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Tribus
Dictionnaire Biblique Bost Calmet

C’est le nom sous lequel on désigne ordinairement les familles descendues de Jacob par ses douze fils, et, dans ce sens, on compte douze tribus, savoir : celles de Juda, Ruben, Gad, Aser, Nephthali, Dan, Siméon, Lévi, Issacar, Zabulon, Joseph, et Benjamin. Cette division est, en quelque sorte, la division de famille, une liste généalogique et historique ; on la trouve indiquée (Genèse 49). Cette division était naturelle, conforme aux usages de tous les anciens peuples nomades : des Édomites (Genèse 36) ; des Ismaélites (Genèse 25.42 ; cf. 17.20). On la retrouve encore chez les Bédouins arabes de nos jours, et les voyageurs modernes en font foi.

Elle ne fut cependant pas acceptée au point de vue théocratique, ou, pour mieux dire, elle fut modifiée et restreinte, comme si l’esprit de Dieu eût voulu maintenir et constater, dès les temps les plus anciens, sa liberté d’action, et rappeler, au sein de la postérité d’Abraham, que les dons de Dieu ne sont pas des accidents de la naissance, mais des bienfaits de sa grâce. Dans la nation constituée, une tribu fut mise à part, l’aînée perdit son droit de primogéniture, une des plus jeunes obtint deux portions, la sixième partie de l’héritage général. Lévi fut supprimé dans la répartition du territoire conquis en Canaan, et Joseph fut chef de deux tribus, celles de ses deux fils, Éphraïm et Manassé, qui furent elles-mêmes des plus considérables (Genèse 48).

La division territoriale, au moyen de cette double modification, conserva encore le chiffre de douze tribus ; on trouve dans le livre de Josué les détails de la répartition, et les limites des territoires. En refusant à la tribu sacerdotale une part dans le pays, Dieu rappelait même, sous cette économie visible et charnelle, que ceux qui s’occupent des choses de son règne ne doivent pas être tentés d’y mêler des préoccupations politiques et temporelles ; il repoussait, en principe, les États de l’Église ; d’un autre côté, en assurant aux Lévites des villes, des villages, des habitations sur le territoire de leurs frères, il pourvoyait aux besoins légitimes des uns et des autres, aux besoins temporels de ceux qui travaillaient pour l’autel, aux besoins spirituels des tribus, et de tous les Israélites qui devaient avoir à leur portée l’instruction et les secours religieux nécessaires (Josué 21).

Il résulte de ces changements opérés que les noms des douze tribus varient suivant le point de vue auquel on se place ; ils varient encore par le fréquent échange des noms de Joseph, d’Éphraïm et de Manassé, qui sont presque indistinctement mis à la place les uns des autres, et par suite de l’omission intentionnelle tantôt d’un nom, tantôt d’un autre. C’est ainsi que, sur les treize ou quatorze noms (les douze noms des fils de Jacob, et les deux des fils de Joseph) qui sont employés pour désigner les tribus, il n’y en a que huit qui se trouvent régulièrement sur toutes les listes ; ce sont les noms de Ruben, Juda, Gad, Aser, Issacar, Nephthali, Zabulon et Benjamin ; Dan manque (Apocalypse 7.5) ; Siméon (Deutéronome 33) ; Lévi (Nombres 1 et 13) ; et, en général, partout où l’énumération se fait, en quelque sorte, dans un point de vue temporel ; en 1Chronique 12, il y a treize noms parce qu’il s’agit du pays réel, et non pas du pays territorial, et les Lévites sont nommés au milieu des autres sans avoir une place à part ; ils sont portés comme hommes, tandis que Nombres 26, où l’on trouve également treize noms, ils sont relégués à la fin et comme en appendice ; dans ce dénombrement des plaines de Moab, ils ne sont pas comptés avec les autres tribus comme hommes d’armes, mais leur chiffre est indiqué comme faisant partie du peuple, ou comme prêtres ; de même Ézéchiel 48, les sacrificateurs et les lévites sont nommés au milieu des douze tribus, non comme tribu, mais comme prêtres (v. 10-11). Éphraïm est appelé Joseph (Apocalypse 7.8), tandis que c’est au contraire Manassé qui porte le nom de son père (Nombres 13.12). Les deux frères sont nommés (Nombres 1), comme chefs de deux tribus, et Joseph n’est rappelé que pour mémoire ; mais en Genèse 49, Joseph seul est nommé ; il remplace ses deux fils ; de même en Ézéchiel 48.32. Quant aux détails, on les trouvera à chaque article.

