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Loi dans le Nouveau Testament
Dictionnaire Biblique Westphal

La conviction que Jésus était le Christ annoncé par les prophètes, conviction commune à tous les auteurs du Nouveau Testament comme à tout le christianisme primitif, présupposait l’autorité des écrits prophétiques de l’Ancien Testament Or, cette autorité reposait sur la certitude de l’inspiration divine de tout l’Ancien Testament. Comme pour le judaïsme, d’où il était issu, l’inspiration divine du Pentateuque et celle de la loi mosaïque ne pouvaient donc faire aucun doute pour le christianisme des premiers temps. Ce n’est qu’au IIe siècle que quelques gnostiques chrétiens, surtout Marcion, ont opposé le christianisme à l’Ancien Testament, sans être d’ailleurs suivis dans cette voie par l’Église.

Les premiers chrétiens considéraient l’Ancien Testament essentiellement comme l’Écriture sainte qui avait annoncé la venue de Jésus, le Christ. Or, à cette interprétation messianique, les livres prophétiques et même certains récits du Pentateuque, grâce à l’exégèse allégorique, se prêtaient bien mieux que les lois contenues dans les 5 livres de Moïse. Tout au plus certaines institutions préconisées par ces lois, par exemple la circoncision ou le culte du temple, pouvaient-elles être interprétées comme des allégories visant l’œuvre du Christ, et le Nouveau Testament contient en effet certaines exégèses de ce genre. L’apôtre Paul a même réussi à trouver dans la loi des preuves de son abolition par Jésus. Mais, en général, il fallait laisser aux prescriptions de la loi leur signification d’ordonnances divines.

Le christianisme voulait d’ailleurs être lui-même une religion de l’obéissance à Dieu. Comme l’Ancien Testament Il insistait sur l’idée de la justice de Dieu, et non seulement des auteurs du Nouveau Testament favorables à la religion de la loi, comme Jacques ou l’auteur de l’Apocalypse, mais même Paul, affirment souvent que chacun sera traité par Dieu selon ses œuvres (voir par exemple Romains 2.5 ; Romains 2.7 ; Romains 12.19). D’autre part, tous les chrétiens étaient d’accord pour voir en Jésus non seulement le Messie présomptif qui bientôt viendrait établir le règne de Dieu sur terre, mais aussi le Sauveur, dont la personne et l’activité avaient contribué au salut de ses fidèles.

Ces deux idées communes à tous les auteurs du Nouveau Testament excluaient toute hostilité de principe contre la loi morale. D’autre part, elles les forçaient à réfléchir sur les rapports entre l’œuvre de salut du Christ et la religion de la loi. Cette question est, en effet, abondamment traitée dans de nombreux livres du Nouveau Testament, surtout dans les Évangiles synoptiques et dans les épîtres de Paul. Mais Jacques, Hébreux, les écrits johanniques et Actes renferment également bien des passages relatifs au problème de la loi, et l’écho des discussions sur ce point se perçoit encore dans d’autres écrits néotestamentaires. Ce problème présentait d’ailleurs plusieurs aspects. Il s’agissait de savoir :

  1. si le salut était dû uniquement à la grâce divine et à l’œuvre du Christ ou si l’obéissance à la volonté de Dieu y contribuait également, peut-être même d’une façon décisive ;
  2. si la volonté divine se trouvait dans la loi mosaïque même pour les disciples du Christ ;
  3. si la révélation du mont Sinaï était identique à celle du Christ, si elle l’avait préparée ou si d’autres rapports existaient entre les deux révélations. Dans certains cas la réponse donnée à l’une de ces questions déterminait les réponses aux autres, mais souvent ces trois questions recevaient chacune une solution particulière. Très souvent enfin, tel texte ne répond qu’à l’une ou l’autre de ces questions.

Les thèses fondamentales, mentionnées plus haut, de tout le christianisme primitif limitent le nombre des attitudes possibles à l’égard de ces trois aspects du problème de la loi. Mais il demeure encore assez grand. Or presque toutes les attitudes possibles dans le cadre de la pensée chrétienne d’alors se trouvent dans les écrits du Nouveau Testament Nous essaierons de donner un tableau systématique des thèses en présence.

