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Samaritains
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Nous avons déjà parlé des Samaritains ci-devant sous le titre des Chutéens. Les Samaritains sont les peuples de la ville de Samarie, et ceux de la province dont Samarie était la capitale. En ce sens il semble qu’on pourrait donner le nom de Samaritains aux Israélites des dix tribus, qui vivaient dans la ville et dans le royaume de Samarie. Toutefois les auteurs sacrés ne donnent communément le nom de Samaritains qu’à ces peuples étrangers que les rois d’Assyrie envoyèrent, de delà l’Euphrate pour habiter dans le royaume de Samarie, lorsqu’ils en eurent emmené captifs les Israélites qui y habitaient auparavant. Ainsi on peut mettre l’époque des Samaritains à Id prise de Samarie par Salmanasar, en l’an du monde 3283. Ce prince emmena captifs les Israélites qui se trouvèrent dans le pays, et leur essigna des terres au delà de l’Euphrate et dans l’Assyrie pour y demeurer. Il envoya en leur place d’autres habitants (2 Rois 17.24) dont les plus célèbres furent les Chutéeni, peuples descendus de Chus, et qui sont apparemment du nombre de ceux que les anciens ont connus sous le nom de Scythes.

Après Salmanasar, Assaradon, son successeur, ayant appris que les peuples qui avaient été envoyés dans la Samarie étaient infestés par des lions qui les dévoraient (2 Rois 17.25), ce qu’on attribuait à ce qu’ils ne savaient pas la manière dont le Dieu de ce pays voulait être adoré ; Assaradon, dis-je, y envoya un prêtre du Dieu d’Israël, afin qu’il leur enseignât la religion des Hébreux. Mais ils crurent pouvoir allier cette religion avec celle dont ils taisaient profession auparavant ; ils continuèrent d’adorer leurs idoles comme à l’ordinaire, adorant aussi le Seigneur, ne voyant pas l’incompatibilité de deux choses si opposées.

On ne sait combien de temps ils demeurèrent dans cet état ; mais au retour de la captivité de Babylone paraît qu’ils avaient entièrement abandonné le culte des idoles ; et lorsqu’ils demandèrent aux Israélites qu’il leur fût permis de travailler avec eux au rétablissement du temple de Jérusalem, ils dirent que depuis qu’Assaradon les avait transportés dans ce pays, ils avaient toujours adoré le Seigneur (Esdras 4.1-3) ; et l’Écriture, depuis le retour de la captivité, ne leur reproche en aucun endroit qu’ils adorassent les idoles, quoiqu’elle ne dissimule ni leur jalousie contre les Juifs, ni les mauvais services qu’ils leur rendirent à la cour de Perse par leurs calomnies, ni les pièges qu’ils leur tendirent pour tâcher de les empêcher de rétablir les murs de Jérusalem (Esdras 2.10-19 ; 4.2-7 ; 6.1-2).

Il ne paraît pas qu’il y ail eu de temple commun pour tous ces peuples venus de delà l’Euphrate, dans la Samarie, avant la venue d’Alexandre le Grand dans la Judée. Avant ce temps, chacun suivait sa dévotion, et adorait le Seigneur où il jugeait à propos. Mais ils comprirent aisément par la lecture des livres de Moïse qu’ils avaient en main, et par l’exemple des Juifs leurs voisins, que Dieu ne voulait être adoré que dans le seul lieu qu’il avait choisi. Ainsi ne pouvant aller au temple de Jérusalem, parce que les Juifs ne le leur voulaient pas permettre, ils songèrent à bâtir un temple sur le mont Garizim, près de la ville de Sichem, qui était alors leur capitale. Sanaballat, gouverneur des Samaritains, s’adressa donc à Alexandre, et lui dit qu’il avait un gendre nommé Manassé, fils de Jaddus, grand prêtre des Juifs, qui s’était retiré à Samarie avec un grand nombre de personnes de sa nation ; qu’il souhaitait bâtir dans sa province un temple où il pût exercer la grande sacrificature ; que cette entreprise serait même avantageuse au roi, puisqu’en construisant un temple dans la province de Samarie on partagerait la nation des Juifs, peuple remuant et séditieux, qui par cette division se trouverait affaibli, et moins en état d’entreprendre des nouveautés.

