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Moïse
Dictionnaire Biblique Bost Westphal Calmet

Chef et législateur des Juifs, descendant de Lévi, fils d’Amram et de Jokébed (Exode 6.20-21ss), naquit en Égypte pendant les jours de l’esclavage (1571 av. J.-C.) ; il était divinement beau, dit l’auteur de l’Épître aux Hébreux (11.23). Il fut adopté par une princesse égyptienne, qui lui donna, en souvenir de sa naissance et de sa délivrance, le nom qu’il a toujours porté depuis (en égyptien ma signifie l’eau, et ysès ou oudsché sauvé, d’après Jablonsky ; ou bien selon Renaudot, moou signifie l’eau, et si tiré). L’Histoire sainte se tait presque entièrement sur les quarante premières années de sa vie ; elle raconte seulement qu’il fut instruit dans toute la science des Égyptiens, et le Pentateuque qu’il a écrit porte partout l’empreinte des profondes connaissances qu’il avait acquises ; Moïse y apparaît comme un homme versé dans toutes les spécialités.

Entouré de pompes et d’espérances, avec la perspective peut-être de monter sur le trône des Pharaons, il préféra le ciel à la terre, et l’opprobre de Christ à la gloire de ce monde ; il quitta la cour et voulut devenir semblable à ses frères qui gémissaient sous l’ignominie et l’oppression ; il voulut les secourir, tua un Égyptien, essaya d’intervenir comme médiateur entre deux Hébreux, et reçut une réponse de l’un d’eux que lui fit comprendre qu’il n’était pas accepté comme tel.

Menacé de mort, il s’enfuit en Madian, et, allié d’un prince berger, il acheva de mûrir pendant quarante années de solitude, en gardant les troupeaux de son beau-père, les projets qu’il avait formés en faveur de son peuple ; l’indépendance de sa nation pouvait être différée, mais elle ne pouvait être perdue pour toujours ; on peut croire aussi que vieillissant et s’affaiblissant, il en vint à ne plus former que de simples vœux, renonçant pour lui-même à l’honneur qu’il avait rêvé plus jeune, d’affranchir son peuple de tant de misères.

Une vision miraculeuse, accompagnée de grands prodiges et de paroles sublimes, vient dans sa quatre-vingtième année l’arracher aux travaux paisibles dont il avait pris l’habitude, et faire d’un conducteur de brebis un conducteur d’hommes vivants. Faible, craintif, irrésolu, se défiant de lui-même, et s’exprimant avec peine, Moïse avait besoin de miracles pour se décider, et il les obtint : la puissance de Dieu se manifesta dans son infirmité, et le futur législateur, accompagné de son frère, le futur pontife d’Israël, part et vient sans mystère déclarer au monarque polythéiste les desseins du seul vrai Dieu. Celui qui est.

Les efforts réunis des deux frères, leurs menaces, leur parole accomplie, dix plaies qui frappent successivement l’Égypte en épargnant les Hébreux, ouvrent à ceux-ci le chemin de la liberté (Exode 6-14). Moïse conduit au désert ce peuple d’esclaves, leur fait passer de pied sec la mer Rouge, leur donne la loi en Sinaï, les organise en nation, règle leur culte et leurs institutions religieuses et politiques, ne les entretient que de miracles, ne voit chez eux que murmures et incrédulité, révoltes et idolâtrie (Exode 11-40 ; Nombres 10-13). Désespérant enfin d’un peuple auquel il a tout donné, excepté le cœur et l’amour des grandes choses, il sème et perd au désert ces hommes qui préfèrent des oignons à la liberté, laisse éteindre cette lâche génération d’esclaves, forme aux combats et à la prière des hommes nouveaux et libres, leur promet à eux seuls et à leurs efforts la possession de la terre sainte, abîme les peuplades cananéennes situées en dehors des limites de la Palestine, et donne leur territoire à quelques tribus plus impatientes ; puis, à l’âge de cent vingt ans, il dépose son autorité entre les mains du fidèle Josué, et meurt ou s’endort sur la montagne du haut de laquelle sa vue encore bonne a pu contempler la terre après laquelle il avait longtemps soupiré, dont un mouvement d’incrédulité l’a banni lui-même, et où il n’est entré enfin que deux mille ans plus tard, lorsque Jésus le reçoit sur le mont de la transfiguration (Matthieu 17.3).

La vie de Moïse embrasse les quatre derniers livres du Pentateuque, et c’est lui-même qui l’a écrite. Elle est trop connue pour qu’il soit nécessaire de la raconter ici en détail, et se rattache d’ailleurs à une quantité de noms et de faits qui tous ont leurs articles spéciaux, voir Aaron, Balaam, Manne, Coré, Loi, Mer Rouge, etc., etc. Nous nous bornerons donc à éclaircir les points obscurs de son histoire qui ne touchent qu’à lui seul, sans entrer dans l’examen de questions qui sont résolues ailleurs.

