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Daniel
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet Westphal Bost

Daniel (1)

Prophète du Seigneur, sorti de la race royale de David, fut mené captif à Babylone, étant encore fort jeune, la quatrième année de Joakim, roi de Juda, du monde 3398, avant Jésus-Christ 602, avant l’ère vulgaire 606. On le choisit, avec trois de ses compagnons, Ananias, Azarias et Mizael, pour demeurer dans la cour de Nabuchodonosor (Daniel 1.2-4), et on leur procura une éducation proportionnée à l’emploi auquel on les destinait. Daniel et ses compagnons firent de très-grands progrès dans toutes les sciences des Chaldéens, et ne voulurent pas se souiller, en mangeant des viandes qu’on leur servait de dessus la table du roi.

La première occasion où Daniel fit éclater sa sagesse, fut dans la délivrance de Susanne, injustement accusée, et condamnée (Daniel 13) à la mort. Il fit reconnaître son innocence, et découvrit la calomnie des vieillards qui l’avaient accusée. Voyez l’article de Susanne. Quelque temps après, Nabuchodonosor, ayant vu en songe une grande statue composée de divers métaux, qui fut mise en pièces par une pierre détachée de la montagne, voulut savoir l’explication de son songe [Lisez le chapitre 3 de Daniel, qui contient l’histoire de la vision de Nabuchodonosor. « C’est, dit M. Raoul Rochette, professeur d’archéologie, un précieux document sur les colosses des Babyloniens. Daniel, chapitre 2 raconte que Nabuchodonosor II avait vu eu rêve une statue d’une grande élévation qui avait d’or fin la poitrine, et les bras d’argent, le ventre et les cuisses d’airain, les jambes et les pieds partie de fer, partie d’argile. En mettant à part le côté symbolique et religieux de ce récit, pour ne le considérer que dans ses rapports avec l’histoire de l’art, cette vision n’a pu arriver évidemment que chez une nation où les objets qu’elle représentait étaient familiers à tous les esprits, où l’on avait sous les yeux des colosses formés de différents métaux mélangés ensemble et travaillés au repoussé. Telles sont en effet les statues colossales auxquelles la Grèce dans l’enfance a rendu ses premiers hommages : la Diane d’Éphèse, la Junon d’Argos, etc et plus tard, lorsque le progrès de la civilisation eut amené le perfectionnement de l’art, le génie de Phidias produisit son chef d’œuvre à l’aide des mêmes procédés. C’était cette sculpture polychrome qui, par le Jupiter Olympien, prosternait l’un des plus grands peuples de l’antiquité devant l’autre, et amenait, dans la personne de Paul-Emile, Rome victorieuse aux pieds du génie de la Grèce vaincue. »

Sur cet aperçu de M. Raoul Rochelle, M. de Paravey s’exprime en ces termes : « Nous croyons que le savant professeur a négligé la véritable explication de la statue allégorique vue on songe par Daniel (Sic). Les métaux divers, comme les couleurs, répondaient, dans l’antique système hiéroglyphique, à des points spéciaux de l’horizon. Le jaune ou l’or répondait au centre, ou à la tête ; le vert a l’est ; le rouge ou le cuivre au sud ; le blanc à l’ouest ; le noir ou le fer au nord.

Ainsi ces métaux divers désignaient les quatre empires principaux, par leurs positions relativement à Babylone. Encore actuellement les villes du Tunquin, toutes orientées, offrent à l’est, une porte verte ; au sud, une porte peinte en rouge ; à l’ouest, une porte blanche ; au nord, une porte noire ; et ce système allégorique qu’a entrevu M. Raoul Roebette, et qu’il a indiqué dans sou cours, mais sans s’y arrêter suffisamment, lui eût expliqué, s’il eu avait pénétré plus profondément le sens, pourquoi les quatre mers ont des noms de couleurs qui leur furent donnés, en raison de leur position géographique et de la situation qu’elles occupaient à partir de l’Assyrie comme centre.

