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Trophime
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet Westphal Bost

Disciple de saint Paul, était gentil de religion, et natif d’Éphèse. Saint Paul l’ayant converti, Trophime s’attacha à lui, et ne le quitta plus dans la suite. Il vint d’Éphèse à Corinthe avec l’apôtre, et il l’accompagna (Actes 20.4) dans le voyage qu’il fit de Corinthe à Jérusalem, l’an 58 de Jésus-Christ. Là, comme saint Paul était dans le temple, les Juifs se saisirent de lui en criant (Actes 2.28-29) : Au secours, Israélites ; voici celui qui dogmatise partout contre ce peuple, contre la loi et contre ce lieu saint ; et qui de plus a encore amené les gentils dans le temple, et a profané ce saint lieu. Or ils disaient cela, parce que quelques Juifs d’Éphèse qui ne regardaient Trophime que comme un gentil, l’ayant vu avec saint Paul dans la ville, s’imaginèrent qu’il l’avait introduit dans le temple. Aussitôt donc toute la ville fut émue, et saint Paul fut arrêté, ainsi que nous l’avons vu dans son article. Il y a assez d’apparence que Trophime le suivit à Rome, et qu’il ne l’abandonna pas dans ses liens. On prétend que l’apôtre, après sa délivrance, en l’an 63, alla en Espagne, et que, passant par les Gaules, il laissa Trophime à Arles en qualité d’évêque. Voyez Baronius, an 62, paragraphe I. Mais cela est assez difficile à concilier avec ce que saint Paul écrit à Timothée (2 Timothée 4.20), en l’an 65, qu’il a laissé Trophime malade à Milet. Il faudrait que Trophime fût repassé en Asie environ un an après que saint Paul l’aurait laissé à Arles. Les Grecs font mémoire de saint Trophime le 14 d’avril, et ils disent qu’il eut la tête tranchée avec saint. Paul par ordre de Néron. Ceux d’Arles en font la fête le 29 de décembre [Nous avons rapporté au mot Gaules comment saint Trophime, évêque d’Arles, est le premier apôtre des Gaules sur lequel nous ayons quelques documents cer tains. Lisez d’abord cet article Gaules, dont ce que nous allons rapporter ici est la continuation.

« Je sais, dit M. Ed de Bazelaire, que Grégoire de Tours met au troisième siècle la mission de saint Trophime, et que Sulpice Sévère dit que les premiers martyrs des Gaules furent vus sous Marc-Aurèle ; mais il n’est question dans ce dernier auteur que des premiers martyrs, et non des premiers chrétiens ; et il fallait apparemment, pour qu’il y eût des martyrs en 177, que la foi eût été prêchée dés longtemps ; puisque la chrétienté était assez nombreuse pour attirer les regards inquiets du pouvoir. Quant à Grégoire de Tours, il fait venir Trophime sous le consulat de Dèce et de Gratus, avec sept autres évêques qu’il dit envoyés de Rome, et pour les accoler ainsi, il se fonde uniquement sur la relation du martyre de Saturnin, l’un d’eux, dans laquelle on lit : « Sous Dèce et Gratus, consuls, la cité de Toulouse eut Saturnin pour évêque. » Cependant, de ce que Saturnin fut évêque de Toulouse en 250 il ne suit nullement que Trophime l’ait été d’Arles en même temps ; et Grégoire, ignorant l’année de la mission de tous les évêques qu’il cite, aura conclu de l’époque certaine assignée à celle de Saturnin la date de l’arrivée de tous les autres. Si Trophime ne vint à Arles que vers 250, comment en 252 Marcien était-il le quatrième évêque de cette ville ?

Il faut ou que Grégoire de Tours se soit trompé, ou que ce Trophine dont il parle soit le successeur de Marcien, déposé à cause de son hérésie, et par conséquent le cinquième évêque d’Arles. Cette dernière opinion a été adoptée par M. de Fortia.

En 417 le pape Zosime reconnaît à l’église d’Arles le droit de métropole sur toute la Narbonnaise, parce que Trophime, son premier évêque, a été pour les Gaules la source de vie d’où coulèrent les ruisseaux de la foi. En 450 dix-neuf évêques de la Narbonnaise écrivent au pape saint Léon : Les Gaules savent, et Rome ne l’ignore pas, que la cité d’Arles a reçu la première un évêque envoyé par saint Pierre, et que d’elle la fol s’est répandue dans le reste des Gaules. » Comment ce pape et ces évêques eussent-ils pu dire que Trophime, venu en 250, était le premier missionnaire des Gaules, tandis qu’en 202, Pothin, Irénée et de nombreux martyrs étaient morts à Lyon ? ils devaient savoir, mieux peut-être que les critiques modernes, ce qui se passait deux cent soixante et dix ans avant eux, et ce qui les intéressait si vivement.

