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Job 42
Bible Annotée (interlinéaire)

Verset à verset  Double colonne 

1 Job répondit à l’Éternel et dit :

Seconde réponse de Job (1-6)

Le but que l’Éternel se proposait (voir la note introductive aux chapitres 40 et 41) est atteint : à l’aveu de son incapacité (Job 39.36-38), Job ajoute celui de sa culpabilité.

2 Je reconnais que tu peux tout
Et qu’aucun dessein n’est trop difficile pour toi.

Je reconnais que tu peux tout : et que par conséquent toi seul peux faire triompher la justice. Sa maladie le tourmentait encore au moment où il parlait ainsi. Mais, sans comprendre, il croit à la justice d’un Dieu si grand. Il commence à soupçonner, échappant à sa vue, quelque dessein divin… dont il a parlé présomptueusement.

3 Qui donc, privé de connaissance, voile la sagesse ? Oui, j’ai parlé sans comprendre ; Ce sont choses trop élevées pour moi et que je ne connaissais pas.

Voile la sagesse ? La sagesse de Dieu, qui est la sagesse par excellence. Job cite ici librement Job 38.2, comme pour dire : Tu m’as adressé là un reproche qui n’est que trop fondé.

4 Écoute, je te prie, et je parlerai ; Je t’interrogerai, et tu m’instruiras.

À deux reprises (Job 38.3 et Job 40.2) l’Éternel avait ironiquement adressé à Job cette invitation. Maintenant les rôles sont intervertis.

Et je parlerai, littéralement : Et moi je parlerai, te demandant instruction. D’autres ont vu dans ce verset la répétition machinale de la pensée Job 38.3 et Job 40.2 : Job, écrasé par l’apparition de Dieu, balbutie des paroles incohérentes, ne sachant que dire. On objecte au sens que nous proposons que le livre va se terminer sans présenter de nouvelles instructions, en sorte que le poète n’a pas pu vouloir les faire demander par Job. Mais le prologue, avec sa scène céleste, ne fournit-il pas précisément (au lecteur du livre) la solution de l’énigme ?

5 Mon oreille avait entendu parler de toi ; Maintenant mon œil t’a vu.

Mon œil t’a vu : allusion non pas à l’apparition elle-même, mais au résultat spirituel de l’apparition divine.

6 C’est pourquoi je me rétracte et je me repens Sur la poussière et sur la cendre. 7 Après avoir adressé ces paroles à Job, l’Éternel dit à Éliphaz de Théman : Ma colère s’est embrasée contre toi et contre tes deux amis, car vous n’avez pas parlé selon la vérité à mon égard, comme mon serviteur Job.

L’épilogue (7-19)

Après les paroles sévères de Dieu et l’humble rétractation de Job, on pourrait s’attendre à ce qu’une peine fût infligée à ce dernier. Mais non ! Ces paroles sont une punition suffisante, et cela, d’autant plus qu’elles ont produit chez Job un fruit précieux d’humiliation et une déclaration de confiance absolue en la justice de Dieu. Rien donc ne s’oppose plus à ce que l’Éternel, qui a trouvé en lui un adorateur parfaitement désintéressé, lui témoigne de nouveau toute sa faveur. Ce sont ses amis, au contraire, qui vont être les objets du déplaisir divin. Dieu veut bien leur pardonner, s’ils offrent un holocauste ; mais il ne le fera que par égard pour Job et à la demande expresse de celui-ci.

On peut dire que maintenant le drame est arrivé à son terme. L’intrigue s’il est permis de parler ainsi, est dénouée. Les événements reprennent un cours naturel et l’auteur quitte la forme poétique pour en revenir à la prose, comme dans le Prologue et Job 32.1-6.

À Éliphaz : qui, le premier avait répondu à Job.

Vous n’avez pas parlé selon la vérité… Job a eu des propos inconsidérés et des jugements précipités, mais, sur le fond de la question, il a seul été dans le vrai. Les amis avaient eu tort : Dieu ne punissait pas Job et toute souffrance n’est pas un châtiment.

