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Interdit
Dictionnaire Biblique Westphal Calmet

Institution fort ancienne, qui s’est transmise, avec des modifications, jusque dans l’Église chrétienne. Elle s’inspire d’une idée primitive très générale : ce qui doit servir à l’usage de la divinité doit être détourné de son usage ordinaire et mis à part (objets consacrés, offrandes votives, etc.). L’interdit est un cas particulier de consécration : ce qui a été voué par interdit, doit être entièrement détruit (ou égorgé s’il s’agit d’êtres vivants, animaux ou créatures humaines), cet anéantissement étant le seul moyen d’éviter que ce qui a été consacré à la divinité puisse servir à qui que ce soit. Ainsi le mot « interdit » est-il devenu synonyme de « destruction totale ».

1.

La forme la plus ancienne et la plus répandue de l’interdit est l’interdit en temps de guerre. En théorie, il doit toujours être exercé de la manière la plus rigoureuse : lorsqu’une ville prise est vouée à l’interdit, tout doit être détruit : hommes, femmes, enfants, bestiaux sont passés au fil de l’épée et les biens de toute nature sont anéantis par le feu (Deutéronome 13.15-18). Le traitement des Amalécites (1 Samuel 15) en est un exemple célèbre. Le cas d’Acan (Josué 7), après la prise et la mise à l’interdit de Jérico, éclaire d’un jour particulier l’idée religieuse associée à la coutume de l’interdit : toute chose vouée à l’interdit devient la propriété inviolable de l’Éternel ; si elle peut être mise dans le « trésor de la maison de l’Éternel », on ne la détruit pas (Josué 6.19 ; Josué 6.24) ; sinon elle devient « tabou » et possède la contagion mortelle de ce qui est sacré (cf. Lévitique 27.28). Ainsi, en retenant une partie des objets voués à l’interdit pour se les approprier, Acan provoqua une rupture du peuple avec l’Éternel et toutes les désastreuses conséquences qu’elle comportait (Josué 6.18 7, cf. Deutéronome 7.25). En pratique, on rencontre fréquemment une forme adoucie de l’interdit, mais d’un caractère moins religieux et moins moral. On détruit les êtres humains que l’on craint, mais le bétail et le butin deviennent la propriété des vainqueurs (Deutéronome 2.34 ; Deutéronome 3.6 et suivant, Josué 11.14). La loi permet même parfois que les femmes et les enfants fassent partie du butin et soient épargnés (Deutéronome 20.10 et suivant). Dans certaines circonstances spéciales, les jeunes filles seules ont la vie sauve (Nombres 31.17 et suivant, Juges 21.11 et suivant).

2.

Une autre forme de l’interdit s’applique comme punition juridique parmi les membres de la communauté théocratique que forme Israël. Elle apparaît dans la législation la plus ancienne, à l’égard de l’apostolat (Exode 22.20), et le code deutéronomique l’étend à la cité idolâtre (Deutéronome 13.12 ; Deutéronome 13.18). Ici, l’interdit doit toujours être rigoureusement appliqué. Mais plus tard, la mise à mort se transforme en exclusion (Esdras 10.8). Ce sera le point de départ d’une lente évolution, qu’on retrouve ainsi au début de l’ère chrétienne dans les communautés juives, et dans l’Église chrétienne (voir Excommunication).

3.

Enfin, l’interdit peut être appliqué à des circonstances privées, par une personne : (Lévitique 27.28) dans ce passage, l’interdit désigne la consécration particulièrement rare et solennelle, inaliénable, par un Israélite, d’êtres ou d’objets déterminés (personne, animal ou champ du patrimoine) à l’Éternel. Cet acte dépasse la consécration ordinaire, dont il est question dans les passages précédents. Tandis que, pour celle-ci, les objets sont désignés par les termes de « consacrés » (Version Synodale), ou « sanctifiés » (Segond), et peuvent être rachetés, — ceux qui sont voués à l’interdit sont « entièrement consacrés » (Version Synodale), ou « d’une sainteté éminente » (traduction du Rabbinat français), et ne sont pas susceptibles de rachat (cf. Nombres 18.14 ; Ézéchiel 44.29, et l’expression « corban » dans Marc 7.11). La Bible du Centenaire, jugeant incroyable que la loi sacerdotale pût reconnaître à un particulier le droit de tuer l’un des siens en le vouant à JHVH, suppose que cet article « est un rappel, sans application pratique, d’un antique usage tombé en désuétude », à moins qu’il ne s’agisse, malgré les apparences, d’une sentence de tribunal comme Exode 22.20.

4.

L’interdit était pratiqué, en dehors d’Israël, sous sa forme la plus rigoureuse, par divers peuples, les Moabites, peut-être aussi les Ammonites. On retrouve des pratiques semblables chez beaucoup de peuples non civilisés modernes. Lorsque des tribus ennemies considèrent chacune leurs dieux respectifs comme alimentés, entretenus, soutenus par les sacrifices de leurs fidèles, l’extermination des vaincus devient œuvre aussi religieuse que patriotique, en ce qu’elle contribue à anémier leur dieu en lui supprimant non seulement des soldats, mais aussi des adorateurs.

Quant à son application par les Hébreux, dans la conquête de Josué, il est vraisemblable qu’elle n’a pas été aussi brutale que ne la décrivent les textes plus tardifs et pénétrés de l’esprit de généralisation de l’époque exilique. Certes les Hébreux de la conquête étaient bien de leur époque ; mais des massacres aussi effroyables que ceux qui sont décrits dans des passages comme Josué 11.11-14 sont probablement exagérés sous l’influence des prescriptions plus tardives du Deutéronome ; nous ne pouvons déterminer dans quelle mesure le paganisme cananéen, dont l’action pernicieuse s’est exercée pendant plusieurs siècles sur la religion israélite, a pu influencer la rédaction de ces prescriptions deuté-ronomistes et des passages de Josué relatifs à l’interdit, mais cette influence semble réelle.

5.

Quoi qu’il en soit, on peut distinguer quelques-uns des éléments déterminants, à caractère nettement moral et religieux, qui ont été à l’origine de cette pratique ; ainsi dans Nombres 21.2 et suivant, elle se présente comme un acte de reconnaissance envers l’Éternel, en conformité avec un vœu précédemment fait : car il y a une solidarité réelle entre un dieu et son clan, et, même en Israël, les guerres des Hébreux sont les « guerres de l’Éternel » (voir Guerre). Il faut aussi voir à l’origine de l’interdit un moyen de protéger la communauté contre une menace sérieuse pour sa vie religieuse ; c’est ce que met en lumière le passage Deutéronome 20.13-16, qui n’autorise des adoucissements à l’interdit du temps de guerre que lorsque les ennemis vaincus habitent loin du territoire palestinien, mais maintient toute sa rigueur à l’égard des peuples au milieu desquels vivait Israël, « afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les pratiques abominables qu’ils font en l’honneur de leurs dieux, et que vous ne péchiez pas contre l’Éternel votre Dieu » (Deutéronome 20.18).

Ainsi, dans la forme la plus rigoureuse de l’interdit, on trouve un élément religieux, et même moral, puisqu’il oblige au renoncement complet à tout bénéfice ou profit matériel quelconque dans la victoire, et accentue la gratitude du vainqueur pour le Dieu qui lui a permis cette victoire. Mais les atténuations apportées à l’interdit lui ont enlevé cet élément moral, en ne lui laissant que sa signification religieuse. « L’interdit est donc une manifestation du zèle religieux à une époque où le sens moral était moins développé que le sens religieux. » (A.R.S. Kennedy) R. de R.


Numérisation : Yves Petrakian