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Sibylles
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Ou Sibilles. L’Écriture ne parle en aucun endroit des sibylles, et tout ce qu’on en dit est très-incertain. Le nom de sibylle est grec, selon la plupart des étymologistes, et il signifie le conseil de Dieu. Les sibylles étaient, dit-on, parmi les païens ce que les prophétesses et les prophètes étaient parmi les Hébreux : elles prédisaient l’avenir et annonçaient aux peuples des vérités importantes.

On en compte ordinairement dix :

1° La Cuméenne ;

2° La Cumane ;

3° La Persique ;

4° L’Héllespontique ;

5° La Libyque ;

6° La Samienne ;

7° La Delphique ;

8° La Phrygienne ;

9° La Tiburtine ;

10° L’Erythréenne.

Saint Clément d’Alexandrie cite, comme de saint Paul, ces paroles : Prenez en main les livres des Grecs, lisez les Sibylles, et voyez ce qu’elles disent de l’unité d’un Dieu, et comment elles annoncent l’avenir, et vous y trouverez clairement le Fils de Dieu. Plusieurs anciens Pères ont cité des vers attribués aux sibylles, et en ont tiré des arguments favorables à notre religion ; mais les plus sages et les plus habiles critiques sont persuadés aujourd’hui que ces vers out été composés après coup, et qu’ils ne furent jamais des sibylles.

Platon, Aristote, Varron, Denys d’Halicarnasse, Cicéron, Tite-Live, parlent des sibylles avec honneur. Virgile avait pris sans doute des vers sibyllins ce qu’il dit de la naissance du Messie ; car on ne peut guère appliquer à d’autres des vers de l’Églogue 4.

C’est de la même source que Suétone a pris qu’au temps de Vespasien il y avait une opinion constamment et généralement reçue dans tout l’Orient, que le destin avait décrété qu’environ ce temps-là viendraient de la Judée ceux qui auraient l’empire du monde. Josèphe l’Historien, qui vivait, comme l’on sait, du temps de Vespasien (e), cite dans son Histoire un passage des Sibylles qui parlait du déluge. Saint Clément d’Alexandrie assure que saint Paul, dans ses prédications, citait quelquefois les livres sibyllins et y renvoyait les gentils. Les anciens Pères de l’Église, comme saint Justin le Martyr, Athénagore, Théophile d’Antioche, Tertullien, Lactance, Eusèbe, saint Jérôme, saint Augustin et les autres, s’en sont servis utilement coutre les païens ; et le fréquent usage qu’ils en faisaient leur fit donner par quelques-uns le nom de sibyllistes.

En voilà plus qu’il n’en faut pour nous autoriser à rapporter ici en peu de mots ce qu’on dit de ces fameuses et anciennes prophétesses. Leur vie et le temps auquel elles ont vécu ne nous sont pas bien connus. La plus fameuse de toutes est celle à qui les Grecs ont donné le nom d’Erythrée, parce qu’elle était née à Erythre en Ionie et comme elle quitta son pays et vint s’établir à Cumes en Italie, les Latins lui ont donné le surnom de Cuméenne. Saint Justin le Martyr dit a qu’on prétendait qu’elle était Babylonienne d’origine et fille de Bérose, l’historien de Chaldée ; qu’étant venue, on ne sait comment, dans la Campanie, c’est là qu’elle rendait ses oracles, dans une vile nommée Cumes, qui est à six milles de Baïes. J’ai vu l’endroit, ajoute-t-il : c’est un grand oratoire taillé dans le roc, qui doit avoir donné beaucoup de peine à faire ; car il est très-bien travaillé et fort spacieux. Là, à ce que me dirent les habitants du lieu, qui le tiennent par tradition de père en fils, cette sibylle rendait ses réponses. Ils me montrèrent au milieu de la grotte trois endroits creux taillés aussi dans le roc, où ils disent qu’elle se baignait après les avoir remplis d’eau ; qu’ensuite, s’étant habillée, elle se retirait dans l’appartement le plus enfoncé de la grotte, qui était une espèce de cellule aussi taillée dans le roc ; et que s’y posant sur un siège élevé qui l’avançait vers le milieu, elle y prononçait ses oracles.