Alexandre accorda aisément à Sanaballat ce qu’il demandait, et aussitôt les Samaritains commencèrent à bâtir leur temple de Garizim, qu’ils ont toujours fréquenté depuis ce temps-là, et qu’ils fréquentent encore aujourd’hui, comme le lieu que le Seigneur a destiné pour y recevoir les adorations de son peuple. C’est de cette montagne et de ce temple que la Samaritaine de Sichar disait à Jésus-Christ (Jean 4.20) : Nos pères ont adoré sur cette montagne, qu’elle montrait de la main, et qui était toute voisine de Sichem ; et vous autres Juifs, vous dites que c’est à Jérusalem qu’il faut adorer. Voyez ci-devant l’article Garizim, où nous avons parlé des diverses fortunes arrivées à ce temple.

Les Samaritains ne demeurèrent pas longtemps sous l’obéissance d’Alexandre. Ils se révoltèrent dès l’année suivante, et Alexandre les chassa de Samarie, mit en leur place des Macédoniens, et donna la province de la Samarie aux Juifs. Cette préférence qu’Alexandre donna aux Israélites servit à augmenter la haine et l’animosité qui étaient entre ces deux peuples. Lorsque quelque Israélite avait mérité punition, pour avoir violé la loi dans quelque point important, il se retirait à Samarie, ou à Sichem, et embrassait le culte qu’on rendait au Seigneur à Garizim. Lorsque les Juifs étaient dans la prospérité, et qu’il s’agissait d’affaires favorables, les Samaritains ne manquaient pas de se dire Hébreux et de la race d’Abraham ; mais aussitôt que les Juifs étaient dans là disgrâce ou dans la persécution, les Samaritains soutenaient qu’ils n’avaient rien de commun avec eux et qu’ils étaient Phéniciens d’origine (d)ou qu’ils descendaient de Joseph et de son fils Manassé. C’est ainsi qu’ils en usèrent du temps d’Antiochus Épiphane.

Ce prince ayant voulu forcer les Juifs à quitter leur religion pour embrasser celle des gentils, ils lui résistèrent avec beaucoup de force, et s’exposèrent aux dernières extrémités, plutôt que de renoncer à ce qu’ils devaient à Dieu. Mais les Samaritains écrivirent à Antiochus qu’étant Sidoniens ou Phéniciens d’origine, et s’étant habitués à Sichem, ils s’étaient vus obligés, par différents malheurs qui étaient arrivés à leur pays, de prendre certains usages propres aux Juifs, comme l’observation du sabbat ; qu’ils avaient bâti un temple sur le mont Garizim, qui n’était dédié à aucune divinité particulière ; que, puisqu’il avait jugé à propos de faire sentir aux Juifs les effets de son indignation, pour les châtier de leur malice, ils le priaient de ne les pas confondre avec ce peuple, et qu’ils étaient disposés, pour obéir à ses ordres, de consacrer leur temple à Jupiter le Grec. Antiochus agréa leur proposition et écrivit aux gouverneurs de la Samarie de ne plus molester les Samaritains pour leur religion.

