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Pierre
Dictionnaire Biblique Bost Westphal Calmet

Apôtre, appelé d’abord Simon ou Siméon, et souvent de ses deux noms réunis Simon Pierre, était fils d’un certain Jonas de Bethsaïda, et s’appelait en conséquence, suivant un usage des Hébreux, Barjonas, c’est-à-dire fils de Jonas (Matthieu 10.5 ; Marc 3.16 ; Luc 6.14 ; Jean 21.15). Domicilié à Capernaüm, il y vivait de son état de pêcheur (Matthieu 4.18 ; 8.14 ; Marc 1 16 ; Luc 4.38 ; 5.3). Sa vocation à l’apostolat semble racontée de trois manières différentes, mais une lecture attentive, et la comparaison des passages montre d’abord qu’il y a eu double vocation, puis, qu’entre les deux autres versions l’une est plus complète que l’autre, mais non contradictoire ou différente. On voit d’abord (Jean 1.40ss), que Pierre, disciple de Jean-Baptiste, fut instruit de bonne heure par André son frère, de la venue et de l’œuvre du Messie ; Jésus pénétra le futur apôtre, et lui prédit les destinées auxquelles il était réservé ; toutefois, il ne l’appela point encore à le suivre, comme il en avait appelé d’autres. Un second récit, celui de la vocation proprement dite de Pierre, se lit (Matthieu 4.18 ; Marc 1.16) ; mais il est abrégé. Luc 5.1ss), le développe et l’étend ; c’est dans sa narration qu’on a voulu trouver une troisième version d’un même fait.

Après l’entrevue de l’apôtre avec le Sauveur, le premier était retourné en Galilée ; il avait repris ses filets. Un jour, sur les bords du lac, Jésus, pressé par la foule, demande à Simon le secours de sa nacelle, et se fait conduire à quelque distance du rivage ; il parle aux gens, il les enseigne, puis son instruction achevée, soit qu’il voulût rendre Simon témoin de ses œuvres, soit qu’il voulût l’indemniser du temps qu’il avait perdu, il l’engage à descendre ses filets dans le lac. En répondant que la pêche de la nuit n’a rien rapporté, Simon fait acte de foi et d’obéissance, car il jette en même temps ses filets ; il veut constater qu’il ne le fait que par respect pour la parole du maître dont il vient d’entendre les enseignements, et qu’on lui a déjà fait connaître comme le Messie. Les filets rompent sous le poids des poissons qu’ils ramènent, et tous les doutes du pêcheur sont dissipés ; il s’écrie à genoux : « Seigneur, retire-toi de moi, car je suis un homme pécheur » (Luc 5.8). Et Jésus se l’attache pour toujours, en lui annonçant que la pêche qu’il vient de faire n’est que l’emblème de ses succès futurs ; il sera pêcheur d’hommes vivants.

Son nom se trouve dès lors mêlé, avec celui de quelques autres apôtres, à l’histoire presque entière de notre Sauveur ; il est un de ses compagnons, un de ses disciples les plus assidus et les plus intelligents ; il est témoin de ses miracles, et intervient fréquemment dans ses conversations avec plus ou moins de bonheur. Sa belle-mère est guérie par Jésus, qui était devenu son hôte (Matthieu 8.14 ; Marc 1.29ss ; Luc 4.38). Le lendemain, il va comme les autres à la recherche de Jésus qui s’était retiré pour prier ; il a le bonheur d’être le premier à le rejoindre (Marc 1.35 ; Luc 4.42). Après le premier miracle de la distribution des pains, la nuit, il voit le Seigneur marcher sur les eaux, et veut marcher à sa rencontre, mais sa foi n’est pas à la hauteur d’une épreuve aussi forte, il doute, et les eaux s’entrouvrent sous ses pieds (Matthieu 14.22 ; Marc 6.45 ; Jean 6.17).

À Bethsaïda, il fait une profession éclatante de sa foi en celui qui a les promesses de la vie éternelle (Jean 6.68) ; il la réitère dans une autre circonstance aux environs de Césarée de Philippe, et reçoit en récompense de sa foi de mémorables oracles ; mais pour qu’il ne s’élève point au-dessus de ses frères, le Seigneur lui fait voir qu’il ne comprend pas encore les choses qui sont de Dieu, et le repousse en termes sévères comme un tentateur (Matthieu 16.13ss ; Marc 8.27 ; Luc 9.18). Témoin de la transfiguration, il ne la comprend pas et confond le repos des saints avec la douceur du repos et de la paix terrestres (Matthieu 17.1 ; Marc 9.2 ; Luc 9.28).

À Capernaüm, il consent à payer pour son maître l’impôt des didrachmes (Exode 30.13) ; Jésus, en lui faisant comprendre, que maître de toutes choses, il eût pu s’en dispenser, répond par un miracle, et le statère se trouve dans la bouche du poisson (Matthieu 17.24). Judas possédait sans doute cette somme dans la bourse apostolique, mais le Fils de l’homme devait montrer à tous que l’or et l’argent lui appartiennent (Aggée 2.8), et que, s’il conteste, c’est sans intérêt ; s’il cède, c’est pour accomplir toute justice et ne point scandaliser les faibles.

Dans les questions relatives au pardon des offenses (Matthieu 18.21), et à la récompense que les apôtres pouvaient espérer de leur fidélité (Matthieu 19.27 ; Marc 10.28 ; Luc 18.28), Pierre montre que ses idées sont encore confuses sur l’a sainteté de la vie nouvelle et sur la spiritualité du royaume de Christ.

Il voit et remarque le miracle du figuier séché (Matthieu 21.20 ; Marc 11.21) ; il prend part aux entretiens qui suivent les oracles de Jésus sur la destruction de Jérusalem (Marc 13.3) ; il est chargé de faire avec Jean les préparatifs de la dernière Pâque (Matthieu 26.18 ; Marc 14.13 ; Luc 22.8). Et pendant que le maître veut donner à tous une leçon d’humilité, peut-être pour répondre à leurs contestations sur la place qu’ils occuperaient dans la vie à venir (Matthieu 18.1.Marc 9.33 ; Luc 9.46 ; 22.24), Pierre, toujours vif, refuse par deux fois de se laisser laver les pieds et ne cède à une affectueuse injonction, que pour se jeter alors dans un autre extrême (Jean 13.6 ; etc.).

Il est moins prompt à juger et à interroger quand Jésus annonce que l’un des douze le trahira ; soit que Judas eût réussi à conserver jusqu’alors la confiance de ses frères, soit que Pierre repoussât des soupçons qu’il craignait de voir justifiés, soit qu’il désirât voir le traître démasqué, soit enfin que l’incertitude leur fût plus pénible que la réalité, et que devant un oracle aussi étrange, aussi solennel et inattendu, ils en fussent tous venus à se redouter eux-mêmes, à se défier d’eux-mêmes, Pierre, voulant connaître le nom du traître, mais n’osant le demander à haute voix, fit signe à Jean, voisin du Seigneur, de l’interroger. Il ne se doutait guère que la peur lui ferait commettre un crime semblable à celui que la cupidité avait inspiré à Judas ; mais dans la même soirée il reçut par deux fois des avertissements tout ensemble sinistres et consolants. « Là où je vais, tu ne peux maintenant me suivre, mais tu me suivras ci-après ».

