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Introduction à l’épître aux Hébreux
Bible Annotée

Les problèmes historiques que pose l’épître aux Hébreux, et que nous avons à examiner dans cette introduction, sont entourés de beaucoup d’obscurité. Quel est l’auteur de cet écrit ? Quand fut-il composé ? à quels lecteurs fut-il d’abord destiné ? Les renseignements fournis par l’antiquité chrétienne sont insuffisants pour répondre avec certitude à ces questions, et l’étude de l’épître elle-même ne conduit qu’à des hypothèses plus ou moins probables.

I. Les destinées de l’épître

L’épître aux Hébreux a son origine dans l’âge apostolique. Clément de Rome en cite des passages entiers et en paraphrase d’autres dans sa lettre aux Corinthiens, écrite en 96. Nous trouvons des traces probables de notre épître chez Justin Martyr (mort en 165) et chez Théophile d’Antioche (vers 180). La version syriaque, la Peschito, la renferme, mais ne l’attribue pas à Paul ; elle la range à la suite des épîtres adressées par l’apôtre à des particuliers. Dans l’Église d’Alexandrie, une ancienne tradition semble avoir désigné Paul comme auteur de l’épître aux Hébreux. À la fin du second siècle déjà, les docteurs de la célèbre école de cette ville cherchent à écarter les difficultés que présente cette opinion. Eusèbe (Hist. Eccl. 6, 14, 2) cite un passage de Clément d’Alexandrie où sont données les raisons pour lesquelles Paul n’aurait pas mis sa signature en tête de l’épître. Le bienheureux presbytre, Pantaenus, le fondateur de l’école d’Alexandrie, disait jadis que c’était parce que le Seigneur lui-même avait été envoyé par le Tout-Puissant, comme apôtre, aux Hébreux (Hébreux 3.1), et que Paul, envoyé vers les gentils, ne s’était point, par modestie, intitulé apôtre des Hébreux. Clément lui-même estimait que Paul n’avait point signé sa lettre parce que les Juifs avaient des préjugés contre lui et qu’il leur était suspect. Pour expliquer le style particulier de l’épître, Clément prétendait que Paul l’écrivit en hébreu et que Luc la traduisit à l’usage des Grecs. Son disciple, Origène, déclare, d’après Eusèbe (Hist. Eccl. 6, 25,11), que ce n’est pas au hasard que les anciens l’ont transmise comme étant de Paul. Mais, frappé de la différence de style entre cet écrit et les autres du même apôtre, il recourt le premier à l’hypothèse que les pensées sont de saint Paul tandis que la phrase et la composition seraient d’un autre qui aurait recueilli les enseignements du maître. Il ajoute que les uns ont supposé que Clément de Rome, les autres que Luc l’évangéliste, fut l’écrivain qui tint la plume sous l’inspiration de saint Paul, mais que Dieu seul le sait. Les conciles d’Antioche (264), de Nicée (325) et de Laodicée (360) citent sans hésiter notre épître comme un écrit de Paul. Enfin, Jérôme combattant les doutes que les chrétiens d’Occident persistaient à avoir au sujet de notre épître, écrivait : Il faut dire aux nôtres que cette épître adressée aux Hébreux est reçue comme un écrit de l’apôtre Paul, non seulement par les Églises d’Orient, mais par tous les écrivains ecclésiastiques de langue grecque, en remontant les âges. Et dans un autre passage encore, le même Jérôme parle de notre épître comme d’un livre que tous les Grecs reçoivent.

Dans les Églises de l’Occident, en effet, jusque vers le milieu du quatrième siècle, notre épître est ignorée ou citée comme ne provenant point de l’apôtre Paul. Le canon de Muratori (catalogue des livres du Nouveau Testament, du second siècle) ne la renferme point. Irénée (presbytre de Lyon vers 177) ne cite pas l’épître aux Hébreux dans les écrits qui nous ont été conservés de lui. Il l’a mentionnée dans un écrit perdu (Eusèbe Hist. Eccl. 5, 26), mais, au dire d’un ancien écrivain, il niait qu’elle fût de Paul. Le presbytre romain, Caïus, à la fin du second siècle, ne comptait, ainsi que le rapporte Eusèbe (6.20), que treize épîtres de Paul. Tertullien, mort vers 230, cite l’épître aux Hébreux en l’attribuant à Barnabas (De pudic. 20), mais cette épître ne faisait pas partie du recueil des écrits canoniques en usage dans l’Église d’Afrique, car Cyprien nomme sept Églises auxquelles Paul a écrit, il exclut donc les Hébreux ; Hippolyte de Rome (mort en 251) conteste que l’épître soit de Paul. Novatien ne la cite pas, ce qui est significatif, car il aurait pu y trouver la confirmation de ses vues opposées à la réintégration des relaps. Le commentaire anonyme des épîtres de Paul, faussement attribué à Ambroise et appelé Ambrosiaster (vers 370), ne contient pas l’explication de l’épître aux Hébreux. Les savants discutent si la mention d’une épître de Barnabas dans le catalogue annexé au Codex Claromontanus (D) se rapporte à l’épître aux Hébreux. Ce ne fut qu’au concile d’Hippone, en 393, sur l’autorité d’Augustin, cédant lui-même, comme il l’affirme, à l’autorité des Églises d’Orient, que notre épître fut introduite dans le canon, par cette formule : Épîtres de Paul, apôtre, treize, et une aux Hébreux. Le concile de Carthage, en 419, enregistre enfin, les épîtres de Paul, quatorze en nombre, et dès lors l’épître aux Hébreux est admise, mais non sans quelques doutes plus tardifs encore, par toute la chrétienté jusqu’au seizième siècle.

Avec la renaissance des études de l’antiquité et de la littérature biblique reparurent les doutes sur l’auteur de l’épître aux Hébreux. Cajetan et Erasme furent les premiers à les exprimer. Mais le concile de Trente ferma la bouche aux savants catholiques en décrétant l’origine paulinienne de l’épître. Nos réformateurs, mus surtout par des raisons de critique interne, sont à peu près unanimes à refuser à Paul notre épître. Ils le font en des termes qui, tout en manifestant la pleine liberté de leur conviction dans les questions de cette nature, montrent aussi qu’ils admirent cet écrit, et qu’ils le considèrent comme une riche source d’instruction et d’édification. Luther, après avoir déduit ses raisons contre l’authenticité, et avoir émis le premier la remarquable hypothèse que l’épître a pu être rédigée par Apollos, ajoute : Peu nous importe ; s’il n’a pas, le premier, posé le fondement, comme il nous l’apprend lui-même (6.1), il a bâti dessus de l’or, de l’argent, des pierres précieuses ; c’est pourquoi, s’il y mêle peut-être du bois, de la paille, du chaume, cela ne nous empêche pas de recevoir en tout honneur son excellente doctrine, sans pourtant l’égaler en tout aux épîtres apostoliques. Peu nous importe de ne pas savoir qui a écrit l’épître, nous nous contentons de la doctrine que l’auteur fonde constamment sur l’Écriture. (œuvres, Walch, XIV, page 146 et suivantes). Mélanchthon partage l’opinion de son ami. Calvin s’exprime ainsi dans sa préface à l’épître : Or, quant à moi, je la reçois sans difficulté aucune entre les épîtres apostoliques, et ne doute point que cela ne soit advenu par une ruse de Satan, quand il s’est trouvé jadis des gens qui ont voulu retrancher cette épître du nombre des livres authentiques… Au reste, de savoir qui l’a composée, il ne s’en faut pas soucier grandement… De ma part, je ne puis croire que saint Paul en soit auteur,… et le réformateur développe ici ses raisons. Il n’y a pas, comme il pourrait sembler, contradiction entre la première et la seconde partie de cette citation, car par épîtres apostoliques et livres authentiques, Calvin entend des écrits qui renferment la doctrine apostolique et sont, pour cette raison, dignes de figurer dans le canon. Les arguments que Luther invoque afin de prouver que l’épître n’est pas de Paul sont principalement tirés de 2.3 et de passages tels que et et suivants ; 10.26 et suivants ; 12.17, où l’auteur de l’épître ôte à ceux qui retombent tout espoir de repentance et de salut (Voir les notes sur ces passages). Calvin, de même, relève 2.3, puis l’absence du nom de l’apôtre en tête de l’épître, enfin la manière d’enseigner et le style. Théodore de Bèze termine ainsi sa première note sur l’épître aux Hébreux : Que les jugements des hommes restent libres ici ; seulement, convenons tous de ceci, que cette épître a été véritablement dictée par le Saint-Esprit, et conservée à l’Église comme un trésor inappréciable : aucune certainement n’a montré d’une manière plus divine, ni avec plus d’art, l’analogie des institutions anciennes et de la vérité spirituelle ; nulle n’a exposé plus largement l’office de notre Médiateur. Elle est écrite enfin avec une méthode si excellente, si exacte, qu’à moins de la supposer écrite par Apollos, à peine un autre peut-il en être l’auteur que Paul lui-même. L’opinion traditionnelle trouva de nouveau des défenseurs parmi les théologiens protestants et redevint dominante au dix-septième siècle. Elle n’est contredite que par les arminiens et les sociniens. Mais dès la fin du dix-huitième siècle et pendant le dix-neuvième, surtout depuis le remarquable commentaire de Bleek (1828), des critiques en nombre croissant et appartenant à toutes les écoles, reconnurent que Paul ne pouvait être ni directement ni indirectement l’auteur de l’épître aux Hébreux. Avant d’exposer leurs hypothèses sur l’origine de l’épître, il faut l’examiner elle-même pour en noter les principaux caractères. Cet examen nous montrera pourquoi l’on ne peut attribuer l’épître à Paul et nous fournira des données pour apprécier les diverses suppositions qui ont été faites au sujet de ses destinataires et de son auteur.

