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Repentir
Dictionnaire Biblique Westphal Calmet

La notion de repentance suppose la connaissance de la volonté de Dieu, la conscience d’avoir désobéi à cette volonté et la résolution de ne plus la transgresser. La notion de repentir, beaucoup plus générale, concerne tous les cas où l’on regrette d’avoir fait ce qu’on a fait : qu’il s’agisse d’une faute, d’un acte qui a été la conséquence d’une erreur, ou même d’une bonne action qui a été pour d’autres l’occasion de mal faire. On peut se repentir d’avoir donné une autorisation, en elle-même irréprochable, mais qui a donné lieu, par un concours de circonstances imprévisibles ou par la malice d’autrui, à des désordres et même à des crimes. Ainsi, dans certains cas, se repentir signifie simplement avoir du déplaisir de ce qu’on a fait et changer de résolution. C’est dans ce dernier sens que l’Ancien Testament nous parle du repentir de Dieu. Cette expression tout anthropomorphique recouvre une matière de grande importance ; il vaut la peine de s’y arrêter.

Les textes nous apprennent que Dieu se repentit d’avoir fait l’homme (Genèse 6.6), du mal qu’il voulait faire à son peuple (Exode 32.14) ou qu’il lui avait fait (Juges 2.18), d’avoir établi Saül comme roi (1 Samuel 15.11), d’avoir envoyé la peste en Israël (2 Samuel 24.16, cf. 1 Chroniques 21.15), d’avoir décidé la ruine d’Israël (Amos 7.3 ; Amos 7.6) et la destruction de Ninive (Jonas 3.10). Joël 2.14 et Jérémie 18.10 ; Jérémie 26.13 ; Jérémie 42.10 nous montrent Dieu susceptible de se repentir soit du mal soit du bien qu’il avait fait ou décidé de faire (voir aussi Deutéronome 32.36 ; Psaumes 135.14 ; les traductions qui portent « avoir pitié » au lieu de « se repentir » interprètent, mais ne rendent pas la force de l’expression hébraïque).

Ecartons dès l’entrée qu’il y ait la possibilité en Dieu de se repentir à la façon des hommes, c’est-à-dire de déplorer dans sa propre conduite des projets ou des actes qu’il aurait reconnus défectueux ou mauvais en eux-mêmes (Nombres 23.19 ; 1 Samuel 15.29). Constatons en deuxième lieu que ce repentir de Dieu est toujours en fonction d’une attitude humaine. Jérémie (Jérémie 18.1 ; Jérémie 18.11) nous donne une théorie explicite de ce qu’est le repentir de Dieu quand il montre que Dieu se repent soit du bien soit du mal qu’il a voulu faire à Israël, suivant qu’Israël est entré dans une mauvaise voie ou qu’au contraire il en est sorti.

On dira : sans doute, et c’est ici une preuve de plus de l’immutabilité de Dieu. Si Dieu, l’homme ayant changé à son égard, ne changeait pas à l’égard de l’homme, que deviendrait son caractère ? Dieu cesserait, précisément en ne changeant pas, d’être immuable dans sa justice. D’accord. Mais alors disons que l’immutabilité de Dieu est une méthode ; qu’en fait, Dieu n’est à aucun moment prisonnier de son décret et qu’il s’est réservé pour lui-même la liberté pédagogique, c’est-à-dire le pouvoir de prendre en toute circonstance l’attitude exigée par les décisions de l’homme soumis à l’éducation divine tout le long de sa vie.

Après Jérémie, Ézéchiel (Ézéchiel 3 ; Ézéchiel 18 ; Ézéchiel 33) reprend le problème et dénonce le caractère relatif du : « Tu mourras » de Dieu, l’exécution ou la non-exécution du décret divin se trouvant conditionnée par le comportement de l’homme. Calvin, qui sent bien que ces constatations se concilient difficilement avec sa théorie du décret immuable et éternel de Dieu dans la prédestination (voir ce mot), en vient ici à un raisonnement fort subtil. Pour lui, quand le décret divin énoncé à l’égard des hommes n’est pas maintenu dans les faits, c’est qu’en réalité ce divin énoncé à l’égard des hommes n’est pas d’amener les hommes qui en avaient été les objets à changer de voie, et à permettre ainsi à Dieu de maintenir à leur égard le vrai décret par lequel il les avait immuablement prédestinés. Ainsi, « lorsque Jonas prophétisait que la ville de Ninive devait être détruite, c’est afin qu’elle ne le fût pas. Lorsque l’espérance de vivre plus longtemps est ôtée à Ézéchias (Ésaïe 38.1 ; Ésaïe 38.5), c’est aussi afin qu’il demande à Dieu qu’il lui accorde une plus longue vie » (Instit., livre I, chapitre 18).