Comme mon serviteur Job : comme l’a fait mon serviteur Job et non pas : autant que mon serviteur Job, comme s’il n’y avait qu’une différence de degré entre lui et ses amis.

À remarquer aussi dans ces versets la quadruple répétition de l’expression : mon serviteur.

8 Et maintenant prenez sept taureaux et sept béliers et allez vers mon serviteur Job et offrez-les en holocauste pour vous, et mon serviteur Job priera pour vous ; j’aurai égard à lui et ne vous traiterai pas selon votre folie, car vous n’avez pas parlé selon la vérité à mon égard, comme mon serviteur Job.

Sept taureaux et sept béliers : sacrifice considérable, car leur faute est grande (Nombres 23.1, note).

9 Et Éliphaz de Théman et Bildad de Suach et Tsophar de Naama allèrent et firent comme l’Éternel leur avait dit, et l’Éternel eut égard à Job. 10 Et comme Job priait pour ses amis, l’Éternel le rétablit dans son ancien état, et l’Éternel donna à Job le double de tout ce qu’il avait eu.

Job, en priant pour ses amis (littéralement : pour son ami : Éliphaz, verset 7 ; ou bien : pour son prochain), avant même d’être lui-même guéri, donne une nouvelle preuve du désintéressement de sa piété (Job 1.9). Ce n’est que pendant sa prière, au moment où il ajoute la charité à la foi, qu’il est délivré de sa terrible épreuve.

Donna à Job le double (verset 12) : peu à peu et non pas en une fois.

11 Tous ses frères et toutes ses sœurs et tous ses amis d’autrefois vinrent vers lui et mangèrent avec lui dans sa maison ; ils sympathisèrent avec lui et le consolèrent au sujet de tous les maux que l’Éternel avait fait venir sur lui, et lui donnèrent chacun une késita et un anneau d’or.

Tous les termes du récit montrent que nous avons ici une sorte de parabole poétique, comme nous l’avons dit ; l’histoire de Job a évidemment un fond réel ; mais le poète s’en est emparé pour nous donner, au sujet de cette histoire, l’enseignement qu’il nous destinait.

Ceux qui l’avaient abandonné dans son malheur (Job 19.13 ; Job 12.4), reviennent maintenant.

Mangèrent avec lui dans sa maison, littéralement : Mangèrent du pain avec lui ; mais ce n’est pas sur le pain que l’auteur veut insister. La locution employée équivaut à notre : se mettre à table, prendre un repas.

Une késita : un poids quelconque d’argent. L’auteur transporte ici, comme partout, la scène de son poème dans la plus haute antiquité : ce terme ne se trouve que dans les récits les plus anciens, à propos de l’époque patriarcale (Genèse 33.19 et Josué 24.32).

Ce dernier passage est lui-même une citation du fait rapporté dans le premier (voir note à Genèse 33.19).

L’identité des présents (une késita et un anneau) de tous les visiteurs de Job est un des traits par lesquels l’auteur fait voir lui-même qu’il faut entendre ce récit comme un poème.

12 L’Éternel bénit la fin de Job plus que son commencement, et il eut quatorze mille brebis, six mille chameaux, mille couples de bœufs et mille ânesses.

Il en est de même pour le nombre des bestiaux qui se trouve être exactement le double de l’ancien état de choses (Job 1.3).

13 Il eut sept fils et trois filles.

Avec un tact digne d’attention, l’auteur comprend que, quand il s’agit d’enfants, le nombre n’est pas une compensation pour les pertes subies ; c’est ici le domaine du cœur, où les chiffres perdent leurs droits. Aussi se borne-t-il à indiquer le même nombre d’enfants qu’avant la catastrophe (Job 1.2). La seule différence, c’est que cette fois-ci nous apprenons les noms des trois sœurs.

