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Demon
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet Bost

Ou Daemon, vient du Grec Daimon, qui signifie savant, connaissant. On donne le noms de démons, ou doemones, tant en grec qu’en latin, aux bons et aux mauvais anges, mais bien plus communément aux mauvais anges. En français, ce terme est borné aux seuls mauvais esprits. Les Hébreux ont exprimé le nom de démon par ceux de Serpent, de Satan (Sathan), ou Tentateur ; de Seddim (Vastatores), ou destructeurs ; de Sehirim (Hirsuti), boucs, ou velus ; et, dans les livres écrits en grec, par ceux de Doemones, ou Diabolus, c’est-à-dire, calomniateurs, ou esprits impurs, ou autres semblables. Le prince des démons est nommé Béelsébub, Sammael, Asmodée, Bélial, Satan, Dragon, Ange exterminateur, Prince des puissances de l’air.

Plusieurs anciens Pères, trompés par le livre apocryphe d’Énoch, auquel ils attribuaient une grande autorité, et par des passages des Septante (Genèse 6.2), où il est dit que les enfants de Dieu, voyant les filles des hommes qui étaient belles, prirent parmi elles des femmes, d’où sont sortis les Géants ; plusieurs anciens Pères, dis-je, ont attribué aux anges et aux démons certains corps subtils, et certaines passions qui ne peuvent convenir qu’à des substances matérielles. Mais le sentiment de l’Église, suivi communément par les Pères, est que les bons comme les mauvais anges sont tous des esprits dégagés de la matière, qu’ils furent tous créés en même temps, et dans le même degré de grâce ; mais que les uns ayant abandonné leur rang, et étant tombés dans l’orgueil, furent précipités dans l’enfer (Jude 1.6) et les autres étant demeurés fidèles à leur Créateur, furent confirmés dans la grâce, et établis dans une gloire éternelle.

Les rabbins sont partagés sur la nature et sur l’origine des démons. Les uns soutiennent qu’ils sont spirituels, Dieu n’ayant pas eu le loisir de leur donner des corps, parce qua le sabbat commença dans le moment qu’il allait leur en former. D’autres prétendent qu’ils sont corporels, distingués entre eux par la différence des sexes, capables de se multiplier par la génération, et sujets à la mort. Quelques-uns enseignent qu’ils sont nés de la conjonction de Sainmael, prince des démons, avec Ève, avant qu’Adam la connût. Quelques autres leur donnent Adam pour père, et Lilith pour mère. Ils disent qu’Adam, ayant été chassé du paradis, demeura cent trente ans dans l’excommunication ; et que, pendant tout ce temps, les anges mâles s’approchaient d’Ève, et engendraient des démons. Adam, de son côté, s’approchait des démons femelles, et engendrait aussi des démons. Ce ne fut qu’après ces cent trente ans de pénitence, qu’Adam commença à avoir des enfants de sa femme, à son image et à sa ressemblance.

Quelques docteurs Juifs enseignent qu’après la création d’Adam, Dieu fit descen dre deux anges pour le suivre en tout lieu ; l’un était à sa gauche et l’autre à sa droite. Après le péché, l’ange de la gauche engendra d’autres esprits qui peuplèrent l’air, et sont employés à fouetter ou à affliger les hommes. Ils croient de plus que les âmes des damnés se changent pour quelque temps en démons pour aller tourmenter les hommes ; qu’ils visitent leurs tombeaux, et vont voir les vers qui rongent leurs propres cadavres, ce qui les remplit de douleur ; et qu’après cela ils retournent dans les enfers. Ces démons ont trois avantages qui leur sont communs avec les anges : ils savent l’avenir, ils ont des ailes pour s’élever eu l’air, ils volent en un moment du bout du monde à l’autre. Ils ont aussi trois imperfections qui leur sont communes avec les hommes : ils engendrent et se multiplient ; ils boivent et mangent, et enfin ils sont sujets à la mort.

Les Juifs nous représentent les mauvais anges à la gauche du trône de Dieu pour recevoir ses ordres, pendant que les bons anges sont à sa droite pour exécuter ses volontés. Ils paraissent avoir pris ce sentiment de ce qui est dit dans le troisième livre des Rois (1 Rois 22.19-21) : J’ai vu le Seigneur assis sur son trône, et toute l’armée du ciel debout autour de lui, à droite et à gauche ; et le Seigneur e dit : Qui trompera Achab ? Et un esprit se présenta, et dit : Je le tromperai. Et le Seigneur répondit : En quoi le tromperas-tu ? J’irai, lui dit-il, et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Dans l’Évangile (Matthieu 25.41) on nous représente aussi les démons et les réprouvés à la gauche du souverain Juge. [Voyez Job, note sur l’endroit où il est dit que les enfants de Dieu et Satan parurent devant le Seigneur].