II. Les caractères propres de l’épître

A. La forme

1. Absence de l’adresse, genre épistolaire

L’épître aux Hébreux ne porte aucune adresse. Ce fait est étrange. Paul met en tête de ses lettres sa signature et le nom de ceux auxquels il les destine. L’auteur de l’épître aux Hébreux entre brusquement en matière par un exposé doctrinal. On a prétendu que son écrit n’était pas une lettre, mais un traité dogmatique. Cette affirmation est contredite, non seulement par les derniers versets de l’épître (13.18 et suivants), où l’auteur salue ses lecteurs comme étant connu d’eux personnellement, mais par les exhortations qui se rencontrent dans tout le cours de l’épître et qui font allusion à des circonstances très spéciales (5.11 et suivants, 6.9 et suivants, 10.25, 32 et suivants, 12.4). La supposition que l’adresse primitive se serait perdue est peu vraisemblable, car les premières lignes de l’épître forment un début solennel, et l’on concevrait difficilement qu’elles eussent jamais été précédées d’une salutation comme celles que nous lisons en tête des lettres pauliniennes.

2. Le style

L’épître aux Hébreux est, des écrits du Nouveau Testament, celui qui est rédigé dans le grec le plus pur (Holtzmann, Einleitung, 1892, p297). L’auteur observe dans sa composition les principes de la rhétorique des anciens. Il se plaît à arrondir ses périodes (1.1-4 ; 12.18-24), à user d’antithèses, de jeux de mots (9.15-18), d’assonances. Ces particularités de style ne peuvent se transporter d’une langue dans une autre et prouvent que notre épître n’est pas, comme le supposait Clément d’Alexandrie, la traduction d’un original hébreu. Elle n’est pas davantage l’œuvre de Paul, car sa forme soignée, ses périodes bien ordonnées présentent le contraste le plus absolu avec le langage véhément, la phrase tourmentée et souvent incorrecte de l’apôtre des gentils. Origène déjà en a fait la remarque, au rapport d’Eusèbe (Hist. Eccl. 6, 25) : La langue de l’épître aux Hébreux ne présente pas ce caractère commun que l’apôtre confesse être le sien, quand il se dit un homme du commun à l’égard du langage, c’est-à-dire du style. Cette épître est au contraire rédigée en fort bon grec ; quiconque s’entend à juger du style en conviendra.

3. Les citations de l’Ancien Testament

Elles sont faites exclusivement d’après la version grecque des Septante. L’auteur copie scrupuleusement l’exemplaire de cette version qu’il a sous les yeux ; tandis que Paul corrige la traduction grecque d’après l’hébreu qui lui est familier, notre auteur fonde son argumentation sur des passages qui ne se trouvent, avec le sens qu’il leur attribue, que dans les Septante (10.5-7, 10, notes). Les formules par lesquelles il introduit les citations de l’Ancien Testament ont un caractère à part : les paroles citées sont mises dans la bouche de Dieu, même quand il y est question de Dieu à la troisième personne (1.6-8 ; 4.4, 7 ; 7.21 ; 10.30). On ne trouve pas dans l’épître aux Hébreux les locutions usitées dans les épîtres de Paul : Il est écrit,… l’Écriture dit.

4. Dépendance littéraire d’autres écrits du temps

On prétend que certaines expressions de notre épître montrent que l’auteur connaissait les lettres de Paul, spécialement la première aux Corinthiens et celle aux Romains. Comparez :

  • Hébreux 2.10 et Romains 11.36
  • Hébreux 2.8 et 1 Corinthiens 15.27
  • Hébreux 2.14 et 1 Corinthiens 15.26
  • Hébreux 3.7-19 et 1 Corinthiens 10.1-11
  • Hébreux 5.12 et 1 Corinthiens 3.2
  • Hébreux 10.33 et 1 Corinthiens 4.9 ; etc.

Mais les coïncidences de termes qu’on trouve dans ces passages s’expliquent sans qu’il soit nécessaire d’admettre que l’auteur fût un lecteur assidu des épîtres de Paul : la plupart des expressions sont empruntées à l’Ancien Testament ou étaient usuelles dans le langage des premiers chrétiens. La rencontre la plus significative est celle de Hébreux 10.30, où se trouve la seule citation de l’Ancien Testament pour laquelle l’auteur n’a pas suivi exactement les Septante, et cette citation est identique à celle que fait Paul dans Romains 12.19. Mais il se peut qu’il fût d’usage dans l’Église primitive de citer sous cette forme la parole du Deutéronome.

Les savants compétents ne sont point d’accord sur les rapports de notre épître avec les écrits du philosophe juif Philon d’Alexandrie. Elle présente avec ceux-ci des analogies de formes très caractéristiques. Philon, qui pratiquait l’interprétation allégorique de l’Ancien Testament, voit dans Melchisédec un type du Logos (la Parole) et traduit comme l’auteur de l’épître aux Hébreux son nom par celui de roi de justice ; comme lui, il conclut du silence que le texte garde sur les origines de ce personnage qu’il n’est pas né de parents mortels, mais que Dieu est son père, et la Sagesse sa mère. Quelques-uns des qualificatifs appliqués par notre épître au Fils, rayonnement, empreinte, sont employés par Philon pour caractériser le Logos. Philon parle, lui aussi, d’un sacrifice quotidien offert par le souverain sacrificateur (7.27). Il se sert des mêmes formules pour citer l’Ancien Testament. Hébreux 13.5, il y a une citation de l’Ancien Testament qui ne se retrouve textuellement que dans Philon. On peut conclure tout au plus de ces faits que l’auteur avait une certaine connaissance des écrits de Philon, car sa pensée paraît différer profondément de celle du philosophe d’Alexandrie. On relève enfin des ressemblances d’expression entre notre épître et des Apocryphes de l’Ancien Testament, d’origine alexandrine, le second livre des Maccabées et la Sapience.

