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Ptolémaïde
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

[ou Ptolémaïs], ville de Phénicie, sur la Méditerranée, ayant au midi le mont Carmel et un port considérable. Son ancien nom hébreu est Acco. Voyez (Juges 1.31). Les Arabes l’appellent aujourd’hui Acca. Les Grecs lui ont donné le nom d’Akel. Nous en avons déjà parlé ci-devant sous le nom d’Acco. Les Grecs (f), qui ignoraient qu’Acco était un nom hébreu, ont dérivé Aké du verbe alceomai, qui signifie guérir, s’imaginant qu’elle avait pris ce nom de ce qu’Hercule avait été guéri en ce lieu-là d’une morsure de serpent. Le fleuve Belus ou Releus tombe dans la Méditerranée près de Ptolémaïde. Voyez Belus. Je ne trouve pas qui est le Ptolémée qui a donné son nom à Ptolémaïde. Elle devint dans la suite colonie romaine sous l’empire de Claude, et on a plusieurs médailles anciennes qui la qualifient colonie romaine. Cette ville fut assignée par Josué à la tribu d’Aser (Juges 1.31) qui n’en extermina pas les habitants. Amma ville inconnue (Josué 19.29), pourrait bien être Acco, que les copistes auront changée en Amma.

Les croisés lui donnèrent le nom de Saint-Jean d’Acre, à cause d’un temple magnifique qui était dédié à saint Jean. Cette ville était bâtie en forme triangulaire, baignée de la mer du côté de l’occident et du midi, entourée du côté de la terre ferme de deux fortes murailles, ayant environ cinquante pas de distance entre deux, et fortifiées d’un grand nombre de tours, d’espace en espace. À la première muraille vers l’orient sur la pointe était une tour plus grosse et plus forte que les autres, appelée la tour du Roi, et à l’angle du milieu était une pareille tour de tout temps nommée la tour Maudite ; aussi éprouva-t-elle la malédiction de son nom ; car ce fut par elle que les Sarrasins entrèrent dans la ville et qu’elle fut prise, ainsi qu’on l’a remarqué dans le temps. Elle fut la dernière ville que les chrétiens possédèrent en Syrie. Le sultan d’Égypte Elpy, surnommé Melle-Messor, l’ayant assiégée en 1291 avec soixante mille chevaux et cent mille hommes de pied, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem la défendirent courageusement ; mais enfin ils furent obligés de céder ; elle fut prise et presque ruinée [M. Michaud parle souvent de Ptolémaïde dans son Histoire des croisades ; après avoir raconté (loin. 1 pages 308) l’arrivée des premiers croisés devant cette cité, il dit (tome 2 pages 33 et suivants) comment elle tomba au pou, voir de Baudouin ; et, plus loin (pages 342) comment, s’étant rendue à Saladin après la bataille de Tibériade, elle fut, en 1189, assiégée par les chrétiens ; ce qui fournit à l’auteur l’occasion d’en faire la description. Ptolémaïs, dit-il, était bâtie à l’occident d’une vaste paine ; la Méditerranée baignait ses murailles ; la commodité de son port appelait les navigateurs de l’Europe et de l’Asie, et elle méritait de régner sur les mers comme la ville de Tyr qui s’élevait dans son voisinage. Du côté de la terre des fossés profonds entouraient ses murailles ; de distance en distance s’élevaient des tours formidables, parmi lesquelles on remarquait la tour Maudite, qui dominait sur la ville et sur la plaine, et la tour des Mouches, bâtie à l’entrée du port et que les voyageurs retrouvent aujourd’hui encore avec son ancien nom. Une digue de pierre fermait le port vers le midi, et se terminait par une forteresse bâtie sur une roche isolée au milieu des flots. En 1831 nous avons vu Saint-Jean d’Acre avec des murailles rebâties à neuf ; elles présentaient un état de fortification redoutable, surtout du côté de la terre ; on avait fortifié un peu moins le côté de la mer, suffisamment défendu par la difficulté du rivage. La ville actuelle occupe à peine les deux tiers de l’espace qu’elle couvrait au temps des croisades. Une population de six mille habitants vivait dans ses murs à l’époque de notre passage. La guerre d’Ibraim-Pacha en Syrie a fait de l’enceinte d’Acre un amas solitaire de débris.

