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Régénération
Dictionnaire Biblique Westphal Calmet

La nécessité d’une nouvelle naissance pour entrer dans la vie divine est une des préoccupations centrales de la religion des hommes et tout spécialement du culte des mystères (voir ce mot).

Cette préoccupation ou, pour mieux dire, cette obsession transverbère les rites de la mort et de la résurrection d’Attis, Dionysos, Mithra, etc. Le Myste meurt à sa vie ancienne en participant mystiquement à la mort et à la résurrection de son dieu. Après quoi il est, comme disent les textes, un « deux fois né », un « re-né », un « fils engendré aujourd’hui ». Parmi ces rites symboliques de la régénération, le plus caractéristique est celui du mystère osirien de la renaissance. « On sacrifie des victimes en l’honneur d’Osiris mort. La peau de ces victimes devient, selon le rituel, la peau de Sith, le meurtrier d’Osiris, et c’est elle qui va servir de « berceau » à Osiris. On place dans cette peau la momie qui représente Osiris, ou bien le prêtre lui-même qui représente Anubis, ou un homme quelconque appelé « Tikanou » s’y couche en prenant l’attitude du fœtus dans la matrice. Les charmes de la magie imitative rendent efficace ce simulacre de gestation. Quand Osiris, ou Anubis qui s’est substitué à lui, ou le Tikanou, sort de la peau, il renaît, comme s’il sortait du sein maternel ». Ici, les vues ne vont pas plus loin que dans l’étonnement de Nicodème : « Naître de nouveau », c’est « rentrer dans le sein maternel pour naître une seconde fois ».

L’Inde — dans laquelle on verra peut-être un jour, bien plutôt que dans l’Égypte, l’inspiratrice des cultes orientaux et la mère de notre mystique — renferme dans son rituel védique une cérémonie analogue à la renaissance par la peau, que nous venons de signaler dans le mystère d’Osiris. On l’appelle la diksa. Cette diksa remonte aux temps les plus reculés. Les Brahmanas montrent que l’initié à la nouvelle naissance devait se soumettre à une série d’actions symboliques très dures, lesquelles reproduisent toutes les phases de la venue au monde d’un nouveau-né. Cette cérémonie se pratique encore aujourd’hui ; si bien que pour expliquer aux populations ce que c’est que le baptême d’eau et d’Esprit qui introduit par la nouvelle naissance dans le Royaume de Jésus-Christ, les Hindous convertis disent : « C’est la diksa des chrétiens, c’est l’initiation à la sagesse de Dieu ». Ces derniers mots nous reportent à la parole de l’apôtre Paul aux Corinthiens : « Nous prêchons la sagesse de Dieu aux initiés (le mot grec que nos versions rendent ici par le terme « parfait » signifie dans le langage des mystères : « initié »), et nous la prêchons dans un mystère ; sagesse cachée, inconnue aux grands de ce monde, mais que Dieu avait prédestinée avant les siècles pour notre gloire » (1 Corinthiens 2.7).

Cette nouvelle naissance que les hommes en mal de Dieu cherchaient « à tâtons » (Actes 17.27), le « mystère du Christ » (Colossiens 4.3) la leur a apportée en la transposant dans le monde moral et spirituel. Le terme régénération (latin regeneratio, du verbe regenerare = engendrer de nouveau) répondau grec palingenesia, signifiant : nouveau commencement, qui n’est employé que deux fois dans le Nouveau Testament (Matthieu 19.28 : renouvellement de toutes choses, et Tite 3.5 : baptême de régénération, lavacrum regenerationis, Vulgate). Par ce mot (et le verbe anagennân qui signifie engendrer de nouveau, régénérer, cf. 1 Pierre 1.23) est désigné le point de départ de la vie chrétienne sous l’action de l’Esprit de Dieu. Il sert à dépeindre le radical changement opéré dans les sentiments, les pensées, la volonté de l’homme qui est entré par la foi dans la communion de Jésus-Christ. Révélation, incarnation, régénération, voilà le triptyque du salut. Ces trois doctrines constitutives de la rédemption (voir ce mot) sont enseignées dans la Bible avec une égale clarté, mais c’est dans les paroles de Jésus à Nicodème (Jean 3) qu’on les trouve le plus organiquement liées.