D’autres docteurs disent que les âmes des hommes se retirent du corps pendant le sommeil ; et que les démons, profitant de leur absence, s’insinuent dans le corps pour y causer quelque souillure. De là vient que tous les matins les Juifs ont grand soin de se laver, et rendent grâces au Seigneur de ce qu’il a daigné restituer leur âme à son corps. Béni soyez-vous, Seigneur, de ce que vous restituez les âmes à leurs cadavres. Ils regardent le sommeil comme une mort, parce qu’en effet, l’âme ne donne alors aucune marque de sa présence, que ses facultés sont comme anéanties ; et ils croient que le démon se sert de ce temps d’inaction pour causer dans les corps des impressions capables d’en altérer la pureté.

L’Écriture nous apprend que le péché est entré dans le monde par la jalousie du démon (Sagesse 2.25). Voici comme les rabbins expliquent ce grand événement : Dieu, s’entretenant un jour avec les anges, remarqua que la jalousie s’était emparée de leur esprit : à l’occasion de l’homme. Ils soutinrent que l’homme n’était que vanité, et que mal-à-propos il lui avait donné un si grand empire sur les créatures. Dieu soutint la dignité de son ouvrage par deux raisons : la première, parce que l’homme était destiné à le louer sur la terre, comme les anges font au ciel ; et la seconde, parce qu’Adam savait les noms de toutes les créatures, en quoi il était supérieur aux anges, qui ne le savaient pas. Sammael, chef des esprits révoltés, résolutt de faire perdre à l’homme les plus belles de ses prérogatives. Il descendit sur la terre, et ayant remarqué que le serpent était le plus rusé et le plus subtil de tous les animaux, il s’en servit pour tenter Ève, et pour lui inspirer des sentiments d’orgueil et d’indépendance. Ève fut séduite, et Adam eut la complaisance d’imiter la vanité et la désobéissance de sa femme. Ou voit ici que les Juifs donnent au chef des démons le nom de Sammael, comme nous lui donnons celui de Lucifer. Ils ajoutent que Sammael vint tenter Ève monté sur le serpent, qu’il la corrompit et en abusa, et qu’elle en conçut et enfanta Caïn.

Il est remarquable que, dans les livres de l’Ancien Testament écrits en hébreu, et avant la captivité de Babylone, nous ne lisons le nom d’aucun mauvais esprit mais seulement des noms généraux, qui désignent le premier des démons, ou les démons, ses suppôts. On y lit Satan : mais ce terme est un nom générique, qui signifie accusateur ou calomniateur, et qui a assez de rapport au grec diabolos, qui signifie la même chose. Tobie nous a appris le nom d’Asmodée, et dans l’Évangile nous lisons Béel-sébub, prince des démons. Le livre apocryphe d’Énoch est plein de noms d’anges et de démons ; mais ce livre n’est pas bien ancien : il ne parait pas qu’il ait été connu par les anciens Juifs. Saint Jude est le premier qui l’ait cité.

Voici le précis de ce fameux ouvrage : Les filles des hommes s’étant multipliées, les Egregori, ou les Veillants (c’est ainsi que les Chaldéens nommaient les anges) dirent entre eux : Prenons des femmes parmi les filles des hommes. Ils étaient au nombre de deux cents, et Sémexias, ou Sémiexas était à leur tête avec dix-neuf autres ; savoir : 2 Lotarenph, 3 Aracié, 4 Chahabiel, 5 Orammanes, 6 Ramiel, 7 Sapsic, 8 Zaciel, 9 Balciel, 10 Azalzel, 11 Pharmarus, 12 Amariel, 13 Anagemas, 14. Thausael, 15 Samiel, 16 Sarinas, 17 Eremiel, 18 Tyriel, 19 Sariel. Ils s’engagèrent par serment à faire tout ce qu’ils verraient faire à Sémexias leur chef. Ils prirent donc des femmes parmi les filles des hommes, et se souillèrent par toutes sortes d’ordures. Or, de ces mariages sortirent les géants, dont toute l’antiquité a tant parlé.