Alexandre le Grand avait mené en Égypte six mille Samaritains, que Sanaballat lui avait envoyés à Tyr en qualité de troupes auxiliaires. Il leur assigna des terres dans la Thébaïde et leur confia la garde de cette province. Ces Samaritains conservèrent en ce pays et dans le reste de l’Égypte où ils se trouvaient leur ancienne antipathie contre les Juifs, soutenant que le mont Garizim était le vrai lieu où Dieu voulait être adoré, et les Juifs au contraire prétendant que c’était le temple de Jérusalem. La dispute s’échauffa de telle manière, qu’ils en vinrent à une espèce de sédition, et l’affaire fut portée au roi Philippiens lométor. Ce prince voulut qu’elle fût plaidée en sa présence, et les parties convinrent que l’on n’apporterait point de preuves qui ne fussent tirées des livres de la loi, et que les avocats qtii perdraient leur cause seraient mis à mort. Un nommé Sabœus et Théodore défendaient les Samaritains ; Andronique, fils de Messalami, était avocat des Juifs. Ceux-ci gagnèrent leur procès, et le roi condamna à mort les avocats des Samaritains.

Nous ne garantissons pas ce fait, quoique avancé par Josèphe d’une manière très-circonstanciée ; mais nous pouvons encore moins ajouter foi à tout ce que les Samaritains racontent d’eux-mêmes et à leur avantage dans leur Chronique, qui n’a été composée que depuis Constantin, et sous les empereurs chrétiens. Ils croient que Josué, chef du peuple de Dieu, fit bâtir un temple sur le Garizim, et y établit Rus, de la race d’Aaron, pour le desservir. Ils produisent une suite de grands prêtres, qu’ils prétendent avoir toujours servi le Seigneur dans cet endroit, depuis Josué jusqu’aujourd’hui, sans interruption. Ils ne reconnaissent point Jéroboam, fils de Nabat, pour auteur de leur schisme, ni la transmigration des Israélites causée par Téglatphalasar et Salmanasar. Ils disent que les rois de Syrie, ligués avec celui de Jérusalem se soulevèrent contre Bachtnézer, roi des Perses (c’est ainsi qu’ils appellent Nabuchodonosor, roi de Babylone). Ce prince se mit en campagne, prit Jérusalem, de là à Sichem, ne donna aux habiants que sept jours pour sortir de leur pays, et menaça du dernier supplice ceux qui s’y trouveraient après le terme qu’il avait fixé.

En même temps il envoya dans la Samarie et dans la Judée d’autres peuples pour habiter les villes désertes ; mais ces nouveaux habitants n’y purent vivre, parce que les fruits qui paraissaient beaux renfermaient un poison mortel qui les tuait. On en informa Bachtnézer, qui consulta sur cela les anciens habitants de ce pays. Ils lui déclarèrent que ce mal ne finirait pas qu’on n’y renvoyât les Hébreux qui en avaient été injustement chassés. On leur permit donc de s’y aller rétablir. Ils obtinrent un édit qui portait qu’ils se rassembleraient tous en un même lieu pour partir tous ensemble. Il s’éleva une dispute entre les Samaritains, fils de Joseph et d’Aaron, et les Juifs, savoir si l’on s’en retournerait à Jérusalem pour y rebâtir le temple de Sion, ou si l’on viendrait à Sichem pour y rebâtir celui de Garizim. Zorobabel, qui plaidait pour les Juifs, soutenait que Jérusalem était indiquée par les écrits des prophètes ; Sanaballat, qui tenait pour Garizim, prétendit que les écrits que l’on alléguait étaient corrompus. Il fallut en venir à l’épreuve du feu. L’exemplaire de Zorobabel fut brûlé en un instant, et celui de Sanaballat résista au feu jusqu’à trois fois : ce qui fut cause que le roi honora Sanaballat, lui fit des présents, et le renvoya à la tête des dix tribus, qui allèrent reprendre possession de Garizim et de Samarie.

Nous ne nous arrêtons point à réfuter cette histoire ; elle se détruit d’elle-même. Nous avons les histoires sacrées des Rois, des Paralipomènes, d’Esdras, de Néhémie, et les écrits des prophètes, qui nous apprennent le temps, la cause, les circonstances de la venue des Chutéens dans le pays de Samarie, la cause et la manière dont ils embrassèrent la loi des Juifs. Josèphe nous a marqué l’origine du temple de Garizim. Les monuments que produisent les Samaritains sont trop nouveaux ; ils ont trop l’air de fictions, et sont démentis par des histoires trop authentiques, pour pouvoir mériter la moindre créance.