« Simon, Simon, voici, Satan a demandé à vous cribler tous comme le blé (Amos 9.9), et j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne faiblisse point ; toi donc, quand tu seras un jour converti (relevé de ta chute), fortifie tes frères » (Luc 22.31). Et comme le fidèle, mais présomptueux apôtre, protestait de sa confiance en lui-même, son triple reniement lui fut prédit (Jean 13). Un peu plus tard, dans la même soirée, comme les apôtres se rendaient en Gethsémané, Jésus les enveloppant tous dans une même sentence prophétique, leur dit : Vous serez tous cette nuit scandalisés en moi, selon qu’il est écrit ; je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées (cf. Zacharie 13.7) ; et Pierre, que la sentence isolée prononcée contre lui, avait sans doute humilié et affligé, satisfait de se voir de nouveau réuni à ses frères, quoique dans la faiblesse, voulut protester encore de sa fidélité, mais en vain ; il ne reçut pour réponse que la confirmation de son triple reniement (Matthieu 26.31 ; Marc 14.27 ; etc.).

Témoin de l’agonie de son maître, il ne peut, non plus que Jacques et Jean, veiller avec lui ; malgré les recommandations de Jésus, ils s’endorment, et Luc, le médecin, nous dit que c’était de tristesse qu’ils dormaient (Luc 22.45). La faiblesse de la chair succombait aux émotions, et l’esprit n’était pas assez fort pour en triompher. Il était plus facile de se battre que de prier, et Pierre se réveilla quand les soldats vinrent pour prendre Jésus (Matthieu 26.51 ; Marc 14.47 ; Luc 22.49 ; Jean 18.10). D’un coup d’épée il blessa Malchus à l’oreille, ayant pris à la lettre quelques expressions dont le Sauveur s’était servi quelques instants auparavant dans un sens figuré (Luc 22.36-38). Mais ce n’était pas là le courage que réclamait de ses disciples celui qui donnait librement sa vie ; les soldats entraînèrent le maître ; les disciples s’enfuirent. Pierre, engagé par ses paroles à faire mieux que les autres, revint cependant en arrière ; il voulait tenir sa parole, il allait réaliser celles de son maître. Arrivé devant la porte de Caïphe, il la voit s’ouvrir devant lui sur la recommandation de Jean, mais la cour est pleine de soldats, d’huissiers, de domestiques et de curieux. Pendant le premier interrogatoire du Seigneur, la portière qui avait ouvert à Pierre, croit reconnaître en lui un des disciples de l’accusé et l’interpelle. Saisi, surpris, étonné d’être reconnu, préoccupé d’autres pensées qui lui font à la fois oublier l’oracle du Christ et désirer de couper court à une conversation qu’il n’a pas envie de poursuivre, il ment et renie son maître sans trop songer peut-être à ce qu’il fait. Une question semblable lui est adressée un moment après, et déjà il a eu le loisir d’examiner sa position ; la frayeur l’environne, et les témoins qui l’entourent de toutes parts, lui semblent autant d’ennemis ; il ment encore et dit : Je ne le connais point. Mais il est inquiet ; il voudrait sortir, il change de place, il entre au vestibule (Marc 14.68), et là, une heure environ après le second reniement, un parent de Malchus le reconnaît et lui dit : Ne t’ai-je pas vu au jardin avec lui ? Nier n’eût plus suffi devant une accusation aussi directe, et Pierre, accablé de frayeur, était en outre retenu par la honte d’avouer enfin son maître, en avouant qu’il l’avait renié deux fois ; il ne lui suffisait plus de reconnaître Jésus, il devait encore reconnaître sa lâcheté ; l’épreuve était trop forte pour l’homme appuyé sur ses propres forces ; il renie encore, en jurant et en prononçant des imprécations. Mais la mesure était comblée, la tentation était terminée ; le disciple pouvait savoir à quoi s’en tenir sur son courage, sa force, sa fidélité ; c’était le point du jour, le coq chanta ; un regard de Jésus tomba sur son disciple, l’accusant sans le trahir ni le compromettre, et Pierre revint à lui-même ; bouleversé de son crime, touché de l’amour de son maître, il sortit et pleura amèrement ; ces larmes étaient sans doute, quoiqu’amères, les plus douces et les plus pures qu’il eût encore versées ; sa douleur était selon Dieu, elle ne pouvait qu’être heureuse ; pour la première fois peut-être, il avait un pressentiment de la vie nouvelle, du christianisme. Trois jours après, averti par Marie Madeleine, il court au sépulcre avec Jean, n’arrive qu’après lui, mais entre le premier dans la grotte, examine, admire, sans comprendre encore que son maître est ressuscité, et retourne à Jérusalem (Luc 24.12 ; Jean 20.2). On conclut presque avec certitude (1 Corinthiens 15.5 ; cf. Luc 24.34), que le même jour encore, avant son entretien sur la route d’Emmaüs, le Christ ressuscité s’est montré à Pierre, et l’on conjecture qu’il lui a donné, ou réitéré spécialement, l’ordre de se rendre, avec le reste des apôtres, en Galilée, où il le verrait de nouveau ; Pierre, qui s’était exclu lui-même de la société apostolique, ne pouvait savoir si le maître le reconnaîtrait encore, ou s’il le renierait à son tour ; il eût hésité peut-être à suivre les apôtres, s’il n’avait été en quelque sorte personnellement convoqué. Du reste, aucune parole, aucun détail de cet entretien n’est rapporté dans les Évangiles, et l’on conçoit qu’il ne concernât que le chef de l’Église et son disciple relaps ; Pierre sans doute versa de nouvelles larmes, mais il sentit qu’il était réintégré ; il allait reprendre sa place, mais la remplir plus humblement.