1°. On ne peut ni prouver ni commenter les miracles, et l’histoire de Moïse en est pleine ; la foi seule les admet, l’incrédulité les rejette ou cherche à les expliquer d’une manière naturelle. Quoiqu’il faille en général se méfier des explications, il faut cependant éviter aussi de tomber dans l’excès contraire, qui cherche à multiplier inutilement une intervention du Très-Haut dans les événements de la nature, lorsque rien dans l’Écriture ne justifie l’idée d’un miracle proprement dit. C’est ainsi qu’on a voulu voir un miracle dans la délivrance du jeune Moïse sauvé des eaux par une princesse d’Égypte ; à ce compte-là, toutes les préservations providentielles seraient des miracles, et si l’on veut en effet donner ce nom à toutes les dispensations divines, à la bonne heure ; mais on doit se rappeler des faits tout semblables dans les histoires de Sémiramis, de Cyrus, de Romulus, et d’autres personnages historiques arrachés à la mort contre toute probabilité humaine, mais par des moyens et des secours tout humains ; c’étaient des cas, si l’on veut, extraordinaires et inattendus, mais nullement miraculeux.

La défaite des Amalékites appartient à la même classe d’événements ; ce fut une prière exaucée, mais la victoire d’armes terrestres. Il y a dans la vie de Moïse un second ordre de faits, c’est celui de miracles réels produits par des causes naturelles ; ainsi, le passage de la mer Rouge (cf. Exode 14.21) ; ainsi, peut-être, quelques-unes des plaies de l’Égypte, le génie de Betsaleël et d’Oholiab, les cailles du désert et les maux qui s’y rattachèrent, la plaie de Sittim, etc. Enfin, l’on doit ranger dans une troisième classe la vision du buisson ardent, les pouvoirs donnés à Moïse, la plupart des plaies, la manne, la nuée du tabernacle, l’eau du rocher, l’entretien des vêtements pendant quarante ans, la mort soudaine de Nadab et d’Abihu, celle de Coré et de ses complices, le serpent d’airain, etc. Ces distinctions sont permises, mais elles ne sont justes qu’au point de vue humain ; elles sont claires lorsqu’on définit le miracle une perturbation momentanée des lois ordinaires de la nature ; elles sont inutiles quand on admet l’intervention constante de Dieu dans tous les phénomènes, ordinaires et extraordinaires, du monde physique, et qu’on se rappelle que pas un cheveu ne tombe en terre sans la permission de celui qui dirige les mondes dans leur cours.

2°. On s’est étonné que Jokebéd ait pu garder son fils pendant trois mois sans que rien l’ait trahie ; que la princesse ait pu élever le jeune Hébreu à la cour de celui qui avait porté l’édit de destruction ; et enfin que Moïse, malgré ses relations avec la cour, soit représenté plus tard comme y étant complètement inconnu et étranger. Mais la première observation montre bien peu de connaissance du cœur d’une mère, de ce cœur habile à tromper tous les ennemis, à déjouer toutes les ruses, à écarter tous les dangers ; l’on sait d’ailleurs, par des faits qui se reproduisent continuellement de nos jours encore, et sous nos yeux, qu’il n’est pas de lois, si sévères qu’elles soient, et souvent même en proportion de leur sévérité, auxquelles bon nombre d’individus ne réussissent à se soustraire. La seconde observation prouverait également peu d’intelligence des rapports d’une fille avec son père ; il n’est pas de loi qui n’ait ses exceptions naturelles, et la prière d’une fille, dans un cas surtout qui semblait présenter si peu d’importance politique, a dû décider sans peine le monarque absolu de l’Égypte. On pourrait ajouter aussi que Pharaon étant sans enfants mâles, et sa fille étant sans enfants, l’adoption du jeune Moïse aura été facilitée par cette circonstance, et qu’elle aura pu sourire au vieux roi. D’anciens interprètes ont, en effet, compris (Exode 2.10), comme si Moïse avait été destiné au trône de l’Égypte, et, si cette opinion a été abandonnée, elle n’est cependant pas absolument sans vraisemblance. Quant à l’objection tirée de ce que Moïse, reparaissant à la cour, semble ne pas y être reconnu, elle ne repose que sur le silence de l’Écriture à cet égard, et non sur un texte quelconque. Rien ne dit que Moïse fut oublié ; comme aussi, à cause des rapports nouveaux de Moïse avec Dieu, rien ne nécessitait la mention de ses anciennes relations avec la cour ; rappelons d’ailleurs qu’entre la fuite de Moïse en Madian et sa réapparition en Égypte, quarante ans s’étaient écoulés, et que le souvenir d’un homme avait pu s’effacer dans cet intervalle, plusieurs rois s’étant peut-être succédé sur le trône, et tout le personnel de la cour ayant pu être changé.