14 Il appela la première Jémima, la seconde Ketsia et la troisième Kéren-Happuc.

Jémima, peut-être colombe ; pure comme une colombe. D’autres : belle comme le jour.

Ketsia, nom tiré du cassia, écorce odoriférante. Comparez Cantique 1.3.

Kéren-Happuc, corne (fiole) de cosmétique. Le mot de puc, rendu ici par cosmétique, l’a été dans 2 Rois 9.30 et Jérémie 4.30 par fard, dans Ésaïe 54.11 par antimoine, dans 1 Chroniques 29.2 par pierres noires. Voir les notes à ces deux derniers passages.

Le verset 15 montre qu’elles étaient bien ce que leurs noms indiquaient.

15 Il ne se trouva pas dans tout le pays de femmes aussi belles que les filles de Job, et leur père leur donna un héritage parmi leurs frères.

La seconde partie du verset n’est pas destinée à donner une haute idée de la fortune de Job, mais bien de l’importance qu’il attachait à ce que des liens étroits subsistassent entre tous ses enfants, même après leur mariage. Comparez Job 1.4.

16 Après cela Job vécut cent quarante ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils, jusqu’à la quatrième génération.

Cent quarante ans. Ceci montre de nouveau l’intention du poète de placer toute cette histoire dans le temps des patriarches, qui mouraient aussi âgés et rassasiés de jours (Genèse 25.8 ; Genèse 35.29).

Conclusion sur l’épilogue

La réhabilitation de Job suggère plusieurs observations.

  1. Élihu n’est pas nommé et cependant on pourrait s’attendre à ce qu’il fût loué comme s’étant le plus rapproché de la pensée divine.
  2. Le motif de l’épreuve de Job ne lui est pas révélé.
  3. La restauration est purement matérielle.

1) Mais si Élihu n’est pas nommé, ce n’est pas, comme plusieurs le pensent, parce que son discours ne faisait pas, dans le principe, partie du poème et qu’il y a été ajouté plus tard, car il eût été bien facile à l’auteur de cette adjonction d’intercaler en terminant un mot qui vînt corroborer son explication. L’absence de blâme suffit à mettre Élihu au-dessus des trois amis ; l’absence de louange résulte de ce que lui-même n’était pas encore pleinement initié à la vérité, parce qu’il ne possédait pas la clé du problème renfermée dans le prologue.

2) Cette ignorance où il est laissé est sans doute destinée à nous faire comprendre que l’homme doit se résigner à passer sa vie entière sans saisir toute la pensée de Dieu et en acceptant avec une confiance aveugle ses dispensations. Cela ne veut pas dire que nous devions ignorer toujours le plan de Dieu : le livre même de Job nous le fait connaître sur un point capital. Le lecteur est éclairé là où Job et Élihu lui-même demeurent dans les ténèbres. Il y a donc progrès dans la révélation ; ce que Job et Elibu ignorent encore, l’auteur de notre livre le révèle à ses lecteurs ; c’est un pionnier dans le domaine de la vérité révélée. Il a le sentiment d’apporter au monde un rayon de lumière qui n’avait pas brillé jusqu’alors dans le cœur des justes, pour les éclairer dans leurs souffrances plus ou moins imméritées.

