, si grand et si puissant qu’il ait été, n’a demandé chose pareille d’aucun lettré, devin ou Chaldéen. 11 La chose que le roi demande est difficile, et il n’y a personne qui puisse la révéler au roi, hormis les dieux dont la demeure n’est pas parmi les mortels. 12 Là-dessus le roi se mit en colère et en grande fureur, et il dit qu’on fit périr tous les sages de Babylone.

Condamnation des mages ; Daniel obtient un délai (12-18)

Les sages sont maintenant convaincus de mauvaise foi dans l’exercice ordinaire de leur emploi. L’ordre si cruel du roi n’a rien d’extraordinaire de la part d’un despote oriental.

13 La sentence ayant été publiée, on tuait les sages et on cherchait Daniel et ses compagnons pour les tuer.

On tuait : c’est le sens naturel du mot et les versets 14 et 24 ne sont pas incompatibles avec ce sens.

Daniel et ses compagnons n’avaient pas paru devant le roi ; voir au verset 2.

14 Alors Daniel fit une réponse prudente et sensée à Arjoc, le chef des gardes du roi, lequel était sorti pour tuer les sages de Babylone. 15 Il répondit et dit à Arjoc, commissaire du roi : Pourquoi cette sentence subite de la part du roi ? Alors Arjoc fit savoir la chose à Daniel. 16 Alors Daniel entra et pria le roi de lui donner du temps et qu’il ferait savoir au roi la signification.

Daniel pria le roi, non pas sans doute personnellement, mais par l’intermédiaire d’un maître des cérémonies (comparez versets 24 et 25 et Esther 4.11). Le récit suppose que la demande fut accordée.

17 Alors Daniel alla dans la maison et informa de la chose Hanania, Misaël et Azaria, ses compagnons,

Daniel était sûr de l’intervention divine (verset 16), à la condition qu’elle fût implorée. Pour donner plus de force à sa prière, il y associe ses amis menacés comme lui.

18 afin d’implorer la miséricorde du Dieu des cieux au sujet de ce secret, pour qu’on ne fit point périr Daniel et ses compagnons avec le reste des sages de Babylone.

Ce verset semble prouver que, comme nous l’avons admis plus haut (verset 13), le massacre avait déjà commencé.

19 Alors le secret fut révélé à Daniel dans une vision pendant la nuit. Alors Daniel bénit le Dieu des cieux.

Le songe est révélé à Daniel ; sa prière d’actions de grâces (19-23)

Dans une vision… Une vision pendant (littéralement de) la nuit n’est pas identique avec un songe. Daniel n’a pas resongé le songe de Nébucadnetsar, mais il l’a contemplé éveillé dans une vision.

20 Daniel prit la parole et dit : Que le nom de Dieu soit béni d’éternité en éternité, car c’est à lui qu’est la sagesse et la force.

La prière de Daniel porte l’empreinte du songe qui lui fut révélé. Le songe se rapportait aux transformations de la puissance terrestre. Les deux attributs divins que Daniel célèbre sont la force (verset 21) et la sagesse (versets 21 et 22), parcequ’ils éclatent particulièrement dans la révélation donnée à Nébucadnetsar. C’est également comme dispensateur de la sagesse et de la force que Dieu s’est révélé à Daniel (verset 23).

21 C’est lui qui change les moments et les temps, qui dépose les rois et qui les élève, qui donne la sagesse aux sages et le savoir aux intelligents. 22 C’est lui qui révèle les choses profondes et cachées, qui connaît ce qui est dans les ténèbres et la lumière demeure avec lui. 23 C’est toi, Dieu de mes pères, que je célèbre et que je loue de ce que tu m’as donné de la sagesse et de la force, et de ce que maintenant tu m’as fait connaître ce que nous avons demandé, en nous révélant l’affaire du roi.

Me… nous. La révélation accordée à lui seul était le fruit des prières de tous les quatre.

24 Là-dessus Daniel entra vers Arjoc, que le roi avait chargé de faire périr les sages de Babylone ; il alla et lui parla ainsi : Ne fais pas périr les sages de Babylone ; fais-moi entrer devant le roi, et je donnerai au roi l’explication.

Daniel est introduit en la présence du roi (24-30)

25 Alors Arjoc fit entrer en toute hâte Daniel auprès du roi et lui parla ainsi : J’ai trouvé un homme d’entre les captifs de Juda qui donnera au roi l’explication.