L’obéissance à la volonté de Dieu est-elle l’unique condition du salut pour le chrétien ou en est-elle au moins une condition indispensable ? À cette question, les chrétiens des premiers temps pouvaient donner et ont probablement donné quatre réponses. Il est vrai qu’en pratique la première se distingue si peu de la seconde que nous ne pouvons trouver aucun texte dans le Nouveau Testament où il s’agit certainement de la première. Celle-ci déclarait qu’il suffisait d’obéir à la volonté divine pour s’assurer le salut, mais que le chrétien était mieux préparé que les Juifs pieux à l’obéissance sincère. La seconde considérait la foi en Christ comme un complément indispensable des œuvres de la loi. L’obéissance à la volonté divine et la foi forment ensemble la voie du salut. Une troisième thèse n’admettait pas qu’il y ait un seul chemin menant à la vie éternelle ; il y en avait deux, celui de l’accomplissement des exigences divines, qui était réservé aux justes, et celui du pardon divin, que Jésus-Christ avait ouvert aux pécheurs. Une dernière opinion à ce sujet, enfin, niait la possibilité d’être sauvé par l’exécution des ordres divins et ne laissait subsister que la foi en Christ comme unique moyen d’entrer dans le royaume de Dieu.

Les deux thèses qui attribuent une importance capitale pour le salut du chrétien à son obéissance à la volonté de Dieu, exprimée par la loi divine, sont plus ou moins nettement admises dans d’assez nombreux passages des Évangiles, synopt (voir par exemple Matthieu 23.1-3 ; Matthieu 5.17-20; Luc 1.6 ; Luc 2.22-24 ; Luc 2.39 ; Marc 10.17-31 ; Matthieu 19.17 ; Matthieu 5.21 ; Matthieu 5.48). La loi dont il y est question n’est pas toujours la même, mais le principe de l’obéissance à la loi divine comme condition de l’entrée dans la vie éternelle y est reconnu partout. La force avec laquelle l’Évangile et les épîtres johanniques insistent sur le nouveau commandement du Christ (Jean 12.47 ; Jean 13.34 ; Jean 14.15 ; Jean 14.21 ; Jean 14.23 ; Jean 15.10 ; Jean 15.12 ; Jean 15.14 ; Jean 15.17 ; 1 Jean 2.3-5 ; 1 Jean 2.7-8 ; 1 Jean 3.10-12 ; 1 Jean 4.21 ; 1 Jean 5.2-4 ; 2 Jean 1.4-6), fait supposer que l’accomplissement de ce commandement y est considéré comme une des conditions du salut ; d’ailleurs dans Jean 12.47 ; Jean 14.21 ; Jean 14.23 et suivant cette idée est énoncée assez nettement. La religion du nouveau commandement n’entend cependant pas être religion de la loi, mais religion de la grâce ; car le nouveau commandement ordonne aussi la foi en Jésus-Christ (1 Jean 3.22 ; 1 Jean 3.24) et la loi de Moïse est opposée à la grâce et à la vérité venues par Jésus-Christ (Jean 1.17). L’Apocalypse parle constamment des œuvres (Apocalypse 2.5 ; Apocalypse 3.1 ; Apocalypse 3.8 ; Apocalypse 3.15 ; Apocalypse 9.20 ; Apocalypse 14.13 ; Apocalypse 16.11) c’est d’après elles que les morts sont jugés lors du grand jugement (Apocalypse 20.12) ; quelquefois aux œuvres s’ajoute la foi (Apocalypse 2.19 ; Apocalypse 14.12) et aux commandements de Dieu le témoignage de Jésus-Christ (Apocalypse 12.17). Mais c’est surtout Jacques qui maintient la thèse de la nécessité des œuvres de la loi à côté de la foi : (Jacques 2.14 ; Jacques 2.26 ; Jacques 1.25) la foi est morte et vaine sans les œuvres (Jacques 2.20 ; Jacques 2.26) ; elle n’aide pas le prochain à elle seule (Jacques 2.15 et suivant) ; sans les œuvres la foi se trouve même chez les démons (Jacques 2.19) ; Abraham n’a été justifié que par la foi et les œuvres ; la foi concourt au salut avec les œuvres (Jacques 2.21-25).

