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Grace
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet Westphal

Le nom de grâce se prend en plusieurs sens divers dans l’Écriture, qu’il est bon de marquer.

1° Grâce se prend pour la beauté, la bonne grâce, les agréments du corps. Par exemple (Psaumes 44.3) : La grâce est répandue sur vos lèvres, c’est pourquoi le Seigneur vous a aimée. Écoutez les conseils de la Sagesse, afin que votre tête soit remplie de grâce (Proverbes 2.9 ; 4.9).

2° grâce se prend pour la faveur, l’amitié (Genèse 18.3). Si j’ai trouvé grâce à vos yeux. Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur (Genèse 6.8). Dieu donna grâce à Joseph aux yeux de son maître (Genèse 39.21). Il donna grâce aux Hébreux devant les Égyptiens, afin que ceux-ci leur prêtassent des habits et des vases précieux, etc. (Exode 11.3,21).

3° grâce se met pour pardon, miséricorde ; faire grâce et miséricorde ; pardonner à quelqu’un, lui rendre ses bonnes grâces.

4.° rendre grâce, se prend pour témoigner sa reconnaissance (2 Samuel 1.6).

Le Seigneur vous rendra miséricorde et vérité, et moirménte je vous rendrai grâce ; je vous tiendrai compte de ce que vous avez fait envers Saül. Et David recommanda à son fils Salomon de rendre grâce, de témoigner de la reconnaissance de sa part, au fils de Berzellaï de Galaad (1 Rois 2.7).

5° grâce se met pour bienfait (Ecclésiaste 7.37) : Les bienfaits obligent tous les hommes. La grâce se met aussi pour la récompense. Si vous ne faites du bien qu’à vos amis, si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle grâce en espérez-vous ? (Luc 6.32-34) ? Quelle récompense en attendez-vous de la part de Dieu ?

6° La grâce se prend pour certains dons de Dieu qu’il donne gratuitement à qui il lui plaît ; mais qui ne justifient pas ceux à quiil les donne, et ne tendent pas directement leur sanctification ; et ce sont ces grâce qu’on appelle des grâces gratuitement données : tels sont les dons des miracles, de la prophétie, des langues, et tous les autre dont parle saint Paul dans la première Épître aux Corinthiens (1 Corinthiens 12.4). Ces dons sont plutôt destinés à l’utilité des autres, qu’à celle de la personne qui les possède ; quoique le bon usage qu’il en fait puisse contribuer à sa sanctification. La grâce se prend aussi pou toutes grâces justifiantes ; dont les unes tem dent à la justification, les autres justifient actuellement.

Il y a diverses sortes de grâces intérieures car on peut donner ce nom aux grâces de l’entendement, aussi bien qu’aux grâces de la volonté. Il y a des grâces habituelles et actuelles :

Les théologiens divisent les erâces intérieures actuelles en prévenantes, excitantes opérantes ; et en grâces subséquentes, aidantes et coopérantes. Mais notre dessein n’est pas d’entrer dans l’examen de toutes ces sortes de grâces ; cela regarde les théologiens.

Saint Augustin définit la grâce intérieure actuelle une inspiration de charité, qui nous fait faire par un saint amour ce que nous connaissons. Il dit aussi que la grâce de Dieu est une bénédiction de douceur, qui fait que ce que Dieu nous commande, nous plaît ; que nous le désirons, et que nous l’aimons ; et que si Dieu ne nous prévient pas par cette bénédiction, non-seulement le bien n’est pas accompli en nous, mais qu’il n’y est pas même commencé. Sans la grâce intérieure de Jésus-Christ, l’homme ne peut faire le moindre bien. Il en a besoin pour commencer, continuer, et achever tout le bien qu’il fait, ou plutôt que Dieu fait en lui et avec lui par sa grâce. La grâce de Jésus-Christ est gratuite elle ne nous est pas due : si elle nous était due, elle ne serait plus grâce ; se serait une dette (Romains 11.6). Par elle-même elle est un secours si puissant et si efficace, qu’elle surmonte la dureté du cœur le plus rebelle, sans détruire sa liberté.