Les rabbins ont ajouté à l’histoire de Néhémie quelques circonstances au désavantage des Samaritains. Ils disent que ces peuples, au nombre de cent quatre-vingt mille hommes, étant allés pour attaquer Jérusalem, Esdras et Néhémie assemblèrent trois cents prêtres, qui les excommunièrent de la grande excommunication. Ces prêtres étaient suivis de trois cents’ jeunes garçons, portant tin exemplaire de la loi d’une main et une trompettte de l’autre ; ils sonnaient de la trompette en même temps qu’on excommuniait les Chutéens et qu’on maudissait celui qui mangerait du pain avec eux, comme sïl avait mangé de la chair de pourceau. On demandait à Dieu qu’ils n’eussent aucune part à la résurrection future, et qu’il ne fût jamais permis d’en faire des prosélytes. Ce qui les effraya de telle sorte, qu’ils prirent tous la fuite.

Les Samaritains, ayant reçu le Pentateuque ou les cinq livres de Moïse du prêtre qui leur fut envoyé par Assaraddon, l’ont conservé, jusqu’aujourd’hui dans la même langue et dans le, même caractère qu’il était alors, c’est-à-dire dans l’ancien caractère hébreu ou phénicien, et que nous appelons aujourd’hui samaritain, pour le distinguer du caractère hébreu moderne, qui se voit dans les livres des Juifs. Ceux-ci, depuis la captivité de Babylone, changèrent leurs anciens caractères et prirent ceux des Chaldéens, auxquels ils s’étaient accoutumés à Babylone, et dont ils se servent encore aujourd’hui. C’est par abus qu’on lui donne le nom de caractère hébreu ; ce nom ne convient, dans la rigueur, qu’au texte samaritain. Les critiques ont remarqué quelques différences entre le Pentateuque des Juifs et celui des Samaritains. Ces différences roulent principalement sur le nom de Garizim, que les Samaritains paraissent avoir mis exprès en certains endroits, pour favoriser leurs prétentions, qui veut que ce soit sur cette montagne que le Seigneur doit être adoré. Les autres variétés sont de peu d’importance.

La religion de ces peuples fut d’abord la païenne ; ils adorèrent chacun la divinité dont ils avaient appris le culte dans leur pays (2 Rois 17.25). Les Babyloniens adoraient Socoth Bénoth ; les Cutliéens, Nergel ; les Emathéens, Asima ; les Hévéens, Nébahas et Thartac ; les Sépharvaïmites, Adramélech et Anamélech. Si on voulait rechercher tous les noms des faux dieux auxquels les Samaritains ont rendu un culte sacrilège, on ne finirait point cette matière est si fort embrouillée, à cause des noms divers que les différents peuples qui les adoraient leur ont donnés, qu’il serait presque impossible de les démêler. Nous nous contenterons de rapporter ici ceux dont il est parlé dans l’Écriture (2 Rois 17.30-31), et dont on trouve quelque chose dans les anciens monuments. On les peut voir représentés dans la planche que nous avons fait graver ci à-côté. [Cette planche se trouve dans l’atlas du Cours complet d’Écriture sainte. C’est la quarante et unième].

Explication des figures

1. Socoth-Bénoth signifie des tentes de jeunes filles. On croit que l’Écriture veut marquer ici les lieux infâmes où les filles babyloniennes avaient coutume de se prostituer une fois en leur vie en l’honneur de Mylilta, et au profit de son temple. Selden veut que le nom de Vénus dérive de Bénoth ; c’est peut-être Vénus la Propagatrice, ou Vénus avec ses courtisanes, représentée sous la figure d’une poule avec ses poussins.

