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Eusèbe – Histoire ecclésiastique – Livre VIII

VOICI CE QUI EST CONTENU DANS LE HUITIEME LIVRE DE L’HISTOIRE ECCLESIASTIQUE

I. Ce qui précéda la persécution de notre temps.

II. La destruction des églises.

III. La conduite de ceux qui ont combattu dans la persécution.

IV. Les martyrs de Dieu dignes d’être chantés ; comment ils ont rempli tout lieu de leur mémoire, après avoir ceint pour la religion toutes sortes de couronnes.

V. Ceux de Nicomédie.

VI. Ceux qui étaient dans les palais impériaux.

VII. Les Egyptiens en Phénicie.

VIII. Ceux de l’Égypte.

IX. Ceux de Thébaïde.

X. Renseignements écrits du martyr Philéas sur ce qui s’est fait à Alexandrie.

XI Ceux de Phrygie.

XII. Beaucoup d’autres hommes et femmes ont supérieurement combattu.

XIII. Les chefs de l’église qui ont montré la vérité de la religion qu’ils prêchaient par l’effusion de leur sang.

XIV. La conduite des ennemis de la religion.

XV. Ce qui arriva à ceux du dehors.

XVI. L’heureux changement des affaires.

XVII. La rétractation des princes.

Nous avons exposé en sept livres entiers la succession des apôtres ; dans ce huitième livre, nous avons pensé que les événements qui nous furent contemporains sont dignes d’être décrits d’une façon spéciale et que c’était une chose tout à fait indispensable de les transmettre à la connaissance de ceux qui viendront après nous. Aussi bien notre récit commencera à partir de là.

Chapitre premier

Ce qui précéda la persécution de notre temps

Quelle et combien grande, avant la persécution de nos jours, fut la considération et la liberté dont jouissait auprès de tous les hommes grecs et barbares la doctrine de la religion du Dieu de l’univers annoncée au monde par le Christ, il serait au-dessus de nos forces de le raconter dignement. On en peut voir la preuve dans les actes de bienveillance des princes envers les nôtres ; ils leur confiaient même le gouvernement des peuples, ils les exemptaient de l’obligation angoissante de sacrifier, à cause de la grande inclination qu’ils gardaient eux-mêmes pour notre croyance. Que dire de ceux qui étaient dans les palais impériaux, et par-dessus tout, des princes eux-mêmes ? Ceux-ci laissaient à leurs familiers, en leur présence, en ce qui concerne la divinité, une liberté entière de parole et de conduite ; il en était de même pour les épouses, les enfants et les serviteurs ; ils leur permettaient presque de se vanter de la liberté de leur foi ; c’était d’une façon extraordinaire et plus que les autres officiers qu’ils les avaient en faveur. Tel ce Dorothée qui leur était plus dévoué et plus fidèle que tous et, à cause de cela, plus singulièrement honoré que ceux qui étaient dans des charges et des gouvernements ; et avec lui, le célèbre Gorgonius et tant d’autres qui étaient pareillement jugés dignes par les princes de la même distinction à cause de la doctrine de Dieu. Il fallait voir de quel accueil les chefs de chaque église étaient l’objet de la part de tous les procurateurs et gouverneurs. D’autre part, comment décrire ces innombrables entrées de gens dans l’Église, les foules dans les assemblées de chaque ville et les remarquables concours de la multitude dans les maisons de prières ? Aussi bien, à cause de cela, on ne se contentait désormais plus des édifices d’autrefois, et dans chaque ville on faisait sortir du sol de vastes et larges églises. Aucune haine n’empêchait tout cela d’avancer avec le temps, et d’ajouter chaque jour un progrès et un accroissement ; aucun démon dans sa malice n’était capable de le conjurer par un sort, ni de l’empêcher par les machinations des hommes, tellement la main de Dieu du haut du ciel couvrait et gardait son peuple ; celui-ci du reste en était digne.

Cependant, comme il arrive dans la plénitude de la liberté, les choses parmi nous tournèrent à la mollesse et à la nonchalance ; nous nous jalousions les uns les autres, nous nous lancions de grossières injures, et il s’en fallait peu que nous nous fissions la guerre les uns aux autres, quand cela se trouvait, avec les armes et les traits que sont les paroles ; les chefs déchiraient les chefs, les peuples divisés se soulevaient contre les peuples ; l’hypocrisie maudite et la dissimulation montaient au plus haut degré de malice. Alors le jugement de Dieu, ainsi qu’il aime à le faire, agissait avec ménagement et les assemblées se réunissaient encore ; il exerçait sa charge avec douceur et modération ; ce fut par les frères de l’armée que commença la persécution. Comme des gens insensibles nous ne mettions aucun empressement à faire en sorte de rendre la divinité bienveillante et miséricordieuse ; semblables à des athées qui pensent que ce qui nous concerne n’est pas l’objet d’une vigilance et d’une surveillance, nous entassions les fautes les unes sur les autres. Ceux qui paraissaient nos pasteurs, dédaignant la règle de la religion, se laissaient enflammer les uns contre les autres par les jalousies ; ils ne faisaient uniquement progresser que les disputes, les menaces, la rivalité, l’inimitié et la haine réciproques ; ils revendiquaient avec ardeur les objets de leur ambition comme on fait pour des tyrannies, et cela justement alors que suivant la parole de Jérémie : « Le Seigneur étendit les ténèbres de sa colère sur la fille de Sion et rejeta du ciel la gloire d’Israël, il ne se souvint plus de son marchepied au jour de sa colère : mais il noya toute la beauté d’Israël et détruisit tous ses retranchements ». Et selon ce qui est prophétisé dans les Psaumes : « Il a détruit le testament de son serviteur et il a jeté bas son sanctuaire » par la ruine des églises, « il a renversé tous ses retranchements, il a rempli de frayeur ses forteresses, tous ceux qui passaient dans le chemin ont pillé les multitudes de son peuple, et il est devenu en outre la honte de ses voisins. Car le Seigneur a exalté la main de ses ennemis, il a détourné le secours de son glaive, il ne l’a point aidé dans la guerre, mais il l’a dépouillé de sa pureté, il a brisé son trône sur la terre, il a abroge les jours de son temps et surtout il l’a arrosé de honte ».

Chapitre II

La destruction des églises

Tout cela s’est en effet accompli à notre époque, quand nous avons vu de nos yeux les maisons de prière rasées et détruites de fond en combla, les divines et saintes Écritures livrées au feu au milieu des places publiques, les pasteurs des églises se cachant honteusement ici et là, capturés d’une façon ignominieuse et insultés par les ennemis, quand, selon une autre parole prophétique, « le mépris était répandu sur les chefs, et les faisait errer dans des lieux impraticables et hors de la route ». Mais ce n’est pas à nous de décrire les sombres malheurs qui leur arrivèrent à la fin, car il ne nous convient pas de livrer à l’histoire leurs dissentiments réciproques et leurs extravagances d’avant la persécution ; nous n’entendons en effet rien raconter hormis les choses par lesquelles nous pourrons justifier le jugement de Dieu. Nous ne nous laisserons donc pas davantage aller à rappeler la mémoire de ceux qui ont été éprouvés par la persécution, non plus que de ceux qui ont fait un complet naufrage pour le salut, et qui par suite même de cette résolution ont été précipités au fond de l’abîme. Dans celte histoire générale nous rapporterons seulement les choses qui doivent nous être utiles d’abord à nous-mêmes, puis à ceux qui viendront après nous.

Maintenant commençons ici le récit abrégé des saints combats des martyrs de la divine parole.

C’était alors la dix-neuvième année du règne de Dioclétien, au mois de Dystro, c’est-à-dire le mois de Mars selon les Romains, à l’approche de la fête de la Passion du Sauveur, lorsqu’on afficha partout des édits impériaux ordonnant de mettre par terre les églises et de supprimer les Écritures par le feu, et proclamant .déchus de leur fonction ceux qui étaient en charge, et privés du droit d’être affranchis ceux qui étaient esclaves chez les particuliers s’ils demeuraient dans la profession du christianisme.

Tel était le premier édit contre nous ; peu après,.d’autres suivirent qui ordonnèrent d’emprisonner d’abord tous les chefs des églises de tous pays, puis ensuite par tous les moyens de les contraindre à sacrifier.