La famille araméenne de l’illustre Abraham se constitua donc en tribus à la quatrième génération, et ces tribus parentes restèrent distinctes, et formèrent comme des corporations les unes à côté des autres. Chaque tribu se divisa en outre en groupes moins nombreux, qui sont appelés familles et maisons des pères (Nombres 1.2-18 ; Josué 7.14 ; 1 Samuel 10.19-21) ; comme on dit chez nous aussi une maison pour désigner une branche d’une race, la maison de Lorraine, la maison de Bourgogne. La maison des pères comprenait toutes les familles fondées par les fils du chef de la tribu ; les familles elles-mêmes étaient une subdivision des maisons, et présentaient une idée moins étendue ; elles ne comprenaient, en quelque sorte, que les parents à un degré reconnaissable (cf. Nombres 1.2 ; Josué 7.14 ; 1 Chroniques 6.4 ; 24.4), et le registre généalogique de 1 Chroniques 8.

Au reste, ces deux subdivisions sont quelquefois prises l’une pour l’autre ; parfois elles sont identiques (Exode 6.14) ; ailleurs la famille est plus grande que la maison. Le mot de millier quelquefois employé (Michée 5.2), l’est, en général, comme synonyme de familles (Juges 6.15 ; 1 Samuel 10.19 ; cf. v. 21). À la tête de chaque tribu était son chef naturel, le chef de la maison de ses pères, et au-dessous de lui, sur chaque millier, le chef de ce millier (Nombres 1.4-16, 44 ; 2.3 ; 10.4 ; 1 Chroniques 27.16 ; Esdras 1.8 ; cf. Exode 6.14 ; 1 Chroniques 5.15-24 ; 2 Chroniques 5.2). Les tribus étaient représentées tantôt par leurs douze chefs (Nombres 1.44 ; 7.2), tantôt par les chefs des milliers (Josué 22.21-30), tantôt par les chefs des maisons des pères (Josué 14.1 ; 2 Chroniques 1.2 ; 1 Rois 8.1), tantôt enfin par la réunion des anciens, librement élus par le peuple ; ce dernier mode représenterait une chambre des députés par opposition aux trois premiers systèmes qui, reposant sur l’hérédité, rappelleraient nos anciennes chambres des pairs ou la chambre des lords.

Cette organisation de la nation juive, que Diodore de Sicile attribue à tort à Moïse, existait déjà en Égypte ; elle était simple et naturelle ; Moïse n’eut qu’à l’accepter et à la mettre en harmonie avec la constitution qu’il donna au peuple. Pendant la période des juges, le lien qui unissait les tribus, la religion de leurs pères, s’étant excessivement relâché, les tribus cessèrent, en quelque sorte, de former une confédération, et non seulement elles pourvurent isolément à leur sûreté personnelle, mais encore elles en vinrent à des hostilités ouvertes, dans lesquelles la jalousie politique des grandes tribus se déploya sans réserve (Juges 8.1-2 ; 12.4 ; 20.11). L’établissement de la monarchie semblait devoir fondre tous les intérêts en un seul ; mais la constitution ancienne ne se laissa pas absorber par la nouvelle forme du gouvernement : les représentants des tribus continuèrent de se réunir comme les États de la nation, et intervinrent parfois avec une grande énergie dans les affaires du pays (1 Samuel 10.20 ; 2 Samuel 3.17 ; 5.1 ; 1 Rois 12 ; 2 Chroniques 24.17). Il paraîtrait même, d’après 1 Chroniques 5.19-20, que, pendant le règne de Saül, une tribu fit, tout à fait isolée, et pour son propre compte, la guerre à un état voisin ; de même pendant le règne d’Ézéchias (1 Chroniques 4.41). L’influence de l’esprit de tribu était surtout évidente dans les élections des rois, et cet esprit surexcité à la mort de Salomon, sans que rien le retint, perdit à la fois le royaume et les tribus ; il n’y eut plus un royaume, il n’y eut plus douze tribus, il y eut deux royaumes, représentant chacun le principal fragment dont ils étaient composés, Éphraïm et Juda ; c’est à ce dernier que se réunirent les Lévites ; ils suivirent la légitimité, et dans une théocratie, ils eurent raison (2 Chroniques 11.13 ; cf. 2 Rois 12.31).