Voilà une façon de raisonner qui peut nous mener loin ; mais le moins qu’on en puisse dire est qu’elle est inapplicable à plusieurs des cas dans lesquels il est dit que Dieu se repentit. N’est-il pas plus simple, plus conforme à la fois à la révélation biblique et à l’honneur de Dieu, de se souvenir que Dieu a créé l’homme à son image, c’est-à-dire capable d’être ce qu’il veut et de faire sa destinée ? Chaque décision est une création. Mais pour pouvoir décider, il faut être maître de fixer son choix.

Nous voici amenés à prononcer un mot pour lequel Calvin n’avait aucun penchant, le mot de liberté. « Dieu, écrit Vinet, n’a accompli son œuvre, Dieu n’est arrivé au terme de ses créations, Dieu ne se repose, que lorsqu’il a enfanté la liberté, que lorsque la liberté divine a créé la. liberté humaine, que lorsque la liberté souveraine a créé la liberté dépendante, que lorsque Dieu s’est donné un semblable. Au delà, nous le pouvons dire hardiment, il n’y a rien » (Discours, 5e édition, 1853, p. 135). Cette notion, que les études sur le monde vivant dans son évolution physio-psychologique n’ont cessé de confirmer depuis le temps où Vinet écrivait ces lignes, est la seule qui nous permette de justifier l’histoire de l’humanité telle que la Bible nous la présente.

À peine l’homme est-il sorti des mains de son Créateur, que Dieu fait appel à sa liberté : deux arbres, un choix (Genèse 2.9-17). Les promesses faites à Abraham sont conditionnelles, elles dépendent de l’usage qu’il fera de sa liberté (Genèse 17.2 ; Genèse 22.16). Jacob est à ce point conscient de sa propre liberté qu’il en vient à poser des conditions à Dieu : Si tu fais ceci, alors je ferai cela (Genèse 28.20 et suivant). Toute l’œuvre de Moïse repose sur un contrat — contrat ne suppose-t-il pas liberté ? et aboutit à une alternative : du libre choix que fera Israël dépendra sa vie ou sa mort (Deutéronome 30.15 et suivant). Dans son discours d’adieu, dont l’importance n’est pas assez reconnue, Josué repose l’alternative devant le peuple désormais en possession de Canaan : maintenant qu’Israël, par une suffisante expérience, connaît les exigences du Dieu qui l’a élu et qui a conclu une alliance avec lui, maintiendra-t-il librement le choix de ses pères ou veut-il se dégager de l’emprise de Jéhovah ? « Aujourd’hui, choisissez ! » (Josué 24.15-22). Pendant trois cents ans, le levier de la prédication des prophètes repose sur cet unique point d’appui : Vous avez profité de votre liberté pour trahir la cause de Jéhovah. Il n’y a pas de littérature au monde qui vaille celle-là pour faire ressortir la responsabilité de l’homme (VIIIe-VIe siècle avant Jésus-Christ).

Quand Jésus paraît, c’est encore à la liberté de l’homme qu’il s’adresse : « Veux-tu ? » (Jean 5) « … et vous ne l’avez pas voulu ! » (Matthieu 23.37). Méditer à cet égard les « si » de Jésus : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même…  » (Matthieu 16.24). « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra…  » (Jean 7.17). « Si tu avais reconnu, au moins en ce jour, ton jour suprême, ce qui aurait pu t’apporter la paix ! » (Luc 19.42). Enfin le dernier livre de la Bible met dans la bouche de Jésus cette parole où le divin Maître du monde marque, en une image saisissante, le prix qu’il attache à la liberté de l’homme : « Je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi » (Apocalypse 3.20). En même temps qu’il déclare que le pécheur est esclave de son péché, Jésus proclame que l’homme, en croyant à la vérité, peut recouvrer l’intégralité de sa liberté : « la vérité vous affranchira » (Jean 8.22 ; Jean 8.36).