« Il est difficile, dit un savant historien de l’Église d’Arles, de fixer précisément l’époque de la prédication de l’Évangile à Arles. Il est arrivé à cette ville ce qui est arrivé aux empires les plus célèbres. L’antiquité qui en fait la gloire en a rendu l’origine obscure, mais on ne peut sans injustice refuser à cette Église l’honneur d’avoir eu pour son premier fondateur un disciple même des apôtres. Des monuments respectables donnent cette qualité à saint Trophime : il semble d’ailleurs que ce ne serait pas se former une idée assez noble du zèle de saint Pierre et de saint Paul que de croire que, pendant le séjour qu’ils ont fait à Rome, ils aient négligé une ville si distinguée et si voisine de l’Italie.

Il faut cependant reconnaître que les monuments de l’histoire ne nous apprennent presque rien de certain touchant les combats et les conquêtes de notre premier apôtre ; la tradition de notre Église sur les travaux de son fondateur pourrait y suppléer, si elle avait plus de certitude. Je fais profession de la respecter, cette tradition ; mais comme je dois aussi respecter les auteurs éclairés, et ne rien avancer que sur des preuves solides, j’ai cru devoir… On en conclura que saint Trophime ne recueillit pas une abondante moisson et que la semence qu’il avait jetée pour être longtemps à croître et à fructifier, n’y devint dans la suite que plus féconde. »

» Le saint et vénérable Dulau, le Chévérus de son siècle, dernier archevêque d’Arles, premier martyr, immolé le 2 septembre 1792 aux Carmes de la rue de Vaugirard, appelait l’Église d’Arles, la mère et la fondatrice des autres Églises.

» À côté des monuments écrits que je ne cite pas tous, parce que cela m’entraînerait trop loin, se placent les témoignages des pierres et des marbres des églises. Il faut voir cette tradition respirer, et vivre, et parler, dans ce magnifique portail de la métropole d’Arles, réminiscence la plus heureuse du ciseau grec, et en même temps première insurrection contre le classique, proclamée par le génie chrétien. J’ai remarqué surtout dans la basilique une inscription attribuée à Virgile, évêque d’Arles au septième siècle, dont les premières et les dernières lettres, jointes à celles du milieu, forment Tro. Gal. Apo., c’est-à-dire, Trophimus Galliarum Apostolus.

» Si la mission de Trophime est pleinement historique, il ne faut pas s’attendre à en trouver les détails. Ce n’est pas que les légendes manquent ; dans leurs pieuses fictions, elles ont créé des faits merveilleux, d’éclatantes conversions, qui coûtaient moins sans doute à imaginer qu’à opérer ; mais nous n’osons nous appuyer sur elles, et nous sommes réduits à des conjectures. Trophime l’Ephésien ne fut point un étranger sur ce rivage massaliote devenu complétement grec, et en traversant Massalie, il retrouva cette grande Diane d’Éphèse contre laquelle saint Paul avait tant parlé déj à sur les côtes d’Asie. Elle était, avec Minerve et Apollon Delphien, la principale divinité de la colonie phocéenne. Arles était un comptoir massaliote, et le grec y était l’idiome vulgaire ; elle avait même changé son nom contre celui de Théliné, la féconde, mais elle ne le garda pas plus que celui de Constantine, que lui donnait la langue officielle du quatrième siècle ; le nom gaulois prévalut toujours. Les superstitions grecques et romaines, ajoutées aux mythes indigènes, la corruption des mœurs, l’égoïsme qui naît du développement de l’industrie, les intérêts matériels excités par le commerce et les richesses, opposaient bien des obstacles à une religion toute de simplicité, de pureté et d’amour. D’un autre côté, l’hospitalité des Provençaux, leur curiosité, qui leur faisait arrêter tous les voyageurs qui passaient pour apprendre d’eux des nouvelles, les at tiraient aussi sans doute près des nouveaux venus, qui parlaient d’un Dieu inconnu et racontaient tant de merveilles. Le grec favorisa aussi beaucoup le développement du christianisme. Cette langue était, au premier siècle, le dialecte vulgaire des côtes méridionales et des rives du Rhône jusqu’à Lyon, en relation ; continuelles de commerce avec les Massaliotes ; toutes les villes maritimes avaient reçu des noms grecs : Nicea, Antipolis, Rodanonsia, Agatha (Agde), Heraclea (Saint-Gilles) ; au quatrième siècle on faisait encore le panégyrique de Constantin le Jeune en grec ; et au sixième saint. Césaire employait cette langue dans les offices de l’Église, qui se faisaient alors en langue vulgaire. Le dialecte provençal de nos jours renferme un grand nombre de mots purement grecs.