B. La doctrine de l’épître

L’auteur a subi l’influence de l’apôtre des gentils ; avec lui, il admet la destination universelle du salut (2.9, 11, 15 ; 5.9) et proclame l’abrogation de la loi et la fin de l’ancienne économie (7.18 et suivants, 8.7 et suivants). Sa christologie est, dans ses traits essentiels, la même ; le Fils est l’image du Père et l’intermédiaire de la création (1.1-3 ; comparez  ;Corinthiens 4.4 ; Colossiens 1.15-16) ; son abaissement momentané a été suivi de son exaltation (2.7-9 ; comparez Philippiens 2.8-11). Malgré ces points de ressemblance, l’auteur de l’épître aux Hébreux a de l’œuvre de Christ une conception originale et sensiblement différente de celle que nous trouvons dans les épîtres de Paul. Son intention est de démontrer la supériorité de la nouvelle alliance sur l’ancienne. S’adressant à des chrétiens sortis d’Israël, il n’a en vue que l’ancien peuple de Dieu. C’est à la postérité d’Abraham (2.16) que le Fils vient en aide par son incarnation, et il se présente à elle comme le souverain sacrificateur parfait et éternel selon l’ordre de Melchisédec (chapitre 7), infiniment supérieur aux sacrificateurs lévitiques. Après avoir, par sa mort, offert le sacrifice seul capable de purifier les consciences, il est entré, avec son propre sang, dans le tabernacle céleste, comme le souverain sacrificateur, au jour des expiations, pénètre dans le lieu très saint avec le sang des victimes. Il s’est présenté ainsi une seule fois à Dieu pour abolir le péché par son sacrifice, pour procurer aux pécheurs cette pureté rituelle qui leur ouvre l’accès auprès de Dieu et que l’auteur appelle la perfection (Chapitre 9, comparez ).11 ; 10.1, 14). Cette dernière notion prend la place que la « justification » occupe dans l’enseignement de Paul, et la comparaison des deux termes fait ressortir la différence des deux conceptions du salut. Paul envisage la rédemption comme une œuvre qui s’accomplit dans la conscience du pécheur ; le pécheur s’approprie par la foi la mort que Christ a soufferte pour lui (Romains 3.22-25) ; cette mort et la résurrection dont elle fut suivie, en lui assurant le pardon, lui procurent la paix (Romains 5.1)et suivants) et l’affranchissement de la puissance du péché (Romains chapitres 6 et 7). Il reçoit l’esprit d’adoption ; se s) et ne joue aucun rôle dans la doctrine du salut. Cette différence dans la manière de comprendre la rédemption tient au point de vue duquel la loi est envisagée par les deux écrivains. Paul voit dans la loi de l’Ancienne Alliance, avant tout, la loi morale, le commandement qui est saint, juste et bon, et conduit à la vie, mais qui cause la mort du pécheur, parce que le pécheur est asservi à la chair (Romains chapitre 7). À l’auteur de l’épître aux Hébreux, la loi de l’Ancienne Alliance apparaît comme une loi rituelle instituant des cérémonies qui ne peuvent procurer la véritable pureté ; il l’) et l’envisage comme un recueil d’ordonnances charnelles imposées seulement jusqu’à une époque de réformation (9.10). La foi, d’après l’épître aux Hébreux, est, sous la nouvelle comme sous l’ancienne alliance, la confiance dans les promesses de Dieu et leur accomplissement. Elle n’est pas, comme chez Paul, le sentiment qui nous unit à Christ et devient le principe d’une vie nouvelle. L’opposition de la foi et des œuvres, qui tient une si grande place dans l’argumentation de l’apôtre des gentils, n’est pas mentionnée dans l’épître aux Hébreux. L’auteur insiste par contre sur le devoir de persévérer dans l’attente confiante. Ne pas retenir ferme notre espérance, c’est commettre un péché irrémissible (10.23, 31 ; 6.4-6). Enfin, dans ses enseignements eschatologiques, l’auteur parle, non de la résurrection des morts et de la transformation du corps charnel en corps spirituel (1 Corinthiens 15), mais de l’entrée dans le repos de Dieu (chapitre 4) et du changement de toutes choses (chapitre 13).

III. But de l’épître, date de sa composition, ses destinataires, son auteur

1. Le but

Malgré les exposés de doctrine qui en constituent une partie notable, l’épître aux Hébreux a un but pratique. Elle est un discours de consolation ou d’exhortation (13.22). L’auteur s’adresse à des chrétiens qui ont reçu l’Évangile depuis un temps déjà long (2.3 ; 10.32) et qui ont perdu la ferveur de leur zèle premier ; découragés (12.3) par l’attente qui se prolonge, par les persécutions et les vexations qu’ils ont eu à subir (10.32) suivants), ils sont tentés d’abandonner la profession de leur espérance (10.2), de se détourner du Dieu vivant, qu’ils ont appris à connaître en Jésus (3.12). L’opprobre de Christ les effraie ; ils souffrent d’être excommuniés par leurs compatriotes, exclus d’Israël. Ils sont toujours restés associés, en une mesure, à la vie religieuse de leur peuple, et, dans l’ébranlement de leur foi en Christ, ils seraient enclins à chercher de nouveau leur appui et leur édification dans les cérémonies du culte juif et la ). Le danger auquel les exposaient de telles dispositions était de retourner tout à fait au judaïsme. L’auteur veut les prémunir contre cette tentation. À), qu’en reniant Christ, ils deviendraient participants du crime de ce). Pour les encourager à la persévérance dans leur profession (6.11,12), l’auteur leur montre l’excellence de la Nouvelle Alliance, dans laquelle ils sont entrés par Christ, et sa supériorité sur l’ancienne.

2. La date

La démonstration et les exhortations dont nous venons de parler ne sont devenues nécessaires qu’à une époque tardive. Les destinataires de l’épître devraient être depuis longtemps des maîtres (5.12). Ils n’ont reçu l’Évangile que de seconde main, et il semble que les miracles qui accompagnèrent sa première prédication ne se produisaient plus (2.3, 4). Leurs premiers conducteurs spirituels sont morts (13.7) ; ils ont derrière eux, depuis leur conversion, un long passé de persécutions (10.32)et suivants). Il faut donc placer la composition de l’épître à une époque éloignée des commencements de l’Église. D’autre part, il ne nous paraît pas possible de la mettre après la ruine de Jérusalem, car les termes dans lesquels l’auteur parle des institutions lévitiques supposent que le culte du temple se célébrait encore. On a dit, il est vrai, que l’auteur, dans ses démonstrations toutes théoriques, où il emploie le plus souvent le présent, mais parfois aussi le passé (9.1, 2, 8 ; 13.9), n’a pas en vue le temple de Jérusalem, mais le tabernacle tel qu’il le trouve décrit dans le Pentateuque, et que peu lui importait que le temple fût encore debout ou momentanément détruit. Il est cependant des passages où il parle des cérémonies du culte israélite comme se célébrant encore au moment où il écrit : 8.4 ; 9.9 ; 10.1-4 ; 13.9, 10. De plus, la ruine du temple, si elle avait été accomplie, lui aurait fourni un argument auquel il aurait eu sûrement recours. À une époque où le temple aurait été détruit, où les sacrifices, dans lesquels se résumait à ses yeux toute l’Ancienne Alliance, n’auraient plus été offerts, l’auteur se serait-il contenté de dire (8.13) : Ce qui est ancien, ce qui a vieilli, est près de disparaître ? (Plusieurs critiques récents placent cependant l’épître après la ruine de Jérusalem : Holtzmann sous Domitien, Julicher entre 75 et 90. Zahn (Einleitung, II, page 128) a prétendu trouver dans les quarante ans de 3.10 une allusion typologique au temps qui s’écoula entre la mort de Jésus et la destruction du temple ; et il fixe la date de l’épître vers 80. Mais son explication subtile n’a guère rencontré de crédit).