1.

« Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu  » (Jean 3.3). L’entrée dans le royaume de Dieu, que Jésus donne comme thème inaugural de toute sa démonstration, ne dirait rien aux hommes, si la révélation, c’est-à-dire la parole de Dieu par ses prophètes, ne leur avait enseigné dans l’Ancien Testament ce qu’est le royaume de Dieu. C’est ici la révélation par le Père. Dieu : la personne sainte ; son royaume : une société établie dans la justice, la pureté, l’amour, la confiance et l’obéissance au Père céleste. La condition d’entrée dans ce royaume est la ressemblance avec Dieu, la communion avec lui, la sainteté. « Soyez saints car je suis saint » (Lévitique 19.2). Mais l’homme ayant trahi la cause de Dieu (Genèse 3, voir Chute), son cœur, qui est le siège de la vie intérieure (Proverbes 4.23), est tourné vers le mal (Genèse 6.5) ; pour le rendre conscient de cet état tragique, Dieu lui donne la Loi du Sinaï.

Mais l’efficace de la Loi est de montrer la maladie sans montrer aucune espérance de guérison
— Calvin

L’espérance de guérison n’est pas dans l’œuvre de l’homme, elle est dans une nouvelle initiative de Dieu en faveur de ceux que la Loi a amenés au repentir et à un effort pour se conformer à la volonté de Dieu ; voilà pourquoi l’Ancien Testament donne une importance croissante à l’obéissance par opposition au sacrifice qui se rencontre dans tous les cultes humains (1 Samuel 15.22 ; Ésaïe 1.11-17 ; Osée 6.6 ; Michée 6.7 et suivant, Jérémie 7.22 et suivant, etc.). Dans l’expérience donnée par l’effort d’obéissance grandit le sentiment qu’une rénovation morale est nécessaire (Psaume 6, Psaume 19, Psaume 25, Psaume 32, Psaume 38, Psaume 51, Psaume 130). De l’échec constant de la prédication des prophètes demandant au peuple élu de renoncer au péché et de se constituer en peuple de Dieu naquit, vers l’époque de l’exil, la conviction que la rénovation morale ne pourrait arriver que par une intervention créatrice, une « nouvelle alliance » dont Dieu prendrait l’initiative et par laquelle une force nouvelle, divine, transformerait les cœurs (Jérémie 24.7 ; Jérémie 31.33 ; Jérémie 32.39 et suivant, Ézéchiel 11.19 et suivant Ézéchiel 36.25-27). Dans tout le processus de la prédication des prophètes, entre le VIIIe et le Ve siècle, nous surprenons un effort héroïque pour travailler les consciences et les amener à comprendre que le renouveau moral ne sera pas une affaire collective mais individuelle (Jérémie 31.29 et suivant, Ézéchiel 18.31 et suivant) et que le salut de la nation de Jéhovah ne se fera que par la régénération personnelle des jéhovistes. La promesse messianique apportée par cette prédication prophétique oriente l’espérance vers le renouveau spirituel et incite les Israélites pieux à faire appel au secours d’en haut, à la manifestation de l’envoyé de Dieu. Mais l’Ancien Testament ne dépasse pas ce stade. Il n’apporte aux hommes que ce qu’on appelle la révélation par le Père. Nous ne voyons, en effet, nulle part dans la religion de l’ancienne alliance la régénération, avec la joie qui l’accompagne et les forces spirituelles qu’elle donne, proclamée comme un fait d’expérience.