Toutes les doctrines que nous venons d’étudier introduisent plus ou moins fortement le principe légaliste dans le christianisme. Les penseurs qui, dans le christianisme primitif, s’opposaient à ce principe pouvaient partir d’un double point de vue : ou bien reconnaître que les justes s’assuraient leur salut par les œuvres de leur justice et affirmer tout de même que la grâce divine pouvait aussi sauver ceux qui n’étaient pas justifiés par leurs œuvres ; ou bien nier toute influence des bonnes actions sur le sort des hommes. Quelques paroles de Jésus s’inspirent de l’idée de la double voie du salut (Marc 2.16 et suivant, Luc 15.7 25-32 ; Matthieu 20.1-16) Jésus était venu sauver les pécheurs, la brebis perdue, le fils prodigue, les ouvriers de la dernière heure ; comme les justes, les brebis restées au bercail, le fils resté près du père, les embauchés de la première heure n’avaient pas besoin de lui. Dans d’autres paroles de Jésus, par contre, c’est le pécheur qui est justifié par Dieu plutôt que le juste (Luc 18.9 ; Luc 18.14), car il possède l’humilité ; le juste, au contraire, est fier de ses œuvres et, cependant, lui aussi devra reconnaître l’inutilité de tout ce qu’il a pu faire (Luc 17.10). Ce ne sont toutefois que quelques rares déclarations par lesquelles Jésus rejette la confiance dans les œuvres. Celui qui, dans le Nouveau Testament, représente le plus nettement l’opposition à la religion de la loi, c’est l’apôtre Paul. Pour lui, la conviction fondamentale au sujet de la voie vers le salut est celle de la justification non par les œuvres, mais par la foi (voir par exemple Romains 3.27-30 ; Romains 4.1-25 ; Romains 11.5 et suivant, Galates 2.16 ; Galates 5.2-11 ; Philippiens 3.8-11). Cette doctrine est son arme la plus importante dans sa lutte contre l’esprit légaliste dans la religion chrétienne. Le christianisme est pour lui la religion de la grâce, non de la loi. Certes, en portant les fardeaux les uns des autres, on accomplira la loi du Christ (Galates 6.2), mais ce n’est pas en cela qu’on sera justifié. Dieu jugera chacun selon ses œuvres, mais c’est la grâce en Jésus-Christ, acceptée par la foi, qui seule permet d’entrer dans le chemin du salut. Les œuvres ne sauraient y mener. Car le péché empêche tous les hommes d’accomplir la volonté divine (Romains 3.9 ; Romains 3.18). Quelques autres auteurs du Nouveau Testament adoptent la même attitude que Paul. D’après les Actes, le grand concile des apôtres (Actes 15) a nettement fait sien le principe de la justification par la foi (Actes 15.7 ; Actes 15.9). Les épîtres à Timothée et à Tite soulignent avec la même force que les autres épîtres pauliniennes le point de vue de la religion de la grâce (2 Timothée 1.8 et suivants, Tite 3.4 ; Tite 3.7).

On pourrait croire que les partisans du principe de la religion de la loi parmi les chrétiens identifiaient toujours la volonté de Dieu avec la loi mosaïque et que leurs adversaires n’admettaient pas l’autorité de celle-ci. Cependant il n’en est rien. Le légalisme chrétien pouvait parfaitement reconnaître que la loi mosaïque était remplacée par une autre loi, celle du Christ, et d’autre part même Paul pouvait admettre l’autorité de la législation du Sinaï, pourvu qu’on ne s’attendît pas à mériter le salut par l’obéissance envers elle. Dans ces conditions, l’attitude du christianisme primitif à l’égard de l’autorité de la loi de Moïse est assez complexe.

Parmi les paroles de Jésus, il y en a qui recommandent l’observation la plus stricte de la loi mosaïque dans tous ses détails, même celle des plus petits commandements, et qui adoptent ainsi l’attitude du judaïsme le plus intransigeant (Matthieu 5.17 ; Matthieu 5.20 ; Matthieu 23.1 ; Matthieu 23.3). D’après Matthieu 23.1-3 Jésus reconnaît même aux scribes et aux pharisiens une certaine autorité pour ses disciples : ceux-ci ne devront pas imiter leurs actions, car ceux-là disent et ne font pas ; mais leur enseignement mérite le plus grand respect, puisqu’ils sont assis dans la chaire de Moïse. Généralement, il est vrai, les paroles du Seigneur critiquent à la fois la vie et la doctrine des pharisiens et des scribes ; elles constatent la divergence entre la loi mosaïque et l’enseignement des docteurs du judaïsme de son temps (Marc 7.1 ; Marc 7.13). Par là, peut-être Jésus voulait-il constater uniquement l’hypocrisie des pharisiens et l’incohérence de l’enseignement des scribes ; mais il est plus naturel d’admettre qu’il oppose l’autorité de la loi respectée par le Seigneur lui-même à l’autorité factice des scribes. D’ailleurs Matthieu 5.17-20 est là pour prouver que l’observation intégrale de la loi est considérée comme un idéal de Jésus. Et dans divers textes du Nouveau Testament nous constatons l’action de cet idéal sur certains groupes d’entre les chrétiens, comme par exemple ceux d’où provient le récit de la naissance du Christ dans l’Évangile de Luc (Luc 1.6 ; Luc 2.22 ; Luc 2.24 ; Luc 2.39), ou les adversaires de Paul au concile des apôtres (Actes 15.5). Jésus lui-même observe pour la guérison des lépreux les règles concernant la constatation de cette guérison (Marc 1.42-44; Luc 17.14).