3) On est surpris de voir toute la réhabilitation de Job consister en bénédictions temporelles : nombre double de bestiaux ; naissance de nouveaux enfants, dont les filles sont particulièrement belles ; prolongation considérable de vie. Nous avons déjà touché cette question dans notre introduction. L’auteur tient seulement à montrer qu’il y a eu réhabilitation. Quant à la nature du rétablissement, il en demeure strictement au point de vue de l’ancienne alliance. Le juste de l’Ancien Testament pouvait souhaiter ardemment et même contempler par moments et par un effort suprême, la vie future (Job 19.23-29) ; mais c’étaient là des choses qui n’étaient pas encore mises en évidence. Pour nous, en tout cas, le mode de restauration de Job apparaît insuffisant ; mais c’est précisément ce caractère d’insuffisance qui force à attendre quelque chose de mieux et à songer à une restauration supérieure, dont celle-ci n’est que le prélude et la faible image. Si l’on rapproche Jacques 1.12 de Jacques 5.11, on sent que c’est bien ainsi que les premiers chrétiens comprenaient notre livre. Ne trouvons point étrange, dit Calvin dans son dernier sermon sur le livre de Job, que pour ce temps-là Dieu ait voulu par cette prospérité terrienne et caduque déclarer son amour envers les fidèles ; car il n’y avait point alors telle révélation de vie céleste comme elle est aujourd’hui en l’Évangile : Jésus-Christ n’était point manifesté, lequel est descendu ici-bas pour nous attirer là-haut, lequel a vêtu notre chair afin de nous montrer que Dieu habite en nous et qu’il nous a conjoints à sa gloire et à son immortalité. Ces choses-là n’étaient point encore. Il a donc fallu que les fidèles fussent traités en partie comme des petits enfants. Et voilà pourquoi, quand il est parlé des Pères anciens en l’Écriture, notamment il est dit que Dieu les a bénis en lignée, en bestial, en possessions et choses semblables et même en longue vie. Et pourquoi ? Il fallait qu’ils fussent aidés par ces moyens-là, en attendant que la vie céleste nous fût révélée…

Conclusion sur le livre de Job

Heureux, dit le psalmiste, celui qui se conduit sagement envers le misérable, ou, selon la paraphrase de Calvin, l’homme entendu à l’égard de l’affligé et qui en juge prudemment (Psaumes 41.1). Les amis de Job n’ont pas eu cette prudence-là. Les Juifs se sont également trompés quand ils ont pris pour un homme battu de Dieu, à cause de ses propres péchés, le juste qui mourait pour les leurs (Ésaïe 53.11). Et aujourd’hui encore il ne manque pas de personnes qui se croient dans la vérité quand elles mettent toute souffrance en relation directe avec le péché personnel. C’est là une pensée naturelle au cœur de l’homme. Volontiers on change en une faute le malheur du prochain et l’on ne se doute pas qu’en généralisant une vérité particulière, on tombe dans une suprême injustice, capable d’aigrir, peut-être même de troubler profondément les affligés auxquels on ajoute ainsi l’affliction. On n’est pas même toujours dans le vrai quand on regarde l’épreuve du juste comme un remède prophylactique contre l’orgueil on contre les germes du péché qui se trouvent dans tout cœur d’homme et qui se développeraient peut-être au sein d’une vie trop facile. La pensée de Dieu est plus élevée même que celle d’Élihu, et, sous ce rapport, notre livre renferme une leçon que nous ferons bien de ne pas laisser écouler lorsque nous nous trouverons en face de frères visités par la souffrance.