Chapitre III

La conduite de ceux qui ont combattu dans la persécution

Alors, en fait, un très grand nombre de chefs des églises supportèrent avec courage de terribles souffrances et donnèrent le spectacle de grands combats ; mais une foule d’autres dont l’âme était auparavant engourdie dans la lâcheté, faiblirent rapidement au premier choc. Chacun des premiers supporta un genre différent de supplices l’un eut le corps meurtri par les fouets, l’autre fut tourmenté par les tortures et les déchirements intolérables des ongles de fer sous lesquels certains trouvèrent une terrible fin de leur vie. Mais d’autres encore sortirent de la lutte d’une façon différente : l’un était poussé de force et approché des sacrifices souillés et impurs, et on le renvoyait comme s’il avait sacrifié quoiqu’il se fût abstenu ; l’autre ne s’en était même pas approché du tout et n’avait rien touché de souillé ; des gens disaient qu’il avait sacrifié, il supportait en silence celte dénonciation calomnieuse et s’en allait ; un autre était enlevé à moitié mort, on le jetait comme s’il était déjà un cadavre et il gisait par terre, puis quoiqu’un le traînait de nouveau par les pieds à travers un long espace et il était compté parmi ceux qui avaient sacrifié ; tel criait et attestait à haute voix son refus de sacrifier ; un autre clamait qu’il était chrétien et qu’il se faisait gloire de confesser ce nom emprunté au Sauveur ; un autre affirmait avec force qu’il n’avait pas sacrifié et ne sacrifierait pas ; cependant, même ceux-là étaient frappés à tour de bras et réduits au silence par une escouade de soldats placés dans ce but ; on leur meurtrissait le visage et les joues, puis on les jetait dehors de force, tant les ennemis de la religion estimaient que, par tous les moyens, il fallait paraître avoir abouti.

Mais cela ne leur roussissait pas avec les saints martyrs. Pour le récit exact de ces événements quelle parole pourrait nous suffire ?

Chapitre IV

Les martyrs de Dieu dignes d’être chantés. Comment ils ont rempli tous pays de leur mémoire après avoir ceint pour religion toutes sortes de couronnes

On pourrait en effet raconter que des milliers de chrétiens firent preuve d’un admirable zèle pour la religion du Dieu de l’univers, non pas seulement à partir du moment où s’éleva la persécution générale, mais bien auparavant, dès le temps où les choses étaient encore à la paix. Car ce fut tout récemment que celui qui en avait reçu la permission, s’éveilla comme d’un profond sommeil ; c’était encore en secret et dans l’ombre, après le temps qui s’écoula entre Dèce et Valérien, qu’il mit la main à son entreprise contre les églises et il ne commença pas la guerre contre nous tout d’un coup, mais il s’essaya seulement tout d’abord contre ceux qui étaient aux armées (car il pensait ainsi perdre facilement les autres aussi, s’il avait auparavant le dessus dans la lutte avec ceux-là) ; on put voir alors un très grand nombre de militaires embrasser très volontiers la vie privée afin de ne pas devenir les renégats de la religion du Dieu de l’univers. Aussitôt que le chef de l’armée, qui était alors, eut commencé les opérations de la persécution contre les troupes, il classa et épura ceux qui servaient dans les armées ; il leur donnait le choix ou bien d’obéir et de continuer à jouir de leur grade, ou bien au contraire d’en être privés s’ils faisaient le contraire de ce qui était ordonné. Un grand nombre de soldats du royaume du Christ sans hésitation préférèrent volontiers la confession de leur foi à l’honneur apprécié et à la situation avantageuse’ qu’ils avaient. Alors il arrivait rarement qu’un ou deux d’entre eux aient à supporter non seulement la perte de leur dignité mais la mort pour leur religieuse résistance ; celui qui conduisait, en ce moment, l’entreprise, le faisait avec mesure et n’osait aller jusqu’à l’effusion du sang que pour quelques-uns ; il craignait, à ce qu’il semble, la foule des croyants et redoutait de se jeter dans la lutte contre tous à la fois.

Mais quand il se présenta au combat d’une façon plus ouverte, il n’est pas possible à la parole d’exprimer le nombre et l’excellence des martyrs de Dieu qu’il fut donné aux habitants des villes et des campagnes de contempler de leurs yeux.

Chapitre V

Ceux de Nicomédie

C’est ainsi qu’un homme, non pas obscur mais tout à fait des plus considérables parmi les dignitaires du siècle, aussitôt que fut affiché à Nicomédie l’édit contre les églises, poussé par son zèle pour Dieu, et emporté par sa foi ardente, enleva et déchira l’exemplaire placé très en vue dans un endroit public, comme un objet impie tout à fait digne de mépris. Deux empereurs étaient présents dans cette même ville, le plus ancien de tous et celui qui occupait le quatrième rang du pouvoir après lui. Ce chrétien était le premier des gens du ce pays, qui se faisait remarquer de cette sorte ; aussitôt, ainsi qu’il était naturel, il subit ce qu’appelait une pareille audace et garda sa sérénité et son calme jusqu’au dernier soupir.

Chapitre VI

Ceux qui étaient dans les palais impériaux

Au-dessus de tous ceux qui ont été jamais célébrés comme dignes d’admiration et vantés pour leur courage soit chez les Grecs, soit chez les barbares, l’époque présente a placé les divins et glorieux martyrs que furent les serviteurs impériaux, compagnons de Dorothée. Leurs maîtres les avaient jugés dignes de la plus haute distinction et leur avaient donné l’affection qu’ils portaient à leurs propres enfants. Mais ces chrétiens estimèrent comme un trésor véritablement plus grand que la gloire et le plaisir du monde, les opprobres endurés pour la religion, les souffrances, les genres de mort variés inventés pour eux. Nous ne rappellerons que pour un seul d’entre eux quelle fut la fin de sa vie et nous laisserons voir par là ce qui est arrivé aux autres.

On en fit comparaître un dans la ville citée plus haut [Nicomédie] devant les princes dont nous avons parlé et on lui ordonna de sacrifier ; comme il refusait, on commanda de l’élever tout nu en l’air et avec des fouets de lui déchirer tout le corps jusqu’à ce que, vaincu, il fût contraint de faire ce qui était ordonné. Comme il souffrait cela sans être ébranlé, on se mit alors à arroser ses os mis à nu avec du vinaigre mêlé de sel et on en versa sur les parties de son corps complètement meurtries ; il méprisa encore ces souffrances ; alors on traîna un gril et du feu, et comme on fait pour les viandes qu’on veut manger, on exposa ce qui restait de son corps à la flamme, non pas d’une façon brutale, de peur qu’il ne mourût rapidement, mais afin qu’il pérît petit à petit. Ceux qui l’avaient placé sur le foyer n’avaient pas l’autorisation de le délier avant qu’il n’eût, après de telles souffrances, fait signe qu’il consentait à ce qui était ordonné, Mais il garda sa résolution sans lâcher prise, et vainqueur dans ces tortures il rendit l’âme. Tel fut le martyre de l’un des serviteurs impériaux ; il était bien réellement digne de son nom : il s’appelait Pierre.

Les supplices des autres ne furent eux aussi pas moindres ; pour faire l’épargne d’un récit qui leur soit proportionné, nous les laisserons, et nous dirons seulement que Dorothée et Gorgonius, ainsi que beaucoup d’autres de la domesticité impériale, après des combats multiples, perdirent la vie par la strangulation et remportèrent les prix de la divine victoire.

À cette époque celui qui alors présidait à l’église de Nicomédie, Anthime, à cause du témoignage qu’il rendit au Christ, fut décapité et on lui adjoignit une multitude nombreuse de martyrs. Un incendie se déclara, je ne sais comment, dans les palais impériaux de Nicomédie ces jours mêmes. Sur un soupçon mensonger, la rumeur se répandit qu’il avait été allumé par les nôtres ; alors les chrétiens de l’endroit en masse et sans distinction, sur un ordre impérial, furent les uns égorgés par le glaive, les autres mis à mort par le feu, et on raconte qu’emportés par un zèle divin et indicible, des hommes et des femmes s’élancèrent dans le bûcher ; les bourreaux en lièrent une foule d’autres sur des barques et les précipitèrent dans les abîmes de la mer. Les serviteurs impériaux, après leur mort, avaient été confiés à la terre avec les honneurs qui convenaient ; on revint encore les exhumer pour les jeter à la mer. Ceux qu’on regardait comme les maîtres estimaient qu’il le fallait, de peur que, s’ils reposaient dans des tombeaux certains ne vinssent à les adorer et ne les tinssent pour des dieux, ainsi du moins qu’ils pensaient. Tels furent les événements accomplis à Nicomédie au commencement de la persécution.

Peu après, certaines gens dans le pays appelé Mélitène et d’autres aussi en Syrie tentèrent de s’emparer de l’empire ; un ordre impérial arriva de mettre en prison et dans les chaînes tous les chefs des églises. Le spectacle de ce qui arriva alors dépasse tout récit : partout une multitude immense de gens étaient emprisonnés et les prisons de chaque localité préparées de toute antiquité pour des assassins et des violateurs de tombeaux étaient maintenant remplies d’évêques, de prêtres, de diacres, de lecteurs, d’exorcistes, si bien qu’il n’y restait plus de place pour ceux qui étaient condamnés pour crimes.