La séparation des tribus paraît être demeurée entière pendant l’exil, et les Israélites pieux semblent avoir désiré ne contracter d’alliances qu’avec des membres de leurs tribus. En l’absence d’un territoire qui garantissait l’existence et l’intégrité de la tribu, la pureté des mariages pouvait suppléer à cette lacune et amener un résultat semblable. L’attachement à cette antique séparation était si profond en Israël, que dans les premières années de l’exil, un prophète annonçant la restauration du pays et le rétablissement de sa nationalité, pose la division du nouveau territoire en douze portions comme un des faits fondamentaux de ce nouvel ordre de choses (Ézéchiel 47 et 48). Mais lorsque le décret royal eut été promulgué, il n’y eut guère, outre les Lévites, que des hommes de Juda et de Benjamin qui en profitèrent (Néhémie 11.4) ; ce furent eux qui restèrent chargés du poids de la nationalité tout entière, et comme ils ne représentaient pas les douze tribus, l’idée même de la tribu commença à déchoir, d’autant plus que depuis longtemps les Benjamites avaient dû s’habituer à n’être traités que comme une fraction de la tribu de Juda ; c’est de là que vint, pour désigner le peuple entier, le nom de Judéen ou de Juif.

Dès lors aussi, les familles et non plus la tribu, devinrent la base des généalogies (Esdras 8 ; Néhémie 7), et les chefs de ces familles furent nécessairement considérés comme des représentants du peuple (Néhémie 10). Cependant les familles conservèrent encore, soit par leurs anciennes tables généalogiques, soit par la tradition, le souvenir des tribus dont elles étaient originaires (cf. Luc 2.36 ; Actes 13.21 ; Romains 11.1 ; Philémon 1.5), et les espérances d’Israël se rattachent encore comme à une base nécessaire, au type primitif des douze tribus (Apocalypse 5.5-9 ; 7.4). Quant aux dix tribus dont le retour en Palestine n’est pas raconté par les historiens sacrés, leur sort est inconnu, mais les hypothèses pour le découvrir, n’ont pas manqué. Les uns pensent qu’elles ont fini, petit à petit et lentement, par rentrer dans leur pays, tellement qu’aux jours de Pierre (1 Pierre 1.1), il n’en restait plus qu’un petit nombre dispersés dans l’exil ; d’autres croient qu’elles ont fini par se fondre dans les familles des vainqueurs ; d’autres, qu’elles habitent encore les montagnes de la Perse, ou qu’elles se sont répandues dans l’Inde, dans la Chine, qu’elles ont passé en Amérique où l’on peut retrouver leurs traces chez les Indiens du Nord et chez les Mexicains. Ces suppositions auxquelles Calmet a consacré un article intitulé Transmigrations, et que plusieurs auteurs modernes ont développées avec plus ou moins de talent, et souvent dans un but dogmatique, ne sont que des hypothèses, et ne valent pas une sincère déclaration d’ignorance.