La plaine de Saint-Jean d’Acre est bornée au nord par le mont Saron, que les Latins appelaient Scala Tyriorum, l’Echelle des Tyriens ; au sud, par le mont Carmel, qui s’avance dans la mer ; elle s’étend du septentrion au midi sur un espace d’environ quatre lieues. Le Bélus, que les auteurs arabes ont appelé Nahr-Alhalou (rivière d’eau douce) et que les gens du pays appellent tour à tour Nahr-El-Ramyn, Nahr-El-Kardané, traverse une partie de la plaine, et se jette dans la mer a un quart d’heure à l’est de la ville, sous la petite éminence où gisent quelques ruines nommées Akkah-El-Kharab (Acre la Ruinée). La plaine, peu boisée, est marécageuse en beaucoup d’endroits, et de ces marais s’échappent en été des exhalaisons qui corrompent l’air et répandent le germe des maladies épidémiques. À diverses distances de Saint-Jean d’Acre, au nord et au nord-est, plusieurs collines découpent la plaine. La première est celle de l’huron, appelée par les chroniqueurs musulmans la colline des Mossallins ou des Prians, et aussi Mossallaba. La seconde colline est celle que Boha Eddin nomme Aïadia, et Gauthier Vinisauf Mahaméria ; la troisième est la colline de Kisan. Les montagnes citées dans les chroniques arabes sous le nom de Karouba sont les montagnes de Saron qui partent du cap Blanc, appelé en arabe El-Mécherfi, et courent de l’ouest à l’est jusqu’aùx rives du Jourdain.

Les plaines de Ptolémaïs étaient fertiles et riantes : des bosquets, des jardins couvraient les campagnes voisines de la ville ; quelques villages s’élevaient sur le penchant des montagnes ; des maisons de plaisance étaient bâties sur les collines. Les traditions religieuses et les traditions profanes avaient donné des noms à plusieurs sites du voisinage : un tertre élevé rappelait aux voyageurs le tombeau de Memnon ; on montrait sur le Carmel les grottes d’Élie et d’Élisée, et la place où Pythagore vint adorer l’Echo. Tels étaient les lieux qui allaient être bientôt le théâtre d’une guerre sanglante et devaient voir combattre entre elles les armées de l’Europe et celles de l’Asie.

Ce fut à la fin du mois d’août 1189, le jour de la Saint-Augustin, que commença le siège de Ptolémaïs, qui dura deux ans…

Nous ne pouvons rapporter ici l’histoire de ce siège mémorable, qui remplit plus de quarante pages (344-307) de l’ouvrage de M. Michaud. Nous dirons seulement que peu de mois après l’arrivée de Philippe-Auguste, roi de France, et de Richard, roi d’Angleterre, les musulmans capitulèrent, et que ces deux monarques se partagèrent toutes les richesses qu’on trouva dans Ptolémaïs.

Vers l’an 1200, Ptolémaïs fut en partie détruite par le violent tremblement de terre qui fit croire aux peuples de la Mésopotamie, de la Syrie et de l’Égypte, que c’était celui qui doit précéder le jugement dernier.

Ptolémaïs devint « la capitale des colonies chrétiennes et la ville la plus considérable de la Syrie, » dit M. Michaud (Ibid., tome 5 pages 119). C’est ce qu’elle était quand le sultan d’Égypte, Kélaoun, la menaça, après avoir pris Tripoli, et quand Chalil, son fils et son successeur, vint l’assièger en 1290. Voici le tableau que fait de Ptolémaïs, à cette époque, l’historien des croisades : « La plupart des Francs chassés des autres villes de la Palestine s’y étaient refugiés avec leurs richesses ; c’était là qu’abordaient toutes les flottes qui venaient de l’Occident ; on y voyait les plus riches marchands de tous les pays du monde. La ville n’avait pas moins reçu d’accroissement en étendue qu’en population ; elle était construite en pierres de taille carrées ; tous les murs des maisons s’élevaient à une hauteur égale ; une plate-forme ou terrasse couvrait la plupart des édifices, des peintures ornaient l’intérieur des principales habitations, et ces habitations recevaient le jour par des fenêtres vitrées, ce qui était alors un luxe extraordinaire. Dans les places publiques, des tentures de soie ou d’une étoffe transparente garantissaient les habitants des ardeurs du soleil. Entre les deux remparts qui bornaient la ville à l’orient s’élevaient des châteaux et des palais habités par les princes et les grands ; les artisans et les marchands habitaient l’intérieur de la cité. Parmi les princes et les nobles qui avaient des habitations à Ptolémaïs on remarquait le roi de Jérusalem, ses frères et sa famille, les princes de Galilée et d’Antioche, le lieutenant du roi de France, celui du roi de Chypre, le duc de Césarée, les comtes de Tripoli et de Joppé, les seigneurs de Beirouth, de Tyr, de Tibériade, de Sidon, d’Ibelin, d’Arsur, etc. On lit dans une vieille chronique que tous ces princes et seigneurs se promenaient sur les places publiques, portant des couronnes d’or comme des rois ; leur suite nombreuse avait des vêtements éclatants d’or et de pierreries. Les jours se passaient en fêtes, en spectacles, en tournois, tandis que le port voyait s’échanger les trésors de l’Asie et de l’Occident et montrait à toute heure le tableau animé du commerce et de l’industrie.