Jean-Baptiste lui-même appartient encore à l’ère prophétique, mais il jette le pont entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, par l’institution du baptême (voir ce mot), où la régénération spirituelle est figurée plastiquement, et qui sert d’introduction à l’œuvre rédemptrice que va entreprendre « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jean 1.29). C’est à ce baptême que Jésus fait allusion quand il dit à Nicodème : « Personne, s’il ne naît d’eau… ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». Pour comprendre cette parole, il faut se reporter à la cérémonie qui s’accomplissait alors au bord du Jourdain et qui mettait en émoi toute la Palestine. Jean annonçant l’arrivée du Messie rédempteur lui aplanissait le sentier en prêchant la repentance et en provoquant dans tous les cœurs bien disposés la résolution d’entreprendre une vie nouvelle. Il recevait la confession des néophytes et, pour marquer à leurs yeux comme aux yeux de la foule le changement radical qui allait décider de leur destinée, il les plongeait dans l’eau du fleuve. Ce qui disparaissait ici avec l’homme immergé, c’était la vie mauvaise, la volonté charnelle, l’orientation animale ; ce qui reparaissait avec l’homme qui émergeait de l’eau et remontait sur la berge, c’était la créature nouvelle, décidée pour le bien, orientée vers l’Esprit ; l’eau du fleuve avait marqué et séparé les deux humanités. Le nouveau-né par l’eau était prêt à aller à la rencontre du Messie, à l’acclamer, à se mettre à son service et à le suivre après lui avoir dit, comme Jacques et André, deux baptisés de Jean : « Maître, où demeures-tu ? » C’est en vain qu’on cherche à distinguer le baptême d’eau de Jésus du baptême d’eau de Jean. Rien dans le Nouveau Testament n’y autorise. Jésus ne baptisait pas lui-même (Jean 4.2), et le baptême qu’administraient ses disciples avait la même signification que celui de Jean. Le Maître et ses disciples ne connaissaient, comme Jean, que deux baptêmes : le baptême d’eau inauguré au Jourdain avant que Jésus entrât en charge, et le baptême d’Esprit qui se rattache au jour de la Pentecôte (cf. Luc 3.16 ; Actes 1.5).

On voit donc clairement que le baptême d’eau, dans les Évangiles, était la part de l’homme, comme le baptême d’Esprit allait être la part de Dieu. Pierre exhorte ses auditeurs, le jour de la Pentecôte, à se faire baptiser « en vue de la rémission des péchés » (Actes 2.38). Dieu ne peut, en effet, pardonner les péchés qu’à un homme qui les reconnaît et résolument les condamne. Pour que Dieu travaille en nous, il faut que nous nous mettions du côté de Dieu : on ne peut « renaître » que si l’on a accepté de « mourir » (Romains 6.4). Voilà pourquoi Jésus dit de ceux qui avaient refusé d’aller au baptême de Jean : « Ils ont rendu inutile à leur égard le dessein de Dieu » (Luc 7.30) ; à eux-mêmes, il leur déclare : « Vous ne voulez pas venir à Moi pour avoir la vie » (Jean 5.40).

2.

Par ce « à Moi », Jésus marque la nécessité de son intervention, de son œuvre rédemptrice, pour que l’homme qui, dans le baptême d’eau, demande la régénération puisse l’obtenir par le baptême d’Esprit. C’est ici la révélation par le Fils. Jésus en a donné la formule dans l’entretien avec Nicodème : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle  » (Jean 3.16). Nous n’avons pas à insister ici sur ce qui touche à la rédemption ; mais il faut bien faire ressortir que l’incarnation, dont le rôle est méconnu par les diverses formes de la philosophie kantienne, est présentée par l’Évangile dans son ensemble comme une condition absolue de la régénération. L’homme ne pouvait se régénérer lui-même par ses bonnes résolutions ; d’autre part, l’Esprit divin ne pouvait lui être rendu que si une réparation était accomplie. Cette réparation, le Fils de Dieu s’est offert pour l’accomplir, et « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ». C’est ici l’acte central, le pivot de toute la révélation. Désormais, de l’attitude de l’homme vis-à-vis de « la Parole faite chair » (Jean 1.14), autrement dit de l’incarnation, dépend sa régénération par l’Esprit. L’homme avait besoin de devenir une nouvelle création morale (2 Corinthiens 5.17), ce qui nécessitait au point de vue moral un acte créateur. Cet acte, le Fils de Dieu est venu l’accomplir sur la terre, et nous en avons les éléments dans l’épître de saint Paul aux Philippiens (Philippiens 2.5-11). Jésus, en effet, ne se contente pas d’appeler ses compatriotes à la repentance (Marc 1.15), de leur dire qu’ils doivent devenir « comme des enfants » pour entrer dans le Royaume de Dieu (Matthieu 18.2), de déclarer que les hommes sont des « malades » qui ont besoin de médecin (Marc 2.17), il révèle à ceux qui l’écoutent que le cœur de l’homme est la source du mal qui entraîne l’humanité à sa ruine (Marc 7.21), en sorte que le renouvellement moral permettant l’entrée dans le Royaume de Dieu est impossible à l’homme (Marc 10.27).