Azalzel, le dixième de ces mauvais anges, enseigna aux hommes l’art de fabriquer des armes, de fondre des métaux, pour en faire de la monnaie montra de plus aux femmes l’art d’employer les fards et les ornements. Sémexias apprit aussi aux Géants à employer leur force, et à remuer leur passion. Pharmarus leur montra la vertu des simples et la force des poisons, des enchantements, des fascinations, et les moyens de rendre tout cela inutile, lorsqu’ils voudraient en empêcher les effets. Balciel enseigna aux hommes l’astronomie ; Chababiel, l’astrologie ; Zaciel, la divination par les signes de l’air ; Arasiel, les signes de la terre ; Sapsic, ceux de la lune. Telles furent les inventions que les anges rebelles enseignèrent à leurs femmes et à leurs enfants ; et de là ce déluge de maux et de désordres qui se répandirent sur, la terre, et qui y attirèrent les derniers effets de la justice de Dieu.

Les bons anges, chefs de l’armée du ciel, Michel, Gabriel, Raphael et Uriel, informés des désordres que les révoltés avaient commis dans le monde, en portèrent leurs plaintes au Tout-Puissant, qui leur donna ses ordres pour en arrêter les progrès : Allez, dit-il, à Uriel, allez vers Noé, fils de Lamech, et dites-lui de se cacher pour un temps ; car je dois envoyer sur la terre un déluge qui fera périr tout ce qui se trouvera sur sa superficie ; instruisez-le de ce qu’il aura à faire pour se garantir de ce malheur, afin qu’il devienne père d’une race nouvelle.

Le Seigneur dit ensuite à Raphael : Allez, liez Azalzel, chargez-le de chaînes et le jetez dans les ténèbres ; ouvrez le plus profond du désert de Dudail, et jetez-y ce méchant ; amassez sur lui un tas de pierres brutes, couvrez-le de ténèbres, qu’il ne voie point la lumière ; et, au jour du jugement, il sera jeté dans le feu. Réparez le mal que les Veillants ont causé sur la terre, par le mystère d’iniquité qu’ils ont enseigné à leurs femmes et à leurs enfants.

Après cela, le Seigneur dit à Gabriel de marcher contre les géants fils des Veillants, de les mettre aux mains les uns contre les autres, afin qu’ils s’entretuent et qu’il n’en demeure aucun sur la terre.

Enfin il ordonna à Michel de lier Sémexias et les autres qui lui étaient attachés, et que lorsqu’ils auront été témoins de la mort violente des géants leurs fils, ils demeurent enchaînés dans les bois pendant soixante-dix générations, jusqu’au jour du jugement dernier ; alors ils seront précipités dans le chaos éternel, dans le feu qui ne s’éteindra jamais. Pour les hommes qui auront imité leurs dérèglements, et qui auront mérité la condamnation, ils seront précipités avec eux dans ces ténébreuses prisons.

Selon le récit de ce fameux ouvrage, ce n’est qu’assez longtemps après la création du monde que les mauvais anges se sont révoltés contre Dieu, à l’occasion de leur mariage avec les filles des hommes ; qu’ils sont corporels, capables de passions honteuses, et d’engendrer des hommes, et qu’ils sont à présent enchaînés dans les déserts ou dans les forêts, en attendant qu’ils soient précipités dans l’enfer au jour du jugement.

L’autorité que plusieurs anciens ont donnée à ce faux livre d’Énoch, est cause que l’on rencontre plusieurs de ces sentiments répandus dans leurs écrits. Lactance, par exemple, a cru qu’il y avait deux sortes de démons : les uns célestes, et les autres terrestres. Les démons célestes sont les anges prévaricateurs qui, ayant été séduits par le prince des diables, se sont engagés dans des amours impures. Les terrestres, sont ceux qui sont sortis des premiers, comme les enfants de leurs pères. Ces derniers, qui ne sont ni anges ni hommes, mais qui tiennent le milieu entre ces deux natures, n’ont point été précipités dans l’enfer, comme leurs pères n’ont point été reçus dans le ciel. Les anges terrestres sont les esprits impurs, auteurs de tous les maux qui se commettent sur la terre.