Il se rend à Capernaüm où il possédait une maison (Matthieu 8.14 ; Marc 1.29 ; Luc 4.38), et après quelques jours d’une attente inutile, il dit à ceux des apôtres qui étaient avec lui qu’il s’en allait pêcher (Jean 21.2). Ils le suivirent, mais la pêche de la nuit fut inutile. Au matin, Jésus, qu’ils ne reconnaissaient point, leur demanda du rivage s’ils avaient du poisson, et sur leur réponse négative, il leur dit de jeter leurs filets du côté droit de la nacelle ; une pêche abondante vint miraculeusement récompenser leur obéissance et leur foi. C’étaient les mêmes questions, les mêmes réponses, les mêmes merveilles que les mêmes hommes, les mêmes rivages, les mêmes nacelles, avaient entendues et vues quelques années auparavant ; il n’en fallait pas davantage pour parler au cœur de Jean, qui reconnut aussitôt le Sauveur, et Pierre se jetant à la nage vint bientôt aborder aux pieds de son maître ; ils prirent tous ensemble un modeste et silencieux repas, pendant lequel tous reconnaissaient Jésus sans oser l’interroger. Après le repas, Jésus s’adressant à Pierre, mais sans lui donner ce nom qui était comme le signe de son apostolat, lui dit : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne font ceux-ci ? L’apôtre n’en était plus aux jours où il ne craignait pas de s’élever au-dessus de ses frères ; il répondit humblement : oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Pais mes agneaux, dit le Seigneur. Une seconde fois, puis une troisième, mais sans insister sur la comparaison avec les autres apôtres, le Seigneur lui demande : Simon, fils de Jona, m’aimes-tu ? chaque fois la réponse est la même, et le Seigneur en lui disant : Pais mes brebis, lui annonce le martyre, et se l’attache de nouveau, après que par sa triple confession, l’apôtre eut expié aux yeux de son maître son triple reniement. Simon le pêcheur est redevenu Pierre l’apôtre. Quelle solennité dans cette réintégration, et pourtant quelle douceur dans le châtiment, si même on peut donner ce nom aux interpellations du Sauveur. Pierre pardonné reprend bientôt ses anciennes habitudes, et lorsqu’il eut appris de la bouche du Sauveur le sort qui lui était réservé, il lui demanda quel serait celui de l’apôtre Jean qui les suivait ; mais Jésus refusa de répondre à cette question d’une vaine curiosité, et il ne permit pas que Pierre oubliât aussi promptement les avertissements qu’il venait de recevoir.

Nous retrouvons Pierre dans le livre des Actes ; il attend avec les apôtres l’effusion du Saint-Esprit, et il propose de remplir la place que Judas a laissé vacante ; Matthias est élu par le sort (1.23). La Pentecôte et l’effusion du Saint-Esprit viennent étonner les habitants de Jérusalem, et remplir de joie les apôtres ; l’inimitié honteuse et jalouse qui poursuit tout réveil, toute œuvre de l’esprit, s’attache à ternir ce mouvement, en attribuant à l’ivresse les merveilles dont tous sont témoins, mais Pierre prend la parole, la puissance d’en haut agit en lui, Christ est glorifié, les âmes sont touchées, et 3000 personnes se convertissant à sa prédication viennent grossir les rangs de l’Église chrétienne, qui ne comptait encore alors que les apôtres et quelques femmes. En voyant les doctrines du crucifié se propager avec tant de succès, le sanhédrin résolut de prendre des mesures répressives ; un miracle, un bienfait, lui fournit l’occasion qu’il désirait ; un homme âgé de plus de quarante ans, et boiteux dès sa naissance, avait été guéri par le ministère des apôtres. Pierre lui avait dit comme le maître, et au nom de celui-ci : Lève-toi et marche, et l’impotent avait recouvré l’usage de ses membres. Comme l’apôtre parlait à la foule pour repousser les hommages qu’on lui adressait, et pour la persuader de rendre à Jésus l’honneur, l’obéissance, et l’amour qui lui sont dus, des officiers chargés de maintenir l’ordre dans le temple, survinrent et mirent en prison Pierre et Jean. Traduits devant le sanhédrin, les apôtres, au lieu de se défendre, accusèrent ce pouvoir prétendu religieux, d’avoir mis à mort Jésus le Nazarien, s’appuyèrent de l’autorité de celui que Dieu avait ressuscité des morts, et répondirent à la défense qui leur fut faite d’annoncer le nom de Christ : Jugez s’il est juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu. Le miracle était évident, le témoin marchait, les apôtres furent renvoyés absous.

C’est encore Pierre dont la parole foudroie Ananias et Saphira (Actes 5.1). Son ombre guérit les malades, sa prédication touche les cœurs ; ses succès irritent derechef les sadducéens qui, dirigés par Caïphe, le livrent une seconde fois au sanhédrin ; mais une seconde fois l’apôtre répond : Il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes. Caïphe ne le fait plus trembler.

Les persécutions ayant dispersé les chrétiens, la Samarie est évangélisée : Philippe baptise, et Pierre vient avec Jean imposer les mains aux fidèles et leur communiquer les dons du Saint-Esprit (Actes 8). Il refuse de vendre au magicien Simon le pouvoir de transmettre ces dons surnaturels, et stigmatise ce premier exemple de vénalité religieuse. Après avoir évangélisé les bourgades qu’il trouve sur sa route, il revient à Jérusalem ; c’est alors qu’il fait la connaissance de Paul, à qui il donne une hospitalité de quinze jours (Gal 1.18). Il visite les églises naissantes de la Judée, de la Samarie et de la Galilée (Actes 9) ; à Lydde, il guérit un paralytique ; à Joppé, il rend Dorcas aux pauvres qui l’avaient perdue ; elle revient à la vie au milieu de ceux qui la pleuraient. L’apôtre reste quelque temps dans cette ville ; une vision étrange qui se réitère à trois reprises (Actes 10), lui apprend que le mosaïsme a pris fin, que la paroi mitoyenne est tombée (Éphésiens 2.14), que la distinction des animaux en purs et impurs n’existe plus, que le monde n’est plus divisé extérieurement en bénis et en maudits, et qu’en toute nation ceux qui craignent Dieu et qui s’adonnent à la justice, lui sont agréables. La démarche et la demande des messagers de Corneille, centenier romain, achèvent de lui expliquer ce qu’il y a de mystérieux dans la vision, et il part pour annoncer Christ aux païens. À ses amis de Jérusalem qui le blâment, il expose la vision céleste, et tous glorifient Dieu en disant : Dieu a donc donné aux gentils la repentance pour avoir la vie.

De ce moment l’historien sacré qui s’attache à nous donner la suite de l’histoire de Paul, ne nous donne celle de Pierre qu’en passant. Il paraît que l’apôtre visita diverses provinces de l’Asie Mineure, annonçant Christ aux Juifs et aux païens. On le retrouve à Jérusalem à l’époque du martyre de Jacques, et lui-même, réservé au supplice par ordre d’Hérode, est miraculeusement rendu aux prières de ses frères qui n’osaient espérer sa délivrance (Actes 12). On croit qu’il s’éloigna alors de Jérusalem pour un temps, mais nous l’y retrouvons lors du concile des apôtres (15.7) ; il y revoit Paul. Il y prend la parole, mais sans autre autorité que celle des choses mêmes qu’il dit : il plaide la cause des gentils, et rappelle les instructions qu’il a reçues du Seigneur à cet égard. Mais bientôt, infidèle à ses principes, troublé peut-être par les criailleries de chrétiens Judaïsant exaltés, fatigué de cette lutte, sous l’impression de reproches qui lui avaient été adressés, craignant de scandaliser les faibles, enclin d’ailleurs au formalisme juif par sa naissance et son éducation, il en vint à dissimuler, il s’éloigna des gentils, il en entraîna quelques-uns dans sa chute, et Paul dut le censurer ouvertement (Galates 2.11) ; il est probable qu’il reconnut la justesse des reproches que sa dissimulation lui attira, et qu’il se releva de cette faute avec la généreuse vivacité de son caractère.