Cependant d’autres passages des Évangiles synoptiques ont une tendance toute différente. Il y est établi une distinction très nette entre grands et petits commandements. On peut faire cette distinction tout en exigeant le respect de tous les commandements. Il en est, en effet, ainsi dans Matthieu 23.23 ; Matthieu 23.26. Aussi un docteur de la loi approuve-t-il cette distinction (Marc 12.32 et suivant). Mais l’importance particulière donnée aux grands commandements nuisait facilement au respect des petits, surtout quand ceux-ci empêchaient l’observation des grands. Aussi Jésus donne-t-il très nettement la préférence aux grands principes moraux de la loi. De là ses conflits constants avec le ritualisme des pharisiens, surtout au sujet de l’observation du sabbat. Jésus subordonne celle-ci à la règle de l’amour du prochain et à celle, plus générale encore, qui ordonne de faire toujours le bien (Marc 3.4; Luc 13.16). Dans ces conditions, il n’est pas étonnant d’entendre Jésus proclamer que faire aux autres ce qu’on veut qu’ils vous fassent, c’est là toute la loi et les prophètes (Matthieu 7.12). Paul (Galates 5.13 et suivant) tout aussi bien que Jacques (Jacques 2.8 ; Jacques 2.12) font leur cette opinion de Jésus. Certes d’après Jacques, il faut accomplir tous les commandements ; mais il s’agit seulement de ceux du décalogue moral.

Une attitude toute particulière au sujet de l’obéissance à la loi de Moïse se trouve dans le livre des Actes. Il ne conteste pas que les chrétiens ne soient pas soumis à toutes les prescriptions du code mosaïque. Mais il rapporte que souvent cette liberté a été limitée par égard pour les Juifs (Actes 15 ; Actes 16.3 ; Actes 21.20 ; Actes 23.5 ; Actes 25.8), La thèse que toute la loi se résume dans un ou plusieurs grands commandements est certes opposée à la minutie des pharisiens ou de Matthieu 5.17 ; Matthieu 5.20 et Matthieu 23.1 ; Matthieu 23.3. Mais elle considère tout de même la loi mosaïque comme l’expression de la volonté de Dieu, comme l’autorité définitive pour la vie morale. La pensée du christianisme primitif n’a pas toujours admis cette autorité. Dans beaucoup de paroles de Jésus et dans quelques textes des Actes les prescriptions de la loi mosaïque sont mises en contraste avec la volonté de Dieu, consistant soit en une décision primitive de Dieu, antérieure à la loi (Marc 10.1 ; Marc 10.12 ; Marc 2.27), soit en son intention la plus profonde révélée par l’action d’un de ses privilégiés de l’ancienne alliance (Marc 2.25 et suivant), ou par une vision (Actes 10.9-16 ; Actes 10.34), ou par la conscience individuelle (Luc 12.57), ou par l’observation de la nature (Marc 7.14 ; Marc 7.33), ou enfin et surtout par Jésus lui-même. Sa révélation des exigences divines abolit celle du Sinaï ou la complète. Il est le nouveau législateur, supérieur à celui de l’ancienne alliance. Il conseille au jeune homme riche d’ajouter à l’obéissance envers le décalogue la vente de ses biens au profit des pauvres (Marc 10.17-21) il déclare qu’il y a des hommes qui se sont faits eunuques pour le Royaume des cieux (Matthieu 19.12). Mais Jésus assume le plus nettement le rôle de législateur nouveau dans les antithèses du sermon de la montagne (Matthieu 5.21 ; Matthieu 5.48). Là il oppose à ce qui a été dit aux anciens sa nouvelle révélation de la volonté divine. Même si les commandements donnés aux anciens d’après ce passage ne sont pas tous tirés de la loi de Moïse, la façon dont Jésus proclame la volonté de Dieu suffit pour attester chez lui la certitude d’être investi par Dieu d’une autorité supérieure à celle de Moïse. Parfois, dans les antithèses, il justifie ses déclarations par des raisonnements et ne fait pas appel à une autorité spéciale qui lui reviendrait. Mais d’autres antithèses opposent simplement sa révélation nouvelle à la règle antérieure. L’idée de la nouvelle loi, la loi du Christ, qui trouve dans ces antithèses son expression classique, joue un grand rôle dans l’Évangile et les épîtres johanniques. Le nouveau commandement de s’aimer les uns les autres y est souvent proclamé (Jean 13.34 ; Jean 14.15 ; Jean 14.21 ; Jean 14.23 ; Jean 15.10 ; Jean 15.12 ; Jean 15.14 ; Jean 15.17 ; 1 Jean 2.3-5 ; 1 Jean 2.7 ; 1 Jean 3.10-12 ; 1 Jean 4.21 ; Juges 5.2 ; Juges 5.4 ; 2 Jean 4-6). Paul invoque quelquefois l’autorité du Christ pour des exigences morales (1 Corinthiens 7.10 ; 1 Corinthiens 14.37 ; Galates 6.2) et reconnaît une certaine autorité même à ceux qui ont son Esprit (1 Corinthiens 7.25 ; 1 Corinthiens 7.40). Mais jamais il n’oppose l’autorité nouvelle à celle de Moïse. Notons enfin la remarque curieuse, mais peu claire, de 1 Timothée 1.9-11 ; d’après celle-ci, la loi est valable pour les malfaiteurs, mais non pour les justes.