2. Nergel. C’était une déesse qu’on adorait sous la figure d’une poule de bois, selon les rabbins et plusieurs interprètes. D’autres croient que c’était le feu perpétuel qu’on adorait dans la Perse en l’honneur du soleil. L’hébreu Nergal peut signifier à la lettre la lumière ou le feu qui flamboie, qui étincelle qui roule.

3. Asima ; ou Mendès. Les rabbins nous dépeignent cette divinité, les uns sens la forme d’un bouc sans poil, d’autres comme un satyre ou comme les poêtes nous représentent le dieu Pan ; mais tout cela me paraît bien incertain.

4. Nebahas, ou Anubis, était représenté sous la figure d’un chien, selon les Juifs : la seule preuve qu’ils en donnent, c’est qu’en hébreu, nabuch signifie aboyer. On sait que les Égyptiens adoraient les chiens, et qu’Anubis, un de leurs dieux, avait la tête de chien.

Omnigenumque deum monstra, et latrator Anubis.

5. Thartac avait, disent les Juifs, la tête d’un âne. Thartac n’est point hébreu : ce pourrait bien être le même que Sar-Sak. Sar, en hébreu, signifie un prince ; Sak était un prince ou un dieu babylonien fort célèbre. Les fêtes nommées Sacées sont connues dans les profanes. Ainsi, Thartac, suivant la prononciation chaldéenne, voudrait dire le dieu Sak.

6. Adramélech pouvait être Junon, représentée sous la forme d’un paon ou d’une espèce de faisan.

7. Anamélech est sous la figure d’un cheval. La conformité qui se remarque entre les victimes que l’on offrait à ces divinités et à Moloch, dieu des Ammonites, et à Saturne divinité des Phéniciens, a fait croire à plusieurs que ce n’était que la même idole sous différents noms.

8. Kion, ou Remphan, s’explique ordinairement par Saturne, une des sept planètes, figurée par une grande étoile. Les interprètes se sont donné la torture pour découvrir quelle.était cette divinité. On peut voir ce que nous en avons dit dans la Dissertation sur l’idolâtrie des Israélites dans le désert, à la tête de notre Commentaire sur les douze petits prophètes.

9. Mercure. Cette divinité est assez connue. Il était dieu de l’éloquence et messager ou interprète des dieux ; c’est pourquoi les Grecs l’appelaient Hermès. Dans les Actes (Actes 14.11), saint Paul fut pris pour Mercure, à cause de son éloquence et de la véhémence de ses discours.

10. Nesroch. L’Écriture dit (2 Rois 19.37) que Sennachérib fut assassiné par ses deux fils Adramélech et Sarazar, comme il adorait Nesroch, son dieu, dans son temple, à Ninive. On ne sait pas précisément qui est ce dieu. M. Basnage croit que c’est Janus, représenté par l’arche de Noé, peut-être à cause que Noé a vu l’un et l’autre monde, et qu’il a vécu avant et après le déluge ; car, comme on sait, Janus avait deux visages, l’un devant et l’autre derrière, parce qu’il embrassait, comme le dieu du temps, le présent et le passé. On a compris en quatre vers tous les dieux que les Samaritains adoraient.

Numina, quœ Samaria colat, vis scire ? tuere

Semihorninemque asinum, semihominemque canem.

En capriceps, gallina, pavo, saxumque trigonum,

Et sidus coeli : numinis illa loco.

Les Samaritains mêlèrent ensuite à ce culte profane celui du Seigneur, du Dieu d’Israël (2 Rois 17.19-32). Ils donnèrent une preuve de leur peu d’attachement à la vraie religion, lorsque sous Antiochus Epiphana, ils consacrèrent leur temple de Garizim à Jupiter le Grec. Sous Alexandre le Grand ils célébraient l’année sabbatique, et par conséquent aussi l’année du Jubilé. On ignore s’ils les faisaient précisément dans le mêMe.temps que les Juifs, ou s’ils suivaient en cela une autre époque, et c’est assez en vain que quelques critiques se sont efforcés d’en fixer le commencement. Sous les rois de Syrie, ils suivirent l’époque des Grecs ou des Séleucides, de même que tous les autres peuples soumis à la domination des Séleucides.