La célèbre inscription de Sémiramis, conservée par Pollien, porte en effet que son empire s’étendait entre les quatre mers ; locution qui a été emportée aussi de Babylone en Chine, mais qui là est absurde.

Les quatre mers, que citait Sémiramis, sont le golfe Persique, ou mer Verte des Arabes, à l’est ; le golfe Arabique, ou petite mer Rouge, au sud ; la Méditerranée, que les Grecs et les Arabes nomment encore la mer Blanche, à l’ouest, et enfin, le Pont-Euxin, ou mer Noire, au nord.

Ces noms ont été ensuite étendus aux mers de la Chine, des Indes, à l’Océan Atlantique et à l’Océan Ténébreux, puisque les Arabes nomment aussi la mer de la Chine, mer Verte, et que le nom de mer Erythrée ou Rouge, est celui de la mer des Indes dans tous les anciens auteurs.

Tous ces noms supposent également l’Assyrie et la Judée comme centre, et cette conséquence, on le sent, est de la plus haute importance pour l’explication de l’histoire des Assyriens et des Chinois].

Mais comme il l’avait oublié, il prétendit que les mages lui en donneraient non-seulement l’interprétation, mais aussi qu’ils le lui rappelleraient dans la mémoire. Comme la chose leur était impossible, ils furent tous condamnés à mort. Daniel en ayant été informé, devina et expliqua le songe, et fut établi intendant de la province de Babylone, et chef de tous les mages et de tous les devins du pays [On s’est étonné que Daniel, emmené captif à Babylone, soit parvenu à cette haute position. Cet étonnement annonce, dans ceux qui le manifestent, une profonde ignorance des usages des cours orientales dans tous les temps. Aujourd’hui comme autrefois, les souverains de l’Orient s’amusent et ont des caprices. Pendant qu’ils se livrent aux plaisirs, ce sont souvent des esclaves, subitement devenus ministres, qui gouvernent l’État ; et dans ces hautes fonctions, les esclaves se succèdent suivant la volonté capricieuse des monarques, cédant ordinairement aux suggestions de quelque autre esclave on à quelque autre influence étrangère. L’histoire nous offre beaucoup d’exemples de ces révolutions de palais, et nous montra jusqu’à des nègres occupant, même dans la cour de Constantinople, les postes les plus élevés].

Une autre fois Nabuchodonosor ayant vu en songe un grand arbre (Daniel 4.1-3) qui fut abattu, coupé, et mis en pièces, mais en sorte toutefois que sa racine demeura, Daniel prédit à ce prince que bientôt il serait réduit à l’état des bêtes, et qu’il serait chassé de son palais. L’événement suivit bientôt l’explication ; et le prince fut frappé de manie, et s’imagina qu’il était devenu bœuf. Il fut sept ans dans cet état, après lesquels il remonta sur le trône, et régna comme auparavant.

Quelque temps après (Daniel 3.1-3), il fit dresser une statue d’or, et fit publier qu’aussitôt qu’on entendrait le son des instruments de musique, chacun eût à se prosterner, et à adorer la statue qu’il avait érigée. Daniel était apparemment alors absent de Babylone. Mais ses trois compagnons. Ayant désobéi à l’ordre du roi, furent jetés dans une fournaise ardente, d’où ils sortirent sains et saufs. La grandeur et l’évidence du miracle engagèrent Nabuchodonosor à donner un édit en faveur de la religion des Juifs [Voyez Ananias]. Il mourut peu de temps après (an du monde 3444), et Evilmérodach lui succéda. Daniel conserva sous ce prince tout le crédit qu’il avait eu sous le roi son père.