J’ai trouvé un homme. Arjoc se fait un mérite de cette circonstance. Il peut s’exprimer ainsi, parce que la demande de Daniel (verset 16) avait été présentée par l’intermédiaire d’un autre personnage.

26 Le roi prit la parole et dit à Daniel, qui s’appelait Beltsatsar : Es-tu donc capable de me faire connaître le songe que j’ai eu et ce qu’il signifie ?

Qui s’appelait Beltsatsar. Ce nom est ajouté ici à celui de Daniel, parce que ce fut sous ce nom que l’interpella le roi.

27 Daniel répondit en présence du roi et dit : Le secret que le roi demande, ni sages, ni magiciens, ni lettrés, ni astrologues, ne peuvent le découvrir au roi.

Sages, magiciens, etc (voyez verset 2). Ce préambule de Daniel prépare la narration et l’explication du songe : il cherche à détourner de dessus les sages la colère du roi, en attribuant au seul vrai Dieu la révélation du mystère (verset 28). Comparez un langage semblable dans la bouche de Joseph, Genèse 41.16. Puis il rappelle au roi les dispositions dans lesquelles il se trouvait et les pensées qui le préoccupaient dans la nuit où il reçut le songe (verset 29) ; et enfin (verset 30), au moment où il va lui révéler le secret, il s’interrompt pour rendre encore l’honneur à Dieu et affirmer qu’il n’est qu’un instrument entre ses mains pour l’instruction du roi.

28 Mais il y a un Dieu dans le ciel qui révèle les secrets et qui a fait connaître au roi Nébucadnetsar ce qui doit arriver dans la fin des jours. Ton songe et les visions qu’a eues ta tête sur ta couche, les voici : 29 Toi, ô roi, des pensées s’élevaient en toi, sur ta couche, au sujet de ce qui devait arriver ci-après, et celui qui révèle les secrets t’a fait connaître ce qui doit arriver. 30 Et moi, ce n’est pas par une sagesse qui soit en moi plus qu’en aucun des vivants que ce secret m’a été révélé, mais c’est afin que l’explication en soit donnée au roi et que tu connaisses les pensées de ton cœur.

Les pensées de ton cœur : les problèmes que le songe a fait naître dans ton cœur.

31 Toi, ô roi, tu contemplais, et voici une grande statue, immense et d’une splendeur extraordinaire : elle se dressait devant toi, et son aspect était terrible.

Le songe (31-36)

La splendeur extraordinaire provenait de l’éclat des métaux dont la statue était composée, tandis que ses dimensions colossales, l’étrange composition de ses parties et probablement aussi l’expression de son visage se réunissaient pour lui donner un aspect terrible.

32 Cette statue avait la tête d’or fin, la poitrine et les bras d’argent, le ventre et les hanches d’airain, 33 les jambes de fer, les pieds en partie de fer et en partie d’argile.

D’argile. Les métaux de la statue sont de moins en moins précieux, mais aussi de plus en plus durs depuis la tête d’or jusqu’aux jambes et aux pieds de fer. Ici apparaît l’argile, mêlé ou plutôt juxtaposé au fer. Ce puissant colosse, quoique en apparence de plus en plus fort, repose donc sur une base fragile.

34 Tu contemplais, jusqu’à ce qu’une pierre se détacha sans main et frappa la statue à ses pieds de fer et d’argile et les brisa.

Le sort de la statue (34-36)

Une pierre qu’il faut se représenter détachée de la pente d’une montagne (verset 45), sans main, c’est-à-dire sans agent humain, frappe la statue à son endroit faible, aux pieds, qu’elle brise. Alors toute la statue tombe et les métaux qui sont ici énumérés dans l’ordre inverse, de bas en haut (par le fait que la statue s’écroule de bas en haut), se pulvérisent et disparaissent totalement, comme emportés par le vent. Il ne reste plus aucun vestige de la colossale statue, tandis que la petite pierre qui l’a détruite grandit jusqu’à couvrir la terre.

35 Alors furent brisés en même temps le fer, l’argile, l’airain, l’argent et l’or, et ils furent comme la balle qui s’élève de l’aire, et le vent les emporta, et il n’en resta aucune trace, et la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne et remplit toute la terre. 36 Voilà le songe ; ce qu’il signifie, nous allons le dire en présence du roi.

Nous allons le dire. Peut-être Daniel emploie-t-il le nous pour éviter le je, qui mettrait trop en relief sa personne ; mais il est possible aussi qu’il entende par là : moi et mes trois amis.