Depuis qu’Hérode eut rétabli Samarie, et qu’il lui eut donné le nom de Sébaste, les habitants de cette ville prirent, dans leurs médailles et dans leurs actes publics, l’époque de ce renouvellement. Mais ces habitants de Samarie, dont la plupart étaient païens ou Juifs, ne firent pas loi pour les autres Samaritains, qui comptèrent apparemment leurs années suivant le règne des empereurs auxquels ils étaient soumis, jusqu’au temps qu’ils tombèrent sous la domination des mahométans, sous laquelle ils vivent encore aujourd’hui ; et ils comptent leur année suivant l’hégire, ou, comme ils parlent, suivant le règne d’Ismaël ou des Ismaélites.

Quelques anciens, comme saint Épiphane et saint Augustin, ont mis les Samaritains au rang des hérétiques ; mais ils étaient plutôt schismatiques à l’égard des Juifs. Ils n’appartiennent pas plus à la religion chrétienne que les Juifs, puisqu’ils ne reconnaissent point Jésus-Christ pour le Messie, et qu’ils en attendent un autre. Quant à leur créance, on leur fait un crime de ne recevoir que le Pentateuque, et de rejeter tous les autres livres de l’Écriture, principalement les prophètes qui ont marqué plus expressément la venue du Messie. Ils disent pourtant dans leur lettre à M. Ludolf qu’ils reçoivent le livre de Josué ; mais apparemment sous ce nom ils n’entendent autre chose que leur Chronique. On les a aussi accusés de croire Dieu corporel, de nier le Saint-Esprit et la résurrection des morts : Jésus-Christ leur reproche d’adorer ce qu’ils ne connaissent pas (Jean 4.22). Saint Épiphane dit qu’ils adoraient les téraphim que Rachel avait emportés de chez Laban, et que Jacob enfouit dans la terre. Enfin on veut qu’ils aient rendu un culte superstitieux à un pigeon ou à sa figure, et qu’ils aient donné même la circoncision au nom de la colombe.

M. Reland dans sa lettre à M. Basnage, soutient qu’ils nient l’existence des anges ; et Léontius, parmi les anciens, avait déjà avancé qu’ils niaient les anges et l’immortalité de l’âme.

Jésus-Christ semble les exclure du salut, lorsqu’il dit que le salut vient des Juifs : Salus ex Judœis (Jean 4.22). Il est vrai que ces paroles peuvent signifier simplement que le Messie devait sortir des Juifs ; mais le seul crime du schisme et de la séparation de la vraie Église suffisait pour leur mériter la damnation. La Samaritaine témoigne assez que les Samaritains attendaient le Messie (Jean 4.25), et qu’ils espéraient qu’il éclaircirait tous leurs doutes. Plusieurs habitants de Sichem crurent à la prédication de Jésus-Christ, et plusieurs de ceux, de Samarie à celle de saint Philippe ; mais on dit qu’ils retombèrent bientôt dans leurs erreurs, séduits par Simon le Magicien. Josèphe nous apprend qu’un certain imposteur, ayant persuadé aux Samaritains qu’il leur montrerait les vases sacrés que Moïse avait cachés dans un creux de leur montagne, le peuple crédule le suivit et s’empara d’un gros bourg nommé Tirataba, en attendant le reste de la nation, qui devait s’assembler pour avoir part au spectacle. Mais Pilate, craignant quelque soulèvement, envoya quelques escadrons contre cette multitude qui fut aisément dissipée, et les auteurs de la sédition ou de ce mouvement furent punis de mort.