L’histoire contemporaine déplore avec amertume la corruption de mœurs qui régnait à Ptolémaïs : la foule des étrangers y apportait les vices de toutes les nations ; la mollesse et le luxe s’étaient répandus dans toutes les classes ; le clergé lui-même n’avait pu éviter la contagion ; parmi les peuples qui habitaient la Syrie, les plus efféminés, les plus dissolus, étaient les habitants de Ptolémaïs.

Non-seulement Ptolémaïs était la plus riche des villes de la Syrie, elle passait encore pour être la place la mieux fortifiée. Saint Louis, pendant son séjour en Palestine, n’avait rien négligé pour réparer, pour accroître ses fortifications. Du côté de la terre, une double muraille, surmontée de distance en distance de hautes tours avec leurs créneaux, entourait la ville ; un fossé large et profond défendait l’accès des remparts. Du côté de la mer, la ville était défendue par une forteresse bâtie à l’entrée du port, par le château du Temple vers le midi, et par la tour appelée la tour du Roi, vers l’orient.

Ptolémaïs avait alors beaucoup plus de moyens de défense qu’à l’époque où elle soutint pendant trois ans l’attaque de toutes les forces de l’Europe. Aucune puissance n’aurait pu la réduire si elle avait eu pour habitants de véritables citoyens, et non des étrangers, des pèlerins, des marchands, toujours prêts à se transporter d’un lieu à un autre avec leurs richesses. Ceux qui représentaient le roi de Naples, les lieutenants du roi de Chypre, les Français, les Anglais, le légat du pape, le patriarche de Jérusalem, le prince d’Antioche, les trois ordres militaires, les Vénitiens, les Génois, les Pisans ; les Arméniens, les Tartares, avaient chacun leur quartier, leur juridiction, leurs tribunaux, leurs magistrats, tous indépendants les uns des autres, tous avec le droit de souveraineté.

Ces quartiers étaient comme autant de cités différentes qui n’avaient ni les mêmes coutumes, ni le même langage, ni les mêmes intérêts. Il était impossible d’établir l’ordre dans une ville où tant de souverains faisaient des lois, qui n’avait point d’administration uniforme ; où souvent le crime se trouvait poursuivi d’un côté, protégé de l’autre. Ainsi toutes les passions étaient sans frein, et donnaient lieu souvent à des scènes sanglantes : outre les querelles qui naissaient dans le pays, il n’y avait pas une division en Europe, et surtout en Italie, qui ne se fit ressentir à Ptolémaïs. Les discordes des Guelfes et des Gibelins y agitaient les esprits, et les rivalités de Venise et de Gênes y avaient fait couler des torrents de sang. Chaque nation avait des fortifications dans le quartier qu’elle habitait ; on y fortifiait jusqu’aux églises. À l’entrée de chaque place il y avait une forteresse, des portes et des chaînes de fer. Il était aisé de voir que tous ces moyens de défense avaient été employés moins pour arrêter l’ennemi que pour élever une barrière contre des voisins et des rivaux.

Les chefs de tous les quartiers, les principaux de la ville, se rassemblaient quelquefois ; mais ils s’accordaient rarement et se défiaient toujours les uns des autres ; ces sortes d’assemblées n’avaient jamais aucun plan de conduite, aucune règle fixe, surtout aucune prévoyance. La cité tout à la fois demandait des secours à l’Occident, et sollicitait une trêve auprès des musulmans. Lorsqu’on venait à conclure un traité, personne n’avait assez de puissance pour le faire respecter ; chacun au contraire était maître de le violer et d’attirer ainsi sur la ville tous les maux que cette violation pouvait entraîner.

Après la prise de Tripoli, le sultan du Caire (Kélaoun) menaça la ville de Ptolémaïs ; cependant… il céda à quelques sollicitations, et renouvela avec les habitants une trêve pour deux ans deux mois deux semaines deux jours et deux heures.