Les registres généalogiques avaient pour les tribus juives une plus haute importance que pour tous les autres peuples de l’Orient ; ce n’était pas seulement un souvenir historique, une filiation qu’ils étaient destinés à maintenir, c’était l’intégrité des territoires, à cause du droit d’héritage qui, chez eux, se rattachait essentiellement à la propriété foncière. Les terres restaient, ou devaient rester, dans les familles ; celui qui prouvait sa filiation était par cela même propriétaire. En vertu de la constitution du pays, les tribus furent également intéressées à tenir en ordre des registres qui leur assuraient des hommes et des terres, et à ne se laisser entamer d’aucun côté. Il y eut donc des généalogies de familles et des généalogies de tribus faites ensuite de dénombrements authentiques. Aux unes et aux autres on ajoutait quelquefois, comme commentaire historique, le récit de certains faits remarquables (cf. Genèse 4.17-20 ; 1 Chroniques 2.3-7 ; 4.9-10, 14, 38), et peu à peu, ces additions devenant plus considérables ou plus détaillées, changèrent les registres en de véritables chroniques.

L’auteur de 1 Chroniques, suivant l’usage de son temps, fait précéder son histoire proprement dite d’un coup d’œil généalogique ou d’un extrait du registre des familles (1 à 8). Dans le Pentateuque, les généalogies forment les jalons de l’histoire, et comme des espèces de sommaires (Genèse 4.17 ; 5.3 ; 9.18 ; Exode 6.14 ; Nombres 3.17), et outre tous ces tableaux de détail relatifs à la famille juive et aux branches collatérales descendues d’Abraham, l’auteur sacré présente en raccourci le registre généalogique de tous les peuples issus de Noé et répandus autour de lui dans le monde. Pour les Juifs, en tant que nation, les tableaux les plus importants étaient naturellement ceux qui concernaient les sacrificateurs et la famille royale ; les premiers même furent rapportés de l’exil (Esdras 2.62 ; Néhémie 7.64), soigneusement conservés et continués, car les Lévites qui désiraient devenir prêtres, devaient avant tout, prouver leur filiation (Esdras 2.61 ; Néhémie 7.64). Quant aux listes royales, nous en trouvons deux fragments (Ruth 4.17 ; Matthieu 1 ; Luc 3) qui ont pour but d’établir la généalogie de Jésus, comme issu de la famille de David.

L’exil de Babylone a dû jeter bien de la perturbation dans l’état civil des Hébreux, et comme on l’a dit, il n’y eut que les familles vraiment attachées à la foi de leurs pères, qui se donnèrent de la peine pour maintenir intacts et complets leurs arbres généalogiques, la pureté de leur race et de leur tribu.

On n’insérait en général, sur ces registres, que les noms des descendants mâles, de ceux qui perpétuaient le nom et le souvenir de la famille (mâle et souvenir s’expriment en hébreu par le même mot, zacar) ; il n’y avait, à cette règle, d’exception que pour les héritières, quand il n’y avait pas d’héritiers, ou pour les femmes qu’un fait spécial signalait à l’attention de la postérité (Matthieu 1.3). Les premières tables n’étant point écrites, mais confiées à la mémoire des fils et transmises de bouche en bouche, il put arriver dans plusieurs familles, que plusieurs chaînons intermédiaires furent oubliés, et que lors de la première confection de listes écrites, on dut se contenter des ancêtres dont les noms vivaient encore, en unissant par les rapports de père et de fils des hommes séparés par une ou deux générations ; d’autres fois, comme chez les Arabes, on condamna expressément à l’oubli des noms mal famés, et ils furent rayés des registres ; d’autres fois encore, dans l’intérêt d’une mémoration facile, ou pour procurer une régularité factice, on omit quelques noms moins célèbres (comme Matthieu 1), où la généalogie de Jésus est réduite en trois périodes de quatorze membres chacune. D’autres noms ont été omis sans qu’on en sache le motif ; par exemple, Zorobabel, fils de Shealthiel (Aggée 1.1 ; Esdras 5.2), n’était que son petit-fils, d’après la liste plus détaillée (1 Chroniques 3.17-19 ; 1 Chroniques 7.14 ; Nombres 26.29-30). Enfin, certaines familles remontant par deux branches à une source primitive, pouvaient, suivant les cas, se rattacher à l’une ou à l’autre de ces branches, ou confirmer péremptoirement par cette double généalogie une filiation importante ou contestée. Plusieurs de ces explications jetteront du jour sur les deux listes (Matthieu 1 et Luc 3), sans que nous puissions entrer dans des détails qui sont du ressort d’un commentaire.