Cet enseignement, qui coupe le chemin à toute illusion relativement à la possibilité du salut par l’amélioration progressive de l’homme naturel, est précisé dans l’entretien avec Nicodème dans ces mots : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne donc pas de ce que je t’ai dit : Il faut que vous naissiez de nouveau [ou d’en haut] » (Jean 3.6 et suivants) ; ce qui est impossible à l’homme est, en effet, « possible à Dieu » (Marc 10.27), et Dieu l’a accompli dans la personne de son Fils « donné », mais aussi venu de lui-même (Jean 10.17), pour « sauver ce qui était perdu » (Luc 10.10), Jésus, le Christ, le Verbe incarné, recommencement de l’innocence sur la terre ; inauguration de la nouvelle humanité, mais aussi expiation de l’ancienne ! Car il vient, innocent, dans un monde pervers, usurpé par l’Ennemi : Satan. Il y souffrira, il y mourra crucifié. Mais sa chair sainte, clouée sur une croix, y transforme l’ignominie en victoire. La souffrance, sur la croix, n’est plus ce qu’elle a été jusque-là dans l’humanité : un obstacle. Elle se mue en moyen de grâce. Par son obéissance absolue, Jésus crucifié contraint les puissances démoniaques qui ont dressé la croix à collaborer aux desseins salvateurs de Dieu. La croix, dressée pour ôter le Christ du monde, devient dans le monde la suprême attirance du Christ, proclamant ainsi la défaite de tout ce qui est offensive contre Dieu. Comment Jésus après cela serait-il resté dans le tombeau ? Quel pouvoir aurait pu l’y retenir ? 11 en sort vivant et vivifiant le matin de Pâques. Au jour de son ascension « le filin du plus grand sauvetage que la terre ait connu s’est déroulé jusqu’au ciel ». Le contact est rétabli. La vie peut circuler de nouveau entre le ciel et la terre. L’Esprit peut descendre et créer pour Dieu la nouvelle humanité justifiée en Christ.

3.

La régénération spirituelle est la révélation par l’Esprit. Ici, c’est l’Esprit qui parle (Jean 16.13), il nous enseigne (Jean 16.14), il nous console (Jean 14.16), il subvient à notre faiblesse (Romains 8.26), il rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Romains 8.16). Nous avons vu plus haut que le baptême d’eau symbolisait dans l’œuvre de la régénération la part de l’homme. Ainsi se trouvait établie la valeur morale de la régénération dans son principe. Née d’une initiative de Dieu — car tout ce qui remonte vers Dieu a commencé par descendre de Dieu —, l’œuvre surnaturelle de l’Esprit n’est en rien une opération magique obtenue par des rites, des paroles, un sacrement ; elle est un exaucement, car elle est la conséquence d’un état d’âme, d’une attitude de la volonté, dont l’acte baptismal est le symbole. Saint Pierre le montre nettement quand il dit que la vertu salvatrice du baptême d’eau pour le chrétien est tout entière « dans l’engagement d’une bonne conscience devant Dieu » (1 Pierre 3.21). Aussi n’aurait-il pas accepté la formule du concile de Trente (7e session) qui fait du baptême d’eau non seulement le symbole, mais le sacrement de la régénération, sacrement qui confère la grâce par sa vertu propre : ex opere operato. Le baptême d’eau en lui-même est si peu l’agent indispensable de la régénération que nous voyons celle-ci, dès les premiers jours de l’Église, accordée par le baptême de l’Esprit à des croyants qui, sans le baptême d’eau, s’étaient mis dans les conditions morales voulues pour bénéficier du salut par Jésus-Christ. Dans leur cas, le baptême d’Esprit a précédé le baptême d’eau (Actes 10.44 ; Actes 10.48). « Le vent souffle où il veut et tu en entends le bruit, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ; il en est de même de quiconque est né de l’Esprit.  » Par cette déclaration, Jésus indique à Nicodème les deux caractères de l’opération de l’Esprit :

(a) elle est mystérieuse et dépasse nos connaissances dans son origine comme dans ses moyens ;

(b) elle se manifeste par des états qui sont mouvement et vie ; l’Esprit, comme le vent, démontre sa puissance dans ce qu’il anime. Toutes les définitions ou les allusions que nous trouvons dans le Nouveau Testament relativement à la régénération se rattachent à cette déclaration de Jésus.