Prenons occasion de ce passage pour rappeler que si un acte libre (la désobéissance à Dieu) a rendu le monde de l’Esprit inaccessible à l’homme sans l’intervention de Jésus-Christ, un acte libre (la foi au Christ) le rétablit dans sa stature originelle d’« homme spirituel, juge de toute chose » (1 Corinthiens 2.15). Ceux qui sont le plus jaloux de la souveraineté du Dieu créateur sur la créature sont bien obligés, quand on les pousse à bout, de reconnaître que l’incapacité de l’homme naturel à faire le bien ne doit s’entendre que du bien pris dans un sens spirituel. Calvin le concède : « De nature, nous avons en nous l’élection et la volonté » (Op. Calv., tome VII, p. 191). C’est tout ce qu’il nous faut pour que nous puissions affirmer que l’homme naturel opère librement de son côté et qu’il est capable de décisions créatrices.

L’apôtre Paul, comme son Maître, comme les prophètes, insiste sur la responsabilité de l’homme et fait appel dans ses discours missionnaires à la liberté des Juifs et des païens qui l’écoutent (Actes 13.46). Cet appel prend un accent pathétique dans son discours au roi Agrippa (Actes 26). Mais n’est-ce pas ce même Paul qui écrit aux Philippiens que « c’est Dieu qui produit en nous le vouloir et le faire » (Philippiens 2.13), et qui a brossé dans Romains 9 le tableau impressionnant de la totale souveraineté de Dieu ? Sans doute. Si nous donnons une valeur révélatrice et normative aux textes qui d’un bout à l’autre de la Bible témoignent de la liberté de l’homme, nous devons aussi, avec un égal respect de la sainte Écriture, accorder une valeur révélatrice et normative aux passages qui dans les deux Testaments affirment sa dépendance absolue et la souveraineté de Dieu.

Liberté et prédestination sont là, et nous ne pouvons enlever l’un de ces deux éléments de la Bible sans la mutiler. Mais comment les accorder ? Ceci n’est pas en notre pouvoir. Nous les saisissons simplement dans leur manifestation, notre esprit est impuissant à les coordonner. Il faudrait, pour qu’il le pût, que la personnalité de Dieu lui fût intelligible, et qu’il en pût faire le tour. Or, précisément, la Bible qui affirme à la fois la liberté et la prédestination déclare avec une égale force que Dieu déborde de toutes parts la raison de l’homme et ne peut être ni vu, ni pénétré, ni jugé dans ses actes. Il lui a plu de se faire connaître dans sa qualité de Père, et c’est tout ce dont nous avons besoin pour vivre le temps d’épreuve terrestre destiné à faire de nous ses enfants. Dans l’au-delà, si nous avons été fidèles « nous connaîtrons comme nous avons été connus » (cf. 1 Corinthiens 13.12).

Mais l’homme ne supporte pas sa relativité, et, dans sa prétention de connaître la réalité absolue, il fausse les éléments de vérité qui sont à sa portée. La Bible, sans cesse, le ramène à l’humilité ; et cela, pour qu’il puisse bénéficier des lumières qu’il a reçues. Mais lui s’évade toujours dans la curiosité qui le tourmente, et renouvelle siècle après siècle l’inutile entreprise : voir Dieu de ses yeux, le saisir par l’esprit, porter un jugement sur sa conduite du monde, établir une théorie cohérente des divers éléments de son action.

Moïse voulait voir Jéhovah, et Jéhovah lui répond : « L’homme ne peut me voir et vivre… Je ferai passer devant toi toute ma bonté. Tu me verras aux marques de mon passage » (hébreu, « par derrière » : Exode 33.17 et suivant). Dieu visible dans ses œuvres. Avec Élie il s’agit aussi du désir de voir Dieu face à face, mais ici l’enseignement est plus intime : une révélation pour l’humanité qui cherche toujours son Dieu dans une notion de force et de prodiges. On connaît la scène : la terre tremble, la tempête brise les rochers, un feu dévorant embrase la montagne ; tout ce fracas, ce n’est pas Dieu. Alors, le calme revenu, un frémissement léger se fait entendre, pénétrant, irrésistible.