Quant aux Samaritains d’à présent, on voit par leurs lettres écrites à leurs frères prétendus d’Angleterre et à Scaliger qu’ils croient en Dieu, à Moïse son serviteur, à la loi sainte, à la montagne de Garizim, à la maison de Dieu, au jour de la vengeance et de la paix ; qu’ils se piquent d’observer la loi de Moïse, même plus exactement que les Juifs en plusieurs articles. Ils gardent le sabbat dans toute la rigueur portée par la loi, sans sortir du lieu où ils se trouvent, si ce n’est pour aller à la synagogue. Ils ne sortent point de la ville, et n’usent point du mariage ce jour-là. Ils ne diffèrent jamais la circoncision au delà de huit jours. Ils sacrifient encore à présent dans le temple de Garizim, et donnent aux prêtres ce qui est porté par la loi. Ils n’épousent point leurs nièces, comme font les Juifs, ne se permettent pas la pluralité des femmes.

Leur haine pour les Juifs se voit par toute l’histoire de Josèphe et par divers endroits du Nouveau Testament. L’historien juif dit que sous le gouvernement de Coponius, une nuit de Pâques, comme on eut ouvert les portes du temple, quelques Samaritains y répandirent des os de morts pour insulter aux Juifs et pour troubler la dévotion de la fête. Les évangélistes nous apprennent que les Juifs et les Samaritains n’avaient point de commerce ensemble (Jean 4.98) ; et la Samaritaine de Sichem s’étonne que Jésus lui parle, et lui demande à boire, à elle qui était Samaritaine. Le Sauveur envoyant prêcher ses apôtres dans la Judée, leur dit de ne point entrer dans les villes des Samaritains (Matthieu 10.5), parce qu’il les regardait comme des schismatiques et comme étrangers à l’alliance d’Israël. Un jour, ayant envoyé ses disciples pour lui préparer un logement dans une des villes des Samaritains, ceux-ci ne le voulurent pas recevoir, parce gell paraissait qu’il allait à Jérusalem (Luc 9.52-53). Et les Juifs, irrités des reproches de Jésus-Christ, lui disent qu’il est un Samaritain (Jean 8.48), ne pouvant à leur gré lui dire une plus grande injure. Josèphe raconte que quelques Samaritains ayant tué plusieurs Juifs qui allaient à la fête à Jérusalem, cela alluma une espèce de guerre entre les uns et les autres. Ceux-ci demeurèrent dans la fidélité aux Romains, tandis que les Juifs se révoltèrent. Ils ne laissèrent pas toutefois d’avoir quelque part au malheur de leurs voisins. Voyez Josèphe, de Bello, livre 3 chapitre 2 page 849.

La Chronique des Samaritains dit que l’empereur Adrien, ayant rasé Jérusalem, passa à Naplouse, autrement Sichem, et leur enleva leurs livres, sans en excepter leur généalogie et leur histoire. On leur défendit de circoncire leurs enfants ; mais ils les envoyaient, à mesure qu’ils naissaient, dans des cavernes, pour y recevoir le sacrement de l’alliance, et on ne les faisait revenir que quand ils étaient guéris. Les Romains mêlaient de la chair de pourceau dans les repas, des Samaritains, qui étaient obligés d’user d’industrie pour s’en garantir. On plaça sur le mont Garizim une colombe pour les empêcher d’y aller adorer ; on posta des troupes au pied de la montagne pour arrêter ceux qui voudraient y monter malgré la défense. Quelques-uns furent assez hardis pour oser y monter, et assez adroits pour tromper les gardes ; mais l’oiseau les découvrit et cria : À l’Hébreu. Les gardes se réveillèrent et tuèrent ceux qui montaient.