Après la Pentecôte, les deux baptêmes d’eau et d’Esprit devaient être réunis en un seul. Jésus l’annonce : « Allez, dit-il à ses apôtres, et baptisez toutes les nations au nom, signifiant : dans la puissance, du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28.19). Révélation, rédemption, régénération : tout le contenu de l’Évangile « puissance de salut pour quiconque croit » (Romains 1.16). Il y a, dit saint Paul, « un seul baptême » (Éphésiens 4.5), « le baptême de la régénération » (Tite 3.5), et ce baptême renferme les deux éléments révélés par Jésus à Nicodème. Reprenant le symbole du baptême d’eau tel que nous l’avons présenté, et l’appliquant à l’expérience chrétienne, Paul décrit la régénération en disant : « Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christ est ressuscité… , nous aussi nous vivions d’une vie nouvelle » (Romains 6.4). Mourir pour renaître. La mort dont il est ici question est avant tout la mort à la vie ancienne, charnelle, pécheresse : « Faites mourir l’homme terrestre » (la vie dans la chair, Colossiens 3.5) ; dépouillez-vous « du vieil homme avec ses œuvres » (Colossiens 3.9 ; Éphésiens 4.22) ; travail de sanctification chez les chrétiens, mais d’abord résolution initiale de changer de conduite chez ceux qui aspirent à « ressusciter avec le Christ » (Colossiens 3.1). Dans le passage cité plus haut (Romains 6.4), Paul entend si bien désigner cette condition première : la renonciation volontaire à un état antérieur, qu’il emploie les termes : « mort, enseveli, ressuscité » , allusion directe au baptême symbolique tel que le pratiquaient Jean-Baptiste et Jésus par ses disciples : immersion, disparition, émersion. Comme Jésus a accepté volontairement de se dépouiller de sa vie céleste toute glorieuse (Philippiens 2.6 et suivants), l’homme doit vouloir se dépouiller de sa vie terrestre toute pécheresse pour s’unir mystiquement à Jésus dans sa mort ; alors le don du Saint-Esprit lui apportera la force de réaliser son dessein d’atteindre à la vie nouvelle (Romains 6.4), laquelle fera de lui « une nouvelle créature » (2 Corinthiens 5.17), un être spirituel qui a « revêtu le Christ » (Galates 3.27). L’explication de Jean 3.5 et suivant est dans Galates 5.17 et suivant et dans Romains 7 et Romains 8.

