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Dévouements
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Le plus ancien exemple de dévouement que nous ayons est celui que Balac, roi de Moab, voulut faire faire par Balaam contre l’armée d’Israël qui campait près de son pays (Nombres 22.5). Balac envoya donc à Balaam des députés pour lui dire : Venez pour maudire, pour dévouer ce peuple, parce qu’il est plus fort que moi, et que je n’ose l’attaquer de vive force, afin que je voie si je pourrai, par quelque moyen, le combattre et le chasser de mes terres : car je sais que celui que vous bénirez sera béni, et que celui que vous maudirez sera maudit. Balaam vint donc avec les envoyés de Balac, quoiqu’avec assez de contradiction, ainsi qu’on l’a vu dans l’article de Balaam. Étant arrivé dans le pays de Moab, Balac le mena sur les hauteurs de Baal, et lui fit voir de là l’extrémité du camp d’Israël. Alors Balaam fit ériger sept autels, et y offrit des sacrifices, après quoi il se retira à l’écart, en attendant l’inspiration de Dieu. Alors le Seigneur lui mit dans la bouche ces paroles : Balac, roi de Moab, m’a fait venir de Syrie, des montagnes d’Orient : Venez, m’a-t-il dit, et maudissez Jacob ; hâtez-vous, et détestez Israël. Comment maudirai-je celui que le Seigneur n’a point maudit ? comment détesterai-je celui que le Seigneur ne déteste pas ? Je le verrai du haut des rochers, je le considérerai du sommet des collines. Ce peuple habitera seul et séparé, et ne sera point mis au nombre des nations. Qui pourra compter la poussière de Jacob, et qui pourra connaître le nombre de la postérité d’Israël ? Que je puisse mourir de la mort des justes, et que la fin de ma vie ressemble à la leur. Comme Balaam, au lieu de malédictions, donnait des bénédictions aux Israélites, Balac le pria de se taire, et l’ayant conduit dans un autre endroit, d’où il ne pouvait voir qu’une partie du camp d’Israël, il y érigea de nouveaux autels et y offrit des sacrifices. Mais Balaam recommença de nouveau à bénir Israël, en disant : Dieu n’est point comme l’homme, pour mentir, ni comme le fils de l’homme, pour changer. Il a dit, et ne fera-t il pas ? Il a parlé, et n’exécutera-t-il pas ? Il n’y a point d’idoles dans Jacob, ni de statues dans Israël. Le Seigneur son Dieu est avec lui, et on entend dans son camp le son de la victoire de ce roi tout-puissant. Il n’y a point d’augure dans Jacob, ni de devin dans Israël, etc., ou autrement : Il n’y a point de devin ni d’augure contre Israël. C’est en vain que vous cherchez à le dévouer et à le faire maudire : ni les dévouements, ni les malédictions ne peuvent rien contre lui : son Dieu est au-dessus de tout l’art des magiciens, et de toute la malice des démons.

C’est là le seul exemple de cette sorte de dévouement que nous trouvions dans l’Écriture.

Josèphe nous en fournit encore un autre. Pendant les troubles qui arrivèrent en Judée entre Hircan et Aristobule frères, qui se disputaient la souveraine sacrificature et la principauté des Juifs, Aristobule avec ses gens étant enfermés et comme assiégés dans le temple par Hircan, qui était dans Jérusalem avec ceux de son parti, ceux-ci firent venir dans leur armée un nommé Onias, qui vivait en réputation de sainteté, et qui passait pour avoir obtenu, par ses prières, de la pluie dans une grande sécheresse : ils s’imaginèrent que ses malédictions seraient assez efficaces pour attirer les effets de la vengeance divine sur Aristobule et ceux de son parti.

Onias résista longtemps à leurs importunités ; mais enfin, voyant qu’on ne cessait point de le tourmenter, il leva les mains au ciel au milieu de l’armée, et prononça ces paroles : Seigneur Dieu, gouverneur de l’univers, puisque ceux qui sont avec nous sont votre peuple, et que ceux qui sont assiégés sont vos prêtres, n’écoutez les prières ni des uns ni des autres contre le parti opposé. Ceux qui l’avaient invité de venir furent si outrés de se voir ainsi frustrés de leur attente, qu’ils le lapidèrent sur-le-champ, et lui ôtèrent ainsi cruellement la vie.