On ne sait plus rien de lui dès lors ; l’histoire sainte se tait, et les Pères ou se taisent aussi, ou se contredisent à tel point qu’on ne peut rien établir de positif sur leur témoignage ; on ne sait ni où il se rendit, ni ce qu’il fit, ni où, ni comment, ni quand il mourut.

Quelques remarques termineront cette notice, et achèveront de faire comprendre cette vie et ce caractère.

a) Les noms de Pierre et de Céphas ont la même signification ; Céphas est syriaque ou araméen, et n’entraînait aucune idée particulière ; c’était le nom dont on l’appelait quand on s’exprimait dans cette langue, et souvent on employait l’un ou l’autre indistinctement (Galates 2.9-11 ; 1 Corinthiens 1.12 ; 9.5). Jusqu’au moment de l’ascension il est presque toujours désigné sous le nom de Simon (ou Siméon) ; c’est ainsi que l’appellent Jésus et les autres apôtres (Matthieu 17.25 ; Marc 14.37 ; Luc 7.40 ; 22.31 ; 24.34 ; Jean 21.18) ; le même nom se retrouve (Actes 15.14), sans doute par un effet de l’habitude prise (cf. 2 Pierre 1.1) ; le nom de Pierre emporte l’idée de sa vocation, c’est en quelque sorte son nom d’honneur ; il le porte (Actes 10.5-18), et si quelquefois les deux noms de Simon Pierre sont réunis, celui de Pierre finit par prévaloir, ce qui explique pourquoi les évangélistes, en parlant de lui, l’appellent le plus souvent simplement Pierre.

b) Sa famille est peu connue. Son père, pêcheur comme lui, s’appelait Jonas ; la tradition donne à sa mère le nom de Jeanne ; l’apôtre André était son frère, probablement plus jeune que lui. Il était marié, comme il ressort de Luc 4.38 ; 1 Corinthiens 9.5 ; la tradition est unanime à cet égard. Il avait un fils nommé Marc (1 Pierre 5.13), et les Pères lui donnent en outre une fille nommée Pétronille ; ils varient sur le nom de sa femme, que les uns appellent Concorde, les autres Perpétue. Plusieurs le regardent comme le plus âgé des douze apôtres ; les détails qu’ils donnent sur sa figure et sur son apparence ont peu d’autorité.

c) Nous avons vu comment il est facile de concilier les apparentes divergences des évangiles qui racontent l’élévation de Pierre à l’apostolat. Mais la grande divergence, celle qui frappe le moins, parce que l’on y est habitué, c’est celle qui se trouve entre la condition de l’appelé, et la charge à laquelle il est appelé. Un pêcheur de poissons devient pêcheur d’hommes ; un batelier devient apôtre ; l’ignorance doit instruire le monde, et passer du banc de sa nacelle aux chaires de la vérité. Personne n’eût confié à Simon la charge la moins importante, s’il eût fallu pour la remplir posséder quelques connaissances, et le maître du monde l’appelle, avec onze autres, à la plus sublime des vocations, à faire connaître aux hommes la vraie philosophie et la vraie théologie, le cœur de l’homme et le cœur de Dieu.

C’est qu’en effet,

Pour en avoir la connaissance

Il faut être des plus petits,

Laisser là toute autre science,

Devenir de simples brebis.

C’est qu’en effet il a été vrai de tout temps,

Que les sages, les entendus

N’ont point de part dans cette affaire.

C’est que ce sont des choses qu’on ne peut enseigner que lorsqu’on a été soi-même enseigné de Dieu, et pour en venir là les simples et les savants ont le même chemin à faire, et ces derniers y répugnent davantage, embarrassés qu’ils sont du bagage d’une science faussement ainsi nommée. Ce qui a été vrai aux jours du Seigneur est vrai toujours, c’est que ses vrais serviteurs sont ceux qu’il a choisis lui-même, quelle que soit du reste l’estime dont ils jouissent aux yeux de la chair ; et l’on est étonné, si l’on veut y faire attention, de trouver souvent des disciples zélés, fidèles, et bénis, bien ailleurs que là où l’on penserait à les chercher.

d) Pierre apparaît dans le collège apostolique revêtu d’une espèce de primauté que les écrivains protestants ont parfois trop méconnue, et que les auteurs catholiques romains ont en revanche exagérée jusqu’à en faire une principauté. Non seulement il était l’un des amis les plus intimes du Seigneur (non le plus intime), comme on le voit par Matthieu 17.1 ; Marc 9.2 ; 14.3, et ailleurs, mais encore on le voit tantôt parler au nom des douze, tantôt répondre en leur nom quand ils sont interrogés ; Jésus lui-même le nomme quand il s’adresse aux apôtres (Matthieu 16.16 ; 19.27 ; 26.40 ; Marc 8.29 ; Luc 12.41). Le passage de Matthieu 17.24, ne prouve du reste pas, comme on a voulu le croire, qu’en dehors du cercle des douze, Pierre fût considéré comme le chef et le représentant naturel de ses collègues ; ce peut n’avoir été qu’un cas fortuit, une circonstance accidentelle, et si l’on voulait donner trop de poids à cette preuve, plusieurs des apôtres, Philippe, André, etc., auraient des titres semblables à faire valoir (Jean 12.21ss). Le caractère personnel de l’apôtre a pu contribuer pour beaucoup à le faire considérer comme un représentant de tous, non qu’il fût meilleur, mais parce qu’il était plus voyant ; il avait été d’ailleurs l’un des premiers appelés, et il était peut-être l’aîné de tous, ce qui explique aussi pourquoi dans toutes les listes il est nommé le premier (sauf Galates 2.9). Après l’ascension, il continue pendant quelque temps de se produire, d’agir, de parler, avec cette promptitude et cette supériorité d’intelligence qui lui avaient donné sur ses collègues une espèce d’autorité morale, que ceux-ci n’avaient jamais contestée parce qu’elle n’avait jamais été formulée, ni affichée : (cf. Actes 1.15 ; 2.14 ; 4.8 ; 5.29). Mais bientôt il cesse lentement de briller dans l’histoire apostolique, soit que l’âge ait brisé ou ralenti l’activité de son caractère et l’autorité qui s’y rattachait, soit qu’un homme plus jeune, plus fort, également bien doué, l’ayant remplacé dans la vie active, Pierre ait vu passer naturellement dans les mains de Paul une influence qu’ils ne devaient l’un et l’autre qu’aux dons qu’ils avaient reçu et à l’usage qu’ils en avaient fait.

e) Ce n’est pas ici le lieu de discuter les questions controversées entre l’Église de Rome et l’Église réformée ; indiquons-les seulement, et posons quelques principes. Les théologiens romains estiment que Pierre a été mis au-dessus des apôtres, ayant autorité sur eux, autorité sur l’Église, en vertu du passage de Matthieu 16.16-18 ; que le droit de pardonner ou de condamner lui a été également donné, et à lui seul ; que la surveillance et la direction de l’Église, des évêques et des troupeaux, du clergé et des laïques, lui a été confiée en vertu des paroles de sa réintégration : « Pais mes agneaux, pais mes brebis » (Jean 21.15) ; que Pierre a été à Rome, qu’il y a été évêque, évêque pendant vingt-cinq ans ; qu’il a enfin légué sa puissance aux évêques qui sont montés après lui, quels qu’ils fussent, indépendamment même de leur foi et de la réalité de leur christianisme.