Il ne faut pas que 1 Corinthiens 15.29 nous incite à voir dans la notion paulinienne du baptême un réalisme que ne justifierait pas l’enseignement de Jésus. En effet, dans son allusion au baptême pour les morts, Paul ne parle pas d’une doctrine générale du christianisme ni même d’un usage qu’il approuve, mais seulement d’un rite que pratiquaient certains chrétiens de Corinthe encore mal dégagés des mystères païens. L’apôtre, rappelant ce rite, en fait simplement argument pour montrer aux Corinthiens combien ils sont inconséquents : si vous pratiquez des rites qui supposent la résurrection de vos morts, comment refusez-vous de croire à la résurrection de Jésus-Christ ! Quant à l’idée que l’homme doit accepter pour lui la croix, mourir de la mort du Christ et s’assimiler cette mort, elle appartient déjà aux expériences de la régénération spirituelle (baptême d’Esprit). Il faut être « ressuscité avec Christ » pour se rendre compte à quel point il est nécessaire de « mourir avec Christ », et de souhaiter cette mort totale qui nous identifie à lui et fait de nous ses co-ouvriers. Kierkegaard le montre fort bien : « Christ ouvre ses bras et dit : Venez tous ! Le pasteur s’empresse d’ajouter : Ayez ce courage, jetez-vous dans ses bras, c’est la vie ! Très bien, mais prenez garde ; cet embrassement, c’est d’abord la mort. Il se nomme lui-même la Vie, il dit : venez tous, et si vous vous abandonnez complètement à lui, vous mourrez totalement. Car il n’est pas la vie « sans autre », il est la vie à travers la mort. » (Trad. Foi et Vie 1934, p. 690). Mais ici nous sommes déjà dans le symbolisme de la sainte Cène. Le baptême est un moyen de grâce en vue de la régénération, comme la sainte Cène est un moyen de grâce pour « la vie cachée avec Christ en Dieu » (Colossiens 3.3), et c’est pourquoi on les appelle des sacrements. Mais ils ne sont ni l’un ni l’autre un rite d’initiation ramenant le christianisme au type des mystères païens. Méconnaître, dans la notion du baptême de Paul, la part du baptême d’eau, et la distinguer ainsi de l’enseignement de Jésus sur le baptême, ce serait oublier que toute la prédication de Paul avait pour but d’amener l’homme pécheur, principalement le Juif, à reconnaître ses fautes et à se détourner de sa vie charnelle pour pouvoir accéder au baptême d’Esprit. Ce serait aussi fournir des arguments à ceux qui ne veulent voir dans le christianisme que la forme la plus évoluée des religions à mystères. Prenons garde, en confondant baptême et sainte Cène, de donner au baptême de régénération un sens qu’il n’a jamais dans l’Évangile et que les théologiens postérieurs lui ont donné : le sens d’un acte rituel qui marque l’entrée dans l’Église par la vertu d’un rite magique. Nul apôtre n’a aussi énergiquement que saint Paul mis l’accent sur la nécessité du repentir et de la conversion comme condition du miracle tout gratuit de la régénération. C’est au point que le programme de son apostolat Actes 26.20 rejoint la prédication de Jean-Baptiste Marc 1.4 et Luc 3.

On peut voir par tout ce que nous venons de dire que l’enseignement donné par Jean aux foules, par Jésus à Nicodème et par saint Paul dans ses épîtres aux églises ne fournit aucun fondement au baptême d’êtres qui, à cause de leur âge, ne peuvent avoir nulle conscience de l’acte accompli à leur égard. Le baptême des enfants ne se justifie au point de vue biblique que par le désir éprouvé par des parents chrétiens de mettre leurs nouveau-nés au bénéfice de l’alliance de grâce.

Le baptisé « d’eau et d’Esprit » (Jean 3.5) « né de Dieu » (Jean 1.12 et suivant) est une nouvelle créature (2 Corinthiens 5.17), un ressuscité (Éphésiens 2.5 et suivant) par un acte de la toute-puissance de Dieu comparable à la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts (Éphésiens 1.19 ; Éphésiens 2.1-6). Cet acte a pour effet de transformer, de renouveler complètement notre être intérieur, le cœur, d’où procèdent les sources de la vie et qui, empoisonné par le péché (Romains 12.2 ; Colossiens 3.10 ; Éphésiens 4.23 ; Tite 3.5), était devenu incapable de retourner de lui-même à Dieu (Romains 7.15-23 ; 1 Corinthiens 2.14 etc.). Tout cela marque le caractère mystérieux et divin de la régénération. Voici maintenant ce qui nous apprend qu’elle n’a rien de magique : obtenue par le Christ qui a vécu parmi les hommes dans l’intimité de ses disciples, elle s’opère rationnellement par la contemplation du Christ, son exemple, sa parole. Jésus avait déclaré que la parole était la semence du Royaume (Luc 8.11), il avait demandé à son Père : « Sanctifie-les par ta vérité, ta parole est la vérité » (Jean 17.17) ; saint Pierre, à son tour, faisant allusion à l’Évangile qui avait déjà opéré des miracles (Actes 11.19 ; Actes 11.24, cf. 1 Thessaloniciens 2.13 2 Thessaloniciens 2.13-16 ; Éphésiens 1.13 ; Colossiens 1.5 Jacques 1.18), écrit : « Vous avez été régénérés non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la parole de Dieu qui est vivante et qui dure à jamais… , l’Évangile » (1 Pierre 1.23-25).