3°. Il est digne de remarque que Moïse ayant entrepris la délivrance des Hébreux, à laquelle il était cependant destiné, échoua dans sa première tentative. C’est que son heure n’était pas encore venue ; c’est aussi que, lorsque Dieu veut que l’homme accomplisse une œuvre, il ne suffit pas que l’homme l’entreprenne, il faut qu’il l’entreprenne au nom de Dieu, avec son secours, avec le Saint-Esprit pour guide, pour mobile, pour conseil et pour aide, non point de lui-même et par lui-même, mais par celui qui l’a envoyé. Dieu, en se servant des homme pour l’accomplissement de ses desseins, veut toujours manifester sa force dans notre infirmité, et le jeune, le puissant, le savant Moïse a échoué, quand le vieillard affaibli, sans enthousiasme, sans courage, sans élan, sans forces, a réussi. L’Écriture nous présente un grand nombre d’exemples de ce genre, et toutes les entreprises chrétiennes, individuelles ou générales, feront l’expérience de leur faiblesse, même dans le bien, quand elles voudront travailler en dehors des inspirations divines, de leur force, même dans l’infirmité, quand elles iront en avant par la foi.

4°. L’enlèvement des vases d’or et d’argent que les Israélites empruntèrent aux Égyptiens, et qu’ils ne leur rendirent pas (Exode 3.22 ; 11.2 ; 12.33-36), a servi de thème aux déclamations de bien des incrédules. C’est un vol, ni plus, ni moins, dès qu’on veut faire abstraction de tout ce qui l’a accompagné ; ce n’en est plus un dès qu’on se rappelle (11.2) que les Hébreux empruntèrent de bonne foi et avec l’intention de rendre, et que les circonstances, la guerre étant survenue, ne le leur ont plus permis ; chez les anciens, une déclaration de guerre faisait considérer comme butin tout ce que l’on possédait appartenant à l’ennemi. Ce n’est plus un vol quand on se rappelle que les Israélites abandonnaient, entre les mains des Égyptiens, les cultures de Goshen, et beaucoup d’autres propriétés dont la valeur était de beaucoup supérieure à celle des vases qu’ils emportaient. Ce n’était plus un vol enfin, parce que cet enlèvement avait lieu sur l’ordre de celui à qui toutes choses appartiennent ; de celui qui, après avoir prêté des richesses aux Égyptiens, jugeait à propos de les répartir autrement, de les donner à son peuple élu, de les faire passer en d’autres mains, afin que, plus tard encore, elles servissent à l’ornement de sa demeure. Les commandements que Dieu a donnés ne le lient point lui-même ; il peut commander à Abraham le meurtre de son fils ; aux Hébreux, l’extermination des Cananéens ; à Osée, la fréquentation d’une femme de mauvaise vie.

5°. La durée du séjour des Hébreux en Égypte a-t-elle été de 430 années, comme il est dit en Exode 12.40, ou bien ces 430 années doivent-elles être comptées depuis la promesse qui fut faite à Abraham (Galates 3.17) ? Dans ce dernier cas, le séjour de l’Égypte n’aurait duré que 215 ans. C’est une question qu’il n’est pas possible de résoudre. À moins d’admettre une contradiction entre les historiens sacrés, il faut admettre une altération dans les chiffres qui nous ont été laissés.

6°. Le nombre des hommes de guerre à la sortie d’Égypte étant de 600000 (Exode 12.37), suppose une population totale d’au moins un million et demi de personnes de tout âge, chiffre imposant quand on se rappelle que c’était la postérité du seul Jacob, venu auprès de Pharaon avec ses soixante-dix enfants et petits enfants, mais dont l’exagération diminue et s’explique facilement, ainsi qu’on le verra à l’art. Nombres.

7°. La grande émigration du peuple juif a été connue des Grecs, et mentionnée par leurs historiens, ainsi que par les historiens latins (Tacit. Hist. 3.3 ; Justin 36.2 ; Diod. de Sic. 40.1 ; 34.1) ; mais ils la racontent, d’après des données égyptiennes, comme une expulsion des Hébreux par les Égyptiens, nécessitée par une maladie épidémique, peste ou lèpre, qui aurait régné dans les rangs des Israélites, et menacé la santé publique. Voir Lèpre. D’après Lysimaque, le roi Bocchoris aurait fait noyer les malades, et chassé les autres dans le désert. Les plaies envoyées sur les Égyptiens (Exode 9) peuvent avoir donné naissance à cette tradition malveillante, et l’on comprend que le peuple païen ait saisi avec empressement un moyen de dénaturer la vérité, et de rendre suspects les esclaves qui avaient secoué leur joug. Ce ne serait pas, dans l’histoire, le dernier exemple de ce genre.