Le mal continua jusqu’à ce que Babarraba envoya à Constantinople un de ses neveux nommé Lévi pour y faire ses études. Cc jeune homme y fit de si grands progrès, qu’il devint patriarche, et obtint de l’empereur la liberté de retourner au Garizim. Son dessein était de délivrer sa nation du joug des Romains et de lui rendre sa première liberté. On ne sait ce qu’il devint depuis ; car c’est là que finit la Chronique des Samaritains, et ce qu’elle dit de la ville de Constantinople prouve assez qu’elle n’est point ancienne. Saint Justin le Martyr assure que l’empereur Antonin le Pieux, accordant aux Juifs la liberté qu’Adrien leur avait ôtée de circoncire leurs enfants, en excepta les Samaritains. Ce saint, étant de Sichem même, pouvait être bien informé de ce fait. Symmaque, fameux traducteur des saintes Écritures d’hébreu en grec, était Samaritain. Il quitta sa patrie, et se fit juif, et reçut pour cela une seconde circoncision.

Sous l’empire de Zénon, les Samaritains se firent un roi dans la ville de Naplouse, et tuèrent un grand nombre de chrétiens ; mais Zénon les punit sévèrement et fit mourir leur roi. Ils se soulevèrent encore sous l’empire de Justinien, brûlèrent les églises de la terre sainte, et massacrèrent plusieurs chrétiens, entre autres l’évêque de Naplouse.

Leur fureur alla si loin, que l’empereur Justinien envoya contre eux des troupes réglées, qui exterminèrent la plupart de ces rebelles.

La Chronique des Samaritains, intitulée Tarik Samari, porte que les Samaritains se séparèrent des anciens Juifs après la mort de Samson, sous la judicature du grand prêtre Héli, parce que, disent-ils, ce fut alors que la présence et la grâce du Seigneur, qu’ils appellent Ridhat et Redhouan, se retira d’eux, et qu’alors les ténèbres prirent la place de la lumière, et couvrirent tous ceux qui étaient dans la Palestine, à la réserve de ceux qui se retirèrent pour lors au mont Garizim, où ils eurent toujours depuis ce temps-là des prêtres, et, dans la suite des temps, des rois particuliers qui les gouvernèrent. Ils disent de plus que le prophète Samuel fut un magicien, et que tous ses successeurs ont été des apostats du judaïsme.

Il y a encore aujourd’hui quelques Samaritains à Sichem, autrement Naplouse. Ils y ont des sacrificateurs qui se disent de la race d’Aaron. Ils ont un grand sacrificateur qui réside à Sichem ou au Garizim, qui y offre des sacrifices et qui indique la fête de Pâques et toutes les autres fêtes à tous les Samaritains de la dispersion. On en voit quelques-uns à Gaza, à Damas et au Grand-Caire. Scaliger reçut une lettre des Samaritains de Sichem, imprimée en 1676. Ils ont encore depuis écrit à leurs prétendus frères d’Angleterre, et Ludolf fit imprimer en 1688 une lettre qu’il avait reçue d’eux.

Ceux qui voudront savoir plus à fond l’histoire, la créance, les cérémonies des Samaritains, pourront consulter les lettres dont nous avons parlé, Hottinger, Cellarius, les Heures hébraïques de Lightfoot, et la Continuation de l’Histoire de Josèphe par M. Basnage, dans tout le huitième livre, où il rapporte le précis des Chroniques des Samaritains et des ouvrages qui ont été composés à leur occasion [Nous aurions plusieurs observations à faire sur les Samaritains ou plutôt nous voudrions reproduire ici le Mémoire qu’a publié sur ce peuple, dont il ne reste plus que deux cents individus, l’illustre Sylvestre de Sacy, qui est un des derniers Européens qui soient entrés en relation avec eux ; mais nous ne pouvons qu’indiquer ce Mémoire : il se trouve dans les Annales des voyages, tome 19 et dans les Annales de philosophie chrétienne, tome 4 (Paris, 1832), où il remplit quarante-deux pages. Voyez aussi Caraïtes, Garizim, Naplouse].