Balthasar succéda à Evilmérodach, et ce fut sous son règne que Daniel eut les fameuses visions des quatre animaux qui sortaient de la mer (Daniel 7), et qui désignaient quatre empires : celui des Chaldéens, celui des Perses, celui des Grecs, et celui des Romains, ou plutôt celui des Séleucides et des Lagides. Après cela, et dans la même vision, Dieu fit voir à Daniel les persécutions que le roi Antiochus Épiphane devait faire souffrir aux Juifs, la vengeance que Dieu en devait tirer, et les victoires que les Machabées devaient remporter contre lui. Dans le chapitre suivant (Daniel 8), Dieu fit voir à Daniel un bouc et un bélier qui frappaient des cornes l’un contre l’autre. Le bouc marquait Alexandre le Grand ; et le bélier, Darius Condomanus, qui fut le dernier des rois de Perse successeurs de Cyrus. Le bélier fut vaincu et le bouc devint extrêmement puissant. Le prophète décrit les successeurs d’Alexandre, surtout Antiochus Épiphane, sous la figure de quelques cornes qui s’élèvent de dessus la tête du bouc. Tout cela fut expliqué à Daniel dans la même vision par l’ange saint Gabriel.

Balthasar, roi de Chaldée [Voyez son article], ayant été tué la même nuit qu’il profana les vases sacrés du temple de Dieu (Daniel 5.1-3), Darius le Mède, son grand oncle maternel, lui succéda (Daniel 9). Ce roi, ayant établi six vingts satrapes sur les provinces de ses États (Daniel 6.1-2), éleva au-dessus d’eux Daniel ; et il pensait même à lui donner l’intendance générale de tout le royaume : ce qui ayant allumé la jalousie des autres satrapes, ils engagèrent le roi à faire un édit qui défendait à tout homme de faire aucune demande ni à Dieu, ni à aucun autre, sinon au roi. L’édit fut publié et observé par tout le peuple : mais Daniel continua à faire ses prières à trois heures réglées, dans sa chambre, tourné du côté de Jérusalem. Ses ennemis en vinrent aussitôt donner avis au roi, qui fut obligé de le faire jeter dans la fosse au lion. Le lendemain Darius vint de grand matin à la fosse, et y ayant trouvé Daniel en parfaite santé, il ordonna qu’on l’en tirât, et qu’on y jetât eu sa place ses accusateurs, avec leurs femmes et leurs enfants.

Ce fut sous le règne de ce prince que Daniel, ayant lu dans le prophète Jérémie le nombre des soixante et dix années qui devaient accomplir la désolation de Jérusalem pria instamment et jeûna, pour en recevoir l’explication. Après sa prière, l’ange Gabriel vint lui révéler une autre chose de bien plus grande importance, qui est la mort, et le sacrifice du Messie, qui devait arriver au bout de soixante et dix semaines, composées de sept années chacune, et qui toutes ensemble font la somme de quatre cent quatre-vingt-dix ans.

La troisième année de Cyrus dans la Perse, qui concourt avec la première de Darius à Babylone (556), Daniel eut encore une grande vision, dans laquelle l’ange Gabriel lui dit que Michel lui avait aidé à surmonter le roi de Perse (Daniel 10), c’est-à-dire Cyrus. Après cela, l’ange lui découvrit d’une manière presque aussi claire que s’il lui racontait une histoire, ce qui devait arriver dans la Perse après Cyrus (Daniel 11), la venue d’Alexandre le Grand, ses conquêtes, l’empire des Perses abattu, et celui des Grecs élevé ; les royaumes de Syrie et l’Égypte longtemps en guerre l’un contre l’autre ; les persécutions d’Antiochus Épiphane contre les saints ; la perte de ce prince persécuteur, et la victoire et le bonheur des saints (Daniel 12).