La trêve fut rompue par des fautes que les chrétiens eurent l’imprudence de commettre, et que Kélaoun ne voulut oublier à aucun prix. Comme il se disposait à partir du Caire pour venir assièger Ptolémaïs, il tomba malade, et bientôt après il mourut, en conjurant son fils de ne point lui accorder les honneurs de la sépulture avant d’avoir conquis la ville de Ptolémaïs. Chalil jura d’accomplir les dernières volontés de son père, et, bientôt il fut devant Ptolémaïs : son armée couvrait un espace de plusieurs lieues, depuis la mer jusqu’aux montagnes. Elle comptait soixante mille cavaliers et cent quarante mille fantassins. Le siège durait depuis près d’un mois, quand, le 11  mai 1291, Chalil donna le signal d’un assaut. Alors il y avait au plus douze mille hommes sous les armes pour défendre Ptolémaïs. Le combat dura toute la journée, la nuit seule força les assaillants à la retraite. Le roi de Chypre n’espérant pas que la ville pût résister, la quitta dans la nuit avec ses chevaliers et trois mille combattants. Le lendemain les musulmans donnèrent un nouvel assaut ; ils furent obligés, vers le soir, après avoir subi de notables pertes, de sonner la retraite. Lévitique 6 ils entrèrent dans la ville et furent repoussés. Enfin le 18 un nouvel assaut fut donné ; l’attaque et la défense furent beaucoup plus vives et plus opiniâtres que dans les jours précédents. Parmi ceux qui tombaient on comptait sept musulmans pour un chrétien ; mais les musulmans pouvaient réparer leurs pertes, celles des chrétiens étaient irréparables. Les grands maltres du Temple et de l’Hôpital furent mortellement blessés. Alors la déroute devint générale ; on perdit tout espoir de sauver la ville.

Les chrétiens furent obligés de céder à la multitude de leurs ennemis, dit M. Michaud (pages 140-146) ; ils se dirigèrent vers la maison du, Temple, située du côté de la mer. Ce fut alors qu’un crêpe de mort s’étendit sur toute la ville de Ptolémaïs : les musulmans s’avançaient pleins de fureur ; il n’y avait point de rue qui ne fût le théâtre du carnage ; on livrait un combat pour chaque fort, pour chaque palais, à l’entrée de chaque place, et dans tous ces combats il y eut tant d’hommes tués, qu’au rapport d’un chevalier de Saint-Jean, on marchait sur les morts comme sur un pont.

Alors, comme si le ciel irrité eût voulu donner le signal de la fin de toutes choses, un violent orage accompagné de grêle et de pluie éclata sur la ville ; l’horizon se couvrit tout à coup d’une si grande obscurité, qu’on pouvait à peine distinguer les enseignes des combattants et voir quel drapeau flottait encore sur les tours. Tous les fléaux concouraient à la désolation de Ptolémaïs. L’incendie s’alluma dans plusieurs quartiers, sans que personne s’occupât de l’éteindre : les vainqueurs ne pensaient qu’à détruire la ville, les vaincus ne songeaient qu’à fuir.

Une multitude de peuple fuyait au hasard, sans savoir où elle pourrait trouver un asile. Des familles entières se réfugiaient dans les églises, où elles étaient étouffées par les flammes ou égorgées au pied des autels : des religieuses, des vierges timides, se mêlaient à la multitude qui errait dans la ville, ou se meurtrissaient le sein et le visage pour échapper à la brutalité du vainqueur. Ce qu’il y avait de plus déplorable dans le spectacle qu’offrait alors Ptolémaïs, c’était la désertion des chefs, qui abandonnaient un peuple livré à l’excès de son désespoir. On avait vu fuir, dès le commencement du combat, Jean de Gresli et Oste de Granson, qui s’étaient à peine montrés sur les remparts pendant le siège ; beaucoup d’autres, qui avaient fait le serment de mourir, à l’aspect de cette destruction générale, ne songeaient plus qu’à sauver leur vie, et jetaient leurs armes pour précipiter leur fuite. L’histoire peut cependant opposer à ces lâches désertions quelques traits d’un véritable héroïsme. On n’a pas oublié les actions éclatantes de Guillaume de Clermont. Au milieu des ruines de Ptolémaïs, au milieu de la désolation universelle, il défiait encore l’ennemi ; cherchant à rallier quelques guerriers chrétiens, il accourut à la porte Saint-Antoine, que les templiers venaient d’abandonner ; il veut-recommencer le combat lui seul ; il traverse plusieurs fois les rangs des musulmans, et retourne sur ses pas combattant toujours ; quand il fut revenu au milieu de la cité.

On ne peut refuser des éloges au dévouement da patriarche de Jérusalem, qui pendant tout le siège, avait partagé les dangers des combattants. Lorsqu’on l’entralnait vers le port pour le dérober à la poursuite des musulmans, ce généreux vieillard se plaignait avec amertume d’être séparé de son troupeau au fort du péril ; on le força enfin de s’embarquer ; mais, comme il reçut dans son navire tous ceux qui se présentaient, le vaisseau fut submergé, et le fidèle pasteur mourut victime de sa charité.