Nous avons passé en revue les réponses souvent si divergentes données par les chrétiens des premiers temps aux questions concernant le principe légaliste et son droit dans la religion chrétienne et concernant l’autorité des lois de Moïse pour les disciples du Christ. Leur divergence est très grande. Elle est même telle pour les paroles attribuées à Jésus qu’il est difficile d’admettre qu’elles remontent toutes au Seigneur. Mais une troisième question se posait, plus complexe encore. Quel était le rapport entre l’ancienne et la nouvelle révélation, entre celle du mont Sinaï et celle de Jésus-Christ ? La nouvelle alliance était-elle l’achèvement de l’ancienne, était-elle virtuellement contenue dans celle-ci ? Ou était-elle préparée par elle, mais s’en distinguant foncièrement ? Ou y avait-il opposition irréductible entre la révélation faite à Moïse et la manifestation de Dieu en Jésus-Christ ?

Là où l’on reconnaissait à la fois le principe de la religion de la loi et l’autorité divine de la loi de Moïse, la première solution du problème s’imposait tout naturellement. L’œuvre de Jésus apparaissait comme une aide, indispensable certes, mais d’aucune façon opposée à la réalisation de la volonté divine révélée au mont Sinaï. Or, dès qu’on abandonnait ce point de vue d’après lequel le christianisme n’était que le pharisaïsme perfectionné, la question devenait un problème bien difficile à résoudre. Aussi la plupart des penseurs chrétiens du Nouveau Testament n’ont-ils pas vraiment essayé de trouver une solution. Dans les Évangiles synoptiques la transfiguration présente immédiatement les deux aspects de la question : elle nous montre Jésus en rapport étroit avec Moïse, mais nous entendons aussi la voix qui dit d’écouter Jésus (Marc 9.4 ; Marc 9.7 et parallèle). La loi a donc sa valeur positive, cependant Jésus représente la révélation supérieure. Mais quel est exactement le rapport des deux révélations, c’est ce qui n’y apparaît pas. Il en est de même de la déclaration de Jean 1.17 qui oppose la grâce et la vérité venues par Jésus-Christ à la loi donnée par Moïse, mais ne nous dit pas si la loi est absolument contraire à la vérité et à la grâce. Jean 4.21-24 reste également dans le vague. Même les antithèses de Matthieu 5.21 ; Matthieu 5.48 ne s’expriment pas clairement à ce sujet. Elles ne nous enseignent pas par qui a été dit aux anciens ce qui leur a été dit. Était-ce Dieu qui leur avait parlé par Moïse ou quelqu’un d’autre, et si c’était Dieu, comment s’expliquait le fait qu’il parlait autrement en Moïse qu’en Jésus ? Sous ce rapport Marc 10.1 ; Marc 10.13 contient une déclaration de Jésus bien plus claire : le divorce est contraire à la volonté primitive et réelle de Dieu ; Moïse, en le permettant, a fait une concession à la dureté du cœur des Israélites. La remarque d’Étienne dans son discours de Actes 7.53, qui fait remonter la loi à une intervention des anges, est très intéressante elle aussi, mais trop sommaire également.