Si notre épître a été écrite avant 70, elle ne saurait être de beaucoup antérieure à la guerre des Juifs, pour les raisons que nous avons indiquées en commençant. Si elle est adressée à des chrétiens de Palestine et spécialement de Jérusalem, elle date probablement de l’an 65, car la guerre éclata dans l’été de 66, et l’Église de Jérusalem émigra à Pella vers la fin de 67.

3. Les destinataires

Le titre que porte l’épître : Aux Hébreux, ne remonte pas à l’auteur ; il représente cependant une très ancienne tradition ; les sujets traités dans la lettre rendent vraisemblable que l’épître a été adressée à d’anciens Juifs. Mais à quelle catégorie appartenaient les Juifs désignés par le titre aux Hébreux ? On appelait Hébreux, d’une manière générale, les Israélites de naissance (Philippiens 3.5). Dans l’Église des premiers siècles, on donnait ce nom aux chrétiens d’origine juive, pour les distinguer des chrétiens d’origine païenne. Dans le Nouveau Testament, il sont appelés ceux de la circoncision (Galates 2.12 ; Actes 10.45), mais dans le langage ecclésiastique, le qualificatif d’Hébreux est appliqué aux judéo-chrétiens : ainsi dans le titre de l’Évangile selon les Hébreux, mentionné par les Pères des premiers siècles. Il nous paraît difficile de donner au nom d’Hébreux un sens plus précis, et de l’appliquer à ces chrétiens de Palestine et de Jérusalem qui se distinguaient des Hellénistes, parce qu’ils n’avaient pas quitté le pays et se servaient couramment de la langue araméenne (Actes 6.1) ; on ne comprendrait pas qu’une lettre écrite dans le grec le plus pur, et où n’est citée que la version des Septante, eût de tels destinataires. Il n’est pas prouvé non plus que le nom d’Hébreux s’appliquât exclusivement aux judéo-chrétiens de l’Église d’Égypte.

Le titre aux Hébreux, dans le sens tout général qu’il convient de lui laisser, pourrait faire croire que notre épître est une encyclique adressée à tous les judéo-chrétiens de l’Église primitive. Mais il suffit d’ouvrir l’épître pour constater que l’auteur écrit à une communauté particulière, dans des circonstances spéciales ; il connaît les membres de cette Église et leurs besoins (3.12 ; 4.1 ; 5.11 et suivants. ; 6.9-12 ; 10.25, 32), et il est personnellement connu d’eux (13.18,19).

L’auteur et ses lecteurs, qui nous apparaissent ainsi dans d’étroites relations, sont des chrétiens d’origine juive. On a contesté vivement, dans des travaux récents, cette affirmation. Elle nous paraît cependant établie, non seulement par la teneur générale de l’épître et par le but que nous lui avons reconnu, mais par les remarques suivantes :

  1. L’auteur appelle les fidèles de l’ancienne alliance nos pères (1.1 ; 3.9). Il considère ceux auxquels il s’adresse comme la postérité d’Abraham (2.16). Il est vrai que Paul, dans 1 Corinthiens 10.1, nomme les Israélites nos pères ; mais le contexte prouve qu’il pense à lui-même et à ses collaborateurs juifs plutôt qu’à ses lecteurs grecs. Il est vrai encore que le même apôtre parle d’Abraham comme du père des chrétiens d’origine païenne auxquels il adresse les épîtres aux Galates (3.7-29 ; 4.21-31) et aux Romains (4.9)et suivants). Mais il a soin de leur dire qu’ils sont devenus fils d’Abraham par la foi ; tandis que dans l’épître aux Hébreux, pas un mot n’indique qu’il s’agisse d’une filiation spirituelle : les Hébreux sont la postérité d’Abraham par ) ; c’est à leurs pères que Dieu a parlé autrefois par les prophètes et à eux-mêmes dans les derniers temps par le Fils.
  2. L’auteur reconnaît sans doute la portée universelle de l’œuvre rédemptrice accomplie par Jésus-Christ (2.9, 15 ; 5.9) ; mais il parle des effets de cette œuvre en des termes qui montrent avec évidence qu’il s’adresse exclusivement à des Israélites : C’est pourquoi il (Christ) est médiateur d’une nouvelle alliance, afin que, la mort étant intervenue pour la rédemption des péchés commis sous la première alliance, ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage qui leur a été promis (9.15). De même, 13.12 il assigne pour but à la mort de Jésus de sanctifier le peuple, qui ne peut être, d’après le contexte, que le peuple d’Israël.
  3. Dans ce dernier passage (13.12, 13), l’auteur prend occasion du fait que Jésus a souffert hors de la porte pour exhorter ses lecteurs à sortir vers lui hors du camp en portant son opprobre. On ne saurait réduire ces paroles à ce sens général : les chrétiens doivent renoncer au monde et suivre leur Maître en portant la croix. Les versets 9 à 11, qui font allusion au culte israélite, nous obligent à leur donner une portée plus précise : les Juifs, devenus disciples de Jésus, ne doivent pas reculer devant la perspective d’être exclus de la communion de l’ancien peuple de Dieu.
  4. Le passage sur lequel se fondent principalement ceux qui prétendent que l’épître ne saurait être adressée à des chrétiens d’origine juive, c’est 5.12 à 6.2. On dit que les oracles de Dieu, dont on doit encore enseigner aux lecteurs les premiers rudiments, sont les prophéties messianiques, bien connues de tous les Israélites ; que les œuvres mortes (6.1) sont les sacrifices aux idoles, qui sont qualifiées de mortes dans leur opposition au Dieu vivant (Psaumes 115.4-8 ; Sapience 13.10 ; 1 Thessaloniciens 1.9) ; que la foi en Dieu n’était pas à enseigner à des Juifs, car ceux-ci connaissaient, de tout temps, le vrai Dieu, de même qu’ils attendaient la résurrection des morts et le jugement éternel ; c’est pour des païens seulement qu’il était nécessaire de poser le fondement de ces doctrines élémentaires. Ces arguments, qui paraissent probants, ne sont pourtant pas décisifs. Le terme d’oracles de Dieu doit être entendu de toutes les révélations divines (1.1 ; comparez Romains 3.2) ; il n’y a pas de raison de le limiter aux prophéties messianiques ; ces dernières elles-mêmes avaient besoin d’être enseignées et expliquées, aux Juifs aussi bien qu’aux païens (Matthieu 22.41 et suivants ; et 24.26, 44 et suivants ; Jean 20.9 ; Actes 2.16-35, etc.). Rien ne prouve que les œuvres mortes désignent le culte rendu aux idoles ; cette expression s’applique fort bien aux pratiques légales des pharisiens et à toute la vie de l’homme irrégénéré (Matthieu 23.27 ; Matthieu 8.22 ; Jean 5.24 et suivants) ; elle se retrouve ,.14 etù il ne s’agit pas du service des faux dieux opposé au culte du vrai Dieu, mais bien plutôt des péchés de toute sorte dont le sang des taureaux et des boucs ne pouvait purifier la conscience. Quant à la foi en Dieu, elle ne consistait pas à admettre théoriquement l’existence de Dieu, mais à se confier (Marc 11.22) en celui que l’auteur appelle le Dieu vivant (3.12 ; 9.14), source de la vie pour l’âme croyante (Psaumes 42.3 ; 84.3). Enfin la résurrection des morts et le jugement, ces doctrines, bien qu’enseignées par les pharisiens, n’en étaient pas moins le fondement de la prédication chrétienne, qu’elle s’adressât à des Juifs ou à des païens (Jean 5.27-30 ; Actes 2.14 et suivants ; 23.6 et suivants ; 26.8, 23). D’autre part, la doctrine des baptêmes (6.2) et les allusions aux cérémonies purificatrices instituées par la loi (9.13) devaient être mieux comprises par des chrétiens d’origine juive que par d’anciens païens.