Ces premiers édits furent de nouveau suivis de près par d’autres, dans lesquels il était ordonné ,1e laisser les prisonniers qui sacrifiaient aller en liberté, mais, pour ceux qui s’obstinaient, de les tourmenter par mille tortures. Comment encore pourrait-on compter ici le nombre des martyrs de chaque province, surtout en Afrique, dans la nation des Martyrs, en Thébaïde et en Égypte ? Un certain nombre ayant émigré de ce pays en d’autres villes et provinces s’y distinguèrent par leurs martyres.

Chapitre VII

Les égyptiens en Phénicie

Nous savons certes ceux d’entre eux qui se sont illustrés en Palestine, mais nous connaissons aussi ceux qui ont brillé à Tyr en Phénicie. À les voir, qui n’aurait été frappé d’admiration ayant devant soi les interminables flagellations, et, sous les coups, la patience des athlètes vraiment merveilleux de la religion, et aussitôt après les fouets, le combat contre les fauves qui devaient les dévorer, et les bonds de léopards, d’ours divers, de sangliers sauvages et de taureaux aiguillonnés avec le feu et le fer, et l’étonnante constance de ces hommes généreux contre chacune de ces bêtes ? Nous avons nous-même assisté à ces scènes et alors nous avons vu que la puissance divine de notre Sauveur, de Jésus-Christ lui-même, à qui il était rendu témoignage, était présente et se manifestait visiblement aux martyrs : les bêtes dévorantes pendant longtemps n’osaient ni toucher ni même approcher les corps des amis de Dieu ; mais elles se précipitaient contre les autres chaque fois que, du dehors, ils tes stimulaient par des excitations ; cependant les saints athlètes étaient seuls, debout, sans vêtements, agitant les mains pour attirer les bêtes vers eux-mêmes (car il leur était ordonné de faire cela) et ils n’étaient absolument pas touchés. Si parfois elles s’élançaient contre eux, comme par une force tout à fait divine elles étaient brusquement arrêtées et elles revenaient en arrière.

Ce spectacle au reste se prolongeait et il ne se présentait pas seulement un rapide instant à ceux qui regardaient ; ainsi, après qu’une première bête n’avait rien fait, on en lâchait une seconde, puis une troisième contre un seul et même martyr. Il était alors loisible d’être frappé de la force intrépide de ces saints et du courage inflexible qui était venu dans ces jeunes corps. C’est ainsi qu’on voyait l’âge d’un jeune homme qui n’avait pas vingt ans accomplis ; il se tenait debout sans lien, étendant les mains en forme de croix, et avec une âme sereine et tranquille, il prolongeait à loisir les prières qu’il adressait à la divinité, ne bougeant absolument pas du lieu où il se tenait, ne faisant pas un mouvement pour s’en écarter ; cependant des ours et des léopards, respirant la fureur et la mort, touchaient presque sa chair, mais je ne sais comment, grâce à une puissance divine et mystérieuse, ils avaient pour ainsi dire la gueule formée et ils revenaient en arrière en courant. Tel était ce martyr.

On en a pu voir d’autres encore (car ils étaient cinq en tout) jetés devant un taureau furieux ; celui-ci lançait en l’air avec ses cornes tous ceux qui nous étaient étrangers et qui l’approchaient, il les déchirait et les laissait à demi morts ; les saints martyrs, vers lesquels il se précipitait en colère et menaçant, furent les seuls qu’il ne put pas approcher ; il frappait des pieds et des cornes de côté et d’autre ; les excitations qu’on lui infligeait avec les fers rouges lui faisaient exhaler la fureur et la menace ; mais la sainte Providence le ramenait en arrière, si bien qu’il ne fit jamais aucun mal aux chrétiens et qu’on lâcha contre eux quelques autres bêtes. Enfin cependant, après ces assauts terribles et variés, ils furent égorgés par le glaive et tous, au lieu d’être ensevelis en terre et dans des tombeaux, furent jetés dans les flots de la mer.

Telle fut la lutte des Égyptiens qui à Tyr donnèrent le spectacle des combats pour la religion.

Chapitre VIII

Ceux de l'Égypte

On peut aussi admirer ceux d’entre eux qui rendirent témoignage dans leur propre patrie. Là un nombre de dix mille hommes avec femmes et enfants, pour l’enseignement de notre Sauveur, méprisèrent la vie passagère et endurèrent divers genres de mort : les uns, après les ongles de fer, les chevalets, les fouets les plus cruels, et mille autres tourments variés dont le récit fait frémir, étaient livrés au feu ; les autres étaient noyés dans la mer ; d’autres courageusement tendaient leurs têtes aux bourreaux ; les uns succombaient dans les tortures ; les autres étaient consumés par la faim ; d’autres enfin étaient crucifiés, les uns à la façon des malfaiteurs, le, autres d’une manière pire encore, on les clouait la tête en bas et on les gardait vivants jusqu’à ce qu’ils périssent de faim sur le gibet même.

Chapitre IX

Ceux de Thébaïde

Nul récit ne peut égaler les outrages et les tourments endurés par les martyrs de Thébaïde ; on se servait de coquillages au lieu d’ongles de fer pour leur déchirer tout le corps jusqu’à ce qu’ils perdissent la vie ; des femmes étaient attachées par un pied, soulevées en l’air et suspendues la tête en bas par des mangonneaux et dans leur corps entièrement nu et sans vêtements, elles présentaient à ceux qui les regardaient le spectacle de tous le plus ignominieux, le plus cruel et le plus inhumain. D’autres encore mouraient attachés à des branches d’arbres : les bourreaux en effet amenaient par des machines les plus fortes branches à un même endroit, ils fixaient sur chacune d’elles les jambes des martyrs, puis ils lâchaient tout de façon à ce que ces branches fussent rejetées à leur position naturelle ; ils avaient ainsi imaginé d’écarteler d’un seul coup les membres de ceux contre lesquels ils essayaient cela. Et tous ces supplices ne duraient pas seulement quelques jours ni une courte période de temps, mais le long espace d’années entières ; tantôt c’était plus de dix et tantôt plus de vingt victimes qui étaient mises à mort ; une autre fois elles n’étaient pas moins de trente et même elles approchaient de soixante, et une autre fois encore en une seule journée le nombre montait jusqu’à cent hommes avec beaucoup d’enfants et de femmes qui étaient condamnés à des châtiments variés qui se succédaient les uns aux autres.

Nous avons aussi vu nous-même, étant sur les lieux, un grand nombre de chrétiens subir en masse le même jour les uns la décapitation, les autres le supplice du feu, si bien que le fer qui tuait était émoussé et impuissant à couper et que les tueurs eux-mêmes fatigués se succédaient les uns aux autres en se relayant. C’est alors que nous avons contemplé la très admirable ardeur, la force vraiment divine et le zèle de ceux qui croyaient au Christ de Dieu. En même temps, en effet, qu’on prononçait la sentence contre les premiers, d’autres d’un autre côté accouraient vers le tribunal du juge et confessaient qu’ils étaient chrétiens, sans se soucier des terribles douleurs et des multiples genres de tortures auxquelles ils étaient exposés ; mais intrépides ils parlaient avec liberté de la religion du Dieu de l’univers, et ils recevaient avec joie, le sourire aux lèvres et de bonne humeur, la sentence suprême de mort ; aussi bien ils chantaient des hymnes et faisaient monter des actions de grâces vers le Dieu de l’univers jusqu’au dernier soupir.

Ils étaient assurément dignes d’admiration ; mais d’autres l’étaient remarquablement plus encore. Ils brillaient par la fortune, la naissance, la gloire, l’éloquence et la philosophie, et cependant ils faisaient passer tout cela au second rang, après la vraie religion et la foi en notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ. Tel était Philoromos ; une haute charge dans l’administration impériale à Alexandrie lui avait été confiée, et à cause de sa dignité et de son rang dans la hiérarchie romaine, entouré d’une garde de soldats, il rendait la justice chaque jour ; tel était encore Philéas, évêque de l’église de Thmuis, qui s’était distingué dans sa patrie par les charges, les fonctions publiques, et sa science de la philosophie. Un très grand nombre de leurs parents et de leurs amis ainsi que les magistrats en charge et le juge lui-même les suppliaient, les exhortant à prendre pitié d’eux et à épargner leurs enfants et leurs femmes ; ils ne furent jamais amenés par de telles considérations à préférer l’amour de la vie et à mépriser les principes établis par notre Sauveur concernant, la confession et le reniement ; avec une résolution courageuse et digne de philosophes, ou plutôt avec une âme religieuse et amie de Dieu, ils résistèrent à toutes les menaces et injures du juge : tous deux curent la tête tranchée.

Chapitre X

Renseignements écrits par le martyr Philéas sur ce qui s’est fait à Alexandrie

Nous avons dit que Philéas à cause de ses connaissances séculières était en haute considération ; qu’il vienne donc être son propre témoin ; il montrera quel il fut lui-même, et tout ensemble pour ce qui concerne les martyres qui curent lieu de son temps à Alexandrie, il les racontera d’une façon beaucoup plus exacte que nous en ces termes : EXTRAIT DES ECRITS DE PHILEAS AUX HABITANTS DE THMUIS.