D’autres Pères ont cru que Dieu pour punir la rébellion des mauvais anges, les avait revêtus de corps aériens. Saint Jérôme dit que c’est là une des erreurs d’Origène. Saint Augustin paraît dans le même sentiment ; il dit que les anges rebelles avant leur péché, avaient des corps célestes et spirituels, mais que depuis leur chute, ils sont revêtus de corps aériens, qui les rendent capables de ressentir les impressions du feu. Fauste de Riez avait avancé la même chose dans une épître que Claudien Mainmert a réfutée. Les Grecs, dans le concile de Florence, soutinrent que les anges prévaricateurs, de spirituels qu’ils étaient avant leur chute, étaient devenus en quelque sorte matériels et charnels ; d’où vient leur inclination pour les corps, comme on le voit dans ceux qui sont possédés et dans cette légion de démons qui demanda d’entrer dans des pourceaux (Matthieu 8.28-30).

On remarque, dans les auteurs qui ont écrit sur la chute des anges, trois opinions diverses. Les uns en ont attribué la cause à leur orgueil et à leur vaine présomption ; les autres, à leur jalousie contre l’homme ; et les troisièmes, à leur amour déréglé pour les femmes ; plusieurs joignent les deux premières causes, je veux dire, l’orgueil et la vaine complaisance de Lucifer dans ses perfections, dont il ne rapporta point la gloire à Dieu ; et la jalousie qu’il conçut contre l’homme qu’il voyait comme un Petit Dieu, établi sur les ouvrages du Seigneur. Ce dernier sentiment est presque le seul reçu aujourd’hui dans l’Église : celui que nous avons vu dans le livre d’Énoch qui attribue leur chute à leur amour déréglé pour les femmes, est absolument abandonné par les théologiens.

Plusieurs anciens ont attribué à chaque homme un mauvais ange qui lui tend continuellement des pièges et le porte au mal, comme son bon ange le porte au bien ; opinion qu’ils avaient apparemment puisée dans le livre du Pasteur. Les Juifs sont encore aujourd’hui dans ces sentiments, et on remarque. Les mêmes principes dans quelques anciens philosophes. Origène croit que chaque vice a son mauvais ange qui y préside : démon d’avarice, démon de fornication, démon de superbe. L’Église demande pour les fidèles d’être délivrés du démon de fornication. On voit dans l’Évangile qu’on attribuait au démon la plupart des incommodités et des maladies. Nous y voyons un esprit muet, ou un démon qui rendait l’homme muet (Matthieu 9.32-33). Saint Luc parle d’une femme qui avait un esprit de maladie (Luc 13.11-16), quoe habebat spiritum infirmitatis, et que Satan tenait liée depuis dix-huit ans (Apocalypse 20.1-3).

Nous tenons communément que les démons sont dans l’enfer, où ils souffrent la peine de leur révolte, et où ils exercent la justice vengeresse de Dieu sur les pécheurs. Saint Jean, dans l’Apocalypse (Apocalypse 20.1-3), dit que Dieu envoya un ange du ciel ayant la clef de l’abîme, et une grande chaîne dans sa main ; qu’il saisit le dragon, l’ancien serpent, qui est le diable et satan ; il le lia, le jeta dans l’abîme, ferma la porte sur lui et la scella pour mille ans. Mais les anciens Pères avaient sur cela d’autres sentiments ; ils plaçaient les démons dans l’air ; et saint Jérôme dit que c’est le sentiment commun de tous les docteurs de l’Église, que l’air, qui est entre le ciel et la terre, est tout rempli de mauvais esprits. Saint Augustin croit qu’ils sont tombés de la plus haute et de la plus pure région de l’air, dans celle qui est plus près de la terre, laquelle n’est que ténèbres en comparaison de la sérénité et de la clarté de celle dont ils sont déchus.

Saint Chrysostome a cru que les démons n’ont pas perdu, après leur péché, l’empire que Dieu leur avait donné sur l’air. Mais d’autres Pères soutiennent que s’ils sont dans l’air, c’est pour y souffrir la peine de leurs crimes, en attendant le jour du jugement où ils doivent être précipités dans l’enfer. Plusieurs anciens expliquent même de la basse région de l’air, où ils supposent que les démons sont relégués, ce que les apôtres saint Pierre (1pi 2.4) et saint Jude (Jude 1.6). nous apprennent touchant l’état présent des démons. Ces apôtres nous les représentent enchaînés par des chaînes de fer et précipités dans le Tartare : Rudentibus inferni detraclos in Tartarum tradidit cruciandos ; mais plusieurs Pères l’entendent de l’air inférieur, qui, au regard du ciel, doit être considéré comme un abîme et un lieu ténébreux, une prison, un noir cachot.