Indépendamment de ces passages, le contenu général de l’épître porte un caractère judaïque si prononcé, que, pour faire de ses destinataires des chrétiens sortis du paganisme ou même des chrétiens sans distinction d’origine, il faut admettre que tous les gentils reçus dans l’Église primitive avaient subi l’influence du judaïsme, avant de devenir chrétiens, à tel point, qu’ils étaient devenus de véritables Israélites. C’est ce qu’admettent aujourd’hui d’éminents historiens, par une réaction excessive contre les antithèses absolues que l’école de Tubingue statuait à l’origine de l’Église. M. Harnack cite, en paraissant l’approuver, ce jugement de M. Havet sur la formation de l’Église : Je ne sais s’il y est entré, du vivant de Paul, un seul païen ; je veux dire un homme, qui ne connût pas déjà avant d’y entrer le judaïsme et la Bible (Lehrbuch der Dogmengeschichte, 2e édition, I, page 80, note). Cette opinion nous paraît inconciliable avec les données les moins contestables du livre des Actes (17.34 ; 18.6, 7) et les indications que fournissent les épîtres de Paul (Voir, entre autres, l’opposition du païen et du Juif dans Romains chapitres 1 et 2 ; comparez )phésiens 2.11-22).

Nous concluons que les destinataires de l’épître étaient Juifs de naissance et d’éducation. Ils formaient à eux seuls toute la communauté, à laquelle l’épître est adressée, car celle-ci ne renferme aucune allusion aux relations, souvent si délicates, avec les chrétiens d’origine païenne. Ce silence s’expliquerait difficilement si l’Église avait compté des membres appartenant aux deux catégories (présentée déjà par deux savants allemands en 1834 et 1836, cette hypothèse, longtemps réputée invraisemblable, a été, sur des indications de Schürer, admise par Weizsacker, Pfleiderer, Holtzmann, von Soden, Harnack, Julicher, Zahn).

En quelle contrée était établie cette communauté judéo-chrétienne ? Le plus naturel nous paraît de la supposer en Palestine et à Jérusalem. C’est là que la plus ancienne tradition place les Hébreux dont le nom a été inscrit sur notre épître. Depuis quelques années cependant l’opinion tend à prévaloir qu’il faut chercher les destinataires de notre lettre à l’autre extrémité du monde dans lequel avait alors retenti la prédication de l’Évangile, à Rome. Si étrange que cette supposition paraisse au premier abord, on peut invoquer en sa faveur des raisons du plus grand poids. Ce sont d’abord les indices fournis par la lettre elle-même :

  • Dans 13.24 l’auteur écrit : Ceux d’Italie vous saluent. II emploie une préposition qui, prise dans son sens premier, lui ferait dire : Ceux qui sont venus d’Italie… L’auteur serait éloigné d’Italie, d’une Église de ce pays à laquelle il espérerait être rendu bientôt (13.19), et qu’il saluerait de la part de son entourage, composé d’Italiens, absents comme lui de leur patrie.
  • Il compte (13.23) aller voir ceux auxquels il écrit, et cela avec Timothée, bien connu des chrétiens de Rome (Philippiens 1.1 ; 2 Timothée 4.21).
  • La description, que nous lisons 10.32 et suivants, de la persécution qui atteignit l’Église, répond à ce que nous savons du grand combat que, sous Néron, en 64, les chrétiens de la capitale eurent à soutenir. Ils furent exposés en spectacle dans les jardins de l’empereur. Tacite (Annales XV, 44) emploie le même terme pour dépeindre leur supplice. Ils eurent à souffrir ainsi après avoir été éclairés, c’est-à-dire après leur conversion au christianisme l’auteur n’aurait pas relevé cette circonstance, qui allait sans dire, si ses lecteurs n’avaient eu déjà des persécutions à endurer avant leur conversion. Or l’histoire nous apprend que les Juifs de Rome furent l’objet de nombreuses vexations, qu’ils furent notamment expulsés par Claude en 52 (Actes 18.2). En l’an 64 et dans les années qui suivirent, l’Église de Rome vit plusieurs de ses conducteurs subir le martyre (13.7) parmi eux, les apôtres Pierre et Paul.
  • Dans 6.10, l’auteur loue ses lecteurs d’avoir servi et de servir encore les saints. Le service (grec diaconie) des saints est l’expression usitée pour désigner la collecte en faveur de l’Église de Jérusalem (2 Corinthiens 8.4 ; 9.1 ; Actes 11.29). Or n’est-il pas naturel de penser que Paul ait associé les chrétiens de Rome à cette œuvre fraternelle, dont il les entretient déjà dans Romains 15.25 ?
  • L’auteur écrit (10.25) : N’abandonnons pas notre propre assemblée. On peut en conclure que l’Église comprenait diverses assemblées et que les membres de celle à laquelle il s’adresse étaient tentés de passer à d’autres congrégations. Or nous savons, par Romains 16.3-13,14, 15, que l’Église de Rome précisément était formée de plusieurs groupes distincts. Si notre épître a été adressée à l’un seulement de ces groupes, il n’y a plus lieu d’être étonné que ses destinataires paraissent tous dans les mêmes sentiments et que rien en elle ne trahisse cette diversité de tendances et de besoins qui se produit nécessairement dans une grande Église.
  • À ces indices, que nous trouvons dans l’épître elle-même, il faut ajouter les témoignages de l’histoire. Elle nous apprend d’abord que la colonie juive à Rome, au premier siècle, était fort nombreuse. Elle comptait plusieurs synagogues, dont l’une était appelée la synagogue des Hébreux. Le christianisme se répandit d’abord parmi ces Juifs ; ceux qui se convertirent formèrent la majeure partie de l’Église de Rome. Ils n’en restèrent pas moins unis à leurs compatriotes et par là même en danger de revenir complètement aux croyances d’Israël,
  • D’autre part, l’étude de l’ancienne littérature chrétienne nous apprend que les premières traces de l’épître aux Hébreux se trouvent à Rome. Clément de Rome en copie des passages entiers dans son épître aux Corinthiens, vers 96. De plus, on avait à Rome, plus qu’en Orient, des renseignements sur l’origine et l’auteur de l’épître on savait qu’elle n’était pas de Paul, et, pour cette raison, l’Église d’occident s’est longtemps refusée à l’admettre dans le canon.