Voilà ce que dit saint Justin de l’antre de la sibylle de Cumes. On assure qu’on l’a vu au même état jusqu’en l’an 1539, qu’un grand tremblement de terre, qui secoua toute la Campanie et jeta du fond de la mer à Pouzzoles des montagnes de sable, de gravier et d’une matière bitumineuse, qui abîmèrent cet antre de la sibylle. Si celle dont nous venons de parler est fille de Bérose le Babylonien, il faut qu’elle ait vécu depuis le règne d’Aiexandre le Grand. Virgile la fait vivre du temps du siège de Troie, puisque Enée, venant en Italie, la visita et la consulta. D’autres la mettent au temps de Tarquin le Superbe, dernier roi de Rome.

Denys d’Halicarnasse, Aulu-Gelle, Lactance et quelques autres racontent que, sous le règne de ce prince, il vint à Rome une femme étrangère qui offrit au roi neuf volumes des’ oracles des Sibylles dont elle demandait trois cents pièces d’or. Tarquin ne voulant pas lui donner cette somme, elle en brûla trois de neuf, et lui offrit les six qui lui restaient pour le même prix. Tarquin la renvoya comme une folle, et se moqua d’elle. Elle en brûla encore trois en sa présence, et lui demanda s’il voulait lui donner les trois cents pièces d’or des trois qui lui restaient.

Un procédé si extraordinaire fit soupçonner à Tarquin qu’il y avait là dedans du mystère. Il envoya chercher les augures pour savoir leur sentiment ; ils répondirent qu’ils trouvaient par certains signes, que ce qu’il avait méprisé était un présent des dieux ; que c’était grand dommage qu’il n’eût pas acheté les neuf volumes ; ils le pressèrent de donner à cette femme ce qu’elle demandait pour les trois qui restaient le fit ; la femme livra ses livres, avertit qu’on les conservât précieusement ; et qu’ils contenaient la destinée de Rome.

Après ces paroles elle se retira, et on ne sait ce qu’elle devint. Tarquin fit mettre ces trois volumes en une espèce de coffre de pierre dans une voûte souterraine au temple de Jupiter Capitolin, et en commit la garde à deux personnes de la première qualité de Rome, avec défense de laisser faire lecture ni tirer copie de ces livres, sans des ordres exprès du roi. Après l’abolition de la royauté à Rome, on continua d’avoir pour les livres le mémé respect, et les Romains en firent un des plus grands ressorts de leur politique, faisant accroire au peuple tout ce qu’ils jugeaient à propos comme tiré de ces livres, qu’on ne consultait et qu’on n’ouvrait jamais qu’en vertu d’un décret du sénat.

Pendant les guerres civiles de Marins et de Sylla, le feu ayant pris par hasard au Capitole, les livres sibyllins furent consumés par les flammes. Quelques années après le Capitole étant rétabli, le consul Scribonius Curion proposa au sénat de rétablir les vers des Sibylles. On apprit qu’il y avait quelques vers de la Sibylle Erythréenne dans la ville d’Erythre, sa patrie. On y députa trois sénateurs qui y firent un recueil d’environ mille vers grecs qui passaient pour les prophéties de cette Sibylle ; ils les rapportèrent à Rome, on en fit en même temps divers recueils en différents autres lieux : le tout fut déposé au Capitole en la place de ceux que le feu avait consumés.

Mais comme il s’en trouvait plusieurs copies, et que chaque particulier ajoutait à son exemplaire tout ce qu’il jugeait à propos, les Romains, pour conserver à ces livres quelque crédit, firent défense, sous peine de mort, aux particuliers d’en garder des copies : ces ordres furent mal observés ; et Auguste, au commencement de sa dignité de grand-pontife, renouvela les anciennes défenses, et ayant fait une sérieuse recherche de ces exemplaires, et les ayant fait examiner avec beaucoup de rigueur, il fit brûler tous ceux dont on découvrit la supposition, et fit mettre le reste avec ce qui était déjà au Capitole. Dans la suite Tibère en fit encore une nouvelle révision, et en condamna au feu plusieurs volumes ; et ces oracles sibyllins eurent cours jusque vers l’an 399, qu’ils furent entièrement détruits.

Voici ce qui donna occasion à cet événement. Quelque temps auparavant, on avait fait courir à Rome une prophétie tirée, disait-on, des livres sibyllins, qui portait que la religion chrétienne, fondée par les secrets magiques de Pierre, ne durerait que trois cent soixante-cinq ans, après quoi elle serait entièrement anéantie. Ce terme tombait en l’an 398, qui est le 368° depuis l’ascension de Jésus-Christ ; cependant la religion chrétienne était alors aussi florissante que jamais. L’empereur Honorius, prenant donc occasion de cette malice des païens, ordonna l’année suivante à Stilicon de faire brûler tous les livres des Sybilles ; ce qui fut exécuté en 399, et on abattit jusqu’aux fondements le temple d’Apollon, où ces prétendues prophéties étaient gardées.