La demande, que font les démons à Jésus-Christ, de ne les pas envoyer dans l’abîme, mais de leur permettre d’entrer dans le corps d’un troupeau de porcs (Matthieu 8.29 Luc 8.31), insinue que ces mauvais esprits trouvaient quelque rafraîchissement sur la terre ; et la plainte qu’ils font que le Sauveur était venu les tourmenter avant le temps, fait croire que le temps de leur supplice n’était pas encore arrivé. Et lorsque Jésus-Christ prononce la sentence contre les méchants, il leur dit (Matthieu 25.41): Allez, maudits, au feu éternel, qui est préparé au diable et à ses anges. Le feu éternel était donc simplement préparé au démon, ce mauvais ange n’en souffrait pas encore la peine. En effet, plusieurs anciens Pères croient que les démons sont à la vérité condamnés au supplice éternel, mais qu’ils n’y seront réellement soumis qu’au jour du jugement. Il ne faut pas croire qu’ils soient aujourd’hui sans souffrances ; la douleur, le désespoir, la rage de se voir déchus du souverain bonheur, et condamnés à des supplices éter nels et infinis, leur tiennent lieu d’un très-grand supplice. Autre est le feu qu’ils souffrent à présent, et autre celui qu’ils souffriront après le dernier jour, dit saint Grégoire, pape. Leur sentence est définie, dit saint Bernard, mais elle n’est pas encore promulguée ; le feu leur est préparé, mais ils n’y sont pas encore précipités. Bède le Vénérable compare l’état présent des démons à celui d’un fébricitant qui, en quelque lieu et en quelque posture qu’il soit, porte avec lui la fièvre et son mal. Et c’est le sentiment commun des théologiens d’aujourd’hui.

Que le démon ait autrefois affecté les honneurs divins, et que des peuples entiers aient été assez aveuglés pour les lui rendre, c’est de quoi on ne peut guère douter, après les témoignages exprès de l’Écriture (Deutéronome 32.17): Ils ont immolé aux démons, et non pas à Dieu ; à des dieux qui leur étaient inconnus. Et encore (Psaumes 105.37) : Ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons. Et Baruch (Baruch 4.7) : Vous avez irrité celui qui vous a créés,)e Dieu éternel, en immolant aux démons et non à Dieu, etc. Et dans le Lévitique (Lévitique 17.7) Dieu défend aux Hébreux de faire des sacrifices aux démons, aux boucs, comme ils avaient fait jusqu’alors. Les Philistins adoraient Béelsébub, prince des démons, et le roi d’Israël envoya consulter cette fausse divinité (2Ro :1.2-3), ce qui était lui rendre une espèce de culte, en la croyant capable de prédire l’avenir.

J’avoue toutefois que les Hébreux n’ont jamais, que je sache, rendu aucun culte au démon, dans le sens que nous prenons ce terme, pour un mauvais génie, pour satan, pour le diable, pour l’ancien serpent, pour Sammael ; mais dans la réalité, lorsqu’ils ont adoré des idoles, ils ont en un sens adoré des démons, puisque les faux dieux ne valent pas mieux que les démons ; que leur culte est une invention du démon ; que l’on y adore le crime, l’impudicité, l’orgueil, la cruauté. Quel autre Dieu que le démon pouvait exiger des victimes humaines, semblables à celles qu’on immolait, par exemple, à Moloch ? Le terme hébreu, Elilim, varia idola, terriculamenta, que les Septante et la Vulgate ont traduit par doemonia, signifie proprement des dieux de rien, des choses vaines, des épouvantails, et en ce sens il est vrai de dire que tous les dieux des païens sont des démons (Psaumes 95.5) : Omnes dii gentium doemonia.