Après la mort de Darius le Mède, Cyrus monta sur le trône des Perses et des Mèdes (548). Daniel eut toujours beaucoup d’autorité dans ses États. C’est au temps de ce prince que nous rapportons l’histoire de Bel, et celle du Dragon qui étaient adorés par les Babyloniens. Bel était une idole de bronze, à laquelle on offrait tous les jours douze mesures de farine, quarante brebis et six grands vases de vin. On croyait que cette idole consumait tout cela, et qu’elle était animée. Daniel entreprit de désabuser le roi. Il lui dit que Bel ne mangeait point ce qu’on lui offrait, mais que d’autres le mangeaient pour lui. En effet, il y avait soixante et dix prêtres de Bel, sans compter leurs femmes et leurs enfants, qui s’en nourrissaient, et qui entraient la nuit dans le temple par des conduits souterrains, sans qu’on s’en aperçût. Daniel étant donc venu au temple avec le roi, fit mettre sur l’autel la quantité ordinaire de viande, de pain, et de vin ; et ayant fait sortir les prêtres, répandit de la cendre sur le pavé du temple ; et étant sorti, fit mettre le sceau du roi à la porte, après qu’on l’eut bien fermée.

Pendant la nuit, les prêtres se rendirent dans le temple avec leurs femmes et leurs enfants, et consumèrent tout ce qui était sur l’autel. Le lendemain au matin, le roi vint avec Daniel ; et ayant trouvé la porte bien fermée, et les sceaux en leur entier, ils ouvrirent la porte ; et le roi ayant remarqué qu’il n’y avait rien sur l’autel de tout ce qui y avait été offert la veille, s’écria : Vous êtes grand Ô Bel, et il n’y a point en vous de tromperie. Daniel commença à rire, et retenant le roi afin qu’il n’avançât pas plus avant, il lui dit : Voyez ce pavé : de qui sont ces traces de pieds ? Je vois, dit le roi, des traces de pieds d’hommes, de femmes, et de petits enfants et il entra dans une grande colère. Il fit donc arrêter les prêtres, leurs femmes et leurs enfants, et ils lui montrèrent les petites portes secrètes par où ils entraient, et venaient manger tout ce qui était servi sur la table. Le roi les fit donc mourir, et il livra à Daniel l’idole de Bel et son temple, qu’il fit renverser (Voyez Bel, mon addition, para. 5. Cette addition, empruntée du cours d’archéologie professé par M. Raoul Rochette, confirme le récit de Daniel).

Il y avait aussi dans la ville un grand Dragon que les Babyloniens adoraient. Le roi dit à Daniel : Vous ne pouvez point dire présentement que celui-ci ne soit pas un dieu. Adorez-le donc. Daniel lui répondit : J’adore le Seigneur mon Dieu : mais celui-ci n’est rien moins qu’un dieu. Que s’il vous plaît de me le permettre, je tuerai celui-ci, sans me servir ni d’épée ni de billon. Le roi le lui ayant permis, Daniel prit de la poix, de la graisse et du poil ; et ayant fait cuire tout cela ensemble, il en fit des masses qu’il jeta dans la gueule du Dragon, et le Dragon creva. Les Babyloniens, étrangement irrités de cela, vinrent trouver le roi, et lui dirent : Abandonnez-nous Daniel, ou nous vous ferons mourir avec toute votre maison. Le roi fut donc contraint de leur abandonner Daniel, et ils le jetèrent dans la fosse aux lions, où il demeura six jours. Or il y avait dans la fosse sept lions, et on leur donnait chaque jour deux corps d’hommes, avec deux brebis ; mais on ne leur en donna point alors, afin qu’ils dévorassent Daniel.

En ce temps là, le prophète. Abacuc, qui était en Judée, ayant préparé à manger pour ses moissonneurs, l’ange du Seigneur lui dit : Portez à Babylone le dîner que vous avez préparé, et le donnez à Daniel qui est dans la fosse des lions. Abacuc répondit : Je n’ai jamais été à Babylone, et je ne sais où est la fosse. Alors l’ange du Seigneur le prit par le haut de la tête, et le tenant par les cheveux, il le porta à Babylone au travers des airs ; et l’ayant mis au-dessus de la fosse, il donna à manger à Daniel ; et l’ange du Seigneur remit aussitôt Abacuc dans le lieu ou il l’avait pris.