À quoi il a été répondu : que chacun est le fils de ses œuvres ; qu’il n’y a plus sous le christianisme d’autorité de droit divin que celle qui prouve sa divinité par sa puissance et par sa sainteté ; que, relativement à Pierre, les paroles qui lui furent adressées en suite de sa confession du nom de Christ, n’impliquent aucune supériorité de droits ; que la pierre sur laquelle l’Église chrétienne devait être bâtie, c’était la confession de foi elle-même, et non celui qui l’avait faite ; que le droit de lier et de délier, celui de pardonner et de retenir les péchés, a été donné à tous les chrétiens dans la même mesure qu’à Pierre (Jean 20.23), c’est-à-dire qu’il ne constitue pas un pouvoir, mais qu’il n’emporte que le simple droit de déclarer, de constater un fait ; que les paroles : pasce oves meos, ou meas, ne sont que la simple réintégration de l’apôtre dans des fonctions dont il s’était lui-même, en quelque sorte, démis, et que notre Sauveur n’a pas été appelé à rendre aux autres apôtres des droits que ceux-ci avaient conservés ; que la différence de sexe, meos et meas, ne signifie rien, attendu que ces mots sont, dans le langage biblique, pris fréquemment l’un pour l’autre comme signifiant tous les deux le troupeau, observation qui est renforcée par cette autre, péremptoire, que sous la nouvelle alliance il n’y a plus la vieille distinction des hommes en ecclésiastiques et laïques, en clergé et troupeau, vu que tous les chrétiens sont à la fois hommes du peuple et hommes de l’Église, laïques et ecclésiastiques ; que le Nouveau Testament ne nous montre nulle part Pierre revêtu d’une autorité absolue, que s’il est le premier souvent, il n’est jamais primat, il cherche à convaincre par des arguments solides, mais il n’ordonne pas ; qu’il ne part jamais de son autorité comme d’un principe, et qu’au concile de Jérusalem il ne préside pas, il ne commence pas, il ne clôt pas la discussion ; que les frères ne le reconnaissent nulle part comme ayant une autorité de chef de l’Église, qu’ils se reconnaissent le droit de l’interroger, de le contrôler, de le blâmer ; que Paul en particulier le censure pour sa conduite peu franche à l’égard des gentils, tellement il est éloigné, et Pierre aussi, d’admettre on ne sait quelle infaillible autorité.

Relativement au voyage de Rome, qu’il est plus que contestable, que rien ne le prouve, que tout établit que Pierre n’y a jamais été ; que s’il y a été, ce n’a pas été pendant vingt-cinq ans, mais un moment seulement ; qu’il n’y a jamais été évêque, et que l’eût-il été, il n’eût jamais transmis à des successeurs des promesses (quelconques) qui n’avaient été faites qu’à sa personne ; que s’il a transmis des droits à l’Église de Rome, cette Église n’en a rien su dans les commencements ; que lorsqu’elle a essayé au troisième siècle de les faire valoir, la chrétienté toute entière a protesté ; qu’au sixième siècle l’évêque de Rome les ignorait encore, ou les repoussait avec indignation, et que ce n’est qu’au onzième siècle qu’un pape ambitieux les a solidement conquis ; que si Pierre eût légué des dons à l’Église de Rome, cette Église n’eût pas tardé à les perdre, ayant évidemment prouvé qu’elle était indigne d’être l’héritière de ce saint apôtre ; enfin, que si jamais elle a eu des droits à cette succession, elle en a toujours fait un mauvais usage, etc., etc.

On ne répond à une erreur raisonnable que par une seule raison ; à des échafaudages d’absurdités, il y a des milliers de réponses à faire, et la source n’en tarit point ; la primauté de Pierre, sa papauté, appartient à cette masse de faits dont l’Église romaine a eu besoin pour établir un pouvoir spirituel immense ; et non contente de cette usurpation, elle y a joint, en manière de petits profits ignorés des premiers siècles, le droit de disposer des couronnes, des royaumes et des peuples, droit qu’elle a exercé de la manière la plus barbare et la plus criminelle, et qu’elle exercerait encore si, peu à peu, la lumière n’était venue en bien des lieux protester contre ces ténèbres abrutissantes et rendre à chaque individu les droits qui lui appartiennent par la grâce de Dieu. Que M. de Chateaubriand nous montre donc « ce prince d’une espèce nouvelle dont les successeurs étaient appelés à monter sur le trône des Césars, entrant dans Rome le bâton pastoral à la main », on comprendra son langage comme celui d’un loyal sujet du Saint-Siège, comme une fleur de plus jetée au milieu de ses magnifiques Études Historiques, mais l’on n’y trouvera ni l’exactitude de l’historien, ni l’esprit d’un théologien, ni le langage et la foi d’un chrétien. M. le comte Joseph de Maistre, avec un sérieux parfois héroï-comique, a traité dans son livre du Pape plusieurs des questions relatives à Pierre dans ses rapports avec le Saint-Siège ; il était difficile de faire avec autant d’esprit un livre aussi peu intelligent, aussi bizarre, aussi faux ; et le dix-neuvième siècle a été surpris de cette apparition ; c’était comme un revenant du onzième siècle.

Pour l’examen des prétentions historiques, théoriques et théologiques de l’Église romaine, nous n’avons rien lu de plus solide parmi les ouvrages modernes que les deux Dissertations de A. Bost, père, sur le Droit des Papes, l’Appel à la conscience des catholiques romains du même auteur, I’Anatomie du papisme par N. Puaux, et un sermon de M. Vinet, intitulé Simon Pierre.

