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Moutons
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Agneaux, brebis ; c’est par abus ou par licence que nous traduisons par moutons l’Hébreu car, ou sch, et le latin agnus ; car on sait que les Hébreux ne coupaient point leurs animaux. [Voyez Castration, où j’examine cette opinion]. L’agneau ou le mouton était une victime ordinaire dans l’ancienne loi. Moïse ne manque pas, lorsqu’il parle de ces sortes de victimes, de marquer qu’il faut mettre la queue tout entière sur le feu de l’autel (Exode 29.22 Lévitique 3.9 ; 7.3 ; 8.25). C’était la partie la plus délicate et la plus estimée de cet animal. Dans l’Orient on voit des moutons dont la queue est toute graisse et pèse quelquefois jusqu’à 25 livres. Les queues de ceux de Tartarie, selon le témoignagede Jean Kinson, sont si grosses, qu’elles pèsent quelquefois 80 livres. Ceux de l’Indostan ont aussi la queue large et pesante, et la laine fort courte et fort fine. La seule queue des moutons de Madagascar pèse 15 ou 16 livres. Hérodote dit qu’on voit en Arabie deux sortes de brebis tout à fait singulières. Les unes ont la queue si longue, qu’elle peut aller jusqu’à trois coudées ; et si on la laisse traîner à terre, elle se blesse, et il s’y forme des ulcères. C’est pourquoi les bergers de ce pays-là sont instruits à faire de petits chariots qu’ils mettent sous la queue de ces brebis, et qu’elles traînent partout où elles vont. Les autres brebis ne sont pas moins extraordinaires, elles ont la queue jusqu’à deux coudées, ou trois pieds de largeur. Busbeque dans son Voyage dit qu’on en voit de cette sorte dans l’Asie Mineure.

Jacob étant en Mésopotamie occupé à paître les troupeaux de son beau-père Laban (Genèse 30.12-14), l’ange du Seigneur lui apparut, et lui dit : Levez les yeux, et voyez tous les mâles tachetés, marquetés et de diverses couleurs qui couvrent les femelles. En même temps il lui inspira un secret pour faire naître des moutons de diverses couleurs par le moyen des branches d’arbre moitié pelées ; et moitié avec leur écorce, qu’il mit sur les canaux où l’on abreuvait les brebis et les chèvres. La chose est rapportée assez au long au chapitre 30 de la Genèse, comme aussi la manière dont Laban varia et changea diverses fois la récompense qu’il avait promise à Jacob. Nous ne nous arrêtons point ici sur cela ; nous nous contentons d’examiner trois choses : la première, si l’artifice dont Jacob se servit dans cette occasion était naturel ou miraculeux ; la seconde, en quoi consistait la demande de Jacob, car le texte n’est nullement clair sur cet endroit ; la troisième, si l’artifice dont Jacob se servit est permis et légitime.

Quant à la première question, on convient que les femelles des animaux ont reçu de la nature un très-grand pouvoir pour imprimer à leurs fruits certain penchant, certain éloignement, certaine figure, certaine couleur. On a sur cela un si grand nombre d’expériences, qu’il est impossible d’en douter. Les femmes l’expérimentent tous les jours ; et on le voit aussi, surtout dans les animaux domestiques, plus exposés que les autres à recevoir des impressions des différents objets qui se présentent à leurs yeux. Les chevaux, les chiens, les chats, les pigeons, les poules, les lapins domestiques, sont souvent de différents poils ; et les petits d’ordinaire prennent la couleur de ce qui frappe vivement les yeux de la mère, au temps de la conception ; c’est ce que les anciens et les nouveaux philosophes ont remarqué ; et c’est ce que S. Jérôme et S. Augustin et la plupart des commentateurs reconnaissent après eux sur la question que nous examinons.

Il n’y a donc rien de miraculeux dans tout ce que fit Jacob ; mais il y a du miracle dans l’apparition de l’ange qui lui découvrit en songe un moyen naturel pour avoir des brebis de diverses couleurs.