Le septième jour, le roi vint pour pleurer Daniel ; et s’étant approché de la fosse, il y vit Daniel, qui était assis au milieu des lions. Il jeta aussitôt un grand cri, et dit : Vous êtes grand, Ô Seigneur Dieu de Daniel ; et l’ayant fait tirer de là, il y fit jeter ceux qui avaient voulu perdre ce prophète, et les lions les dévorèrent devant lui en un moment. Voilà ce que l’Écriture nous apprend de Daniel ; encore y a-t-il quelques auteurs qui tiennent qu’il y a eu deux Daniels, l’un de la famille de David, qui est le prophète dont nous parlons ici ; et l’autre de la tribu de Lévi, et de la famille d’Ithamar, à qui l’on attribue, l’histoire de la délivrance de Susanne, et celle de la mort du Dragon et de la destruction du temple de Bel. Mais on n’a aucune preuve solide de cette distinction des deux Daniels.

La réputation de Daniel était si grande, même pendant sa vie, qu’elle était comme passée en proverbe (Ézéchiel 28.5). Vous êtes plus sage que Daniel, disait avec ironie Ézéchiel au roi de Tyr ; et dans un autre endroit, dans le même prophète (Ézéchiel 14.14-20), Dieu dit : S’il se trouve au milieu d’une ville trois hommes du mérite de Noé, de Daniel, et de Job, ils garantiront leurs âmes du péril. Josèphe dit qu’il fut comblé des bienfaits de Dieu, et qu’il fut élevé au rang des plus grands prophètes. Il jouit de la faveur des princes et de l’affection des peuples pendant sa vie ; et après sa mort, il eut pour partage une réputation immortelle. Quelques Juifs ont voulu autrefois exclure Daniel du rang des prophètes. Mais leur chagrin contre ce prophète ne vient que de ce qu’il est trop clair, et trop exprès pour Jésus-Christ, et qu’il marque trop expressément le temps de sa venue.

On croit que Daniel mourut dans la Chaldée, et qu’il ne profita pas de la permission donnée par Cyrus à tous les Juifs de s’en retourner dans leur pays. Les grands emplois qu’il possédait dans l’empire des Perses le retinrent parmi eux. Saint Épiphane dit qu’il mourut à Babylone, ce qui est suivi par la plupart des historiens. D’autres croient qu’il mourut à Suse, où il passa une bonne partie de sa vie, et où il eut plusieurs de ses visions. Benjamin de Tudèle raconte qu’on lui montra son tombeau à Chuzestan, qui est l’ancienne Suse. Josèphe dit que, de son temps, on voyait encore à Ecbatane, capitale de Médie, une tour d’une structure admirable, que l’on disait avoir été bâtie par Daniel. Les rois de Perse et de Médie s’y faisaient enterrer, et on en confiait la garde à un prêtre de la race des Juifs.

Parmi les écrits de Daniel, il y a des pièces qui ont toujours constamment passé pour canoniques ; d’autres qui ont été contestées fort longtemps. Tout ce qui est écrit en hébreu, ou en chaldéen (car il y a quelques pièces de chaldéen mêlées avec l’hébreu), tout cela est généralement reconnu pour canonique, tant chez les Juifs que chez les chrétiens. Mais ce qui ne se trouve qu’en grec, a souffert de grandes contradictions, et n’a proprement été reçu pour canonique que depuis la décision du concile de Trente. Du temps de saint Jérôme, les Juifs étaient partagés sur cela : les uns admettaient toute l’histoire de Susanne ; d’autres la rejetaient tout entière ; les uns en recevaient une partie, et en rejetaient une autre. Josèphe l’historien n’a rien dit de l’histoire de Susanne, ni de celle de Bel et du Dragon. Mais Joseph Ben-Gorion, auteur juif qui a écrit en hébreu, rapporte tout au long ce qui regarde Bel et le Dragon, et ne dit rien de l’histoire de Susanne. On peut voir tout ce qui regarde la canonicité de ces endroits, traité plus au long dans notre préface sur Daniel.