Ces arguments sont spécieux et paraissent probants ; ils ne sont pourtant pas décisifs. Deux objections principales s’opposent à l’idée de placer à Rome ou en Italie les destinataires de l’épître aux Hébreux. La première est la date qu’il faut assigner à l’épître. Les partisans de cette hypothèse se voient contraints de placer la composition de notre lettre après 70. Elle ne peut avoir été écrite avant ce moment si elle est adressée à Rome, car la persécution, rappelée 10.32 et suivants, est déjà ancienne ; les lecteurs devraient être depuis longtemps des maîtres ; les fondateurs et les premiers conducteurs de l’Église sont morts. Si ces indices concernent l’Église de Rome, ils nous obligent à descendre jusqu’à l’an 80. Or nous avons vu que des raisons du plus grand poids nous font admettre que l’épître a été écrite avant la ruine de Jérusalem (70). La seconde objection résulte du caractère des lecteurs. Il nous est apparu avec évidence qu’ils étaient des judéo-chrétiens. Or la majorité des membres de l’Église de Rome étaient d’origine païenne ; c’est pour cela que l’apôtre des gentils, avant de les visiter, leur écrit. J’ai souvent formé le projet d’aller vous voir, leur dit-il, afin de recueillir quelque fruit parmi vous aussi, comme parmi les autres nations païennes (Romains 1.13). Aussi la plupart des critiques, qui admettent que les Hébreux habitaient Rome, cherchent-ils à prouver que notre épître s’adresse à des chrétiens d’origine païenne ou à des chrétiens sans distinction d’origine : nous avons vu que tout le contenu de l’épître est opposé à cette idée. Il suffit d’ailleurs de comparer l’épître aux Hébreux avec l’épître aux Romains pour être contraint de reconnaître que ces deux écrits n’ont pu être adressés, à quelques années d’intervalle, aux mêmes lecteurs. M. Zahn est le seul qui maintienne les deux points de vue : destinataires judéo-chrétiens et qui habitaient Rome. Les arguments qu’il avance pour établir le premier sont plus décisifs que ceux qu’il allègue en faveur du second. Quand il essaie de prouver (Einleitung, II, page 146) que les sentiments d’amertume et de découragement combattus dans l’épître aux Hébreux sont les mêmes que Paul a en vue dans son épître aux Romains, notamment dans les 9.1 à 11.12, ce rapprochement montre plutôt combien il est difficile d’admettre que les deux écrits s’adressent aux mêmes personnes. Il se trompe tout à fait (Ibidem, page 135) quand il prétend retrouver dans Hébreux 13.9 et suivants les tendances ascétiques mentionnées dans Romzind chapitres 14 et 15). Reste la supposition que l’épître aux Hébreux aurait été adressée à la fraction judéo-chrétienne de l’Église de Rome, qui aurait formé une communauté à part. Mais rien ne la confirme. Il semble plutôt que les nombreux Israélites de la capitale soient toujours demeurés séparés des chrétiens et que les tentatives de Paul, à son arrivée à Rome, n’aient pas réussi à les gagner à Jésus-Christ (Actes 28.17 et suivants, Comparez Frédéric Godet, Introduction au Nouveau Testament, I, page 433).

Quant aux divers indices qu’on croit trouver dans l’épître elle-même et qui obligeraient d’admettre qu’elle a été adressée à des chrétiens de Rome, aucun d’eux n’est décisif. Les mots : Ceux d’Italie vous saluent (13.24), se justifient aussi dans la supposition que l’auteur est en Italie quand il écrit, et qu’il salue de la part de son entourage (Dans la désignation : Lazare de Béthanie (Jean 11.1), la même préposition est employée sans que son emploi signifie que Lazare fût éloigné de son lieu d’origine (Voir encore )ctes 10.23 ; Actes 17.13). Cette supposition, très plausible, expliquerait le fait que l’épître fut de bonne heure connue à Rome et qu’on y savait qu’elle n’était pas de Paul.

Si notre épître n’a pas été adressée à l’Église de Rome, y a-t-il des probabilités pour qu’elle l’ait été à des chrétiens habitant la Palestine et Jérusalem ? Non seulement la teneur générale de l’épître nous ferait incliner vers cette conclusion, mais elle peut se fonder sur une indication très claire qui est fournie par le passage 13.9-13, si du moins on voit dans ce passage une allusion aux repas qui accompagnaient les sacrifices. Cette allusion nous paraît difficile à nier. L’auteur ne pense pas à des doctrines prescrivant l’abstinence de certains aliments (Romains 14.2, 6, 13-15 ; Colossiens 2.16-23) ; il suppose au contraire un enseignement qui engageait ses lecteurs à prendre des aliments consacrés pour affermir le cœur. Or pour pouvoir être entraînés à participer fréquemment aux repas sacrés et à y chercher leur édification habituelle, les lecteurs devaient demeurer à proximité du temple de Jérusalem. On objecte que leur situation, telle qu’elle ressort du reste de l’épître, ne répond pas à ce que nous savons de l’Église de Jérusalem. Celle-ci n’a jamais été complètement séparée d’Israël. Jusqu’à la ruine de la ville, ses membres ont observé toute la loi et se sont associés au culte du temple. Ses anciens rappellent à Paul, arrivant à Jérusalem en 59, que les myriades de Juifs qui ont cru sont tous zélateurs de la loi, et Jacques, frère du Seigneur, qui était vénéré de tout le peuple, propose à l’apôtre des gentils de participer à une cérémonie dans le temple pour se concilier ces judéo-chrétiens intransigeants (Actes 21.20-24). L’auteur de l’épître aux Hébreux, écrivant peu d’années après à des chrétiens animés de tels sentiments, pouvait-il leur présenter le retour au judaïsme comme un danger mortel ? Ne devait-il pas commencer par les exhorter à rompre avec les institutions religieuses d’Israël ? On peut répondre que son intention est précisément de provoquer cette rupture complète (13.13). Il a reconnu que la position indécise des membres de l’Église de Jérusalem, chrétiens par la foi qu’ils professaient en Jésus le Messie, le Sauveur, et juifs par le culte qu’ils pratiquaient, était, à la longue, intenable ; qu’ils redeviendraient bientôt complètement juifs, s’ils ne se prononçaient pour Jésus-Christ en se séparant plus nettement de leurs concitoyens. C’est pour les y engager que l’auteur leur présente la supériorité de la nouvelle alliance sur l’ancienne. D’ailleurs n’est-ce pas tirer des conclusions exagérées de l’incident qui se produisit à l’arrivée de Paul à Jérusalem (Actes 21.20-24), que de se représenter l’Église de Jérusalem comme inféodée tout entière au judaïsme et composée uniquement de zélateurs fanatiques de la loi ? Les scènes que nous retrace la première partie du livre des Actes nous donnent une autre idée, une idée plus vraisemblable de sa position à l’égard du judaïsme. Nous la voyons, sous l’action directe de l’Esprit de la Pentecôte, former un organisme à part, une société distincte de la société juive ; on y entre par la conversion, par le baptême et la profession de la foi en Jésus-Christ, et les apôtres invitent les Juifs à faire ce pas, en disant : Sauvez-vous de cette génération perverse ! (Actes 2.40) Cette société séparée, qui n’a guère l’aspect d’une simple secte judaïque, est persécutée par les autorités (Actes 8.1 et suivants), et la persécution la pousse à essaimer en Samarie, puis dans les contrées païennes. Dans l’intérieur de ce cercle fermé, dont les membres sont unis par des liens étroits (Actes 4.32 et suivants), se dessinent de bonne heure deux partis (Actes 6.1 et suivants). L’un plus strict, qui reproche à Pierre d’avoir reçu dans l’Église Corneille et sa famille (Actes 11.2), et qui, au synode de Jérusalem, forme l’opposition, mais est réduit au silence et amené à composition par Pierre et Jacques lui-même (Actes 15.5-21). L’autre parti, plus large, plus sympathique à la mission parmi les païens, était sans doute formé principalement par les Hellénistes mentionnés Actes 6.1. Il avait eu en Étienne l’un de ses chefs les plus distingués. Ce parti, dont l’influence l’emporta au synode de Jérusalem, devait subsister encore en 59 et en 65. Il n’y a pas de raison d’admettre son entière disparition, même si l’on pense qu’après le départ des apôtres, et sous l’action du fanatisme ambiant, l’esprit rétrograde ait pris le dessus au sein de la communauté. C’est à ce parti plus large, où les Juifs hellénistes étaient en majorité, que l’auteur, lui-même juif helléniste, adresse son épître. Les critiques qui pensent que l’épître a été envoyée à Rome relèvent le fait qu’elle paraît adressée à un groupe au sein d’une Église plus considérable : ses destinataires ont leur assemblée (10.25), ils sont chargés de saluer tous leurs conducteurs et tous les saints (13.24). Cette remarque est fondée. Mais l’Église de Rome n’a pas été la seule qui fût composée de plusieurs groupes. Il est vraisemblable qu’il en était de même à Jérusalem. Les Juifs, établis ou en séjour dans la ville sainte, se réunissaient en plusieurs synagogues, suivant les provinces auxquelles ils ressortissaient (Actes 6.9). Ceux qui se convertirent, au christianisme conservèrent sans doute des groupements distincts. Le grand nombre des membres de l’Église de Jérusalem (Actes 21.20) rendait ces groupements nécessaires (Comparez 2.46). Et si l’on veut pousser plus loin les suppositions, on peut remarquer que parmi les synagogues des Juifs hellénistes, celle des Affranchis est nommée en première ligne (6.9). Selon l’explication généralement admise, ces Affranchis étaient des Juifs qui avaient été rendus à la liberté, après avoir été emmenés comme prisonniers à Rome. Ne pourrait-on admettre qu’après leur conversion à l’Évangile plusieurs de ces Affranchis continuèrent à se réunir entre eux ou qu’ils formèrent la majorité du parti des Hellénistes ? Et n’est-il pas naturel dès lors que l’auteur, écrivant de Rome, où ils avaient conservé des relations, les salue de la part de ceux d’Italie (13.24) ?