Ajoutons seulement, et c’est une observation dans tous les cas intéressante, que les protestants ont pour Pierre un respect plus réel, plus sincère que les papistes ; nous croyons, en effet, avec le grand apôtre « qu’il n’y a de salut en aucun autre qu’en Christ, et qu’il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui soit donné aux hommes par lequel il nous faille être sauvés » (Actes 4.12) ; l’Église de Rome pense autrement. Nous disons encore avec Pierre : « Que ton argent périsse avec toi, puisque tu as estimé que le don de Dieu s’acquiert avec de l’argent » (Actes 8.20) ; l’Église de Rome, au contraire, favorise et pratique la simonie. Nous croyons que ce n’est point le baptême qui sauve, mais la recherche que fait de Dieu une conscience pure (1 Pierre 3.21) ; l’Église de Rome refuse l’inhumation aux enfants morts sans baptême. Pierre refusa l’adoration de Corneille (Actes 10.26) ; ses prétendus successeurs la réclament, y compris des baisers pour leurs pantoufles. Nous croyons enfin avec Pierre, que dans le temple de Dieu sur la terre, dans son Église, il n’y a qu’une pierre fondamentale qui est Christ, et que tous les chrétiens entrent dans la construction de l’édifice comme autant de pierres vives (1 Pierre 2.4-5) ; Rome, au contraire, estime qu’il n’y a qu’une pierre, et que cette pierre c’est Pierre. Mais assez.

f) D’après ce qui a été dit plus haut, comme aussi d’après la simple lecture de l’Évangile, on peut se faire une idée assez exacte du caractère de l’apôtre. Vif, bouillant, entreprenant, résolu, dévoué, mais se confiant trop en lui-même, il a trouvé dans ses dispositions naturelles les causes de sa grandeur et de ses chutes. Ces caractères agissent plus qu’ils ne vivent ; ils sont plus capables de grandes actions que de persévérance, et la vigilance n’est pas leur côté fort ; moins homogène que Jean, Pierre a paru davantage, il a peut-être fait davantage, mais il n’a pas été aimé de son maître comme l’apôtre de la charité. Dans une circonstance solennelle, dans un interrogatoire en forme, Pierre n’eût peut-être pas renié son maître ; il eût veillé. Devant un simple interrogatoire, devant une servante dont les questions importunes ne lui paraissent pas dignes de réponse, il le renie ; il le renie parce qu’il ne veut pas se laisser troubler dans ses tristes pensées par d’indifférents interlocuteurs ; il reste pour ne pas abandonner son maître, et il le renie encore ; il est sans vigilance. Le chant du coq le réveille, et c’est alors seulement qu’il se rappelle qu’un reniement devant cette foule indifférente, indiscrète, sans droits à le questionner, est cependant aussi un reniement ; il pleure alors, parce qu’il comprend la grandeur du péché qu’il a commis, parce qu’il veille. Chrysostome, Luther, Mélanchthon et Calvin, renferment de belles et touchantes pages sur ce reniement de l’apôtre, et si l’on doit éviter d’être à cet égard plus indulgent que Pierre ne l’a été pour lui-même, il ne faut pas non plus se montrer plus sévère que Jésus.

La conduite de Pierre à Antioche (Galates 2.11), s’explique plus ou moins de la même manière, quoique la position fût loin d’être la même ; Pierre avait alors déjà reçu les dons du Saint-Esprit, il était plus éclairé, sa faute était plus grande, et en outre elle était réfléchie. Sans doute bien des excuses pouvaient se présenter à son esprit, pour motiver une conduite si peu conforme à ses antécédents et aux ordres qu’il avait reçus du Seigneur ; mais des excuses ne justifient point, et Pierre a passé condamnation. Plusieurs docteurs catholiques romains ont cherché à sauver l’infaillibilité du saint-siège et la réputation de Pierre, en attribuant cette conduite à un autre Céphas, l’un des soixante-dix disciples, qui doit avoir été plus tard évêque d’Iconium ; mais le sentiment général, c’est qu’il s’agit bien ici de Pierre lui-même. « Pierre (dit dom Calmet), reçut cette répréhension avec silence et humilité, et ne se prévalut point de sa primauté pour soutenir ce qu’il avait fait ». Je crois bien, et dans tous les cas il n’eut garde de parler d’infaillibilité. Et si l’on objecte que ce n’est là que l’opinion de Calmet, celle d’un particulier, « toute l’Église, dit le pape Pelage, révère l’humilité avec laquelle il a cédé aux raisons de Paul, et changé de sentiments ». Oui, mais encore Pelage bat l’infaillibilité dans la personne du premier pape, et il faut avouer qu’alors on n’avait pas encore connaissance de cette absurde prétention dont on a fait depuis une véritable incorrigibilité.

g) Le corps de Pierre est à Rome, moitié dans l’église de Saint-Pierre, moitié en celle de Saint-Paul ; sa tête est encore à Rome, dans l’église de Saint-Jean-de-Latran, où l’on montre également une dent à part ; puis il y a de ses os partout ; à Poitiers, la mâchoire avec la barbe ; à Trêves, quelques os ; ailleurs, plusieurs encore ; à Genève, lors de la réformation, l’on montrait, sur le grand autel de la cathédrale, sa cervelle précieusement enchâssée ; à l’examen, on vit que c’était une pierre ponce. Sa chaire épiscopale et sa chasuble sont à Rome ; l’autel devant lequel il chantait la messe se trouve à la fois à Rome et à Pise ; on conserve également le couteau avec lequel il coupa l’oreille de Malchus ; sa crosse se voit à Saint-Etienne-des-Grès, à Paris ; son bourdon est à la fois à Cologne et à Trêves ; on montre enfin à Saint-Anastase (Rome) le pilier sur lequel il fut martyrisé. Sa fille Pétronille a son corps entier à Rome, en l’église de son père ; plus, des reliques à part à Sainte-Barbe, plus, derechef le corps entier au Mans, dans le couvent des Jacobins ; il guérit des fièvres. Le jour où l’on en finira avec ces pitoyables absurdités n’est pas loin ; le mouvement des Ronge et des Czersky ne fait que de commencer ; ils ont attaqué les reliques, les baïonnettes étrangères attaquent l’autorité même dont elles sont l’émanation et la raison suprême ; c’est le propre des armes de tuer ce qu’elles touchent

h) Première Épître de Pierre. Un voit par 3.13, qu’elle a été écrite de Babylone ou des environs ; mais les auteurs ne sont pas d’accord sur la signification de ce nom ; plusieurs Pères ont pris cette expression comme allégorique, et pensent qu’elle désigne Rome ; c’est, en effet, un moyen de faire aller Pierre à Rome, mais ces exégètes sont précisément ceux qui repoussent le plus absolument le sens de Rome que l’on veut donner à la Babylone de l’Apocalypse, et cependant, dans le langage mystique et nécessairement obscur de ce dernier livre, on comprend beaucoup mieux qu’une ville soit désignée symboliquement, qu’on ne peut le comprendre dans une épître où toutes les expressions sont prises dans leur sens ordinaire et naturel ; rien ne pouvait engager Pierre à cacher à ses lecteurs le nom de la ville où il se trouvait.