Cela n’a pas empêché qu’on n’ait vu depuis, et qu’on ne trouve encore aujourd’hui un recueil de vers grecs en huit livres, qu’on appelle les oracles des Sybilles ; mais ce n’est ni l’ancien livre des Sybilles connu à Roma depuis Tarquin le Superbe, ni le recueil qui fut fait un peu après les guerres civiles de Marius et de Sylla, ni même celui qu’Auguste réforma et purgea. Celui que nous avons renferme une partie des oracles sibyllins connus du temps d’Auguste et encore depuis ; mais le reste est une rapsodie composée par quelque chrétien qui a voulu imposer au public par le nom ancien des Sibylles ; mais il l’a fait avec si peu d’esprit et de précaution, que l’imposture saute aux yeux à chaque pas ; par exemple, il fait dire à la Sibylle qu’elle était femme d’un des trois fils de Noé, et qu’elle avait été avec lui dans l’arche pendant tout le déluge. L’auteur se déclare lui-même chrétien dans un endroit qui commence par ces mots : Nos igitur Christi de stirpe creati. Il parle de l’incarnation, de la naissance, de la circoncision, de la résurrection, de l’ascension de Jésus-Christ aussi clairement que les évangélistes. Il décrit le règne de Jésus-Christ sur la terre, suivant l’idée des millénaires ; il donne la suite des empereurs romains selon l’ordre de leur succession, depuis Jules-César jusqu’à Antonin le Pieux et à l’adoption de Marc-Aurèle et de Lucius Verus. Tout cela prouve que ces livres, en l’état où nous les avons, ont été composés vers le mi lieu du second siècle de l’Église.

(Nous n’adoptons pas tout à fait le jugement de l’auteur sur les livres sibyllins. La question des Sibylles et de leurs livres est une de celles que la critique devrait reprendre et traiter sans préjugé, sans prévention, avec indépendance, loyauté, conscience et amcnir de la vérité. M. Drach ; dans son remarquable ouvrage, intitulé de l’Harmonie entre l’Église et la Synagogue, aborde à peine cette question, à l’occasion du Pollion de Virgile. Il est regrettable que ce savant ne l’ait pas traitéa à fond. « La plupart des critiques modernes, dit-il dans une note du tome 2 pages 382, sont d’avis que les livres sibyllins qui nous restent ne sont pas plus anciens que les premiers siècles du christia nisme. Ils ne raisonnent que sur les huit livres, seuls connus depuis Bétuléius, avant que le cardinal Maï en-eût reconnu quatre autres (en 1827 et 1828), ainsi que nous l’avons déjà dit. Des vers chrétiens ont pu être intercalés dans les oracles de ces femmes inspirées, et cela nous paraît plus que probable ; mais le fond et plusieurs témoignages en faveur de la vraie religion sont fort anciens, puisque les plus savants Pères des premiers siècles s’en servaient avec confiance pour convaincre les païens, et que des Pèrès postérieurs, Origène (contra Celsum, pages 516) et Lactance (de vera Sap., 4.15), comme aussi Constantin (Disc aux fidèles, chapitre 19), réfutent par de bons arguments ceux des infidèles qui poussaient la mauvaise foi jusqu’à prétendre que les livres des Sibylles étaient l’œuvre des chrétiens et supposés par eux. L’espace nous manquant pour traiter cette question avec l’étendue qu’elle demanderait, nous renvoyons à la préface du IIIe tome des Scriptores veteres de S. Em le cardinal Maï, et aux deux dissertations de Thorlacius, intitulées, l’une : Libri Sibyllistarum veteris Ecclesice crisi, quatenus monumenta christiana sont subjecti ; l’autre : Conspectus doctrince christiance, gualis in Sibyllistarum libris continetur.

En appelant les Sibylles femmes inspirées, nous suivons l’exemple de plusieurs Pères qui les qualifient de prophétesses. Saint Justin dit que la Sibylle, inspirée naturellement, rendait des oracles ; saint Théophile d’Antioche dit que la Sibylle fat la prophétesse des Grecs et des autres nations. Constantin ne doutait pas que la vierge Sibylle dont il citait les vers ne fût inspirée de Dieu. Saint Jérôme assure que la chasteté virginate des Sibylles fut récompensée par le don de prophétie.