Les généalogies, à la recherche desquelles s’adonnaient les Juifs d’Éphèse et de Crète (1 Timothée 1.4 ; Tite 3.9), sont, ou bien une filiation que dans un orgueil de judaïsants, les Juifs convertis cherchaient encore à établir entre eux et Abraham pour bien démontrer qu’ils étaient Juifs pur-sang, par opposition aux païens, recherche que Paul condamne comme impossible ou comme oiseuse, même en cas de réussite ; ou bien, plus probablement, il est question dans ces passages de la doctrine gnostique des émanations, des Eons, des vertus célestes qui s’engendrent les unes les autres (Irénée, Tertullien), recherche absurde et fastidieuse, comme le savent tous ceux qui s’en sont occupés, et de laquelle Paul pouvait bien dire qu’elle était de nature à produire des disputes plutôt que l’édification de Dieu.

Les douze tribus d’Israël doivent être un jour rétablies par Dieu dans le pays qui fut promis à leur père Abraham. Cette doctrine a été professée de tout temps dans l’Église chrétienne ; elle fut celle de tous les Pères, soit grecs, soit latins. Elle est de la plus haute importance pour l’Église des gentils, comme pour celle des Juifs ; car elle se lie d’une manière intime et nécessaire à toutes les espérances des enfants de Dieu sur le règne de Jésus-Christ, sur la résurrection des saints, sur l’avènement du Sauveur ; en un mot, elle se rattache à toutes les gloires futures du peuple de Dieu. S’il fallait en venir à des témoignages pour la justifier, nous aurions bientôt cité : dans l’Ancien Testament, Deutéronome 30, Ésaïe 11 ; 43 ; 49 ; Jérémie 23 ; 31 ; 33 ; Osée 1 ; 3 ; Daniel 12 ; les déclarations d’Ésaïe 28 et dans les onze suivants ; et dans le Nouveau Testament, Matthieu 23, d’Actes 1, et de Romains 11. Cependant toute la force de l’argument qu’on tire de ces nombreux passages en faveur d’un retour, encore à venir, des Israélites au pays de leurs pères, est dans le double fait que voici : « Les dix tribus d’Israël ne furent jamais rétablies, et elles existent encore quelque part ».

Il faut donc établir :

1°. Que le retour des Juifs à Jérusalem, après les soixante-dix ans de captivité à Babylone, ne les a point concernées.

2°. Qu’elles vivent encore en quelque contrée du globe sous des conditions telles qu’on puisse y reconnaître un jour leur identité nationale.

Le fait de la restauration future de toute la maison d’Israël (y compris Éphraïm, aussi bien que Juda), est attesté par les prophéties les plus claires (voir plus particulièrement Jérémie 3.18-23 ; Ézéchiel 39.25-40 ; Osée 1.14). Et ce qui prouve incontestablement que cette prédiction n’eut point son accomplissement alors que les Juifs des deux tribus revinrent de Babylone, c’est :

a) Que le prophète Zacharie, qui n’écrivit qu’après ce retour des Juifs à Jérusalem, prédit lui-même une restauration de la maison de Joseph (père d’Éphraïm) avec celle de Juda (chap. 10).

b) C’est qu’Ézéchiel a soin de mentionner ce petit nombre d’Israélites des dix tribus, qui se joignirent aux Juifs revenant de Babylone, et de nous dire qu’il s’agira de bien autre chose dans la restauration dernière. Il prend un bâton, et il écrit dessus : « Pour Juda, et pour les enfants d’Israël, ses compagnons ». Voilà pour le premier. Mais il reçoit l’ordre aussi d’en prendre un autre, et d’écrire dessus : « Pour Joseph le bâton d’Éphraïm, et pour toute la maison d’Israël, ses compagnons ». Voilà donc les deux nations qui, dans l’avenir, doivent ne former qu’un seul et même peuple ; c’est, d’un côté, Juda, avec le petit nombre des Éphraïmites qui se joignirent à lui ; c’est, de l’autre, Éphraïm, avec tout le reste des dix tribus. « Ils ne seront plus deux nations ; ils ne se souilleront plus par leurs infamies ; je les retirerai de toutes les demeures dans lesquels ils ont péché » (v. 22), dit l’Éternel (Ézéchiel 37.16).

c) Enfin, c’est que les Israélites rétablis n’auront alors qu’un seul et même roi de la maison de David (Ézéchiel 37.22-24 ; Jérémie 30.3-9 ; Ézéchiel 34 ; Osée 3.4-5 ; Zacharie 12.10). Ce fait n’a jamais eu lieu depuis le temps de Cyrus jusqu’à celui de Titus ; il est donc encore à venir.