Il n’y a aucune matière en théologie sur laquelle les docteurs chrétiens aient tant écrit, que sur celles qui regardent la grâce de Dieu. C’est un mystère que l’esprit de l’homme a toujours voulu développer ; mais malgré ses efforts, il est toujours obligé de reconnaître son insuffisance. La difficulté consiste à concilier la liberté de l’homme avec l’opération de la grâce, le concours de l’homme avec le secours du Tout-Puissant. Et qui peut fixer les justes bornes entre ces deux choses ? Qui peut se vanter de connaître jusqu’où s’étendent les droits de la grâce sur le cœur de l’homme, et les droits de la liberté de l’homme prévenu, éclairé, mû et attiré par la grâce ?

Quoique les livres de l’Ancien Testament s’expriment d’une manière assez claire sur la chute de l’homme, sur son impuissance au bien, sur le besoin continuel qu’il a du secours de Dieu, sur les ténèbres de son esprit, et sur les mauvais penchants de son cœur ; quoique tout cela se remarque non-seulement dans les histoires, mais aussi dans les prières dés saints et dans les écrits des prophètes ; toutefois il s’en faut beaucoup que ces vérités soient aussi développées dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau, et que les docteurs juifs soient aussi éclairés sur les matières de la grâce, que les Pères et les théologiens chrétiens et catholiques.

Les rabbins n’ont pas une connaissance distincte du péché originel : les uns le nient, et srailiennent qu’il est incompréhensible qu’un homme naisse avec le péché ; mais en même temps ils reconnaissent dans l’homme de mauvais penchants naturels ; un Figmentum malum, qui le porte au mal. Voyez l’article Péché originel.

Quant à la grâce de Jésus-Christ, il n’est pas extraordinaire qu’ils ne la connaissent pas, parce qu’ils ne reçoivent ni sa personne, ni ses dogmes, ni les livres de ses disciples ; ils ne savent pas même distinctement quelle sera la grâce que le Messie qu’ils attendent leur donnera pour effacer leurs péchés, et pour les conduire au salut. Ils croient que le Messie sera d’une sainteté parfaite, qu’il convertira les nations, et fera adorer en tout lieu le vrai Dieu ; mais ils ne reconnaissent point la satisfaction qu’il doit faire pour le péché : ils comptent beaucoup sur leurs bonnes œuvres, sur la pénitence, sur le changement de vie ; et toutefois ils avouent dans leur catéchisme qu’on ne doit pas attendre le salut de la bonté de ses œuvres, ou de la perfection de sa justice, mais que c’est la grâce qui le donne.

Mais quand on vient à l’examen de cette grâce, les uns, comme Mannonides, la réduisent presque au seul tempérament : comme Dieu, dit-il, a créé l’homme d’une stature droite, avec des pieds et des mains, aussi il lui a donné une volonté pour se mouvoir et pour agir comme bon lui semble ; et c’est la bonté du tempérament qui rend les choses faciles ou difficiles. Il dit, deplus, que la crainte de Dieu n’est point en la main du ciel ; qu’il dépend de l’homme d’observer ou de ne pas observer la loi et les préceptes ; que la crainte de Dieu est de cet ordre ; qu’elle ne dépend point de Dieu, mais de la volonté de l’homme. Enfin les Juifs admettent la liberté d’indifférence dans toute son étendue.

Il est vrai que quelques-uns d’entre eux ont reconnu unis grâce prévenante, et ont avancé que la grâce prévient les mérites des justes ; mais le fameux Menasse-Ben-Israël, qui écrivait à Amsterdam au dernier siècle, a réfuté ces docteurs qui s’éloignaient de la tradition. Il prétend que si la grâce prévenait la volonté de l’homme, elle cesserait d’être libre. Il n’établit que deux sortes de secours de la part de Dieu : l’un par lequel il lui ménage les occasions favorables pour exécuter un bon dessein qu’il a formé ; et l’autre par lequel il aide l’homme lorsqu’il commence de bien vivre. Il reconnaît qu’on a besoin du concours de la Providence pour toute action honnête, comme un homme qui veut charger sur ses épaules une charge fort pesante, appelle quelqu’un à son secours pour le soulager ; et c’est apparemment ce que voulait dire Josèphe, lorsqu’il avançait que, selon les pharisiens, le Destin aidait les hommes dans la pratique des bonnes œuvres. Sous le nom de Destin, il pouvait entendre la Providence.