37 Toi, ô roi, roi des rois, à qui le Dieu des cieux a donné royauté, puissance et force et gloire,

Explication du songe (37-45)

D’après l’interprétation donnée par Daniel lui-même, la statue tout entière représente la puissance du monde qui est considérée au point de vue de son opposition au royaume de Dieu et comme une dans les différentes phases de son développement. Les quatre parties de la statue, chacune d’un métal différent, figurent quatre formes successives de cette puissance depuis Nébucadnetsar jusqu’au royaume qui ne passera point.

Le titre de roi des rois convient à Nébucadnetsar, qui avait sous sa domination un grand nombre de souverains (comparez Ézéchiel 26.7).

38 auquel Dieu a livré, en quelque lieu qu’ils habitent, les fils des hommes, les bêtes des champs et les oiseaux des cieux, et qu’il a fait dominer sur eux tous, c’est toi qui es la tête d’or.

Ce verset fait ressortir l’idée que rien en quelque sorte ne se meut que par la volonté de ce monarque. Il est sur la terre comme un dieu visible, mais c’est le Dieu des cieux qui l’a fait tel (verset 37). Comparez Jérémie 27.6, 38.14)

C’est toi qui es la tête d’or : Nébucadnetsar est considéré comme la personnification de la monarchie babylonienne que son père avait fondée, parce qu’il en fut le plus brillant représentant. Le symbole de la tête d’or s’applique bien à cette monarchie à laquelle aucune autre ne peut être comparée pour le faste et l’absolutisme de ses monarques. Mais pourquoi commencer la série des monarchies païennes avec celle de Nébucadnetsar ? Celle-ci n’avait-elle pas été précédée pendant une longue série de siècles par le colossal empire d’Assyrie, qui s’étendait des bords du Tigre jusqu’à l’Égypte ? Il nous paraît que cette question ne peut trouver sa réponse que dans la relation de la puissance païenne avec le royaume de Dieu représenté par l’État israélite. Tant que Jérusalem subsistait encore, la puissance païenne n’était pas illimitée. Une fois Jérusalem soumise, la série des monarchies universelles pouvait commencer. Si donc la statue représente la puissance terrestre, il faut ajouter : la puissance terrestre dans sa relation hostile avec le règne de Dieu.

39 Et après toi, il s’élèvera un autre royaume moindre que toi ; puis un troisième royaume, d’airain, qui dominera sur toute la terre.

Un autre royaume (celui qui est représenté par la poitrine et les bras d’argent). D’après la vision du chapitre 7, il parait être l’empire des Mèdes et des Perses. Comme cet empire, ainsi que le suivant, sont traités ici très brièvement, nous renverrons les discussions qui s’y rapportent au chapitre 7, où le prophète s’exprime à leur égard d’une manière plus détaillée.

Moindre que toi. L’infériorité de ce second royaume relativement à l’empire babylonien ne porte pas sur les dimensions extérieures, ni sur la valeur morale, mais sur l’omnipotence du souverain (verset 38, note).

Un troisième royaume. Si la monarchie précédente est celle des Mèdes et des Perses, celle-ci ne peut être que celle des Grecs fondée par Alexandre.

D’airain. Ce métal, plus dur que l’or et l’argent, figure la manière brusque et violente en laquelle Alexandre se substitua aux précédents.

Il dominera sur toute la terre. Alexandre réunit à la domination de l’Orient (Perse) celle de l’Occident (Grèce).

40 Et un quatrième royaume sera fort comme le fer ; de même que le fer brise et fracasse tout, ainsi, pareil au fer qui met en pièces, il brisera et mettra en pièces tous les autres.

La description de ce quatrième empire comprend quatre versets entiers à cause de son importance décisive. C’est la dernière forme de la puissance terrestre et hostile à Dieu avant sa ruine.

Fort comme du fer. Ce métal, plus dur que tous les autres, est l’emblème de sa puissance incomparable de destruction.

Tous les autres. Il absorbera tous les éléments dont avaient été composés les empires précédents. C’est là sa force ; voici sa faiblesse :

41 Et si tu as vu les pieds et les orteils en partie d’argile de potier et en partie de fer, c’est que ce sera un royaume divisé ; il y aura en lui de la solidité du fer, selon que tu as vu du fer mêlé d’argile ;

En partie de fer. L’histoire de ce royaume aura deux périodes : la première (représentée par les jambes de fer, verset 40) est un temps de force irrésistible, la seconde (représentée par les pieds et les orteils de fer et d’argile) est un temps où la faiblesse se joint à la force.