Les douze premiers chapitres de Daniel sont partie en hébreu, partie en chaldéen ; les deux derniers sont en grec. Il parle hébreu, lorsqu’il récite simplement ; mais il rapporte en chaldéen les entretiens qu’il a eus en cette langue avec les mages, et les rois Nabuchodonosor, Balthasar, et Darius le Mède (Daniel 2.4-49 ; 3 ; 5 ; 6 ; 8). Il rapporte dans la même langue l’édit que Nabuchodonosor donna après que Daniel eut expliqué le songe qu’il avait eu d’une grande statue d’or. Cela fait voir l’extrême exactitude de ce prophète, qui rapporte jusqu’aux propres paroles des personnages qu’il fait parler. Le chapitre 3 verset 24 et suivants, jusqu’au quatre-vingt-dixième, sont en grec, aussi bien que les deux derniers chapitres ; et c’est une grande question parmi les critiques, de savoir s’ils ont jamais été écrits en hébreu. La version grecque que nous avons de tout Daniel, est de Théodolion, celle des Septante est perdue il y a très-longtemps.

Porphyre prétendait que les prophéties que nous avons sous le nom de Daniel, lui étaient faussement attribuées ; que cet ouvrage était d’un imposteur, qui vivait en Judée du temps d’Antiochus Épiphane, lequel, pour se concilier du crédit, avait contrefait l’inspiré, et avait fait en style prophétique le récit des choses qu’il voyait de ses yeux et qui se passaient de son temps. Que s’il a avancé quelque chose au delà du temps d’Épiphane, il l’a fait au hasard, et contre la vérité. Ce célèbre ennemi de notre religion avait remarqué tant de clarté dans les prophéties de Daniel, qu’il les prit pour des histoires. Mais que Daniel ait vécu à Babylone longtemps avant Antiochus Épiphane, et qu’il y ait écrit les prophéties que nous avons sous son nom, c’est ce que l’on ne peut raisonnablement contester. On peut voir la préface de saint Jérôme sur Daniel, et notre préface sur le même prophète.

Voici comme nous arrangeons la chronologie de Daniel : il fut mené à Babylone l’an du monde 3398, âgé peut-être de douze ans. L’histoire de Susanne peut être arrivée en 3401. Le songe de Nabuchodonosor, d’une grande statue d’or, en 3402. Le songe qu’eut le même prince, d’un grand arbre qui fut coupé jusqu’à la racine, en 3434. L’année suivante Nabuchodonosor tombe dans la manie, et croit être devenu bœuf. Il remonte sur le trône en 3443. La même année peut être arrivée l’histoire de la statue d’or érigée par ce prince. Daniel eut la vision des quatre bêtes au commencement du règne de Balthasar, en 3446. Deux ans après, c’est-à-dire en 3448, il eut celle du bélier et du bouc, qui frappent des cornes l’un contre l’autre. Nous mettons en 3449, au commencement de Darius le Mède, les visions de Daniel rapportées aux chapitres 9, 10, 11 et 12 de sa prophétie. Enfin, l’histoire de Bel et du Dragon arriva sous le règne de Cyrus, vers l’an 3468. Le temps de la mort de Daniel est inconnu.

Les rabbins, chagrins contre Daniel, apparemment parce que ses prophéties sont trop claires pour prouver que Jésus-Christ est le vrai Messie, et que le temps de la venue du Désiré des nations est arrivé, soutiennent qu’il ne doit pas être mis au rang des prophète pour deux raisons : la première, parce qu’il n’a pas vécu dans la Terre Sainte, hors de laquelle ne réside pas l’esprit de prophétie ; la seconde, parce qu’il a passé sa vie à la cour d’un grand roi, dans les honneurs et dans une vie de délices fort différente de la vie des autres prophètes. Quelques-uns ajoutent qu’il avait été eunuque, suivant cette parole d’Isaïe à Ézéchias (2 Rois 20.18) : Ils prendront les enfants de votre maison, et en feront des eunuques qui serviront dans le palais des rois de Babylone. Or la loi exclut de l’Église, ou de l’assemblée du Seigneur, toutes sortes d’eunuques (Deutéronome 23.1).