Les chrétiens d’Égypte, jaloux de posséder une trace du passage de l’apôtre au milieu d’eux, ont à leur tour, et déjà avec plus de raison, prétendu qu’il s’agissait ici de la petite forteresse de Babylone qui se trouvait en Égypte ; c’était un poste fortifié pour loger une légion romaine ; il avait été construit par Cambyse, roi de Perse, lors de la conquête de l’Égypte ; mais on ne comprend pas pourquoi l’on irait chercher cette petite station militaire au lieu de la grande Babylone. Celle-ci avait été ruinée en effet, mais sa destruction n’avait pas été si complète qu’il n’y fût resté un certain nombre d’habitants. D’après Josèphe, les chrétiens y avaient été persécutés, et vingt ans après l’époque fixée pour la composition de cette lettre, la peste y avait fait encore des ravages terribles, surtout parmi les Juifs. Suivant plusieurs auteurs (v. Assemani), Babylone était encore habitée aux temps de Théodose le Grand, 379-395, et selon Abulféda, il y avait encore au quatorzième siècle un bourg appelé Babel sur la place même de l’ancienne Babylone.

Tout concourt donc à prouver que Pierre, qui avait visité les Églises nommées au commencement de son épître, et qui avait porté son activité jusque chez les Parthes, n’a pu désigner sous le nom de Babylone que la ville généralement connue sous ce nom. « Celle qui est à Babylone, élue avec vous », désigne, selon quelques-uns, l’église de cette ville, selon d’autres, et c’est le plus probable, la femme de l’apôtre, comme « Marc mon fils » se prend aussi dans son sens simple et littéral ; non seulement la tradition nous montre la femme de Pierre voyageant avec lui, mais elle rapporte que Pierre lui-même a conduit sa femme au martyre en lui parlant de la gloire à venir. Il est difficile de rien fixer sur la date de cette lettre ; elle ne renferme aucun indice suffisant ; la seule hypothèse possible repose sur l’état général des églises auxquelles la lettre est adressée ; ces églises sont représentées comme existant déjà depuis un certain temps, et l’apôtre cherche à les préparer à de grandes persécutions ; on a cru pouvoir en conclure que la composition de cette lettre doit être placée entre 62 et 65.

Les lecteurs de la première épître étaient, d’après Michaélis, des prosélytes juifs passés au christianisme, d’après Steiger, des pagano-chrétiens, d’après Hensel et d’autres, des judéo-chrétiens ; chacune de ces hypothèses semble s’appuyer sur quelques versets, d’où il résulte que nous serons plus près, et de la vérité et de la vraisemblance, si nous admettons que l’épître était adressée aux Églises telles qu’elles existaient, composées des uns et des autres ; il ressort cependant de 1.4, que c’étaient es judéo-chrétiens que l’apôtre avait plus particulièrement en vue, comme le tronc sur lequel les autres chrétiens avaient été entés ; ni Pierre, ni Jacques ne regardaient l’alliance de Dieu avec Israël comme dissoute ; ils estimaient que c’était l’alliance fondamentale, et que les païens y entraient par le fait de leur conversion au christianisme.

Quant au but et au contenu de l’épître, on voit qu’elle s’adresse aux chrétiens dans une époque où de graves persécutions allaient éclater, où l’Église se trouvait à la veille d’événements sérieux, à la veille des persécutions de Néron, de la destruction de Jérusalem, de la mort des apôtres. Pierre rappelle aux Églises que leur foi est bien fondée, que c’est dans la vraie foi qu’ils ont été instruits (1.25 ; 5.12), puis elle exhorte à persévérer dans la sanctification, à rester fidèles, même dans les persécutions, et à ne pas perdre de vue la félicité à venir. Dans le premier chapitre, après la salutation et des exhortations qui se rapportent à la vie intérieure, l’apôtre montre dans la foi en Christ le motif et le mobile de la sanctification. Le chapitre 2 présente des exhortations relatives à la vie civile ; les motifs en sont pris dans notre vocation céleste et dans l’exemple de Christ. Les huit premiers versets du chapitre 3 renferment divers préceptes sur la vie domestique. Jusqu’à la fin du chapitre 4 viennent des exhortations générales qui se rapportent à la position des chrétiens vis-à-vis d’un monde persécuteur. Dans le chapitre 5, il y a la vie dans l’Église, et la conclusion.

On a remarqué et exagéré plusieurs rapports qui se trouvent entre les épîtres de Pierre et celles de Paul et de Jacques, mais il n’y a rien là qui ne s’explique très naturellement, soit parce que dans leurs citations les apôtres se servaient souvent des Septante, soit parce qu’ils ont eu connaissance des lettres les uns des autres, soit parce que ces hommes de Dieu, intimement liés par une même foi, avaient eu fréquemment l’occasion de s’entretenir des mêmes vérités.

L’authenticité de cette épître n’a guère été contestée ; la plupart des Pères la citent, la plupart des canons la renferment. Les arguments intérieurs et extérieurs de De Wette, qui attaque presque toutes les authenticités, ont ici encore moins de poids qu’ailleurs. Un passage obscur du canon de Muratori, l’appui de Théodore de Mopsueste qui rejette toutes les épîtres catholiques, celui des Pauliciens, sont les seuls témoignages que l’on puisse invoquer ; ils ne sont pas considérables.

Deux commentaires distingués, à citer entre plusieurs autres, sur cette épître, sont celui de l’archevêque Leighton de Glasgow, traduit et retouché en français par L. Bonnet, et celui de Steiger, en allemand.

2e Épître de Pierre.. Adressée aux mêmes églises que la précédente, et dans les derniers temps de la vie de l’apôtre, en 66 ou 67, cette lettre a pour but de fortifier les chrétiens contre la tiédeur et le relâchement, contre les attaques des faux docteurs et contre les doutes qui naissaient chez plusieurs, de ce que le retour du Seigneur sur la terre n’avait pas encore eu lieu. Au 1er chapitre l’apôtre exhorte, et confirme la vérité de l’Évangile. Dans le 2e, il combat directement les faux docteurs, ou pour mieux dire, les faux chrétiens. Dans le 3e, il parle de la venue de Christ, et exhorte les fidèles à ne pas se laisser ébranler par des doutes à cause du retard de l’avènement de Christ. Il y a comme une gradation dans cette épître ; ce sont d’abord les doutes en général que l’apôtre combat, puis il attaque les faux docteurs qui, en flattant la chair, usent d’un redoutable moyen de séduction en disposant l’âme à douter ; enfin il combat les doutes sur un point particulier.

Cette lettre avait une valeur de circonstance ; l’apôtre parlait à ses contemporains d’une manière conforme à leurs besoins et à leur position. Mais les maux et les périls contre lesquels il cherchait à armer la foi des fidèles, sont ceux aussi qui ont ravagé l’Église de Christ dans les siècles suivants, et ses exhortations ont quelque chose de prophétique. Cette épître est donc pour l’Église un héritage précieux de l’apôtre mourant ; ce sont les dernières paroles d’un homme qui a été l’une des colonnes de l’Église, de Pierre qui marche au martyre. S’il est triste que des doutes se soient élevés sur la valeur de ce document, il faut se rappeler que l’Apocalypse, qui renferme les paroles du Sauveur glorifié, n’a pas eu un meilleur sort.