Par ce mot « l’Évangile », nous sommes ramenés à la parole vivante, au Christ dont l’Évangile présente en même temps l’œuvre et l’exemple ; si donc, la parole écrite nous fait passer, grâce à son enseignement, par tout un processus d’expériences qui constituent la psychologie de la régénération (éveil de l’âme, contrition, illumination croissante, nouvelle orientation de la volonté, apport spirituel d’énergie, abandon total de l’homme au Christ qui l’a attiré, persuadé, sauvé, baptisé de puissance et couronné de joie), cette régénération elle-même, dans ses effets, se modèle sur la vie du Christ et s’exprime dans la conscience qu’a le chrétien d’être l’imitateur du Christ, son co-ouvrier, et de vivre au sein d’une atmosphère nouvelle qui lui permet de marcher dans le dynamisme divin et d’être, à la suite du Christ, un « pêcheur d’hommes » (Matthieu 4.19). Le nouvel état où ils sont entrés est si riche dans ses ressources, si multiple dans ses manifestations, il est en même temps si nouveau dans l’expérience humaine, que les apôtres ont recours aux expressions les plus variées pour essayer de le décrire ; on sent que le sujet les émerveille et les déborde et qu’ils ne peuvent autrement que d’y revenir sans cesse pour exprimer leur joie d’être, pour la première fois au cours des siècles, des hommes unis au Dieu vivant, porteurs auprès de l’humanité malheureuse de l’Évangile universel. Jacques parle du Père des lumières qui nous a « engendrés par la parole de vérité implantée en nous » et faisant de nous « les prémices de ses créatures » (Jacques 1.18-21) ; Pierre écrit à ses lecteurs qu’ils sont régénérés pour une « espérance vivifiante » (1 Pierre 1.3 ; 1 Pierre 1.23) comme des « enfants nouveau-nés » (1 Pierre 2.2), « pierres vivantes d’une maison spirituelle » (1 Pierre 2.1 ; 1 Pierre 2.5). Jean attribue la nouvelle naissance à un acte de « conception » dont Dieu est l’auteur (1 Jean 2.29 ; 1 Jean 3.9 ; 1 Jean 4.7 ; 1 Jean 5.1 ; 1 Jean 5.4 ; 1 Jean 5.18) et qui permet de demeurer en lui (1 Jean 2.6), d’avoir la vie par le Christ (1 Jean 4.9), de reproduire la vie du Christ (1 Jean 3.16) en attendant le jour glorieux où nous lui serons faits semblables (1 Jean 3.2). C’est Paul qui présente à ce sujet la plus grande variété d’expressions : « le vieil homme a été crucifié avec le Christ » (Galates 2.20 ; Romains 6.3 ; Romains 6.6), un nouvel homme est paru, créé à l’image de Dieu, ressuscité avec Christ et devenu « une même plante avec lui » (Éphésiens 4.24 ; Colossiens 2.20 ; Colossiens 3.1 et suivants, Romains 6.5, cf. Jean 15) ; la « nouvelle créature » (Galates 6.15 ; 2 Corinthiens 5.17 ; Tite 3.5 etc.) marque pour lui le passage de l’esclavage à la filialité (Romains 8.15), l’entrée dans une vie libérée de la chair et de la loi, animée et conduite par l’Esprit (Galates 5.16 ; Galates 5.18 ; Romains 7.8), de sorte que le chrétien vit en fils de Dieu (Romains 8.14) et en cohéritier de Christ (Romains 8.17) ; la vie a remplacé la mort, la lumière a chassé les ténèbres, l’inimitié a fait place à la paix avec Dieu, la faiblesse à la puissance, la crainte à l’amour, la perdition à la vie éternelle et glorieuse : « Les choses anciennes sont passées, et toutes choses sont devenues nouvelles » (2 Corinthiens 5.17).