Il est vrai qu’Abénezra et la plupart des rabbins le purgent de ce dernier défaut ; mais les autres accusations subsistent, et plusieurs se contentent de mettre ses écrits au rang des hagiographes, qui sont d’une bien moindre autorité que les Écritures canoniques. Ils ajoutent encore un autre trait malin coutre ce prophète : Ils prétendent que, pendant que ses trois compagnons Sidrac, Mizac, et Abdénago (Daniel 3), résistaient aux ordres impies du roi de Babylone, et qu’ils furent jetés dans la fournaise ardente, Daniel était allé en Égypte. Quoi faire ? Chercher des cochons, qu’il tira furtivement et adroitement de ce pays. Mais Josèphe rend témoignage au grand mérite de Daniel. Le prophète Ézéchiel (Ézéchiel 14.14 ; 28.3) le loue comme un des plus illustres personnages de son temps, et Jésus-Christ, dans l’Évangile (Matthieu 24.15), le reconnaît clairement pour vrai prophète.

Quelques-uns ont cru que Daniel était revenu en Judée avec Esdras ; et les Orientaux enseignent que ce fut Bahaman, fils d’Asfendias, roi de Perse, qui le renvoya. Ils ajoutent qu’il revint en Perse, et qu’il mourut dans la ville de Suse. Josèphe raconte que Daniel avait bâti dans la ville d’Ecbatane un édifice fameux en forme de château, qui subsistait encore du temps de cet historien, et qui était si admirablement construit, qu’il semblait ne venir que d’être achevé, tant il conservait son premier éclat. C’était dans ce palais que les rois de Perse avaient choisi leur sépulture, et en considération de son fondateur, la garde en était encore de son temps commise à un homme de la nation des Juifs.

D’autres croient qu’il demeura à Babylone, ou à Suse, et qu’il ne revint jamais en Judée ; son grand âge, ses emplois, et le besoin que ses frères avaient do sa protection dans le lieu de leur captivité, le dispensèrent apparemment de s’en retourner dans sa patrie. Il y en eut une infinité d’autres qui ne jugèrent pas à propos de quitter la Chaldée, où ils vivaient en repos ; et où ils avaient leurs établissements, pour en aller chercher d’incertains dans un pays presque réduit en solitude.

Quelques Orientaux attribuent à Daniel l’invention de la géomancie, qu’ils appellent Reml. D’autres l’attribuent à Edris, qui est le même que le patriarche Énoch. Cette géomancie consiste à marquer plusieurs points sur des tables préparées à cet effet, qu’ils appellent Rand. Ces points, ainsi disposés en un certain nombre sur plusieurs lignes inégales, se peuvent aussi décrire avec la plume sur le papier ; et celui qui devine par le moyen de cet art, se nomme Rammal.

Ils attribuent aussi à Daniel un volume qui a pour titre : Principes de l’explication des songes ; et on trouve dans la Bibliothèque du roi, n° 410, un autre livre intitulé : Odnzathal-mantoul an Danial al-Nabi, qui contient les prédictions reçues par tradition du prophète Daniel. C’est un ouvrage plein de faussetés, que les mahométans ont fabriqué sur le fondement des véritables prophéties de Daniel. Ils tiennent de plus que ce prophète prêcha la foi de l’unité d’un Dieu dans toute la Chaldée, et qu’il convertit le roi de Perse Lohorasb et Cyrus ; que ce dernier donna à Daniel le gouvernement de la Syrie, et la possession de la ville de Damas [« Daniel, dit un écrivain protestant, a été pendant la captivité le représentant du peuple juif auprès des maîtres de l’Asie. Cette réflexion explique sa vie entière. Pour remplir cette mission, il fallait non pas seulement un homme de génie, mais un prophète. Dans tous les temps on a vu dans L’Orient des captifs faits à la guerre, des esclaves achetés sur un marché, s’élever, à force de talents, de bonheur ou d’intrigues, aux premières fonctions de l’État. L’élévation de Daniel, comme celle de Néhémie, est donc tout à fait dans les mœurs de ces contrées ; mais ces créatures des rois tombent avec celui qui les élève, et souvent leur sang coule sur sa tombe. Il fallait donc un prophète, pour que son crédit pût durer sous plusieurs règnes différents, survivre à toutes ces révolutions de cour et de gouvernement, renaître toujours à propos et défendre la vraie religion au milieu de l’idolâtrie. Aussi les exemples, les prodiges, les oracles de Daniel ont-ils eu pour but de soutenir le courage et l’espoir des Juifs ; la captivité ne devait pas interrompre la révélation.