» Trophime fit peu de prosélytes à Arles, et après lui le paganisme ; enraciné dans les mœurs et favorisé par les empereurs, sembla étouffer la foi nouvelle ; d’où vint que, languissante et obscure jusqu’au deuxième siècle, elle parut à quelques historiens ne s’être montrée qu’à cette époque (le). On lit, dans les leçons nocturnes d’un bréviaire manuscrit de l’abbaye du Mont-Majour, que les Arlésiens immolaient tous les ans, aux calendes de mai, sur un immense autel qui a donné son nom à la ville, trois jeunes esclaves engraissés aux frais du trésor public. Trophime, voyant les apprêts du supplice, accourt, parle à ce peuple fanatique du Christ dont le sang a rendu inutile les sanglants sacrifices, et obtient que l’on renoncera à l’exécrable coutume des immolations annuelles. Si au milieu du premier siècle chrétien on offrait encore à Arles des victimes humaines, ce n’était sûrement pas dans la ville, mais dans quelque bois obscur et reculé, car les mœurs grecques avaient dû adoucir ces usages barbares, et les empereurs avaient expressément défendu les sacrifices, permettant seulement aux prêtres de faire une légère incision aux fanatiques qui persisteraient à se dévouer. Cependant les lois romaines étaient impuissantes à arrêter les effets de cette antique et terrible croyance à la nécessité du sang pour effacer le crime. Le christianisme seul pouvait la déraciner, parce que seul il pouvait offrir en échange des boucs et des génisses l’hostie sans tache, et pour prix des crimes de l’homme l’expiation d’un Dieu. Et d’ailleurs était-il plus humain de faire combattre des esclaves dans un cirque que de les immoler sur un autel, et le peuple romain était-il une divinité plus digne des offrandes humaines que les dieux gaulois ?

» Trophime n’avait pas voulu planter la croix dans la ville du luxe et des plaisirs ; il s’était retiré à quelque distance, et c’était parmi les tombeaux qu’il avait dressé le premier, sur la terre des Gaules, son précieux symbole d’immortalité. Le christianisme a toujours aimé la mort, ses graves enseignements, ses hautes et solennelles rêveries ; il a aimé la mort, il l’a fécondée, et des cendres du sépulcre il a formé le germe d’une éternelle vie : les premiers sanctuaires furent des cryptes de martyrs ; aujourd’hui encore nos autels renferment des ossements ; quand un de ses fils expire, il dit qu’il cesse de mourir et commence à vivre ; et dans les martyrologes le jour de la mort des saints est désigné par ces mots : Natalis dies.

» Arles était, comme on le sait, la grande nécropole des Gaules, la terre privilégiée du repos, et dans ses Champs-Élisées, nommés aujourd’hui Aliscamps, les villes envoyaient leurs illustres morts. Portés par le Rhône, les tombeaux de marbre de ceux qui avaient été puissants et riches arrivaient à la colline du Moleyres, comme à un vaste rendez-vous de la mort, où les prémices des nations, comme dit saint Paul, venaient saluer l’aurore de l’Évangile. Trophime s’arrêta au milieu d’eux, délimita par des croix dont on voit des restes, un enclos dans lequel il bâtit une chapelle, au point culminant de la colline. Là prirent place successivement Genès, martyr ; Honorat, évêque, fondateur de Lérins ; Hilaire, Césaire, et d’autres encore… Nous avons vu leurs sarcophages mêlés aux fastueux tombeaux, monuments de l’orgueil des païens, et nous nous sommes agenouillés avec amour près de ces doux et vénérés souvenirs. On n’y lit point de pompeuses inscriptions : une palme d’olivier, une colombe, un cœur, l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, sont les touchants symboles de ces morts obscures, chères au Seigneur. Quelquefois elles sont voilées sous l’emblème des moissonneurs qui cueillent les olives ou lient les gerbes, des voyageurs qui traversent la mer Rouge ou le désert, guidés par une nuée lumineuse, d’Abraham immolant son fils, de Jésus naissant ou guérissant des malades et faisant lever les morts. Nous avons perdu aujourd’hui le secret de ce profond et consolant symbolisme ; nous ne savons plus mettre sur nos cercueils que le matérialisme même de la mort : des os, des têtes décharnées et hideuses, des larmes qui ne parlent que de la terre et ne disent rien de la patrie. »