42 mais comme les orteils des pieds étaient en partie de fer et en partie d’argile, sa royauté sera en partie forte et en partie fragile. 43 Si tu as vu le fer mêlé d’argile, c’est qu’ils seront mêlés de semence d’homme, mais ils ne tiendront pas l’un à l’autre, de même que le fer ne se mêle pas avec l’argile.

C’est qu’ils seront mêlés. Ce pluriel s’explique par le terme suivant : au temps de ces rois, c’est-à-dire des royaumes dont se composera cet empire dans sa dernière phase (pieds et orteils de la statue). Comparez les dix cornes de la quatrième bête, chapitre 7, qui semblent correspondre aux dix doigts de la statue.

De semence d’homme. On a interprété ces mots comme s’ils désignaient le moyen par lequel sera tentée la réunion des deux éléments hétérogènes représentés par le fer et l’argile et c’est de ce sens qu’est provenue l’application que font de ces mots plusieurs exégètes à des mariages entre les familles princières de peuples différents et opposés (comparez Daniel 11.6 ; Daniel 11.17). Mais la préposition employée (be) est la même que dans les expressions précédentes fer mêlé d’argile, c’est-à-dire avec l’argile et non pas par le moyen de l’argile. Par conséquent, la semence d’homme ne peut être ici le moyen du mélange, mais doit correspondre au second élément lui-même, l’argile. D’ailleurs, dans les passages où elle est employée, l’expression semence d’homme désigne non le mariage, mais le fruit du mariage, la postérité qui en résulte. Comparez 1 Samuel 1.11, où la mère de Samuel demande à Dieu de lui donner une semence d’homme, évidemment un enfant, puisqu’elle continue en promettant de le donner à l’Éternel. Voyez aussi Jérémie 31.27 : Je peuplerai la maison d’Israël et la maison de Juda d’une race d’hommes et d’une race de bêtes. Ainsi donc à l’élément qui fera la force primitive de ce quatrième royaume s’ajoutera dans la suite des temps un second élément, désigné sous le nom de semence d’homme. Ce terme oppose à la nature morte et insensible des peuples des royaumes représentés par les métaux, une race moralement supérieure. Autant la substance du corps humain, l’argile souple et vivant, est supérieure à celle des métaux, autant la race d’hommes l’est à la population de cet empire. C’est une différence semblable qui se retrouve au chapitre 7, lorsque le fils d’homme est opposé aux quatre bêtes.

Ils ne tiendront pas : l’élément ancien représenté par le fer et l’élément nouveau. C’est donc de l’incompatibilité de cette race d’hommes avec la population première de ce royaume que résultera sa faiblesse, ainsi que celle de toute la puissance terrestre.

44 Et dans le temps de ces rois-là, le Dieu des cieux suscitera un royaume qui jamais ne sera détruit et dont la domination ne passera point à un autre peuple, qui brisera et anéantira tous ces royaumes-là, mais qui lui-même subsistera à jamais,

La chute de la puissance terrestre et son remplacement par le royaume de Dieu éternel (44-45)

Dans le temps de ces rois-là. On pourrait appliquer ces mots à toutes les monarchies qui se sont succédé ; le sens serait : et au milieu de cette succession d’empires. Mais on ne peut nier que ce sens ne soit un peu forcé et il paraît plus naturel d’appliquer ce mot de rois aux différents États représentés par les orteils de la statue, qui sont déjà le sujet de la phrase : ils se mêleront.

Un royaume. C’est ici le nouvel état de choses, destiné à durer toujours, que Dieu lui-même créera pour remplacer l’ordre actuel auquel préside la puissance terrestre opposée à Dieu.

45 selon que tu as vu qu’une pierre s’est détachée de la montagne sans main et a brisé fer, airain, argile, argent et or. Le grand Dieu a fait connaitre au roi ce qui arrivera après ces temps-ci ; le songe est véritable et sa signification certaine.

Une pierre s’est détachée. C’est l’emblème du Messie descendant du ciel (comparez Daniel 7.13 : un fils d’homme venant sur les nuées), pour faire crouler toutes les puissances d’ici-bas et y substituer la sienne par la seule puissance de Dieu. Cette chute instantanée a été préparée par l’élément inassimilable qui avait été introduit dans les pieds de la statue.

Il n’y a ici aucune distinction entre une première et une seconde venue du Messie.

Argile, argent : l’assonance de ces deux mots est encore plus sensible en araméen qu’en français. C’est ce qui explique sans doute leur rapprochement dans cette accumulation de termes.