Les autres données de l’épître s’accordent avec l’hypothèse que les destinataires étaient des ). Mais il est probable que Timothée fut avec Paul à Jérusalem en 59 (Actes 20.4 ; Actes 21.28, 29) et séjourna en Palestine pendant la ca). Timothée venait d’être relâché (13.23). Il est naturel de placer sa captivité à Rome. On prétend que l’auteur loue les Hébreux d’avoir participé à la collecte pour les chrétiens ). Mais, dans ce passage, le service des saints ne peut désigner que les manifestations de l’amour fraternel (comme dans ) Corinthiens 16.15). Ce sens général est imposé par le contexte, car il ne serait pas admissible que l’auteur, inquiet de la destinée éternelle de ses lecteurs (6.4-10), se rassurât en constatant qu’ils avaient donné quelque argent pour une œuvre de bienfaisance ! Les chrétiens de Jérusalem n’étaient d’ailleurs pas tous des indigents. Paul parle (Romains 15.26) des pauvres parmi les saints de Jérusalem. Il y en avait sans doute, et plus peut-être dans la catégorie des Hellénistes que dans celle des Hébreux, qui étaient à même de venir en aide à leurs frères dans le dénuement. On tire une dernière objection, et la plus forte de toutes, du passage 2.3, où l’auteur parle du salut qui, ayant été annoncé d’abord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui l’avaient entendu. L’auteur se range avec ses lecteurs au nombre de ceux qui n’ont pas entendu l’Évangile de la bouche de Jésus, mais l’ont reçu par l’entremise de ses disciples immédiats. Or Paul écrit en 56, dans , Corinthiens 15.6, que, des cinq cents frères à qui Jésus ressuscité est apparu en une fois, la plupart sont encore vivants ; dès l’origine et jusqu’à sa dispersion, l’Église de Jérusalem et les Églises de Palestine durent compter un certain nombre de fidèles qui avaient vu et entendu le Sauveur. Il ne faut pourtant pas s’exagérer la portée de cette objection ; les cinq cents, auxquels Jésus apparut, habitaient probablement la Galilée ; autre chose était d’avoir vu et même entendu occasionnellement Jésus, comme ce fut le cas de la plupart de ceux qui habitaient Jérusalem vers l’an 30, autre chose d’avoir reçu de lui directement le message du salut (2 Corinthiens 5.16). Ce ne fut le cas que du petit nombre de disciples qui s’attachèrent à lui avant sa mort. Tous les autres ne parvinrent à la foi au Sauveur que par la prédication apostolique. En 65, les chrétiens de Jérusalem, dans leur très grande majorité, avaient eu connaissance du salut, parce qu’il leur avait été confirmé par ceux qui avaient entendu le Seigneur. Et ce que l’auteur dit des circonstances dans lesquelles se fit cette première prédication de l’Évangile : Dieu appuyant leur témoignage par des signes, des prodiges et divers miracles et par des communications de l’Esprit-Saint réparti selon sa volonté (2.4), répond aux récits des Actes (3.1 et suivants ; 4.30, 31 ; 5.12-16), tandis que nous ignorons si la fondation de l’Église de Rome fut accompagnée d’un tel déploiement de puissance surnaturelle.

Si aucune des raisons qu’on oppose à l’idée de voir dans les destinataires de notre lettre des chrétiens de Jérusalem n’est sans réplique, on peut dire d’autre part ) ; leur Église comptait trente-cinq ans d’existence ; mais dans les dernières années, après le départ des apôtres, ils étaient devenus lents à comprendre (5.11) ; ils avaient toujours été plus préoccupés d’observer les rites que d’adorer Dieu en esprit et en vérité ; pour la connaissance comme pour la spiritualité, ils étaient en arrière des Ég). Cette description s’applique parfaitement aux mesures prises par les autorités juives à la suite du meurtre). Il ne semble pas que beaucoup de fidèles aient eu à verser leur sang à ce moment ni plus tard (Hébreux 12.4). Cependant les fondateurs de l’Église avaient disparu et plusieurs avaient donné dans leur martyre un exemple édifiant (13.7) ; tels Étienne, Jacques, fils de Zébédée, et peut-être Jacques, frère du Seigneur.

Enfin, pour ce qui est le but principal de l’épître : affermir dans leur foi en Christ des fidèles enclins à retourner au judaïsme, en leur montrant l’inanité des sacrifices lévitiques et l’efficacité parfaite de l’œuvre de Christ, quelle communauté avait plus besoin d’une telle démonstration que l’Église de Jérusalem ? Les membres de cette Église voyaient chaque jour se célébrer sous leurs yeux les cérémonies splendides du temple ; plusieurs y prenaient encore part avec émotion. Le réveil du patriotisme et les explosions du fanatisme, qui marquèrent les approches de la grande révolte contre Rome, accrurent leur ferveur pour le culte israélite et menaçaient leur foi en Jésus-Christ. Il était urgent de les avertir et de les sommer de sortir du camp pour aller à Jésus, en portant son opprobre (13.13).

Pour ces diverses raisons, et surtout pour la dernière, il nous paraît probable que l’épître aux Hébreux a été écrite à des chrétiens de Jérusalem, qui formaient dans l’Église un groupe composé surtout de Juifs hellénistes.

On pourrait sans doute chercher ailleurs qu’à Jérusalem et en Palestine une communauté judéo-chrétienne qui eût besoin d’être affermie dans sa foi en Christ. Kübel la place à Antioche de Syrie, de nombreux critiques lui ont assigné l’Égypte pour résidence (Schleiermacher, Wieseler qui trouvait dans notre épître une description d’un temple juif à Léonlopolis, Hilgenfeld, etc.). Rien ne s’oppose d’une manière péremptoire à ces hypothèses ; mais elles ne s’imposent pas non plus à notre assentiment. Loin de Jérusalem et en terre païenne, les préoccupations dominantes des judéo-chrétiens étaient les rapports avec les incirconcis, l’observation des prescriptions relatives à la pureté, et non le culte, les sacrifices et les repas sacrés. Or notre épître, qui est remplie de ces derniers sujets, ne dit mot des premiers.