Si cette épître n’a pas été écrite par Pierre, dont le nom est inscrit au premier verset, elle est l’ouvrage d’un imposteur ; il ne s’agit donc plus de savoir si elle a été écrite par l’un ou l’autre des apôtres, mais si elle l’a été par Simon Pierre, ou par un faussaire. La question est tout autre que celle que nous avons examinée au sujet de l’Épître aux Hébreux ; elle est de la dernière importance, mais on ne saurait ici la traiter en détail, et nous devons nous borner à quelques observations et à l’examen des faits principaux.

Il n’y a pas contre cette épître de témoignages historiques directs, tels que serait celui d’un homme distingué, ou celui de toute une Église. Personne n’a montré, ni dans les anciens temps, ni de nos jours, qu’elle renfermât une doctrine ou même une expression contraire à la vérité, tandis que les Pères de l’Église, en réfutant les écrits apocryphes de leur temps, ne manquent jamais de relever ce qu’il y a de faux dans ces compositions supposées. On remarque au contraire, dans toute l’épître, une parole vraiment apostolique. Et cet argument, déjà fort en lui-même, le devient davantage encore lorsqu’on réfléchit que si ce n’est pas un apôtre, c’est un imposteur qui a dû parler ainsi, avec cette onction, cette pureté d’une âme inspirée de Dieu. Un imposteur n’y aurait-il pas mêlé des erreurs, des hérésies plus ou moins cachées, mais toujours apparentes. L’auteur de l’épître se donne à connaître en plusieurs passages (1.1-16 ; 3.1-2, 15), de la manière la plus claire, et l’analogie du langage entre la première et la deuxième épître de Pierre, a toujours été remarquée.

À ces arguments on oppose :

Que cette épître n’a été connue que tard, Eusèbe étant le plus ancien témoignage direct, la Peschito ne comprenant pas cette épître, Origène et saint Jérôme exprimant des doutes sur son authenticité. Mais des circonstances, à nous connues ou inconnues, ont pu en empêcher la circulation ; une publicité retardée, voilà tout ce que l’on peut conclure de ce demi-silence : l’argument tiré de la Peschito ne prouve pas plus contre 2 Pierre qu’il ne prouve contre Jude, ni contre 2 et 3Jean, épîtres qui ont peu circulé et que la version syriaque n’a pas connues. Écrite peu avant la mort de Pierre, au milieu des troubles de la persécution de Néron, à des églises de l’Orient, cette épître a pu être pendant un temps cachée et oubliée ; à sa réapparition elle a pu rencontrer quelques doutes, parce qu’au milieu des nombreux écrits apocryphes qui se publiaient sous le nom de Pierre, les églises se tenaient sur leurs gardes pour n’être pas trompées. On peut voir d’ailleurs (par 1 Thessaloniciens 5.27), que la publicité donnée aux lettres des apôtres n’était pas une chose qui allât sans dire, puisque Paul doit conjurer les anciens, au nom du Seigneur, de faire lire sa lettre à tous les frères.

2°. On insiste sur la différence de style qu’on trouve entre les deux épîtres du même apôtre. À cette différence on peut opposer au contraire beaucoup de ressemblance, et l’objection se trouve contrebalancée. Mais, en outre, il faut observer que le langage et le style ne peuvent pas porter un caractère très prononcé dans une lettre qui n’est pas composée avec un soin rhétorique, écrite quelques années plus tard, dans un autre endroit, en des circonstances fort différentes, au milieu de la persécution, avec l’empressement et la hâte que provoque toujours un danger imminent, dans une langue qui n’était pas la langue maternelle de l’auteur. La différence de sujet doit surtout être prise en considération ; dans la première lettre on voit des exhortations douces et paternelles pour engager les chrétiens à supporter patiemment les épreuves ; dans la deuxième, c’est un langage ferme contre les hommes qui corrompent le christianisme. Olshausen ajoute que l’apôtre a peut-être dicté seulement les idées de sa lettre, sans en dicter les expressions.

On invoque contre l’authenticité, les rapports intimes, et l’affinité remarquable qui se trouvent entre le 2e chapitre de notre épître et l’Épître de Jude. Cette dernière portant des caractères assez évidents de priorité, on se demande s’il est possible et probable que Pierre ait fait un emprunt aussi considérable aux écrits d’un autre apôtre. Il y a plusieurs réponses à faire à cette objection. Olshausen d’abord ne craint pas de supposer, et cela se rapporte aux deux épîtres de Pierre, que l’apôtre, âgé, et n’ayant pas beaucoup de facilité pour s’exprimer en grec, aimait à se servir des phrases et des expressions allant à son but qui pouvaient se trouver dans d’autres écrits, et cela d’autant plus que le style chrétien grec était une chose toute nouvelle, qui n’avait pris naissance qu’à une époque où l’apôtre était déjà avancé en âge, et où le chemin frayé par Paul lui paraissait plus naturel à suivre. Ces considérations peuvent avoir de la valeur, mais elle ne suffisent cependant pas pour rendre compte de la connexion de forme et d’idées qu’il y a entre les deux épîtres qui nous occupent. Il faut supposer qu’avant qu’elles fussent composées, il y avait eu des rapports intimes soit entre les deux apôtres, soit entre les lecteurs des deux épîtres, ou peut-être les deux choses ensemble. Dans le premier cas, Pierre avait parlé à Jude et lui avait communiqué ses idées avant que ce dernier eût composé son épître ; Jude, en écrivant, a développé les idées qui avaient fait le sujet de leurs entretiens, et Pierre, en écrivant plus tard sa 2e épître, se sera servi pour rendre ses idées, des expressions dont Jude les avait revêtues. Dans le second cas, Jude aurait écrit une lettre qui aurait été mal reçue, et Pierre, écrivant aux mêmes lecteurs, aurait indirectement soutenu l’autorité de Jude, en faisant passer dans sa lettre le contenu de celle de son collègue. Et si l’affinité des deux épîtres est le résultat d’une sympathie et d’une coopération apostolique et fraternelle, on ne peut voir dans l’emprunt fait de l’un à l’autre, rien qui soit indigne ni de l’activité, ni de l’humilité d’un apôtre ; or cette coopération non seulement est possible, mais elle est probable, entre des apôtres qui avaient visité les mêmes Églises.

Enfin l’on tourne contre Pierre lui-même les efforts qu’il fait pour se faire reconnaître ; mais cette preuve n’en est pas une. Vis-à-vis des faux docteurs et des faux frères, il était nécessaire de faire valoir l’autorité apostolique, et Paul dans des circonstances semblables n’agissait pas différemment, comme on peut le voir par les Épîtres aux Corinthiens et aux Galates.

Telles sont les objections les plus importantes. Que prouvent-elles ? Que la composition de cette lettre et les circonstances qui l’accompagnèrent ne sont pas bien connues, toute l’antiquité apostolique étant voilée pour nous. Elles ne prouvent pas, comme rien ne prouvera, que l’écrit d’un imposteur ait pris place dans le canon du Nouveau Testament.

k) Un Évangile, un livre des Actes, et une Apocalypse apocryphes, ont été attribués à Pierre ; nous n’avons pas à nous en occuper.