La mer était très-orageuse, les navires ne pouvaient s’approcher de la serre. Le rivage présentait un spectacle déchirant : c’était une mère qui appelait son fils, un fils son père ; plusieurs se précipitaient de désespoir dans les flots ; la foule s’efforçait de gagner les vaisseaux à la nage, les uns se noyaient dans le trajet, les autres étaient écartés à coups de rames. On vit arriver sur le port plusieurs femmes des plus nobles familles, emportant avec elles leurs diamants et leurs effets les plus précieux ; elles promettaient aux nautoniers de devenir leurs épouses, de se livrer à eux avec toutes leurs richesses, si on les conduisait loin du péril : elles furent transportées dans lite de Chypre. On ne montrait plus de pitié que pour ceux qui avaient des trésors à donner ; ainsi, tandis que les larmes ne touchaient plus les cœurs, l’avarice tenait lieu d’humanité. Enfin les cavaliers musulmans arrivèrent sur le port ; ils poursuivirent les chrétiens jusque dans les flots : dès lors personne ne put échapper au carnage.

Cependant, au milieu de la ville livrée aux flammes, au pillage, à la barbarie du vainqueur, plusieurs forteresses restaient debout, défendues par quelques soldats chrétiens ; ces malheureux guerriers moururent les armes à ta main, sans avoir d’autres témoins de leur fin glorieuse que leurs implacables ennemis.

Le château du Temple, où s’étaient réfugiés tous les chevaliers qui avaient échappé au glaive des musulmans fut bientôt le seul lieu de la ville où l’on combattît encore. Le sultan, leur ayant accordé une capitulation, envoya trois cents musulmans pour l’exécution du traité. À peine ceux-ci furent-ils entrés dans une des principales tours, la tour du grand maître, qu’ils outragèrent les femmes qui s’y étaient réfugiées. Cette violation du droit des gens irrita à tel point les guerriers chrétiens, que tous les musulmans entrés dans la tour furent sur l’heure immolés à une trop juste vengeance. Le sultan, irrité, ordonna qu’on assiègeât les chrétiens dans leur dernier asile et qu’on les passât tous au fil de l’épée. Les chevaliers du Temple et leurs compagnons se défendirent pendant plusieurs jours : à la fin la tour du grand maître fut minée, elle s’écroula au moment où les musulmans montaient à l’assaut : ceux qui l’attaquaient et ceux qui la défendaient furent également écrasés dans sa chute ; les femmes, les enfants, les guerriers chrétiens, tout ce qui était venu chercher un refuge dans la maison du Temple, périt enseveli sous les décombres. Toutes les églises de Ptolémaïs avaient été profanées, pillées, livrées aux flammes ; le sultan ordonna que les principaux édifices, les tours et les remparts fussent démolis.

Les soldats musulmans exprimaient leur joie par de féroces clameurs ; cette joie des vainqueurs formait un horrible contraste avec la désolation des vaincus. Au milieu des scènes tumultueuses de la victoire, on entendait d’un côté les cris des femmes à qui les barbares faisaient violence dans leur camp, de l’autre les cris des petits enfants qu’on emmenait. Une multitude éperdue de fugitifs, chassés de ruine en ruine et n’ayant plus de refuge, se dirigèrent vers la tente du sultan pour implorer sa miséricorde ; Chalil distribua ces chrétiens suppliants à ses émirs, qui les firent tous massacrer. Makrizi fait monter à dix mille le nombre de ces malheureuses victimes.

Après la prise et la destruction de Ptolémaïs, le sultan envoya un de ses émirs avec un corps de troupes pour s’emparer de la ville de Tyr : cette ville, saisie d’épouvante, ouvrit ses portes sans résistance. Les vainqueurs s’emparèrent aussi de Beirouth, de Sidon, et de toutes les villes chrétiennes de la côte. Ces villes, qui n’avaient point porté de secours à Ptolémaïs et qui se croyaient protégées par une trêve, virent leur population massacrée, dispersée, tralnée en esclavage. La fureur des musulmans s’étendit jusque sur les pierres : on bouleversa jusqu’au sol qu’avaient foulé les chrétiens ; leurs maisons, leurs temples, les monuments de leur industrie, de leur piété et de leur valeur, tout fut condamné à perir avec eux par le fer ou par l’incendie.

La plupart des chroniques contemporaines attribuent de si grands désastres aux péchés des habitants de la Palestine, et ne voient dans les scènes de la destruction que l’effet de cette colère divine qui s’appesantit sur Ninive et sur Babylone…