Il n’y a que deux auteurs du Nouveau Testament qui aient exposé plus longuement leurs idées à ce sujet : saint Paul et l’épître aux Hébreux. Encore ni l’un ni l’autre n’ont-ils pu aboutir à une conception absolument cohérente.

Chez Paul, nous trouvons, l’une à côté de l’autre, trois appréciations différentes de la loi. D’après la première, la loi, en elle-même, est une révélation divine parfaite, dont le sens spirituel est celui du christianisme lui-même ; ses effets, il est vrai, ont été faussés par le péché. La loi est sainte et le commandement saint, juste et bon (Romains 7.12). La loi est spirituelle et ne s’oppose pas aux œuvres de l’Esprit (Romains 7.14 ; Galates 5.23). Elle devait donner la vie (Romains 7.10). Aussi l’amour du prochain réalise-t-il les exigences de la loi (Galates 5.13 et suivant) et les chrétiens sont-ils la circoncision véritable (Philippiens 3.2 et suivant). Le voile qui cache aux Juifs le sens authentique de l’Ancien Testament disparaît en Christ (2 Corinthiens 3.12 ; 2 Corinthiens 3.18). Si tout de même cette loi n’a pas produit un effet salutaire, c’est que le péché a réussi à la transformer en un instrument de mort (Romains 7.5-25). Mais par la mort du Christ l’impuissance de la loi due au péché et à la chair a été détruite et ceux qui sont en Jésus-Christ ne vivent plus selon la chair, mais selon l’Esprit et accomplissent la justice prescrite par la loi (Romains 8.14). Paul peut donc déclarer : « Nous confirmons la loi par la foi » (Romains 3.31).

Mais Paul ne pense pas toujours ainsi. Souvent la loi a pour lui ce seul mérite d’avoir annoncé sa propre abolition et rendu possible le salut par le Christ ; Galates insiste particulièrement sur cette idée. La malédiction légale du pendu a contribué à ce que Jésus-Christ ait pu l’abolir (Galates 3.10 ; Galates 3.14), et la lecture de l’histoire des deux fils d’Abraham montre à tous ceux qui veulent vraiment observer la loi que celle-ci, l’alliance du mont Sinaï, s’efface elle-même devant la liberté de la nouvelle alliance (Galates 4.21-31). Dans Romains 3.21, l’apôtre proclame également que la loi et les prophètes ont rendu témoignage à la justice par la foi, justice manifestée indépendamment de la loi. La loi a en outre été « un pédagogue pour nous conduire à Christ » (Galates 3.24 et suivant), car elle nous a donné une preuve irréfutable de la culpabilité de tous les hommes : celle-ci l’a rendue impuissante à donner la vie ; pour obtenir la vie il fallait donc aller vers le Christ (Galates 3.22-25). La loi donne la connaissance du péché et par cette connaissance nous pousse à nous soumettre à Dieu et à accepter le salut qu’il nous offre par la foi (Romains 3.19 et suivant). Par la loi, le péché est imputé (Romains 5.12 ; Romains 5.14). Elle est intervenue pour que le péché abondât (Romains 5.20 et suivant). Peut-être est-ce cette démonstration écrasante de la culpabilité de l’homme qui fait dire à l’apôtre : « Par la loi, je suis mort à la loi » (Galates 2.19). Mais ce passage ne signifie pas nécessairement que la loi en me montrant ma culpabilité m’a prouvé sa propre impuissance et en me condamnant à mort m’a soustrait à son propre empire ; il peut aussi avoir un autre sens : la loi, déclarerait alors l’apôtre, en condamnant le Christ fait mourir ses fidèles avec lui et les détache ainsi d’elle-même (voir Galates 3.10-14 ; Romains 7.1 ; Romains 7.6).