Et pour ceux-là mêmes qui souffrent, quelle consolation ! Il est des cas où Dieu inflige la souffrance à l’homme, non en raison de ses péchés accomplis à expier, ni même en vue de ses dispositions morales à améliorer et des fautes qu’il pourrait commettre, à prévenir, mais en vue de Lui, Dieu et de son propre honneur. Il est alors donné à l’homme de jouer un noble rôle dans l’univers, celui d’être le vengeur de son Créateur outragé et de faire éclater sa gloire jusque dans les sphères supérieures à celles de l’humanité. Cet enfant rachitique, près de quitter la vie après n’en avoir connu que les douleurs ; cette mère, que vingt ans de maladie retiennent sur un lit de souffrance, privée du bonheur d’élever elle-même sa jeune famille ; ce père probe et laborieux, qui voit la fleur de sa force se flétrir au souffle d’un mal incurable, et cela, au moment même où son travail serait le plus nécessaire à ses enfants ; ce négociant irréprochable qui, pour n’avoir pas consenti à commettre une bassesse, se voit exposé avec les siens à la honte de la banqueroute et à toutes les privations de l’indigence, ils feront avant tout le compte de leurs voies et sonderont leur cœur ; ils s’humilieront sans doute, s’il y a lieu, au souvenir du passé et à la vue du dedans. Mais si, après tout cela, ils trouvent encore dans leur infortune quelque inexplicable reste, qu’ils se gardent de se laisser entraîner, comme Job dans certains moments, au doute à l’égard de la sagesse et de la justice de Dieu et qu’ils se disent : Dieu veut me donner à moi, chétif, l’occasion de montrer que je l’aime pour Lui, non pour les biens dont il me fait jouir, que je l’aime malgré les épreuves dont il m’accable. Ma mission est maintenant de souffrir joyeusement pour Lui. Peut-être, à cette heure, mes douleurs docilement acceptées seront-elles un holocauste dont la fumée montera jusqu’aux cieux des cieux et Dieu va-t-il remporter par moi, ver de terre écrasé sous son pied, une victoire éclatante sur son adversaire et sur le mien. Consentir à jouer ce rôle, c’est de la part de l’homme l’acte incomparable, l’héroïsme sous sa forme la plus sainte ; le remplir comme Job, c’est réaliser la destination suprême de la créature… Cette pensée était une de celles qui soutenaient les apôtres dans leur pénible carrière : Dieu nous a, dit saint Paul (1 Corinthiens 4.9), exposés publiquement comme les derniers des hommes et comme des condamnés à mort et il a fait de nous un spectacle pour le monde, pour les anges et pour les hommes
— Frédéric Godet, Études Bibliques

Renan, peut-être parce qu’il n’a pas compris ce poème (qu’il a si bien traduit), n’en prétend pas moins qu’il pose le problème de la souffrance, mais ne le résout pas.

Par moments, Job semble soulever le voile des croyances futures ; … il sait qu’il sera vengé… Mais ces éclairs sont toujours suivis des plus profondes ténèbres ; le spectacle de la misère de l’homme, les lentes destructions de la nature, cette horrible indifférence de la mort qui frappe sans distinction le juste et le coupable, l’homme heureux et l’infortuné, le ramènent au désespoir
— pages 83-84

Job n’a jamais désespéré et sa fin n’a rien de désespérant.

Or cette pensée-là, cette conception de la souffrance du juste, d’où vient-elle à l’auteur de notre poème ? Qui aurait jamais soupçonné que les maux les plus terribles et les plus humiliants auxquels est exposée une créature fidèle puissent contribuer à la gloire du tout-puissant Créateur ? Nous nous demandions naguère où notre auteur avait trouvé la pensée de la scène céleste qu’il nous présente à deux reprises dans le Prologue. Nous demandons maintenant où il peut bien avoir trouvé cette notion si élevée et si précieuse de la souffrance ? N’est-ce pas là un joyau qui lui a été confié d’en-haut ? Et n’est-ce pas la joie de se sentir en possession de ce trésor qui l’a rendu capable de composer cette œuvre admirable qui, au simple point de vue littéraire, se maintient constamment dans des hauteurs où les autres produits du génie de l’homme ne parviennent qu’à de rares intervalles ?

Nous venons de parler de la beauté constante de ce poème. Qu’on se rappelle la foule de tableaux frappants, de reliefs profondément fouillés, de descriptions éclatantes qui passent successivement sous les yeux du lecteur au cours de ces quarante-deux chapitres ; il y a de l’art jusque dans les apparentes défaillances de la composition : ainsi, par exemple le dernier discours de Bildad (chapitre 25) est, nous a-t-il paru, intentionnellement faible. Est-ce à dire que, comme on le pense souvent, cette beauté ininterrompue finisse par lasser, suivant l’adage : L’ennui naquit un jour de l’uniformité ?

Nous ne le pensons pas. De loin et lues superficiellement, les attaques des trois amis et les réponses de Job peuvent paraître monotones. Mais, si l’on y regarde de plus près, on éprouve une sensation toute autre.