« Tous ces exemples, ces modèles, ces beaux enseignements sont pour nous dans les divines et saintes Écritures ; aussi les bienheureux martyrs, nos compagnons, n’hésitèrent pas ; ils fixèrent nettement l’œil de l’âme sur le Dieu de l’univers et acceptant dans leur pensée la mort pour la religion, ils tinrent fermement à leur vocation et ils trouvèrent Notre Seigneur Jésus-Christ qui s’est fait homme à cause de nous, pour détruire d’abord tout péché, et nous procurer ensuite le viatique du voyage de la vie éternelle. « Car il n’a pas pensé que c’était une usurpation d’être semblable à Dieu, mais il s’est anéanti lui-même prenant une forme d’esclave et par l’extérieur ayant été trouvé comme un homme, il s’est abaissé jusqu’à la mort, et à la mort de la croix ». C’est pourquoi, désirant les dons plus grands, les martyrs qui portaient le Christ endurèrent toutes les peines et tous les tourments qu’on inventait, et certains même les supportèrent non pas seulement une, mais deux fois ; c’était par toutes sortes de menaces se traduisant non seulement par des paroles, mais encore par des actes, que les gardes rivalisaient d’efforts contre eux, mais ceux-ci ne laissaient pas fléchir leur résolution parce que l’amour parfait met dehors la crainte.

« Quel discours pourrait suffire à exposer en détail leur vertu et leur courage dans chaque supplice ? Il était permis en effet à tous ceux qui le voulaient de les maltraiter ; les uns les frappaient avec des bâtons, d’autres avec des verges, d’autres avec des fouets, d’autres encore avec des courroies, d’autres enfin avec des cordes. C’était un spectacle multiple que celui de leurs outrages et il avait en lui une grande malice. Les uns, en effet, étaient liés les mains derrière le dos et attachés à la pièce de bois et à l’aide de mangonneaux on leur distendait chacun des membres ; ensuite, en cet état, les bourreaux avaient ordre de leur travailler tout le corps. Ce n’était pas, comme pour les assassins, seulement les flancs, mais encore le ventre, les cuisses et les joues qu’ils déchiraient avec leurs instruments. D’autres étaient attachés et suspendus à un portique par une main ; de toutes les souffrances c’était la plus cruelle, parce qu’ils avaient les articulations et les membres distendus. D’autres étaient liés aux colonnes, le visage tourné l’un vers l’autre, mais sans que les pieds touchassent terre, ainsi le poids du corps forçait les liens à se tendre et à serrer. Et ils enduraient cela, non pas seulement pendant que le gouverneur les interrogeait sans leur donner de répit, mais presque pendant tout le jour ; car lorsqu’il passait à d’autres, il laissait les agents de son pouvoir s’installer auprès des premiers pour voir si parfois quelqu’un, vaincu par les tourments, paraîtrait céder ; il ordonnait sans pitié de les approcher même à l’aide de leurs chaînes et ceux qui après cela rendaient l’âme, on les descendait en les traînant à terre. 1 Il n’y avait en effet en eux aucune parcelle d’égards pour nous, mais ils nous considéraient et agissaient comme si nous n’étions plus rien. Telle était la seconde torture que nos adversaires avaient inventée après celle des coups. Les uns étaient encore, après ces souffrances, mis dans les entraves, les deux pieds écartés jusqu’au quatrième trou, en sorte qu’ils étaient nécessairement couchés sur le dos à cause du bois des ceps, ne pouvant pas se tenir debout en raison des blessures récentes causées par les coups reçus dans tout leur corps. D’autres, jetés à terre, gisaient brisés par la rigueur des tortures ; le spectacle qu’ils présentaient à ceux qui les regardaient était plus terrible que celui de leur supplice ; ils portaient dans leurs corps les traces multiples et variées des tourments qu’on avait inventés. Les choses étant ainsi, les uns mouraient dans les tortures et leur courage faisait rougir l’adversaire ; les autres à demi morts enfermés ensemble dans la prison, après peu de jours, épuisés parles souffrances, expiraient ; le reste ayant obtenu le recouvrement de leur santé parles soins médicaux, devenaient, avec le temps et grâce au séjour de la prison, plus courageux. Aussi bien, lorsqu’il leur était ordonné d’avoir à choisir soit de toucher au sacrifice impie et d’être délivrés en obtenant des adversaires la liberté maudite, soit, s’ils ne se sacrifiaient pas, de recevoir une sentence de mort, sans hésitation et avec joie ils allaient à la mort. Ils savaient en effet ce qui nous est prescrit par les Saintes Écritures : « Car, y est-il dit, celui qui « sacrifie à d’autres dieux sera exterminé et il n’y aura « pas pour loi d’autres dieux que moi ».

Telles sont les paroles que le martyr vraiment philosophe et ami de Dieu, avant la sentence suprême, étant encore en prison, écrivait aux frères de son église. En même temps qu’il offrait les souffrances dans lesquelles il était, il exhortait encore ceux-ci à tenir sans démorde à la religion du Christ, même après sa mort qui était imminente.

Mais qu’est-il besoin d’en dire davantage et d’exposer les combats nouveaux qui succédaient aux combats nouveaux pour les saints martyrs dans tout l’univers, surtout pour ceux qui n’étaient plus traités selon les lois communes, mais à la manière des ennemis dans une guerre?

Chapitre XI

Ceux de Phrygie

C’est alors, en effet, que toute une petite ville de chrétiens en Phrygie, avec ses habitants, fut entourée par des soldats, qui allumèrent un incendie et brûlèrent tout avec les enfants et les femmes, tandis que ceux-ci imploraient le Dieu de l’univers. Le motif de cela était qu’en masse, tous les habitants de la ville, le curateur, le chef militaire, avec ceux qui étaient en charge et le peuple entier s’étaient proclamés chrétiens et n’avaient en aucune façon obéi à ceux qui ordonnaient d’adorer les idoles.

Un autre chrétien aussi avait obtenu une charge romaine, il s’appelait Adaucle et était illustre par sa race en Italie ; il avait passé par tous les grades auprès des empereurs, si bien qu’il exerçait sans reproche l’administration générale de ce qui est appelé chez eux la magistrature [du domaine privé] et aussi des finances générales ; il s’était, en outre de tout cela, fait remarquer par la rectitude de sa conduite dans la religion et par ses confessions concernant le Christ de Dieu ; il fut orné du diadème du martyre et il était encore dans l’office même de sa charge des finances, quand il soutint le combat pour la religion.

Chapitre XII

Beaucoup d’autres hommes et femmes ont soutenu divers combats

Est-il maintenant besoin de mentionner les autres par leurs noms ou de compter le nombre de cette multitude d’hommes, ou de décrire les tourments si divers de ces admirable, martyrs ? Tantôt ils périssaient par la hache comme il advint à ceux d’Arabie, tantôt on leur brisait les jambes comme il arriva à ceux de Cappadoce ; quelquefois ils étaient attachés parles pieds et pendus la tête en bas, on allumait sous eux un feu lent et ils étaient suffoqués par la fumée qui montait des matières enflammées, cela fut pratiqué en Mésopotamie ; quelquefois on leur coupait le nez, les oreilles et les mains, et on dépeçait les autres membres et parties du corps, comme il arriva à Alexandrie. Faut-il faire revivre la mémoire de ceux d’Antioche rôtis sur des grils, non pour leur donner la mort, mais en vue d’un supplice prolongé, et de ces autres qui jetaient plutôt leur main droite dans le feu lui-même, que de toucher au sacrifice impie ? Certains fuyant l’épreuve, avant d’être pris et de tomber aux mains de ceux qui leur tendaient des pièges, se précipitaient eux-mêmes du haut de maisons élevées, estimant que mourir était ravir quelque chose à la perversité des impies.

Une sainte femme, admirable par la vertu de son âme, était pour sa beauté réputée auprès de tous les gens d’Antioche, comme du reste aussi pour la fortune, la naissance et la bonne renommée ; ses enfants, un couple de jeunes filles charmantes par la grâce de leurs corps et la fleur de leur âge, étaient élevées par elle dans les principes de la religion ; comme la jalousie s’agitait d’une façon intense à leur sujet et mettait tout en œuvre pour découvrir leur retraite, on finit par apprendre qu’elles se trouvaient ailleurs, par ruse on les appela à Antioche, et elles tombèrent alors dans les pièges des soldats ; la mère se voyant elle et ses enfants dans une situation sans issue, leur exposa dans un entretien les choses terribles qui les attendaient de la part des hommes, et ce qui était plus intolérable que tout, la menace du déshonneur ; elle s’encourageait, elle et ses filles, à ne pas même supporter de l’entendre de leurs oreilles, mais elle disait que livrer leur âme au service des démons était pire que toutes morts et que tout trépas ; elle leur suggéra qu’il n’y avait qu’un seul moyen d’échapper à tout cela : la fuite auprès du Seigneur. Alors, s’étant de suite établies dans le même projet, après avoir arrangé avec convenance leurs vêtements autour de leur corps, arrivées au milieu de la route, elles demandèrent aux gardes de s’éloigner un peu et se précipitèrent elles-mêmes dans le fleuve qui coulait à côté.