Or cette condamnation de Jésus-Christ par la loi apparaît comme un méfait de celle-ci. Et ce n’est pas là le seul texte qui souligne l’opposition entre la révélation de Dieu en Jésus-Christ et celle de Moïse. Celle-ci n’est pas révélée par Dieu, du moins pas directement, mais par des anges (Galates 3.19 et suivant). Et se soumettre à elle et aux règles concernant les sabbats et les fêtes signifie non pas servir Dieu, mais s’assujettir aux anges, désignés par le terme étrange, mais assez souvent employé alors, d’éléments (voir ce mot) ou rudiments du monde (Galates 4.8 ; Galates 4.10). La loi est venue après la promesse du Christ, faite par Dieu à Abraham, et ne peut donc pas l’annuler (Galates 3.15 ; Galates 3.18). Elle est même considérée comme étant la puissance du péché (1 Corinthiens 15.56) qui est mort sans elle (Romains 7.8). Aussi l’œuvre de Moïse peut-elle être nommée le ministère de la mort (2 Corinthiens 3.7). Certes, Paul a tenu à atténuer l’idée en principe hostile à la révélation mosaïque qui était contenue dans de pareils termes (voir Romains 7.7 ; Romains 7.12 ; 2 Corinthiens 3.6-11 ; Galates 3.21 et suivant). Néanmoins ce point de vue joue un certain rôle dans son appréciation de la loi mosaïque.

Si ces trois appréciations se trouvent chez Paul sans que l’apôtre sente l’incohérence de sa doctrine de la loi, c’est qu’elles ont toutes les trois une importance secondaire à côté de l’idée dominante du salut par la foi et non par les œuvres de la loi. Or cette idée pouvait s’accorder à la fois avec la thèse de la sainteté divine de la loi pourvu que son impuissance à donner le salut fût reconnue, avec celle du rôle préparatoire de la loi à l’égard de la révélation en Jésus-Christ, enfin avec celle d’une opposition entre les deux révélations. Or, le premier point de vue s’explique par la conviction de tous les chrétiens du temps de Paul qui affirmaient tous le sens messianique de la loi ; en outre la valeur de certaines prescriptions morales de cette loi ne pouvait faire de doute. D’autre part, la révélation en Jésus-Christ étant pour Paul de beaucoup supérieure à celle accordée au législateur d’Israël, celle-ci, qui tout de même provenait du Dieu de Jésus-Christ, ne pouvait avoir d’autre importance que de préparer la révélation définitive. Enfin l’idée maîtresse de la religion de la loi et celle de la religion du salut se contredisaient nettement, c’est pourquoi Paul était amené à constater une opposition entre l’ancienne et la nouvelle révélation. Peut-être sur ce dernier point a-t-il d’ailleurs été influencé par la pensée du gnosticisme juif pré-chrétien, dont l’existence est assez vraisemblable.

L’épître aux Hébreux insiste d’une part sur l’infériorité de la révélation mosaïque due aux anges (Hébreux 2.1 et suivant), terrifiante (Hébreux 12.18-21), faible (Hébreux 7.23 ; Hébreux 7.28), inefficace (Hébreux 8.6 ; Hébreux 8.13), charnelle (Hébreux 7.16 ; Hébreux 9.10) et passagère (Hébreux 8.6 ; Hébreux 8.13), d’autre part elle considère le culte institué par Moïse comme l’ombre du culte céleste du Christ (Hébreux 8.5) qui par son apparition l’a annulé.

Les opinions des auteurs du Nouveau Testament au sujet des rapports entre la révélation par Moïse et celle de Jésus-Christ ne sont donc pas plus homogènes ni même cohérentes que celles au sujet du principe légaliste de la religion et au sujet de l’autorité de la loi mosaïque pour les chrétiens. Mais ces divergences de vue ne les empêchaient pas d’être au fond tous d’accord sur le caractère de la nouvelle révélation. Tous y voyaient la révélation de l’amour divin pour les hommes en Jésus-Christ et l’enseignement, qui en dérive, du devoir des hommes de s’aimer les uns les autres. Pour défendre ce devoir, que Paul ne nie pas, Jacques combat la doctrine de la justification par la foi seule ; pour assurer toute l’efficacité possible à l’amour divin, exalté par Jacques, Paul avait établi cette doctrine (voir Foi, Œuvres). Aug. B.


Numérisation : Yves Petrakian