On a vu que la protection divine couvre Daniel dès son jeune âge ; sa mission a commencé en quelque sorte dès son arrivée à Babylone, par le succès de ses abstinences…Ces docteurs, dont Daniel devint le chef, étaient divisés en écoles, et sous les noms divers de chaldéens, de mages, d’astrologues, de devins, remplissaient l’Asie. Ils étaient en possession de toute la science de ce temps, où quelques vérités, quelques calculs, quelques découvertes se mêlaient à beaucoup de préjugés et d’erreurs. L’astronomie, cultivée de temps immémorial en Orient, était leur étude favorite… L’influence que Daniel a exercée sur eux doit avoir été très-grande, quoique nous manquions de données suffisantes sur ce sujet. L’arrivée des mages en Judée sous Hérode nous semble en être une trace non équivoque…

On a accusé d’ostentation la piété de Daniel, priant presque en public. Il nous semble que le soupçon n’est pas fondé. C’était une de ces occasions où l’on doit se déclarer. Il faut se rappeler que l’édit de Darius n’exceptait personne : Vers qui les Juifs alors, ceux surtout de Babylone, pouvaient-ils tourner les yeux, si ce n’était vers le prophète ? Daniel, dans ce moment, leur devait son exemple, et qui sait combien son courage a empêché ses concitoyens d’obéir à l’impie décret ?

Il n’est pas absolument impossible qu’un homme passe une nuit dans une fosse avec des lions, sans être dévoré. La férocité n’entre pas dans l’instinct de cet animal, et quand sa faim est apaisée, il dort au lieu de déchirer. Toutefois, il est évident qu’on doit voir ici une dispensation particulière de la Providence, et jamais miracle n’a été plus nécessaire. Quel triomphe pour tout le paganisme de l’Asie, quel coup terrible porté à la foi des Juifs, si un homme tel que Daniel avait péri pour avoir refusé de prier Darius, ou cessé pendant trente jours de prier Dieu !

Une grande conformité de style et d’images existe entre Daniel et Ézéchiel, son contemporain. C’est que tous deux ont écrit dans les mêmes lieux, et l’on reconnaît dans leurs livres ces emblèmes longs et compliqués, qui forment un trait si remarquable de la littérature orientale. Ce goût du terroir, si l’on peut ainsi parler, inimitable par les étrangers, est une forte preuve de l’authenticité de ces écrits.

Les historiens et les chronologistes sont fort embarrassés quand il s’agit de l’histoire des Juifs et de celle des Babyloniens dans la période embrassée par le livre de Daniel. Il a été lu sur ce sujet, le 18 mai 1843, à l’Académie de la Religion catholique à Rome, une Dissertation très-intéressante et qui paraît résoudre les difficultés. Elle a pour titre : Essai sur la concordance de l’histoire et de la chronologie profane avec le livre de Daniel, traduite en français et insérée dans les Annal de philos chrét., tome 29].

Daniel (2)

Fils de David et d’Abigaïl (1 Chroniques 3.1). [il se nommait aussi Chéléab (2 Rois 3.3)

Daniel (3)

De la famille d’Ithamar, revint de la captivité de Babylone (Esdras 8.2).[Il est vraisemblablement le même qu’un prêtre de ce nom qui, au temps de Néhémie, fut de ceux qui signèrent l’alliance (Néhémie 10.6)]