Tout ce qui appartient à l’ordre de choses actuel, même l’élément représenté par l’argile, fera donc place dans cette transformation complète au nouvel état de choses représenté par la montagne qui naît de la petite pierre et couvre la terre (verset 36).

Le songe est véritable… : Une réalité correspond au songe qui n’est point un vain rêve et cette réalité est bien celle dont je viens de tracer le tableau.

46 Alors le roi Nébucadnetsar tomba sur sa face et se prosterna devant Daniel et il ordonna de lui offrir des offrandes et des parfums.

Impression produite sur Nébucadnetsar (46-49)

Se prosterna. Ces hommages religieux sont rendus à Daniel non comme à un dieu, il les eût repoussés, comparez verset 30, mais comme à celui en qui le Dieu suprême vient de manifester sa sagesse et sa force.

47 Le roi parla à Daniel et dit : Il est bien vrai que votre Dieu est le Dieu des dieux et le révélateur des secrets, puisque tu as pu révéler ce secret.

Le Dieu des dieux. Il ne renie pas par là ses propres dieux, il reconnaît seulement la supériorité de celui de Daniel. De là à professer le monothéisme juif, il y a un pas décisif que Nébucadnetsar ne franchit pas.

Le révélateur des secrets (comparez verset 28). Chaque dieu du panthéon païen avait sa spécialité ; c’est la révélation des secrets qui paraît être l’attribut par lequel Nébucadnetsar caractérise celui des Juifs.

48 Alors le roi éleva Daniel et lui fit de nombreux et de riches présents ; il lui donna autorité sur toute la province de Babylone et le préposa en chef sur tous les sages de Babylone.

Le roi tient sa promesse (verset 6).

Autorité sur la province de Babylone. Daniel est fait gouverneur de cette province. D’après Daniel 3.1, l’empire était divisé en provinces dont chacune avait son gouverneur.

En chef sur tous les sages de Babylone. Cette nomination était convenable, puisque Daniel s’était montré supérieur à tous et leur avait sauvé la vie.

49 Et Daniel pria le roi, et il commit aux affaires de la province de Babylone Sadrac, Mésac et Abed-Négo ; et Daniel restait à la cour du roi.

Le roi permet à Daniel de donner des places à ses amis qui deviennent ses auxiliaires et ses subordonnés dans l’administration de Babylone. Ayant coopéré avec lui au résultat par la prière, ils avaient droit à la récompense.

À la cour du roi. Littéralement : à la porte.

Destitution de la divination sous toutes ses formes (comparez les énumérations versets 2 et 27) et son remplacement par la révélation prophétique ; destitution future de la puissance terrestre sous ses formes successives et son remplacement par le règne de Dieu : voilà les deux grandes idées renfermées dans ce chapitre 2 de Daniel. Et en effet, le monothéisme de l’auteur de ce livre n’est point celui de la raison et de la philosophie. Pour lui le règne du Dieu unique est non une idée seulement, mais un fait historique qui se développe dans l’histoire de l’humanité et qui doit aboutir à un ordre de choses saint et glorieux, à l’organisation parfaite de l’humanité sous le sceptre du roi divin. Ton règne vienne ! telle est la pensée qui domine tout le livre de Daniel.

Les quatre empires qui apparaissent ici sous l’image de différents métaux correspondent évidemment à ceux qui sont représentés par les quatre bêtes, au chapitre 7. C’est là que nous chercherons à déterminer l’application de ces emblèmes. La question importante sera de savoir quel est l’État désigné dans les deux tableaux par le dernier empire. Est-ce la monarchie syrienne (un des quatre États issus de l’empire d’Alexandre et personnifié dans son grand représentant Antiochus Épiphane, le persécuteur des Juifs) ? Ou est-ce un empire postérieur, dernier représentant de la puissance terrestre universelle, l’empire romain, par exemple ? Cette question ne pourra être discutée qu’au chapitre 7, en réunissant les indices renfermés dans les deux chapitres. Nous dirons seulement ici que, quelle que soit l’application qui doive être préférée, la semence d’homme, dont il est parlé Daniel 2.43, ne nous paraît pouvoir désigner qu’une race d’hommes d’un caractère particulier, mêlée à la population du quatrième empire et qui, par le manque d’homogénéité qu’elle introduit dans l’organisme de celui-ci, l’affaiblit et prépare sa chute, au point qu’il croulera au moindre contact d’une puissance d’ordre supérieur.