4. L’auteur

On a pensé à Luc, à cause de certaines ressemblances de style déjà relevées par Clément d’Alexandrie ; à Silas, collaborateur de Paul, qui fut avec Pierre à Rome (1 Pierre 5.12) et qui était originaire de l’Église de Jérusalem (Actes 15.22). M. Harnack a récemment émis l’hypothèse que l’épître fut écrite par Priscille et Aquilas et adressée à l’Église qui se réunissait dans leur maison à Rome (Priscille aurait eu la principale part à sa composition ; c’est pourquoi le nom de l’auteur s’est perdu. L’emploi de la première personne du pluriel, dans des cas où l’on ne peut admettre un pluriel de majesté, trahirait la collaboration de deux auteurs. A. Harnack, Probabilia über die Adresse und den Verfasser des Hebräerbriefs. Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft. 1900, page 16-41). Ces personnages appartenaient à la société la plus intime de l’apôtre des gentils. N’est-il pas vraisemblable qu’ils ont dû se nourrir de sa pensée et recevoir l’empreinte de son génie, plus que ce n’est le cas pour l’auteur de notre épître, dont la théologie se distingue sur bien des points de celle de Paul ? Deux noms se présentent parmi les hommes notables du siècle apostolique, qui, tout en inclinant vers le paulinisme, paraissent avoir gardé une position indépendante à l’égard de l’apôtre des gentils : Apollos et Barnabas. Apollos nous est présenté dans le livre des Actes (18.24) comme éloquent et versé dans les Écritures, caractéristique qui s’appliquerait bien à l’auteur de l’épître aux Hébreux. Il était de plus originaire d’Alexandrie, ce qui expliquerait la connaissance que l’auteur a des écrits de Philon. Mais nous ne savons rien de l’histoire d’Apollos, et aucune tradition ne lui attribue notre épître. Il n’en est pas de même de Barnabas. Tertullien semble dire que le titre du manuscrit qu’il possédait de l’épître aux Hébreux, sans doute dans l’ancienne version latine, portait le nom de Barnabas. Ce serait là une tradition qui remonterait fort haut et qui serait née probablement à Rome, et mériterait ainsi créance, puisque c’est à Rome que notre épître paraît en premier lieu. Barnabas était un lévite originaire de Chypre ; or cette île était en relations fréquentes avec l’Égypte ; il pouvait donc posséder une culture alexandrine. Il fut dès les premiers temps actif dans l’Église de Jérusalem, et il serait naturel que celui qui fut surnommé par elle fils d’exhortation (Actes 4.36) lui eût adressé plus tard un discours d’exhortation (13.22). Barnabas introduisit Paul à Jérusalem (Actes 9.27), puis à Antioche (Actes 11.25), et fut son collaborateur dans son premier voyage missionnaire ; mais il ne prit jamais vis-à-vis de lui une position subordonnée. Bientôt ces deux hommes, qui étaient d’esprit assez divers, se séparèrent (Actes 11.25-26, 30 ; 13.2)et suivants ; 15.36-39). Barnabas devait sentir vivement le danger d’un retour au judaïsme : il avait eu ses heures de faiblesse (Galates 2.13). On objecte que, si un personnage aussi connu que Barnabas avait été l’auteur de l’épître, son nom n’aurait pas disparu pour faire place à celui de Paul ; que Barnabas, lévite qui avait habité Jérusalem, devait être trop bien informé de la disposition des lieux et des règles des sacrifices qu’on y offrait pour commettre dans la description du sanctuaire et des cérémonies certaines inexactitudes qu’on reproche à notre auteur (9.4, etc.) ; qu’il devait enfin connaître l’hébreu et lire l’Ancien Testament dans l’original.

Si l’on ne croit pas cette hypothèse assez fondée, il faut se résigner à ignorer l’auteur de l’épître aux Hébreux, et répéter avec Origène : Quant à dire qui l’a écrite, Dieu le sait !

IV. Analyse

Bien que l’auteur expose son sujet avec méthode, la marche de sa pensée n’apparaît pas d’une manière assez claire pour que les interprètes soient d’accord sur le plan qu’il a suivi. Autrefois on croyait trouver dans son épître, comme dans celles de Paul, une première partie doctrinale (1.1 à à.18) et une seconde partie consacrée à des exhortations pratiques (10.19 à la fin). C’était ne pas tenir compte des morceaux parénétiques qui sont entremêlés, dans tout le cours de l’épître, aux exposés théoriques.

Un très moderne commentateur (Von Soden, Hand-Commentar, page 6 et suivantes), qui suppose l’épître adressée à des chrétiens d’origine païenne et attribue à l’auteur une culture hellénique, a découvert que son écrit était composé suivant les règles de la rhétorique des anciens et présentait les quatre parties qu’elle prescrivait pour le discours :

  1. Le préambule, où l’auteur énonce le sujet qu’il va traiter et marque son importance (1.1 à 4.13). Sa thèse est formulée 2.17.
  2. Définition et justification de la thèse (4.14 à à10) ;considérations destinées à exciter l’intérêt du lecteur (5.11 à 6.20).
  3. Démonstration de la thèse (7.1 à 10.18).
  4. Épilogue (10.19 à la fin), où l’auteur développe les conséquences pratiques.

Kübel estime que le but de l’auteur est de montrer la supériorité du Médiateur de la nouvelle alliance sur les médiateurs de l’ancienne alliance, et il distingue dans l’épître les trois parties suivantes :

  1. Christ est supérieur aux anges (1.1 à 2.18).
  2. Il est supérieur à Moïse (3.1 à 4.13).
  3. Comparé aux souverains sacrificateurs israélites, Christ apparaît comme le souverain sacrificateur parfait (4.4 à 13.25).

M. Kähle trouve le principe de division de l’épître dans 3.1, et établit ces deux parties :

  1. L’apôtre (1.1 à 4.13)
  2. Le souverain sacrificateur (4.14 à 12.29) de la foi que nous professons. Conclusions pratiques, chapitre 13.

M. B. Weiss pense que l’auteur, après une introduction sur la divine grandeur du Médiateur de la nouvelle alliance (1.1 à à4), montre à ses lecteurs, dans une première partie, que Jésus est un souverain sacrificateur élevé à la perfection par ses souffrance à à13). Dans la seconde partie, l’auteur prouve l’infinie supériorité de ce souverain sacrificateur sur les successeurs d’Aaron (4. à 8.5). Dans la troisième partie, il expose comment le sacrifice sur lequel est fondé la nouvelle alliance accomplit la rédemption que n’avaient pu opérer les sacrifices de l’ancienne alliance, et par là même abolit ceux-ci (8.6 à 10.31). La quatrième partie renferme une définition de la foi et des exhortations à persévérer dans l’attente confiante (10.32 à 12.12). Le chapitre 13 est la conclusion pratique de l’épître.

Cette division fait bien saisir la pensée de l’auteur ; elle a le mérite de distinguer entre la personne et l’œuvre du souverain sacrificateur. L’auteur de l’épître aux Hébreux envisage l’un après l’autre ces deux sujets4, qui forment les deux parties principales de son épître. Nous y trouvons dès lors le plan suivant :

Première partie. Chapitres 1 à 7. Le Médiateur de la Nouvelle Alliance.

  • Première section. 1.1 à 4.13. Le Fils de Dieu, apôtre et souverain sacrificateur des chrétiens.
    1. Le Fils, révélateur de Dieu, supérieur aux anges. 1.1 à 2.4.
    2. L’abaissement temporaire du Fils, destiné à faire de lui le Sauveur de ses frères. 2.5-18.
    3. Exhortation. Considérez l’apôtre et souverain sacrificateur de notre foi, fidèle comme Moïse et supérieur à lui, afin de ne pas vous exclure du repos de Dieu. 3.1 à 4.13.
  • Deuxième section. 4.14 à 7.28. Jésus, notre souverain sacrificateur, selon l’ordre de Melchisédek.
    1. Jésus, souverain sacrificateur compatissant, établi par Dieu, rendu accompli par ses souffrances. 4.14 à 5.10.
    2. Répréhension. Avertissement. Encouragement. 5.11 à 6.20.
    3. La sacrificature de Jésus selon l’ordre de Melchisédek. Chapitre 7

Deuxième partie. 8.1 à 10.39. L’œuvre médiatrice de la Nouvelle Alliance.

  1. Exposé doctrinal : La nouvelle alliance introduite par Christ. Le caractère symbolique du culte de l’ancienne alliance. Christ dans le sanctuaire céleste ; son sacrifice unique et efficace. 8.1 à 10.18
  2. Exhortation. Avertissement. Encouragement. 10.19-39

Troisième partie. Chapitres 11 à 13. La foi.

  1. La foi et ses témoins sous l’ancienne alliance. Chapitre 11.
  2. La vie de la foi sous la nouvelle alliance. Chapitres 12 et 13