Le front orgueilleux qui s’était tenu levé dans l’ouragan et les éclairs pour voir passer Dieu s’incline. Élie se voile la face de son manteau. Ce n’est plus au dehors qu’il cherche Dieu, mais au dedans : recueilli, il écoute la « voix de silence » qui lui révèle en lui la présence de Jéhovah (1 Rois 19 : et suivant). Dieu sensible au cœur. Tous les prophètes ont souhaité d’étreindre la personnalité divine, aucun n’y a réussi, et chacun le confesse à sa manière. Osée, impuissant à mesurer l’amour infini du Saint d’Israël, fait dire à Jéhovah pour toute explication : « Je suis Dieu et non pas homme ». Voilà le compte de l’homme réglé (Osée 11.9).

Jérémie, exaspéré jusqu’au doute par l’impénétrabilité des voies divines (Jérémie 15.18 ; méditer à ce propos Psaumes 18.27, que Luther traduit hardiment : mit dem Verkehrten bist du verkehrt) et déconcerté par les « repentirs » de Jéhovah, en vient à reconnaître qu’Israël est entre les mains du Seigneur comme le vase d’argile sous les doigts du potier (Jérémie 18.2-6). Le 2e Ésaïe, à bout d’arguments, s’écrie : « Tu es un Dieu qui te caches, Dieu d’Israël, Sauveur ! » (Ésaïe 45.15). Dieu insaisissable à la raison Jésus, qui incarne Dieu en qualité de Fils (Jean 5.17 et suivant), annonce à ses disciples que celui-là seul connaît Dieu qui vient de lui (Jean 6.46), que l’homme ne peut comprendre Dieu que dans ses attributs de Père, et il ajoute : « Nul ne connaît le Père, que le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler (Matthieu 11.27). Dieu expérimenté en Christ

Enfin l’apôtre Paul, après avoir appliqué l’effort de son génie à comprendre le plan de Dieu et ses agissements à l’égard des hommes, s’avoue vaincu et retraite vers l’adoration : « Ô profondeur de la sagesse de Dieu ! Que ses jugements sont impénétrables ! et ses voies incompréhensibles ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? À lui la gloire dans tous les siècles ! » (Romains 11.33 et suivants). On pourrait appeler en cause bien d’autres textes exprimant cette vérité que les yeux de l’homme, sauvé par une croix dont le mystère le dépasse, ne sont pas faits pour fixer la « lumière inaccessible » (1 Timothée 6.16) où Dieu habite et d’où il dirige le monde comme il lui plaît.

Et nous restons là, sans solution, maîtrisés par deux voix qui, toutes deux, nous nous en rendons bien compte, viennent de Dieu. La voix de Dieu dans l’Écriture nous dit que nous sommes libres et responsables ; et la même voix de Dieu dans la même Écriture nous parle du

Dieu jaloux au sens de l’Ancien Testament, qui ne veut laisser Sa gloire à aucun autre ; qui est l’unique, le seul Tout-Puissant, et majestueux, qui juge les hommes et leur fait grâce avec une liberté absolue, absolument supérieur et souverain maître
— Karl Barth

Nous ne pouvons ni abandonner Dieu sur un point, ni accorder Dieu avec Dieu, et nous tremblons en apercevant le péril que nous ferait courir la suppression d’un des deux éléments du problème.

Sans la prédestination, l’homme échappe à la main de Dieu et tombe. C’est la chute dans le pélagianisme et l’hérésie romaine du mérite. Sans la liberté, l’homme étouffe dans la main de Dieu et meurt. C’est le retour à la nuit païenne et aux doctrines de fatalité. Comment Dieu fait-il pour desserrer sans lâcher ? Sur cette énigme, la révélation demeure muette. Nous devons nous accommoder de ce silence qui nous sauve d’aller chercher notre certitude dans les domaines inanimés d’une science toujours révisable, ou d’une raison toujours faillible. Heureusement pour la vie de notre âme, la certitude religieuse est d’un autre ordre. Jésus en a indiqué la source dans son discours d’adieu à ses disciples : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15.13) ; et saint Paul en a fixé la formule dans sa lettre aux Romains… Rien au monde « ne pourra nous séparer de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ » (Romains 8.39).

Une fois le « plus grand amour » expérimenté, reposons-nous dans la foi comme des êtres prédestinés, agissons dans la vie comme des êtres libres, et pour le reste, souvenons-nous que l’homme compétent, c’est l’homme qui connaît ses limites et qui s’y tient.

Alexandre Westphal


Numérisation : Yves Petrakian