De tout ce qui précède, il résulte que l’expérience de la régénération n’est pas réservée à une élite dans la race ou dans l’Église, mais que, née d’un geste de miséricorde envers toutes les créatures, elle est accessible à toutes ; les plus humbles, les plus ignorants, les plus déshérités de la terre sont en état de la saisir. L’histoire montre même que c’est dans les rangs de ces petits qu’elle a été, d’emblée, le mieux comprise et le plus joyeusement acceptée (1 Corinthiens 1.26). Quelle qu’ait été la vie antérieure de celui à qui Dieu accorde la grâce de la régénération, celle-ci produit chez tous des effets identiques auxquels on la reconnaît et qui se peuvent résumer en un mot : le renouvellement des inclinations. Quelles que soient les lenteurs et les difficultés que la diversité des tempéraments et des circonstances oppose à la sanctification progressive, au bout, le résultat est toujours le même : « La régénération ne signifie rien moins qu’une révolution telle, que tout homme, dépouillant toute manière mondaine de sentir, de penser, de vouloir, est amené à être en harmonie avec l’Esprit et la volonté de Dieu, à connaître vraiment le point de vue de Dieu, en sorte qu’il voit maintenant les choses comme Dieu les voit, sent les choses comme Dieu les sent, juge les choses comme Dieu les juge ; aime ce que Dieu aime, hait ce que Dieu hait, et fait des fins de Dieu les siennes propres » (J. Orr). Il suffit d’avoir sérieusement constaté la portée de ce changement et les conditions dans lesquelles il s’opère, pour comprendre qu’il n’était pas au pouvoir de l’homme de le provoquer et pour saisir toute la vérité de la parole de Jésus à Nicodème : « Il faut que vous naissiez d’en haut.  »

Saint Jean affirme (1 Jean 3.9) que « quiconque est né de Dieu ne peut pécher parce que la semence de Dieu demeure en lui ». Cette parole, à laquelle on consent plus aisément sur le terrain de la foi que sur celui de l’expérience, est-elle en contradiction avec cette autre parole, de Paul : « Si vous vous faites circoncire, vous êtes déchus de la grâce » (Galates 5.4) ? Nous ne le pensons pas, car s’il en était ainsi Jean se contredirait lui-même. N’a-t-il pas dit à ses lecteurs chrétiens : (1 Jean 1.8) « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous… Si quelqu’un a péché, nous avons un défenseur auprès du Père, Jésus-Christ, le juste » (1 Jean 2.1) ? Mais le contexte de 1 Jean 3.9 nous montre qu’il s’agit dans ce passage de quiconque se remet sous l’inspiration du diable, se laisse diriger par lui et participe à l’œuvre néfaste qu’il poursuit depuis qu’il a introduit le mal dans le monde. Paul, dans 2 Corinthiens 1.21 et suivant, se tient sur le même terrain que Jean : les régénérés sont pour lui, comme pour son compagnon d’apostolat, marqués du sceau de Dieu et possesseurs des « arrhes de son Esprit » (cf. Philippiens 2.13 et Hébreux 8.10 ; Hébreux 10.16).

L’engravure que Dieu met au cœur de ceux qu’il adopte pour ses enfants, ne se peut jamais effacer
— Calvin

Il y a dans cette certitude un grand réconfort pour le chrétien, lequel sait sans doute qu’il aura à lutter contre les surprises les plus subtiles du péché tant qu’il sera condamné « à vivre dans la chair » (Philippiens 1.22), aux prises avec les misères de son « corps de mort » (Romains 7.24), mais il sait aussi que la semence de Dieu qui est en lui est sauvegardée par Dieu dans les mauvais jours et qu’elle aboutira au triomphe sur toutes les formes du mal. Réconfort qui implique un avertissement à la vigilance (1 Corinthiens 10.12), au contrôle incessant de soi-même (2 Corinthiens 13.5 ; Romains 8.9). Quiconque, après avoir fait profession d’être chrétien, retombe dans une vie de péché, montre par là non que l’Esprit qui régénère est impuissant à garantir ceux qui lui ont ouvert leur cœur, mais que sa régénération personnelle à lui n’était pas arrivée à maturité, qu’il avait, lui, mal « crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises » (Galates 5.24), qu’il ne s’est pas « gardé lui-même » (1 Jean 5.18) et qu’en conséquence il n’était pas « né de Dieu ». Par contre, les régénérés qui, « vivant par l’Esprit », s’efforcent de « marcher selon l’Esprit » (Galates 5.25), font l’expérience qu’à mesure qu’ils avancent dans leur vie de « nouvelles créatures », la grâce de la régénération devient chaque jour plus inamissible (Jean 10.27 ; Jean 10.29 ; Romains 8.31 ; Romains 8.39).

Alexandre Westphal


Numérisation : Yves Petrakian