Mais, si les dix tribus doivent être rétablies dans les derniers temps, et si leur identité nationale doit être alors reconnue, où sont-elles aujourd’hui ? Voilà la grande question.

Nous croyons que le livre de Grant vient y donner une réponse satisfaisante, et c’est une des principales considérations qui nous ont inspiré le désir de le faire connaître aux églises de notre langue.

Jérôme (qui mourut vers l’an 420) disait les dix tribus encore établies de son temps aux régions où le roi d’Assyrie les avait transportées.

Nous apprenons aussi par divers témoignages qu’elles y étaient nombreuses encore au Moyen Âge, au onzième siècle, au douzième et même au quatorzième.

Où sont-elles aujourd’hui ?

On avait répondu jusqu’ici par des conjectures de deux espèces. Les premières désignaient, comme originairement descendues des dix tribus, des nations ou des races d’hommes qui ne s’en doutaient plus : les Américains, les Welches ou Bretons, et les Irlandais ; les autres alléguaient des peuples dont certaines traditions, et peut-être des tables généalogiques, paraissent attester une origine Éphraïmite, les Juifs blancs de Cochin, les Afghans surtout.

D’autres contrées, telles que le Cachemire et l’intérieur de l’Afrique, avaient été désignées comme le séjour actuel des dix tribus ; mais nous avons l’espérance que les découvertes de Grant vont enfin jeter un grand jour sur cette intéressante question.

Cependant, il importe encore de faire observer que l’obscurité répandue depuis plusieurs siècles sur l’existence de ce peuple prophétique ne devait nullement ébranler notre foi sur l’accomplissement littéral des prédictions qui le concernent. il fallait plutôt y voir, au contraire, une confirmation de leur vérité. Les Écritures elles-mêmes nous parlent de la nuit où seront cachées ces populations miraculeuses jusqu’au jour de leur restauration. C’est une observation de M. Brooks, dans ses « Éléments d’interprétation prophétique » (p. 267-277), (voir dans Ésaïe, chap. 11), qu’il a soin de distinguer les rejetés d’Israël d’avec les dispersés de Juda (voir Ésaïe 49.21-22 ; 16.3-4 ; voir enfin les observations de M. Keith sur Daniel 11.41).

Le livre du docteur Grant (les Nestoriens, ou les Tribus perdues), à la préface duquel nous avons emprunté les lignes qui précèdent, établit l’identité des dix Tribus et des Nestoriens par des preuves plutôt morales et traditionnelles, que positives et écrites. Cependant, elles ne manquent pas d’une certaine force, surtout si l’on réfléchit que chez ces pauvres Nestoriens l’instruction est nulle ; que, par conséquent, des documents écrits ne sauraient avoir pour eux une grande valeur, et si l’on se rappelle ensuite qu’ils sont d’autant moins intéressés à revendiquer une communauté d’origine avec les Juifs, qu’ils ne sont pas, en général, en très bons termes les uns avec les autres. Les Juifs qui sont au milieu d’eux ne nient point le fait de leur parenté avec les Nestoriens ; mais ils sont profondément humiliés de voir une pareille apostasie au sein de leur nation, et ils évitent, le plus qu’ils peuvent, d’avoir à se prononcer sur ce point.