Quoi de plus varié et de plus riche en imprévu que l’invocation de Job réclamant, pour maudire efficacement la nuit de sa naissance, le secours des experts en incantations (Job 3.8) ; que la manière en laquelle Éliphaz décrit la vision nocturne qui l’a confirmé dans sa manière de juger la souffrance (Job 4.12-21) ; que les images dont Job se sert pour faire comprendre la déception que lui ont causée ses amis par leur absence de sympathie (Job 6.15-20) ; que la haute idée qu’il se fait de la souveraineté incontestable de Dieu, qu’on l’accuse d’ignorer ou d’oublier (Job 9.2-12 ; Job 12.13-23) ? Qu’on se rappelle encore, au défaut de la pitié divine, son appel désespéré à la pitié de ses amis (Job 19.21) ; la dureté de Tsophar (Job 20.24-29), l’admirable chapitre 29 tout entier, etc. ; autant de morceaux touchants ou véhéments, tendres ou froids, suppliants ou ironiques.

Et, à côté de cette variété de détails, quelle vie, quel mouvement, dans l’ensemble de l’ouvrage et comme tout y marche ! Ce point vaut que nous nous y arrêtions un instant.

Tout d’abord, chacun des trois amis a une figure à part. Éliphaz emploie des expressions qui ne se trouvent que dans sa bouche : ainsi crainte tout court, dans le sens de crainte de Dieu, ou de piété (Job 4.6 ; Job 15.4 ; Job 22.4) ; être détruit (Job 4.7 ; Job 15.28 ; Job 22.20) ; être utile (Job 15.3 ; Job 22.2). Bildad a quelque chose de particulièrement sentencieux (chapitres 8 et 18) ; deux fois il entre en matière par la question : Jusqu’à quand ? (Job 8.2 ; Job 18.2), qui ne se trouve dans la bouche de Job que comme un rendu (Job 19.2) ; il est le seul des trois qui emploie le verbe croître, s’élever, prospérer (Job 8.11 ; Job 12.23). Tsophar enfin a pour spécialité de ne pas reculer devant l’emploi d’images peu relevées : il parle d’un homme creux pour dire un homme qui n’a pas de cœur et dont la poitrine est vide (Job 11.12). Voir encore Job 20.7 ; Job 20.14 ; Job 20.15 ; Job 20.20 ; Job 20.23. On est presque tenté, lorsqu’on étudie le texte de près et dans l’original, de se demander si, dans le principe, les trois amis n’étaient pas trois personnes réelles qui se seraient partagé les rôles et qui auraient parlé chacune suivant son caractère et sa tournure d’esprit.

Mais, indépendamment de cette originalité, qui n’est probablement qu’un artifice de l’auteur unique du poème, il est évident que, à mesure que la discussion se prolonge, Job se relève et progresse, tandis que ses amis déclinent. Il y a là comme deux chemins qui partent à peu près du même point, mais dont un monte, tandis que l’autre descend, si bien que, enfin de compte, Job a l’honneur bien significatif d’être choisi pour obtenir, comme un sacrificateur agréable à Dieu, la grâce de ses amis profondément abaissés par un blâme direct. Dans le principe, quand on entend les plaintes véhémentes de Job, quand on le voit éclater en reproches amers sans que personne lui ait dit un mot, on ne peut s’empêcher d’admirer la modération d’Éliphaz, qui se contente de lui répondre à peu près en ces termes :

Tu te fâches quand on ne te parle pas ; tu te fâcheras plus encore si l’on te répond. Et cependant comment pourrait-on garder le silence  ? 
Job 4.2