Pour les païens, on sait qu’ils adoraient Pluton, ou Adès, le Dieu des enfers, et les autres dieux infernaux ; les Mânes, les Furies, les dieux mauvais et pernicieux, comme la Fièvre, Orbonne, que les pères et mères invoquaient pour détourner la mort de leurs enfants ; la mauvaise Fortune, la Pâleur, la Peur, la Tempête, la Discorde, l’Impudence, la Calomnie, l’Envie, la Nécessité, la Violence. On dira, si l’on veut, que les Grecs et les Romains n’ayant pas la même idée du démon que nous en avons, ils ne lui rendaient pas des honneurs divins ; mais ils les rendaient à des choses qui ne le méritaient pas mieux, et qui ne sont pas moins dangereuses que le démon ; et saint Augustin assure que l’on a consacré des temples, et qu’on a érigé des autels au démon dans tout le monde, et que les Romains ont ordonné d’invoquer les bons génies, et d’apaiser les méchants par des sacrifices.

On assure que les Perses qui reconnaissaient deux principes, l’un bon, et l’autre mauvais ; le premier nommé Horomase, et le second Ariman, offraient au premier des sacrifices d’actions de grâces ; et au second, des sacrifices pour détourner les maux. Ils prenaient une herbe nommée Omomi, qu’ils pilaient dans un mortier en invoquant le dieu des enfers et des ténèbres : ils y mêlaient du sang d’un loup qu’ils avaient égorgé, et portaient cette composition dans un lieu où les rayons du soleil ne pouvaient jamais pénétrer ; ils la jetaient là, et l’y laissaient. On dit que certains peuples de l’Amérique rendent un culte superstitieux au diable, c’est-à-dire, à ce mauvais principe, auquel ils attribuent le gouvernement de la terre.

Le démon du midi, dont il est parlé dans le psaume (Psaumes 90.6): Non timebis a timore nocturno… ab incursu et doemonio meridiano, est expliqué diversement. La plupart des rabbins l’entendent du plus dangereux et du plus violent des démons, qui ose nous attaquer en plein jour, au lieu que pour l’ordinaire les autres démons ne nous attaquent que la nuit. C’était, disent Théodoret et saint Jérôme, l’opinion du peuple, qu’il y avait certains démons dangereux à midi. Dans les pays chauds, où l’on dort ordinairement à midi, et où l’on n’ose s’exposer au grand soleil, le peuple craint les spectres et les démons à midi, comme la nuit, à cause de la solitude et du silence qui règnent dans l’un et dans l’autre de ces deux temps. On ne craint ni les esprits, ni les démons quand on est en compagnie, et au milieu du monde. Quelques-uns l’expliquent d’une maladie subite et violente, comme la peste qui tue soudainement, ou de l’épilepsie qui prive des sens et qui accable le malade ; on attribuait ces maladies au démon. L’hébreu Keteb) est un terme dont la signification n’est pas bien fixée.

Vaheb, fils de Monbah, un des plus autorisés musulmans, en fait de traditions, qu’ils prétendent avoir reçues de la bouche de Mahomet, raconte que Dieu, avant la création d’Adam, créa les dives, ou difs qui ne sont ni hommes, ni anges, ni diables, mais des génies ou démons nuisibles. Dieu leur donna le monde à gouverner pendant l’espace de sept mille ans, après quoi les péris, autre espèce de démons moins mauvais, ou esprits follets, leur avaient succédé pendant deux mille ans, sous le gouvernement de Gian-ben-Gian, leur unique monarque. Ces deux sortes de créatures, je veux dire, les dives et les péris étant tombés dans la révolte contre Dieu, Dieu leur donna pour maitre Eblis qui, étant d’une nature plus noble, et tenant de l’élément du feu, avait été élevé parmi les anges.

Eblis étant donc descendu du ciel en terre, fit la guerre aux dives et aux péris, qui s’étaient unis ensemble pour leur commune défense. Toutefois il y eut quelques dives qui, s’étant rangés sous l’obéissance d’Eblis, demeurèrent en ce monde jusqu’à la formation d’Adam et même jusqu’au siècle de Salomon, qui en eut quelques-uns à son service. Eblis attaqua le monarque Gian, le battit, et en peu de temps se rendit maître de tout le bas monde, qui n’était alors peuplé que des dives et des péris. Mais il oublia bientôt sa dépendance ; il s’éleva contre Dieu, et commença à dire : Qui est semblable à moi ? Je monte au ciel quand il me plaît, et si je demeure sur la terre, je la vois entièrement soumise à ma volonté.