Ils soutiennent qu’en admettant une grâce prévenante et efficace, on détruit tout le mérite des œuvres ; on fait Dieu auteur du péché et de la corruption ; on admet dans Dieu une injuste acception de personnes. S’il donne la grâce efficace à tous, pourquoi ne sont-ils pas tous sauvés ? Et s’il ne la donne pas à tous, où est l’égalité de sa justice ? Si l’homme ne peut faire le bien sans la grâce, peut-on lui imputer le mal qu’il fait par nécessité ? et pourquoi lui refuser un secours dont il ne peut se passer sans se perdre ?

Un autre rabbin introduit Dieu qui ouvre à l’homme le chemin de la vie et de la mort, et qui lui en donne le choix. S’il prend le chemin de la mort, Dieu ne l’abandonne pas encore entièrement ; il a placé sept anges dans ce chemin : quatre des sept sont anges de miséricorde, les trois autres sont : des anges cruels. Les premiers se tiennent à chaque porte de la perdition, et font ce qu’ils peuvent pour empêcher les hommes d’y entrer. À la première porte l’ange lui crie : Que fais-tu ! il n’y a point ici de miséricorde, tu vas le jeter dans le feu. S’il passe la première porte, le second ange l’arrête et lui dit qu’il va encourir la haine de Dieu. Le troisième le menace d’être effacé du livre de vie. Le quatrième le conjure d’attendre là, et de n’aller pas plus loin, en attendant que Dieu vienne chercher les pénitents. S’il continue, les anges cruels le saisissent et le conduisent en enfer.

Dans tout cela on ne voit qu’une grâce générale et naturelle donnée à tout le monde, les effets ordinaires de la Providence, et des secours tout extérieurs, bien différents de cet attrait intérieur qui agit immédiatement sur nos âmes, et qui nous inspire l’amour du bien et la haine du mal : en quoi consiste la grâce médecinale de Jésus-Christ reconnue dans son Église.

Les Mahométans ont sur le sujet de la grâce des sentiments qu’on ne sera pas fâché de voir ici : Mahomet, dans son Alcoran, au chapitre de Houd, ou Heber, dit que ce patriarche, parlant aux peuples d’Ad, leur dit : J’ai mis toute ma confiance en Dieu, qui est mon Seigneur et le vôtre : car il n’y a aucune créature sur la terre qu’il ne tienne entre ses mains par la touffe des cheveux de son front, pour les conduire par le droit chemin où il lui plaît. Les interprètes de ce passage tiennent que cette expression, tenir quelqu’un par la touffe des cheveux du devant de sa tête, marque qu’on est maître absolu de sa personne, sans qu’il puisse rien faire que ce qu’il plaît à celui qui le tient par cet endroit. Ils tiennent que Dieu est effectivement l’auteur et le principe de toutes les actions des créatures, et même de toutes leurs coopérations ; que c’est lui seul qui, par l’ordre de sa Providence, et par le concours des causes secondes qu’il a établies, attire chaque chose à soi, selon la capacité et les dispositions du sujet, et qu’en cela consiste l’intelligence du passage qu’on a rapporté.

Un poête arabe a exprimé l’action de Dieu sur la créature par un vers qui porte : Dieu a attiré celui qui a attiré ceux par qui vous êtes attiré vous-même, afin que tous aillent et retournent à lui. Un autre a dit sur le même sujet : Puisque tous les chemins qui se trouvent soit à droite, soit à gauche, tendent à lui, tu as beau faire : quelque chemin que tu prennes tu iras vers lui, ou pour être récompensé, si tu as pris la droite ; ou pour être puni, si tu as pris la gauche. Comme tout prend son origine de lui, il faut aussi que tout s’y termine.