Celles-ci firent cela d’elles-mêmes ; mais un autre couple de vierges de la même ville d’Antioche, distinguées sous tous rapports et vraiment sœurs, célèbres par. leur race, illustres par leur vie, jeunes par l’âge, belles dans leur corps, saintes dans leur âme, pieuses dans leur conduite, admirables dans leur zèle, et comme la terre n’en porte point de pareilles, furent jetées à la mer par l’ordre des serviteurs des démons. Voilà ce qui concerne ces martyrs.

D’autres, dans le Pont, souffrirent des douleurs dont le récit fait frémir : aux uns on perçait les doigts en enfonçant sous l’extrémité des ongles des roseaux pointus ; pour d’autres on faisait fondre du plomb au feu et on leur arrosait le dos avec cette matière bouillante et ardente ; on leur brillait les parties du corps les plus nécessaires. D’autres enduraient dans les membres secrets et dans les entrailles, des souffrances honteuses, impitoyables, dont on ne peut faire le récit. Voilà ce que les juges de noble race, respectueux des lois et montrant leur cruauté, inventaient avec beaucoup de zèle comme un effort de sagesse ; c’était en trouvant chaque fois des supplices plus inédits, qu’ils cherchaient à se surpasser les uns les autres comme s’il se fût agi des prix d’un combat.

Le terme de ces malheurs arriva, lorsque, du reste, lassés de l’excès de ces maux, fatigués de tuer et ayant la satiété et le dégoût du sang répandu, ils se tournèrent vers ce qu’ils estimaient être le meilleur et plus conforme à l’humanité, si bien qu’ils semblaient ne plus rien entreprendre de terrible contre nous. Car il ne convenait pas, disaient-ils, de souiller les villes du sang de leurs enfants, non plus que de faire accuser de cruauté le suprême gouvernement des princes, qui est bienveillant et doux pour chacun ; mais il fallait plutôt étendre à tous la bienfaisance de la puissance et de la philanthropie impériale ; aussi bien on ne châtiait plus personne de la peine de mort ; ce supplice en effet n’était plus employé contre nous, grâce a l’humanité des princes. Alors on ordonna d’arracher les yeux et d’estropier l’une des deux jambes ; pour eux, c’était de la philanthropie et les plus légères des peines décernées contre nous, si bien qu’alors, grâce à cette philanthropie dos impies, il n’était plus possible de compter la multitude sans nombre de ceux à qui l’on avait d’abord brûlé l’œil droit, après l’avoir crevé avec un poignard, et qu’on avait ensuite privés de l’usage du pied gauche, après en avoir paralysé avec le feu les articulations ; après cela, on les condamnait à être envoyés aux mines de cuivre de chaque province ; on avait là moins on vue le produit de leur travail que de les maltraiter et de les rendre malheureux. En outre de tous ces martyrs, il y en eut d’autres qui succombèrent encore dans d’autres combats ; il est impossible de les énumérer : leurs actes de courage dépassent ce qu’on peut dire.

Dans ces luttes, par toute la terre ont brillé les grands martyrs du Christ ; en tous lieux, comme de juste, ils ont frappé d’étonnement ceux qui ont vu leur courage et d’autre part les témoignages de la puissance vraiment divine et mystérieuse de notre Sauveur ont été par eux manifestement établis. Mentionner chacun d’eux par son nom serait long, s’il n’était point parmi les choses impossibles.

Chapitre XIII

Les chefs d’églises ont montré la vérité de la religion qu’ils prêchaient, par l’effusion de leur sang

Parmi les chefs d’église qui ont rendu témoignage dans les villes célèbres, le premier sur la liste des saints qui doit être proclamé par nous martyr du royaume du Christ est Anthime, évêque de la ville de Nicomédie, qui eut la tête tranchée ; puis, parmi les martyrs d’Antioche, Lucien, qui pendant toute sa vie fut un prêtre excellent de l’église de ce pays ; à Nicomédie, en présence de l’empereur, il prêcha hautement le royaume céleste du Christ, d’abord dans un discours sous forme d’apologie, et ensuite par ses œuvres.

Parmi les martyrs de Phénicie, les plus célèbres seraient les hommes tout à fait chers à Dieu, qui étaient les pasteurs des brebis spirituelles du Christ : Tyrannion, évêque de l’église de Tyr ; Zénobius, prêtre de celle de Sidon, et encore Silvain, évêque des églises de la contrée d’Émèse. Celui-ci devint, avec d’autres, la pâture des bêtes dans Émèse même, et il fut reçu dans les chœurs des martyrs. Les deux autres, à Antioche, donnèrent gloire à la parole de Dieu par une constance qui alla jusqu’à la mort ; l’un fut jeté dans les abîmes de la mer, c’était l’évêque ; l’autre, Zénobius, médecin excellent, mourut courageusement dans les tourments qu’on lui infligea sur les flancs.

Parmi les martyrs de Palestine, Silvain, évêque des églises qui sont autour de Gaza, eut la tête tranchée aux mines de cuivre de Phéno, avec trente-neuf autres. Là aussi Pelée et Nil, évêques égyptiens, subirent avec d’autres la mort par le feu. Il nous faut aussi mentionner parmi eux, la grande gloire de l’église de Césarée, le prêtre Pamphile, le plus admirable de nos contemporains ; nous décrirons en son temps le mérite de ses exploits.

Parmi ceux qui moururent glorieusement à Alexandrie, dans toute l’Égypte et la Thébaïde, il faut citer, en premier lieu, Pierre, l’évêque de cette Alexandrie, type divin des docteurs de la religion chrétienne, et, parmi les prêtres qui étaient avec lui, Faustus, Dius et Ammonius, martyrs parfaits du Christ, puis Philéas e Hésychius et Pachymius et Théodore, évêques des églises de l’Égypte, et en outre des milliers d’autres chrétiens illustres dont on garde la mémoire dans les églises de leurs pays.

Laisser par écrit les combats qu’ils ont. livrés dans toute la terre pour la religion de la divinité, comme aussi raconter dans le détail chacune des épreuves qui leur sont arrivées n’est pas notre affaire, mais elle serait en propre celle des gens qui ont vu les choses de leurs yeux. Quant aux martyrs auprès desquels j’ai vécu, je les ferai connaître encore à nos contemporains dans un autre écrit. Dans l’ouvrage présent, j’ajouterai à ce qui a été dit, le désaveu des entreprises dirigées contre nous, et les événements survenus depuis le début de la persécution ; ce sera très utile aux lecteurs.

En effet, en ce qui concerne l’administration des Romains, avant la guerre faite contre nous, pendant tout le temps que les dispositions des princes furent amicales et pacifiques à notre égard, quelle fécondité et abondance de richesse n’a-τ-on pas constatée ? quel discours pourrait suffire à le raconter ? Lorsque les chefs suprêmes de l’univers avaient accompli la dixième ou la vingtième année de leur règne, c’était en des fêtes, des panégyriques, des banquets très brillants et des festins joyeux qu’ils l’achevaient au milieu d’une paix entière et bien établie. Leur puissance, sans rencontrer d’obstacle, augmentait et devenait chaque jour plus grande, quand, tout d’un coup, ils firent cesser la paix envers nous et provoquèrent une guerre sans trêve. La seconde année d’un pareil bouleversement n’était pas achevée pour ceux, que quelque chose de nouveau dans tout l’empire se produisit qui bouleversa toutes les affaires. Une maladie de mauvais augure s’abattit sur le premier de ceux dont nous parlons ; grâce à elle, son intelligence allait à la folie ; il rentra, avec celui qui occupait le second rang après lui, dans la vie privée des simples citoyens. Cela n’était pas encore un fait accompli que l’empire entier fut divisé en deux, chose d’ailleurs qu’on n’a jamais mentionnée comme s étant autrefois produite.

Il s’écoula peu de temps et l’empereur Constance, qui avait eu pendant toute sa vie les dispositions les plus douces et les plus bienveillantes pour ses sujets et les plus amicales à l’égard de la doctrine divine, laissa à sa place son digne fils Constantin, Empereur et Auguste, puis acheva sa vie selon la commune loi de la nature. Le premier [des quatre empereurs], il fut proclamé dieu parmi eux et jugé digne après sa mort de tout l’honneur qu’on puisse réserver à un empereur ; il avait été le plus débonnaire et le plus doux des princes. Seul parmi ceux de notre temps, il observa une attitude digne du pouvoir suprême ; pendant toute la durée de son règne il se montra au reste pour tous très aimable et très bienfaisant, sans jamais prendre aucune part à la guerre faite contre nous, mais il garda même les hommes religieux, qui étaient sous son autorité, exempts de dommage et de vexation ; il ne renversa pas les édifices des églises et n’innova rien contre nous ; la fin de sa vie fut heureuse et trois fois bénie. Seul il mourut dans son empire doucement et glorieusement, ayant auprès de lui un héritier digne de lui, un fils qui était en tout très sage et très pieux.