Dieu, irrité de son insolence, résolut de l’humilier et de créer le genre humain. Il créa donc Adam, le forma de terre, l’établit monarque de la terre, et voulut même obliger Eblis, et les autres anges à adorer cette nouvelle créature. Eblis, secondé d’une troupe des siens, refusa de le faire, fut dépouillé de sa souveraineté, et encourut la malédiction de Dieu. C’est ce qui lui fit donner le nom d’Iba, c’est-à-dire réfractaire ; celui de Satan, qui signifie calomniateur, et celui d’Eblis, qui signifie désespéré ; car son premier nom était tlareth, qui signifie gouverneur ou gardien.

Selon ce système, voilà trois espèces de créatures créées longtemps avant Adam : les anges, les dives et les péris.

Ces deux dernières espèces de créatures sont à-peu-près ce que les Grecs nomment bons et mauvais génies, ou démons.

Philon a cru que les anges, les démons et les âmes des hommes étaient de même nature et de même qualité, et que les anges ou les substances spirituelles, entraînés par une inclination et un certain attrait naturel ; venaient se joindre aux corps et les animer, et que les âmes, après avoir été longtemps attachées aux corps, retournaient au lieu de leur première demeure dans les airs.

Josèphe enseigne que les démons, qui possèdent certaines personnes, et qui les tourmentent quelquefois jusqu’à les faire mourir, ne sont autres que les âmes des méchants, qui se sont emparées des corps des possédés. Il dit ailleurs que les pharisiens sont à-peu-près, à l’égard des âmes, dans les mêmes sentiments que ceux que nous venons de voir dans Philon. D’où l’on peut inférer que ces deux auteurs, de même que plusieurs autres Juifs de leur temps, tenaient une espèce de métempsycose ; et que toute la différence qu’ils mettaient entre un ange et un démon, ne consistait que dans une bonté ou une malice morale.

L’Écriture nous représente les démons comme toujours occupés à nous tromper, à nous tenter, à nous nuire, à nous tourmenter. Les morts prématurées et extraordinaires, les maladies du corps, surtout celles qui sont les plus inconnues et les plus opiniâtres, sont attribuées aux démons. Dans l’Évangile, nous voyons des hommes que le démon rendait muets (Matthieu 9.32-33 Luc 11.14 ; 13.16), courbés, perclus. L’ange exterminateur met à mort les premiers-nés dans l’Égypte, les murmurateurs dans le désert, les sept premiers maris de Sara, fille de Raguel. C’est ce mauvais esprit qui tente Ève dans le paradis terrestre ; Jésus-Christ dans le désert, David dans son palais, et lui inspire le dessein de faire le dénombrement de tout son peuple (1 Chroniques 21.1). Saint Pierre le représente qui rôde autour de nous, pour nous dévorer (1pi 5.8). Nous connaissons dans l’Écriture des esprits d’erreur (1 Rois 22.21), des esprits d’impureté, des esprits de malice, des esprits d’infirmité. Saint Paul nous dit que le démon est comme un ennemi armé de traits enflammés, par lesquels il cherche à percer nos âmes (Éphésiens 6.16).

Quoiqu’on ne doute pas qu’il n’y ait entre les démons la même subordination à-peu-près que parmi les anges, toutefois nous ne pouvons en marquer les degrés, parce que les livres saints ne nous en disent rien. Il est parlé, dans l’Évangile (Matthieu 12.24 Luc 11.15-18) de Béelsébub, prince des démons ; et les Juifs accusaient Jésus-Christ de ne chasser les démons qu’au nom et par l’autorité de Belsébub. Le Sauveur nie qu’il chasse les démons de cette sorte, et il fait voir que si Belsébub chassait les diables, le règne de Belsébub serait divisé et se détruirait. Mais il ne nie pas qu’il n’y ait entre les démons quelque espèce de subordination. Il semble même la supposer, lorsque, dans la parabole du fort armé (Luc 11.25-26), il dit que le diable, étant chassé de sa maison, y retourne avec sept autres démons plus méchants que lui. Enfin saint Paul parle (Éphésiens 6.12) des principautés et des princes de ce monde, de ce siècle corrompu et ténébreux, des esprits de malice répandus dans l’air. On peut voir notre Dissertation sur tes bons et sur les mauvais anges, à la tête du Commentaire sur saint Luc. Je ne parle point des démons suivant les opinions des païens ; je ne rapporte pas même plusieurs choses qui se trouvent dans les Pères, parée que je me borne, autant que je le puis, à la Bible, suivant le titre de ce Dictionnaire.