Pour ce qui est de la seconde difficulté, nous croyons que Jacob demanda à Laban :

1° Tout ce qui devait naître tacheté et de diverses couleurs, tant dans les brebis que dans les chèvres ;

2° Ce qui devait naître tout noir, ou avec quelques taches blanches ; il abandonnait à Laban tout ce qui naîtrait purement blanc, tant dans les brebis que dans les chèvres.

Après cela Laban et lui séparèrent ce qui était entièrement blanc tant dans les chèvres que dans les brebis, et Laban laissa tous ces animaux sous la conduite de Jacob, dans la présomption qu’il n’en naîtrait que des agneaux ou des chevreaux d’une seule couleur : ce qui était faire la condition de Jacob la plus désavantageuse, et elle l’aurait été effectivement, s’il n’eût employé l’artifice pour suppléer à ce qui lui manquait de ce côté-là, les branches de diverses couleurs qu’il mit sur les abreuvoirs ayant fait le même effet sur les yeux des brebis et des chèvres qu’auraient pu y faire les chèvres et les brebis de diverses couleurs. Pour Laban il prit sous sa garde tous les animaux qu’on présumait devoir naturellement produire des petits de différentes couleurs.

Un second artifice de Jacob fut d’exposer les branches dont il avait ôté l’écorce, non en tout temps, ni à toutes sortes de brebis et de chèvres, mais seulement de les exposer au printemps, afin d’avoir les agneaux qui naîtraient en automne, et au contraire de laisser aller le cours ordinaire de la nature eu automne, afin que Laban eût les agneaux conçus en automne et nés au printemps. Ou, selon quelques-uns, il n’exposait ces branches qu’aux meilleures et aux plus vigoureuses bêtes de ses troupeaux, laissant les autres au cours ordinaire de la nature. De plus, on croit que quand le nombre des agneaux et des chevreaux de diverses couleurs fut assez grand, pour suppléer aux branches de diverses couleurs, il exposa en leurs places ces agneaux et ces chevreaux, qui firent le même effet qu’avaient fait les branches de peupliers ou de coudriers dépouillées de leur écorce.

Sur la troisième difficulté, on dit que Jacob usa d’une espèce de supercherie envers Laban en transigeant avec lui. Laban prit sans doute dans le sens simple et naturel les propositions que Jacob lui fit de lui céder tout ce qui naîtrait de chèvres et de brebis blanches, et de ne prendre pour lui que celles qui naîtraient noires ou de différentes couleurs, et au lieu de suivre cet esprit dans la pratique, il emploie un artifice inconnu à Laban, et duquel il ne se défiait pas, pour faire que la plus grande partie des agneaux et des chevreaux fussent pour lui. Cela paraît absolument contre la bonne foi. Il ne sert de rien de dire que Jacob a pu se faire justice contre la dureté et l’injustice de Laban, qui, depuis tant d’années, ne lui avait donné aucune récompense de tous ses travaux ; car, selon les règles de la bonne morale, nul ne se doit constituer juge en sa propre cause, ni se faire justice à soi-même. De plus dans la rigueur, qu’est-ce que Laban devait à Jacob ? Celui-ci ne s’était-il pas engagé de le servir quatorze ans pour ses deux filles ? Après ce terme, il ne tenait qu’a Jacob de se retirer. Mais la meilleure raison pour la justification de Jacob, c’est que Dieu même l’a approuvée et la lui a inspirée par son ange (Genèse 21.11-12). Ce juge infiniment juste voyait de l’injustice dans Laban, puisqu’il suggère à Jacob un moyen sûr de s’enrichir à ses dépens, sans que Laban dans la rigueur pût s’en plaindre. N’est-il pas permis à chacun d’employer l’industrie, l’art et le stratagème pour procurer ses intérêts, surtout avec des gens du caractère de Laban ?