Voici comment Grant (p. 102 et suiv.) établit l’identité, depuis longtemps soupçonnée, de ces deux peuples si distincts maintenant :

Je remarque d’abord, dit-il, que cette tradition est généralement répandue et reçue parmi les Nestoriens de l’Assyrie et de la Médie. Ils en parlent volontiers en tout lieu et en toute occasion. Smith et Dwhigt, dans leur courte visite aux Nestoriens, furent frappés de les entendre affirmer qu’ils étaient les descendants des dix tribus. Ils reconnaissent ce fait dans leurs conversations entre eux, aussi bien que vis-à-vis des étrangers. Un de leurs prêtres reprochait à son peuple les fautes et la responsabilité qui se trouvaient accumulées sur eux à cause de leur étroite relation avec ceux « à qui appartiennent l’alliance et les promesses », et son langage était celui de la réprimande, bien plus que celui de la flatterie. Souvent j’ai entendu leurs ecclésiastiques faire la remarque qu’ils étaient un peuple de col roide, comme leurs pères de l’Ancien Testament. Ces allusions accidentelles à leurs ancêtres hébreux, prouvent d’une manière victorieuse que leur tradition est généralement reçue comme une vérité. Quoique cela tourne à leur confusion, pas un d’entre eux ne nie qu’il ne soit enfant d’Israël. Le savant et l’ignorant, le jeune homme et le vieillard, tous reconnaissent cette relation.

La haine qui existe entre les Nestoriens et les Juifs écarte toute idée d’une tradition fabriquée. Quel motif pourrait les conduire à vouloir s’affilier à leurs plus implacables ennemis ? Est-il croyable qu’une tradition, dénuée de fondement, et prétendant les lier à un peuple avec lequel ils ne veulent pas même manger, eût été universellement adoptée parmi les diverses tribus des Nestoriens ? Par qui, et à quelle époque de leur histoire, leur aurait-elle été imposée ? Comment aucune réclamation ne se serait-elle élevée au milieu d’une nation si nombreuse ? Là, comme partout ailleurs, les Juifs sont les plus méprisés et les plus persécutés de tous les peuples ; la haine est donc attachée à tout ce qui s’allie à eux. Par crainte de cette haine, j’ai vu des Nestoriens hésiter à répondre quand on les interrogeait sur leurs ancêtres, et cependant ils finissaient tous par convenir de leur origine juive.

Leur ignorance des prophéties ne permet pas non plus de supposer que cette tradition ait pris sa source chez les conducteurs religieux, en vue des grandes bénédictions temporelles promises aux Juifs. Ils n’ont aucune idée de bénédictions de ce genre pour les Israélites en particulier ; ils croient au triomphe final du christianisme dans le monde, mais ne réclament pour eux-mêmes aucune prééminence sur les autres chrétiens. Ils lisent peu les prophètes, et les comprennent encore moins ; leur interprétation des écrits prophétiques est, en général, mystique et confuse.

La situation écartée du grand corps de la communauté nestorienne s’oppose presque entièrement à ce que l’idée de leur origine juive leur ait pu être suggérée par les nations voisines. Ils habitent principalement des montagnes presque inaccessibles, dans lesquelles ils sont tenus à l’abri de toute influence du dehors. Les étrangers n’ont que bien rarement pénétré jusqu’à eux, et je ne connais aucun peuple qui entretienne aussi peu de rapports avec ceux qui l’entourent ; bien plus, si leurs voisins les avaient assimilés aux Juifs, n’auraient-ils pas repoussé jusqu’à la pensée d’une semblable connexion ? Est-il croyable qu’ils l’eussent reçue comme base d’une tradition générale ? et, quand il serait probable qu’une pareille falsification se fût introduite en quelque localité, comment aurait-on pu induire la nation tout entière à admettre une imposture contre laquelle se révoltaient tous leurs sentiments naturels ?

Plus loin, au chapitre 12, page 110 et suiv., M. Grant s’attache à prouver que les lieux habités aujourd’hui par les Nestoriens, sont précisément ceux dans lesquels les dix tribus furent transportées, et c’est une chose assez remarquable que, quoique emmenées captives par différents conquérants, et à quatre-vingt-dix ans d’intervalle, toutes les tribus furent établies dans la même contrée ; rien ne prouve ou ne fait même supposer qu’elles aient été déplacées ; au cinquième siècle, dans tous les cas, elles habitaient encore la terre de la captivité.