Son fils, Constantin, fut tout d’abord aussitôt proclamé Empereur très parfait et Auguste, par les légions et aussi, bien avant elles, par Dieu lui-même, le Roi suprême ; il s’attacha à imiter la religion de son père à l’égard de notre doctrine ; tel fut Constantin. Licinius, d’autre part, à cette époque, fut proclamé, par le suffrage commun des empereurs, autocrate et Auguste.

Ce fut un terrible chagrin pour Maximin, jusque-là il ne prenait encore auprès de tous que le nom de César. Comme il était tout à fait despote, il s’adjugea frauduleusement la dignité impériale et fut Auguste ; il s’était fait cela lui-même. Sur ces entrefaites fut surpris ourdissant une machination de mort contre Constantin, celui qu’on a vu reprendre sa charge après s’en être démis ; il périt d’une mort très honteuse. Il fut le premier [des empereurs] dont on détruisit les inscriptions honorifiques, les statues et toutes autres marques d’honneur qu’on a coutume de décerner ; on le traita comme un homme infâme et très impie.

Chapitre XIV

De la conduite des ennemis de la religion

Son fils Maxence, qui possédait en même temps le pouvoir à Rome, commença à feindre d’avoir notre foi pour complaire au peuple des Romains et le flatter ; c’est pourquoi ses officiers reçurent l’ordre de s’abstenir de persécuter les Chrétiens. Avec les dehors de la religion, il parut l’emporter en bienveillance et surtout en douceur sur ceux qui étaient avant lui. Cependant il ne se montra pas tel dans les actes qu’on avait espéré qu’il serait ; il en vint à toutes les scélératesses, ne laissa inaccomplie aucune souillure, aucune impudence, et s’adonna aux adultères et à toutes sortes de corruptions. Il séparait les maris de leurs femmes légitimes et, après avoir fait subir à celles-ci les derniers outrais, il les renvoyait ensuite à leurs époux ; il avait soin que ces entreprises ne s’adressassent pas à des gens obscurs et inconnus, mais c’était surtout avec ceux qui tenaient les premiers rangs dans l’assemblée du Sénat romain qu’il se conduisait d’une façon tout à fait ignoble. Tous ses subordonnés, peuples et magistrats, illustres ou inconnus, étaient fatigués de cette terrible tyrannie ; ces gens-là ne bougeaient pas et portaient l’amère servitude ; il n’y avait cependant aucun changement dans la cruauté sanguinaire du tyran. Alors en effet, suivie moindre prétexte, il livrait le peuple à ses gardes pour un carnage, et faisait tuer une grande multitude de Romains en pleine ville, non point avec les lances ou les diverses armes des Scythes ou des barbares, mais avec celles de leurs concitoyens. Quel fut le nombre de sénateurs qu’il fit périr dans le dessein de s’emparer de leurs biens, il n’est pas possible de l’évaluer ; de temps à autre pou. des motifs imaginaires des milliers de gens étaient mis à mort. L’excès des maux amena le despote à la magie ; en vue d’opérations magiques tantôt il faisait éventrer des femmes enceintes, tantôt il faisait fouiller les entrailles des nouveau-nés et égorger des lions ; puis il organisait d’abominables évocations de dénions et une cérémonie pour conjurer la guerre. Par ces soyons il avait toute espérance d’obtenir la victoire. Tant que ce tyran régna à Rome, on ne saurait dire combien sa conduite rendit lâches ses sujets ; aussi bien alors il y régna aussi une extrême disette des aliments nécessaires et un dénuement tel qu’à Rome ni ailleurs nos contemporains n’en mentionnent point de pareil.

Le tyran de l’Orient, Maximin, faisait alliance en secret avec celui de Rome, comme avec un frère en méchanceté ; il eut soin de le cacher pendant longtemps ; mais il fut découvert dans la suite et subit un juste châtiment. On pouvait admirer comment celui-ci encore avait des traits de parenté et de fraternité avec le tyran de Rome ; il avait même sur lui l’avantage, en ce qui concerne la malice, et le prix de la victoire pour la perversité. Les principaux sorciers et magiciens en effet obtenaient auprès de lui le rang le plus élevé ; pour lui il était poltron au plus haut point et sa crainte des démons était très grande ; une erreur au sujet des idoles ou des démons était pour lui chose grave ; sans devins et sans oracles, il était pour ainsi dire incapable d’oser rien remuer même du bout du doigt.

C’est pour cela qu’il s’appliquait à nous persécuter avec plus de violence et de fréquence que ceux d’auparavant. Il ordonnait d’ériger des temples dans chaque ville et de rebâtir avec diligence les sanctuaires que la vétusté avait détruits. Il établissait des prêtres d’idoles en chaque localité et ville, et au-dessus d’eux comme grand-prêtre pour chaque province, un des magistrats qui s’était le plus brillamment distingué dans toutes les charges, et il lui donnait une escorte militaire et des gardes. Il n’hésita pas non plus à combler tous les sorciers de gouvernements et des plus grands privilèges, comme s’ils étaient des gens religieux et amis des dieux. Parti de là, il se mit à affliger et à pressurer nombre de villes et de pays et les provinces entières qui étaient sous son autorité, par des exactions d’or, d’argent, de richesses immenses, par de très dures inculpations et toutes sortes d’autres injus-  tices. Il dépouillait les riches des biens accumulés par leurs ancêtres puis il comblait de richesses et accablait d’argent les flatteurs de son entourage. L’excès de vin et l’ivresse étaient portés par lui à un tel point, que pendant qu’il était à boire, il était frappé de démence et perdait la raison ; sous l’action du vin, il ordonnait des choses que le lendemain, de sang-froid, il regrettait. Il ne laissait personne le dépasser en crapule et en débauche, et il s’était établi lui-même maître de vice pour ceux qui étaient autour de lui, chefs et subordonnés ; il introduisit la mollesse dans l’armée par toutes sortes de jouissances et d’indiscipline ; il encourageait par ses pilleries et sa cupidité les gouverneurs et les chefs militaires à se conduire à l’égard de leurs inférieurs, presque comme des gens associés à sa tyrannie.

Qu’est-il besoin de rappeler les passions et méfaits honteux de cet homme, ou de compter la multitude des femmes déshonorées par lui ? Il ne lui était du reste pas possible de traverser une ville, sans que toujours il n’y commît des adultères et des rapts de jeunes filles. Auprès de tous il réussissait, excepté seulement auprès des chrétiens. Ceux qui méprisaient la mort ne faisaient aucun cas d’une pareille tyrannie. Les hommes en elles supportaient le feu, le fer et le crucifiement, les bêtes sauvages, les abîmes de la mer, d’avoir les membres coupés, d’être brilles au fer rouge, d’avoir les yeux crevés et arrachés, d’être mutilés dans tout leur corps, et par-dessus tout cela de subir la faim, les travaux des mines et les chaînes. En toutes ces choses ils préféraient faire preuve de constance pour la religion plutôt que consentir à donner aux idoles l’adoration qu’on a pour Dieu. D’autre part, les femmes ne furent pas moins vaillantes que les hommes pour la doctrine du Verbe divin : les unes, soumises aux mêmes luttes remportèrent les mêmes prix du combat pour la vertu ; les autres, traînées au déshonneur, préférèrent laisser leur âme à la mort plutôt que leur corps à la flétrissure.

Seule cependant parmi celles qui furent l’objet des violences du tyran, une chrétienne très distinguée et très illustre triompha, par une très courageuse fermeté, de l’Ame passionnée et effrénée de Maximin. Elle était célèbre du reste par la fortune, la naissance et l’éducation, mais avant tout elle estimait la chasteté. Le prince la supplia longtemps. Elle était prêle à mourir : mais, lui, ne fut pas capable de la faire mettre à mort, car sa passion était plus forte que sa colère. Il la condamna à l’exil et il s’empara de tout son bien.

Un grand nombre d’autres ne pouvant pas même entendre de la part des autorités des provinces la menace d’être déshonorées, endurèrent toutes sortes de tourments, de tortures et la peine capitale. Elles furent sans doute admirables, mais plus admirable encore fut cette femme de Rome réellement la plus noble et la plus chaste de toutes celles que Maxence, le tyran de ce pays, l’imitateur de Maximin, essaya d’insulter. Lorsqu’elle eut appris que les gens qui servaient le tyran dans ces sortes d’affaires étaient à la maison – elle aussi était chrétienne –, et que son mari, qui était préfet des Romains, avait par crainte consenti à ce qu’ils la prissent et l’emmenassent, elle demanda un instant et entra dans son cabinet comme pour parer son corps ; une fois seule, elle se perça d’un glaive et mourut sur-le-champ, laissant son cadavre à ceux qui devaient la livrer à la prostitution. Ce fut par des actes qui résonnent d’une façon plus éclatante que toute voix humaine, qu’elle montra aux hommes d’alors et à ceux qui devaient suivre, que la seule richesse invincible et indestructible est la vertu chez les chrétiens.