Cette impression est d’autant plus forte que les amis, après tout, défendent une idée juste en soi et fausse seulement par l’application qu’ils en font au cas de Job. Mais peu à peu l’insistance avec laquelle ils en reviennent toujours à leur unique principe et la pauvreté de leur morale, les allusions pénibles, les personnalités blessantes qu’ils se permettent, leur absence de sensibilité, pour ne pas dire la dureté dont ils font preuve, leur aliènent les cœurs, tandis que Job les gagne, non seulement par la grandeur de ses souffrances, que le lecteur sait être imméritées, mais encore par le danger, qu’on le voit courir par moments, de tomber dans le blasphème, par ses cris de détresse, par la connaissance profonde qu’il a des perfections divines, par sa foi qu’il conserve malgré tout et qui même devient toujours plus assurée (Job 10.9 et suivants, Job 14.15 ; Job 16.19 et suivants, Job 17.9, 19.25 et suivants). On est heureux de le voir demeurer maître du terrain dans sa lutte avec les hommes et l’on pressent qu’il deviendra même un nouvel Israël, vainqueur en luttant avec Dieu. Enfin on est entièrement gagné par l’apaisement qui se produit dans son cœur après la violente tempête qui est venue fondre sur lui. À partir du chapitre 27, son discours sentencieux commence à se dérouler sous la forme d’un monologue, plein d’une légitime fierté (Job 27.11 et suivants), car il connaît la sagesse qui est rare ici-bas (chapitre 28) ; plein de regrets également fondés (chapitre 29), plein du sentiment de son innocence (chapitre 31). On sent après cela que la diversion amenée par la subite intervention d’Élihu ne peut être qu’un acheminement au glorieux dénouement du drame. Il ne manquait qu’une chose à ce juste, c’était d’être consacré par la souffrance (Hébreux 2.10). Il l’est maintenant et vraiment la prospérité matérielle qui lui est rendue, ne semble être après cela qu’une pite et, en quelque sorte, que la késita de la Providence.

Il nous est donc absolument impossible de comprendre comment Renan a pu porter sur ce poème le jugement suivant :

L’action, la marche régulière de la pensée, qui font la vie des compositions grecques, manquent ici complètement. D’un bout à l’autre du poème, la question ne fait pas un seul pas. L’auteur, comme tous les Sémites, n’a pas l’idée des beautés de composition résultant de la sévère discipline de la pensée

L’habileté de l’auteur se montre également et nous ne faisons ici que grouper les résultats de diverses observations déjà faites à l’occasion, dans la fidélité avec laquelle en toute chose il en reste au temps des patriarches, où il lui a plu de se transporter : longévité, genre de richesse, père de famille sacrificateur au milieu des siens, vision de nuit, monnaie employée, instruments de musique (Job 21.12 et Job 30.31 ; comparez avec Genèse 4.21 et Job 31.27). De même, pour désigner la divinité, il en demeure aux noms antiques de El, Eloah, Schaddaï et il n’emploie le nom spécifiquement israélite de Jéhova (l’Éternel) ou d’Adonaï (le Seigneur) que dans Job 12.9, où il semble citer une expression proverbiale et dans chapitre 1 et Job 28.28. Ce ne sont là que de légères inadvertances, comparables à celles de Job 40.4 ; Job 40.14 où le poète semble oublier que c’est Dieu qui est censé parler dans ce chapitre.

Que néanmoins l’auteur soit un israélite, c’est ce qui résulte, non seulement de ce qu’il lui arrive, une fois, de parler du Saint (Job 6.10), notion de la divinité tout à fait inconnue en dehors de la théocratie, et, plusieurs fois, de l’impiété comme n’en peut parler que quelqu’un qui se trouve en face d’une révélation positive (Job 6.10 ; Job 21.14 ; Job 22.22 ; Job 23.11-12 ; Job 31.7) : certaines descriptions, telles que Job 22.6-9 ; Job 29.12-17 et l’étonnante délicatesse de sentiments que dénotent des passages tels que Job 31.1 et suivants ; Job 31.13-15, font songer à diverses recommandations du Pentateuque et trahissent chez celui qui s’exprime ainsi l’effet de la discipline sainte de la Loi.

17 Et Job mourut âgé et rassasié de jours.