8°. On a essayé de comparer, à la disparition subite de Romulus, la mort de Moïse sur le mont Nébo ; on a voulu la rapprocher aussi de l’enlèvement d’Énoch et de celui d’Élie. Le choix de ces deux derniers exemples aurait, en tout cas, plus de valeur que le premier ; mais tout ce qu’on a voulu voir de merveilleux dans la mort de Moïse, on a été obligé de l’y mettre. Le texte biblique nous dit clairement et simplement : « Moïse mourut là, selon le commandement de l’Éternel… et il l’enterra dans la vallée » (Deutéronome 34.5-6). Ce qui peut donner lieu à discussion, ce n’est donc point le fait de sa mort, mais ce qui est dit (Jude 1.9), de la dispute du démon avec l’archange Michel, au sujet de son corps, voir ce qui a été dit à l’art. Michel.

9°. Moïse, d’après la chronologie ordinaire, à vécu de 1571-1450 av. J.-C., et nous nous contentons de cette date, faute d’une base chronologique plus sûre ; d’autres placent sa naissance à l’an 1726, d’autres en 1948. La détermination des dynasties égyptiennes dont le législateur des Hébreux a été contemporain, serait d’un grand secours pour la fixation des dates, si cette détermination même était possible, mais à cet égard aucun fait n’est acquis à la science ; les uns placent la fuite des Hébreux sous le neuvième roi de la 18e dynastie, celle des Pharaons, dans la 16e ou 17e année de ce roi ; d’autres la mettent au commencement de la 19e dynastie ; d’autres enfin, mais c’est évidemment erroné, à l’époque de la 24e dynastie, qui doit avoir été contemporaine de Pékali, roi d’Israël.

10°. On suppose que Moïse a employé les loisirs des quarante années qu’il passa en Madian, à la composition de la Genèse, et probablement du livre de Job ; il a écrit les quatre autres livres qui portent son nom, pendant le voyage des Hébreux dans le désert, à l’exception du dernier chapitre du Deutéronome, que l’on attribue à Esdras, ou plus probablement encore à Josué son successeur, voir Pentateuque. On croit aussi que c’est lui qui a composé le psaume 90, voir Psaumes.

11°. Le nom de Moïse, le plus grand homme qui ait jamais existé, le chef de l’ancienne alliance, reparaît constamment dans les Écritures ; tout repose sur lui dans l’Ancien Testament, tout achève son œuvre dans le Nouveau. Josué le rappelle à chaque page ; les Juges, les Rois et les Prophètes, se réclament de son nom et de son autorité en rendant témoignage à la gloire et à la grandeur de sa mission : voir Josué 1.1 ; 3.7 ; 8.31 ; 9.24 ; etc., 1 Samuel 12.6 ; 1 Rois 8.53 ; Néhémie 9.14 ; Psaumes 77.20 ; 103.7 ; 105.26 ; 106.16 ; etc., Ésaïe 63.11-12 ; Jérémie 15.1 ; Daniel 9.11 ; Michée 6.4 ; Malachie 4.4.

Dans le Nouveau Testament plusieurs de ses prophéties sont rappelées (Jean 1.45 ; Actes 3.22 ; 7.37 ; Romains 10.19) son nom sert à désigner non seulement ses ouvrages, mais tous ceux qui furent écrits dans l’esprit de son économie (Matthieu 8.4 ; Marc 1.44 ; Luc 2.22 ; 20.28 ; 24.27 ; Actes 6.11 ; 13.39 ; 15.1 ; Romains 5.14 ; 1 Corinthiens 9.9 ; 10.2 ; Hébreux 3.2 ; 7.14) et ailleurs. Il serait trop long de citer tous ces passages ; notons au moins encore quelques expressions particulières, telles que celle de disciples de Moïse, opposée à celle de disciples de Christ (Jean 9.28) ; celle de chaire de Moïse, désignant la fonction de l’enseignement mosaïque (Matthieu 23.2) ; celle de cantique de Moïse, comme symbole des chants de triomphe des rachetés à leur entrée dans la gloire (Apocalypse 15.3). L’Épître aux Hébreux est une comparaison suivie des deux économies et de leurs chefs ; d’autres comparaisons de détail se lisent (Jean 6.32 ; 1 Corinthiens 10.2 ; 2 Corinthiens 3.7 ; etc. voir enfin Jude 1.9).