On remarque plusieurs dévouements d’une autre sorte dans l’Histoire sainte : c’est lorsque l’on dévouait à l’anathème un peuple, une ville, un pays, une famille : par exemple, le Seigneur dévoua à l’anathème la nation (Deutéronome 20.16-17) des chananéens, et les Amalécites (1 Samuel 15.3). Les Israélites dévouèrent à l’anathème la ville d’Horma (Nombres 21.3), la famille d’Achan (Josué 7.13-24,25), et la ville de Jéricho (Josué 6.17). Dans ces occasions, on faisait périr ordinairement tout ce qui était dans ces provinces, dans ces villes. Comme on ne devait point entreprendre de guerre sans consulter le Seigneur, qu’il était comme le général et le chef des armées d’Israël, que ses prêtres sonnaient la charge et le signal du combat en son nom, on était comme sûr du succès, pourvu qu’on lui fût fidèle, et sous une telle protection on méprisait les dieux étrangers des ennemis : ils ne passaient pas pour des dieux, et on ne daignait pas ni les évoquer, ni prendre contre eux la moindre précaution.

Mais les païens, qui admettaient la pluralité des dieux, et qui les croyaient subordonnés en puissance les uns aux autres, employaient les enchantements et les dévouements pour nuire à leurs ennemis, à leurs villes et à leurs armées. Ils évoquaient quelquefois les divinités tutélaires des villes, pour ôter à leurs ennemis leur protection et leur défense. On dit, par exemple, que les Tyriens enchaînèrent la statue d’Apollon, et l’attachèrent à l’autel d’Hercule, dieu tutélaire de leur ville, de peur qu’il ne les abandonnât et ne se retirât de la ville.

Les Romains, dit Macrobe, persuadés que chaque ville avait ses dieux tutélaires, avaient certains vers qu’ils employaient pour évoquer ces dieux, ne croyant pas se pouvoir rendre maîtres de la ville sans cela ; et quand même ils auraient pu la prendre, ils croyaient toujours que ç’aurait été un grand crime que de prendre les dieux captifs avec la ville : c’est pour cela que les Romains ont toujours tenu fort secret le nom véritable et caché de leurs villes, fort différent du nom qu’on leur donnait parmi le peuple, comme aussi le nom du dieu tutélaire de leurs villes. Pline nous apprend que le nom secret de Rome était Valentia, et qu’on punit sévèrement Valerius Soranus peur l’avoir révélé. Or voici la formule dont ils se servaient pour évoquer le dieu tutélaire d’une ville : « Si c’est un dieu, si c’est une déesse, sous la garde de laquelle est le peuple et la ville de Carthage, je vous prie, vous, Ô grand dieu, qui avez pris cette ville et ce peuple sous votre tutelle, je vous conjure, et je vous demande en grâce d’abandonner le peuple et la ville de Carthage, de quitter toutes ses demeures, temples, lieux sacrés, de les délaisser, de leur inspirer la crainte, la terreur et l’oubli, et de vous retirer à Rome chez notre peuple ; que notre demeure, nos temples, nos choses sacrées et notre ville vous soient plus agréables. Faites-nous connaître que vous êtes mon protecteur, celui du peuple romain et de mes soldats. Si vous faites cela, je m’engage par vœu de vous fonder des temples et des jeux. » On peut voir dans Tite-Live l’évocation des dieux de Véies. Les Toscans évoquaient la foudre quand ils croyaient en avoir besoin. Numa Pompilius l’évoqua souvent avec succès. Tullus Hostilius l’ayant évoquée sans employer les rites accoutumés, fut lui-même frappé de la foudre.

Quant aux dévouements que l’on faisait des armées ennemies, ou des villes assiégées, en voici un exemple tiré de Macrobe :

« Dis-Pater (c’était Pluton), Jupiter, les Mânes, ou de quelque nom que vous voulez être appelé, je vous prie instamment de jeter la frayeur et la crainte dans l’armée dont je veux parler, et dans la ville de Carthage ; que vous teniez pour dévoués et maudits, que vous priviez de la lumière, et que vous éloigniez de ce pays tous ceux qui porteront les armes contre nous, et qui attaqueront nos légions et notre armée ; que toutes leurs armées, champs, leurs villes, leurs têtes et leurs vies soient compris dans ce dévouement, autant qu’ils peuvent y être compris par les dévouements solennels. Ainsi je les dévoue, je les charge de tout le mal qui pourrait m’arriver à moi, à mes magistrats, au peuple romain, à nos armées, à nos légions ; afin que vous me conserviez, moi et ceux qui m’emploient, l’Empire, les légions, et notre armée qui est occupée dans cette guerre. Si vous voulez faire ces choses, comme je les connais et entends, je vous promets un sacrifice de trois brebis noires, à vous, Terre, mère de toutes choses, et à vous, grand Jupiter. »