Tel fut le débordement de perversité qui fondit sur une seule et même époque ; il était l’œuvre des deux tyrans qui détenaient l’Orient et l’Occident. Quel est celui qui cherchant la cause de tels maux pourrait hésiter à déclarer que c’est la persécution excitée contre nous, surtout quand ce bouleversement ne cessa qu’au moment où les chrétiens reçurent la liberté ?

Chapitre XV

Ce qui arriva à ceux du dehors

Pendant tout le temps des dix années de la persécution, il n’y eut pour eux aucune interruption dans les hostilités et la guerre civile. Les mers n’étaient plus navigables et il n’était pas loisible à ceux qui débarquaient, d’où qu’ils vinssent, de ne pas être soumis à toutes les tortures ; étendus sur des chevalets ils avaient les flancs déchirés ; au milieu de supplices de toutes sortes, on leur demandait s’ils ne venaient pas du parti ennemi ; enfin on les mettait en croix, ou bien on leur infligeait la peinedu feu. Ce n’était en outre que fabrications de boucliers, de traits et de lances et préparatifs d’armements de guerre, de trirèmes et d’engins pour combattre sur mer ; en tous lieux on n’entendait que cela et tout le monde n’était préoccupé chaque jour que d’attendre une incursion des ennemis. Ensuite la famine et la peste s’abattirent sur eux ; nous en raconterons ce qu’il faut en temps utile.

Chapitre XVI

L’heureux changement des affaires

Cela se prolongea ainsi pendant toute la persécution ; au bout de dix ans, celle-ci, grâce à Dieu, prit fin complètement ; après la huitième année du reste, elle avait commencé à se ralentir. En effet, lorsque la grâce divine et céleste montra qu’elle veillait sur nous avec une bienveillance miséricordieuse, alors les empereurs de notre temps, ceux-là mêmes qui depuis longtemps conduisaient la guerre contre nous, changèrent de sentiments d’une façon très surprenante et se rétractèrent en d’excellents éclits rendus à notre sujet et. par des ordonnances très pacifiques, ils éteignirent l’incendie de la persécution qui s’était si grandement propagé. Il n’y eut à cela aucune cause humaine, et ce ne fut ni la pitié des princes, comme on pourrait le dire, ni leur humanité, il s’en faut beaucoup ; car chaque jour depuis le commencement jusqu’à cet instant, des peines plus nombreuses et plus dures étaient imaginées par eux contre nous. Mais la vigilance de la Providence divine ellemême fut manifeste ; elle se réconcilia d’abord avec le peuple, puis elle se mit à poursuivre l’auteur de ces maux. Un châtiment envoyé par Dieu l’atteignit, commença son œuvre par la chair, et pénétra jusqu’à l’âme. Soudainement un abcès lui vint au périnée, ensuite un ulcère fistuleux au fondement ; le ravage inguérissable de l’un et de l’autre s’étendait aux entrailles les plus intérieures ; dans celles-ci fourmillaient une multitude innombrable de vers et il en sortait une odeur mortelle. Toute la masse de ses chairs, produit d’une alimentation abondante avant la maladie, pendait en un excès plantureux de graisse, qui se mit alors à pourrir et à présenter un aspect intolérable et horrible à ceux qui approchaient. Parmi les médecins, les uns étaient tout à fait hors d’état de supporter ce qu’il y avait d’étrange et d’excessif dans cette odeur fétide : ils furent égorgés ; les autres, impuissants à secourir toute cette chair enflée et arrivée à un pointoù il n’y avait aucun espoir de salut, furent mis à niort sans pitié.

Chapitre XVII

La rétractation des princes

Et c’est par de tels maux qu’il eut conscience des anciens méfaits qu’il avait osés contre les chrétiens. Il rentra en lui-même ; d’abord il rendit hommage au Dieu de l’univers, puis appelant ceux qui l’entouraient il leur ordonna de faire, sans délai, cesser la persécution contre les chrétiens ; puis, par un édit et une ordonnance impériale de les presser de bâtir leurs églises, d’y accomplir leurs rites accoutumés et d’y faire des prières pour l’empereur. Alors aussitôt l’effet succéda aux paroles, l’ordre impérial fut publié dans chaque ville ; il contenait la rétractation de nos adversaires en cette forme : « L’Empereur César Galérius Valère Maximien, Invincible, Auguste, Souverain Pontife très grand, Germanique très grand, Egyptien très grand, Thebaïque très grand, Sarmatique très grand cinq fois, Persique très grand deux fois, Carpique très grand six fois, Arménique très grand, Médique très grand, Adiabénien très grand, de puissance tribunicienne vingt fois, impérator dix-neuf fois, consul huit fois, père de la patrie, proconsul. Et l’Empereur César Flavien Valère, Constantin, pieux, heureux, invincible, Auguste, Souverain Pontife très grand, de puissance tribunicienne, impéralor cinq fois, consul, père de la patrie, proconsul.

« Entre toutes les mesures que nous avons imaginées pour l’utilité et l’avantage des peuples, nous avons d’abord décrété que tout serait redressé selon les lois anciennes elles institutions publiques des Romains et nous avons pris soin de ceci, à savoir : que même les chrétiens qui avaient laissé la secte religieuse de leurs ancêtres, revinssentà une bonnerésolulion. Parce que, par suite d’un parti pris, un esprit d’orgueil tel s’est emparé d’eux qu’ils n’ont pas suivi ce qui avait été institué par les anciens et également établi autrefois même parleurs pères, mais que d’autre part ils se sont fait a eux-mêmes dos lois selon leur gré et selon le bon plaisir de chacun, qu’ils les observent et qu’en divers lieux ils assemblent des multitudes diverses, il s’en est suivi un édit publié par noir, pour qu’ils revinssent d’eux-mêmes à ce qui avait été établi par !cs anciens ; un grand nombre s’est trouvé jeté en péril et un grand nombre a été inquiété et a subi toutes sortes de morts. Et comme la plupart demeuraient dans la même folie, nous avons vu qu’ils ne donnaient l’adoration convenable ni aux dieux célestes ni à celui des chrétiens ; considérant notre philanthropie et la coutume constante que nous avons de distribuer le pardon à tous les hommes, nous avons décréléquil fallait sans aucun relard étendre notre clémence même au cas présent, afin que de nouveau les Chrétiens puissent exister, qu’ils élèvent des maisons dans lesquelles ils s’assemblent, en sorte qu’ils ne fassent rien de contraire à la discipline. Par une autre lettre nous indiquerons aux juges ce qu’il leur faudra observer. En retour, conformément α notre clémence, ils devront prier leur Dieu pour notre salut, celui de nos sujets et le leur propre, afin que de toutes façons les affaires publiques soient en bon état et qu’ils puissent vivre sans inquiétude dans leur propre foyer ».

Ceci a été traduit du latin en langue grecque selon qu’il a été possible, et avait cette forme. Qu’arriva-t-il alors ? c’est le moment de l’examiner.

Appendice

Du reste, l’auteur de cet écrit, après une pareille confession, fut sur-le-champ, mais non pas pour longtemps, délivré de ses souffrances ; il mourut bientôt. On raconte que le premier il fut cause du malheur de la persécution ; autrefois même avant ce qu’ont entrepris les autres empereurs, il obligeait les Chrétiens qui étaient aux armées et avant tous les autres, ceux qui faisaient partie de son propre palais, à changer de religion, privant les uns de leur grade militaire et déshonorant les autres d’une façon odieuse ; déjà même il en menaçait de mort un certain nombre ; enfin il amena les empereurs ses collègues à la persécution générale. Il ne serait pas juste de livrer au silence la fin de leur vie.

Des quatre princes qui avaient obtenu le pouvoir suprême, ceux qui avaient la prééminence de l’aneien-ne.té et de l’honneur, avant que deux années de persécution ne se fussent entièrement écoulées, quittèrent l’empire, de la façon que nous avons montré plus haut, et revinrent pour le reste de leur vie à la condition d’hommes privés et du commun. Ils eurent la fin que voici : celui qui avait été honoré du premier rang à cause de la dignité et de l’ancienneté, fut consumé par une infirmité du corps longue et très pénible ; le second après lui mourut étranglé. Selon une prédiction du démon, il souffrit cela à cause des nombreux crimes qu’il avait osé entreprendre. Quant aux autres qui venaient après ceux-ci, le dernier d’entre eux, que nous avons dit être le promoteur de toute la persécution, souffrit après eux tout ce que nous avons montré précédemment. Celui au contraire qui était avant lui, le très bon, très doux empereur Constance accomplit noblement tout le temps de son règne ; il se montra du reste à tous très favorable et très bienfaisant ; or il était en dehors de la guerre faite contre nous ; il préserva les chrétiens ses sujets de dommage et de vexation, il ne détruisit pas les édifices des églises et, ni autrement ni en quoi que ce soit, il n’innova rien contre nous ; il eut une fin de vie réellement heureuse et trois fois bénie. Il fut le seul qui, à sa mort, laissa heureusement et glorieusement son empire à son vrai fils, l’héritier de son trône, en tout très sage et très pieux. Celui-ci sur-le-champ fut proclamé tout de suite empereur parfait et Auguste par les armées ; il se montra l’imitateur zélé de la piété paternelle envers notre religion.

Telle fut la fin de la vie des quatre princes dont nous avons plus haut fait mention et qui arriva en des temps différents. De ceux-ci, d’ailleurs, un seul en mourant, celui dont nous avons parlé un peu plus haut, avec ceux qui plus tard furent admis à l’empire, établit la confession mentionnée ci-dessus et qui, grâce au texte écrit qui vient d’être cité, est claire pour tous.

Notes

ii, 4. La date donnée ici est mars 303. Mais c’est la date où l’édit parvint en Palestine. L’édit avait été affiché à Nicomédie le 24 février. Voir, en général, Duchesne, t. II, p. 1 suiv., et, comme pièce de comparaison, le De mortibus persecutorum.

iv, 3. Eusèbe : Chronique, d’après saint Jérôme : « Veturius magister mititiae christianos milites persequitur, paulatim ex illo iam tempore persecutione aduersum nos incipiente »; d’après l’arménien :« Veturius magister militiae eos qui in exercitu christiani erant clanculum opprimebat, atue ex hoc inde tempore ubique locorum persecutio se extendit ».

v. Le nom du chrétien est inconnu, les empereurs résidant à Nicomédie étaient Dioclétien et Galère.

vi, 8. L’ordre impérial est le deuxième édit de Diocléiien. —. Troisième édit. Le quatrième, rendu par Galère seul, en mars 301, est mentionné par Eusèbe, De mart , 3, et prescrivait la publicité des sacrifices. Les deux précédents sont du milieu de 303.

vii, 5. πέντε... ἐτύνχανον om. BD syr. : « le nombre des martyrs a-t-il paru trop faible? » (Schwartz, p. xcv).

viii. καταβροχθιαθέντες ZIMMERMANN, καταβροχισθέντες mss.

ix, 4. Probablement Eusèbe s’est trouvé en Égypte à la fin de la persécution, et c’est à cette époque que se rattachent les faits relatés ici

x, 5 suiv. Nous indiquons le sens général. M. Schwartz remarque : « Avec ἐπῆγον, πληγάς ne devrait pas manquer ; τοῖς ἀμυντήροις ἐκόλαζον vest incompréhensible, la phrase finit avec παρειῶν; Philéas a dû écrire ἀνελκομένου (se rapportant à σώματος: ἀνελκομὲνων ABDMT, καὶ ἀνελκομένων ER); Philéas a dû écrire (§ 6): αὐτοῖς οὐδ’ ἐσχόλαζεν, et plus loin, au lieu de l’absurde προσιέναι, quelque chose comme : καὶ τοῖς <μάστιγι καὶ τοῖς> δεσμοῖς προστιθέναι. Ensuite, § 7, ταύτην... ἐφευρόντων n’est pas à sa place, et Philéas a peut-être écrit : ταύτην <δὲ> δευτέραν... ἦσαν [δὲ] οἱ... Au  § 8, μὴ... ἔχειν n’est pas à sa place ». — . φησίν, inquit, comme souvent, pour introduire une citation de l’Ecriture sans sujet déterminé; voy. plus haut, note sur VII, vii, 5.

xi, 1. πολίχνην, AERT, πόλιν BDM.

xii, 4. Sur ces suicides, les premiers Pères étaient d’opinion diverse ; saint Augustin les condamne formellement, De civ. Dei,  I, XXII-XXVII

xiii, 8. τὸν παρόντα λόγον MCGIFFERT remarque que λόγος partout ailleurs désigne un livre de l’histoire ecclésiastique, et non l’ouvrage entier. Ici Eusèbe annonce le De martyribus. Il ne pensait donc encore pas aller plus loin que l’édit de tolérance de Galère.— . Cette partie du chapitre est rendue peu intelligible par des corrections incomplètes de la dernière recension que fit Eusèbe de son oeuvre. Voy. les notes de Schwartz.— Maximien Hercule célébra tout le mois d’avril 305, à Milan, ses uicennalia ; après quoi, il abdiqua, le 1er mai, en même temps que Dioclétien près de Nicomédie. Galère et Constance Chlore, Césars, devinrent Augustes ; Flavius Severus et Maximin Daïa, Césars ; Constantin est César désigné.Constance Chlore ne mourut que le 25 juillet 306.— .Galère fit Auguste, en remplacement de Flavius Severus, Licinius, en présence de Dioclétien et de Maximien Hercule, ce qui explique ὑπὸ κοινῆς ψήφου τῶν κρατοπυντων le 11, nov. 307.— .Maximin Daïa se fait proclamer Auguste par son armée au commencement de 308. Celui que l’on a vu reprendre sa charge, après s’en être démis, est Maximien Hercule, qui tenta deux fois de détrôner son fils, Maxence,se fit proclamer Auguste trois fois,et, après avoir été épargné par Constantin, se fit surprendre dans un complot contre lui et fut obligé de se donner la mort, au commencement de 310.— Ce que dit Eusèbe dans la dernière phrase est une erreur : la mémoire d’autres empereurs avait été abolie.

xiv, 1. Maxence s’était déclaré seul Auguste, à Rome,en avril 308. Sur son caractère, voy. DURUY, Hist. des Romains, t. VII, p. 19. — Une partie de ce qui suit se retrouve dans la Vie et le Panégyrique de Constantin par Eusèbe.

xv, I .Du premier édit de Dioclétien (24 février 303) à l’édit de Milan (mars 313), il y a dix ans ; mais la persécution a subi des interruptions, par exemple dans la seconde moitié de 305 pour l’obédience de Maximin Daïa ; de plus, elle est virtuellement terminée en 300 par l’usurpation de Maxence pour l’Occident, et,, pour l’Orient, en 311, par l’édit de Galère.

xvi, 1. L’édit de tolérance, affiché à Nicomédie, le 30 avril 311. était rendu au nom de Galère, Constantin et Licinius. La dixième année est 312-313; la huitième, 310-311.— 2. ἐπεξιούσης : ἐπεξιούσης καὶ πρωστάτῃ τῆς τοῦ παντὸς διωγμοῦ κακίας ἐπιχολουμένης. Καὶ γὰρ εἴ τι ταῦτ’ ἐχρῆν κατὰ θείαν γενέσθαι κρίσιν, ἀλλά «οὐαί», φησὶν ὁ λόγος (Luc, xvii, 1), « δι’ οὗ δ’ ἂν σκάνδαλον ἔχρηται  » AERT, addition provenant de la première édition (ἔρχεται). — L’empereur malade est Galère, qui mourut le 5 mai 311

xvii, 3. Voy. De mortibus, XXXIII-XXXI. Sur l’intitulé, voy. SEECK, dans le Rh. Mus., XLVIII, 196; MOMMSBN, Hermes,XXXlI, 543. — . ἀνθύπατος. ἀνθύπατος καὶ Αὐτοκράτωρ καῖσαρ Οὐαλέριος Λικιννιανὸς Λικίνιος εὐσεβὴς εὐτυχὴς ἀνίκητος Σεβαστὸς, ἀρχιερεὺς μέγιστος, δημαρχικῆς ἐξουσίας τὸ τέταρτον αὐτοκράτωρ τὸ τρίτον, ὕπατος, πατὴρ πατρίδος, ἀνθύπατος, ἐπαρχιώταις ἰδίοις χαίρειν ERT, d’après la première édition de l’Hist. Eccl. — . πλεονεξία : πλεονεξία κατεσχήκει καὶ ἄνοια AER, d’après la première édition. — Une comparaison exacte des termes de l’édit d’après Eusèbe et Lactance se trouve dans la grande édition de Schwartz.

APPENDICCE. C. morceau, gardé de la première édition par AER, a été ensuite supprimé, de sorte que le texte définitif n’avait rien sur la fin des empereurs persécuteurs. — Il y a un préambule dans À : Τὸ ὡς λεῖπον ἔν τισι ἀντιγράφοις ἐν τῷ η’ λόγῳ  Dans E : Τινὰ τῶν ἀντιγράφων ἐν τοῖς τελευταίοις τοῦ τόμου τούτου περιέχει καὶ ταῦτα οὐχ ὡς λιπόντα ἀλλ’ ὡς ἐν ἄλλοις ἀντιγράφοις εὑρεθέντα κατὰ διάφορον φράσεως τρόπον.