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Magnificat
Dictionnaire Biblique Westphal

Premier mot et nom latin liturgique, d’après la Vulgate (Magnificat anima mea Dominum = mon âme magnifie le Seigneur), cantique chanté par Marie (Luc 1.46-55) après la salutation de sa parente Élisabeth, qu’elle visite à la suite de l’Annonciation (Luc 1.26 ; Luc 1.45). Trois manuscrits de l’ancienne Version Latine (des IVe, Ve et VIIe siècle) l’attribuent à Élisabeth et non à Marie (verset 46), et cette variante était connue déjà d’Irénée, d’Origène, peut-être de Jérôme. On peut, à vrai dire, invoquer quelques considérations en sa faveur :

  1. le Magnificat est fortement inspiré du cantique d’Anne (1 Samuel 2), dont l’exultation à l’annonce d’une maternité longtemps désirée correspond mieux à la situation d’Élisabeth qu’à celle de Marie ;
  2. c’est d’Élisabeth qu’il est dit qu’elle « fut remplie du Saint-Esprit » (verset 41), comme Zacharie avant de prophétiser (verset 67) ;
  3. le grec du verset 56 dit : « Marie demeura avec elle  », pronom qui se trouve très loin du nom d’Élisabeth (verset 41) si ce n’est pas celle-ci qui a gardé la parole du verset 42 jusqu’au verset 55 ; etc.

L’attribution du Magnificat à Marie, presque unanime dans les manuscrits et la tradition, n’en reste pas moins la plus vraisemblable :

  1. son chant fait de nombreuses allusions à des passages de l’Ancien Testament autres que le cantique d’Anne, et n’emprunte pas à ce dernier, précisément, la mention de la femme stérile qui va enfanter (1 Samuel 2.5) ;
  2. si la salutation d’Élisabeth comme le cantique de Zacharie sont prononcés par des croyants « remplis du Saint-Esprit », cette indication n’est pas plus indispensable pour le Magnificat de Marie qu’elle ne le sera pour le Nunc dimittis (voir article) de Siméon (Luc 2.25-32) ;
  3. la déclaration de Marie : « Tous les âges m’appelleront bienheureuse » (verset 48) paraît faire écho à celle d’Élisabeth à son sujet : « Bienheureuse est celle qui a cru » (verset 45) ;
  4. il eût été peu naturel qu’après avoir répondu dans un esprit de parfaite confiance à l’annonciation de l’ange (verset 34,38) Marie fût restée sans réponse à la salutation de sa parente, et la joie sereine de son cantique est exactement, semble-t-il, dans le ton que pouvait le mieux lui inspirer l’enthousiasme d’Élisabeth faisant l’éloge de sa foi.

Le Magnificat est en effet la majestueuse effusion d’un intense bonheur, mais dans la profonde humilité d’une fidèle servante du Seigneur. S’il fait penser au cantique d’Anne, il est infiniment plus religieux. Rien sur la naissance annoncée ni sur la situation personnelle de la future mère, soit comme privilège soit comme opprobre ; (cf. Matthieu 1.18 et suivant) le mot de saint Ignace sur « le Verbe issu du silence » demeure vrai. Comme les simples croyants dont la connaissance de la Bible est la seule culture expriment volontiers leurs grandes émotions dans les termes scripturaires dont s’est tissée leur vie intérieure consciente et subconsciente, ainsi la pieuse Marie à cette minute d’exaltation se répand en citations de l’Ancien Testament et des Apocryphes, qu’avec tous les Juifs fidèles elle possédait de mémoire depuis l’enfance. En foule se pressent les réminiscences de l’Écriture, non point seulement de 1 Samuel 2, mais aussi de Job, Deutéronome, Es., Mich., etc. et surtout des Psaumes (voir une Bible à parallèles), peut-être encore d’autres écrits juifs comme les 18 Bénédictions de la Synagogue (1ère parallèle verset 54 et suivant, 2e parallèle verset 49, 12e parallèle v.), pour célébrer en Dieu le Sauveur. Ce chant peut être analysé en 4 brèves strophes :

  1. Marie rend grâces (verset 46,47) : en son âme et son esprit, c’est-à-dire le for intérieur le plus intime et la personnalité tout entière qui proclament avec joie la grandeur du Dieu qui sauve ;
  2. Marie objet de grâce (verset 48,49) : pauvre villageoise, elle reçoit un honneur divin suprême, les « grandes choses » du Tout-Puissant (cf. Ses « exploits » dans les Psaumes 71.16 ; Psaumes 71.19, etc.), ineffable bienfait qui sera toujours célébré (cf. Genèse 30.13; Luc 1.4 ; Luc 11.27) ;
  3. Dieu répare l’injustice (verset 50,53) : parce que saint et miséricordieux pour les siens, il va :
    1. manifester sa puissance en dispersant les orgueilleux,
    2. détrôner les grands en élevant les petits,
    3. rassasier les meurt-de-faim et rejeter les opulents ;
  4. Dieu vient secourir Israël (verset 54,55) : avènement des temps messianiques, préparés dès longtemps par sa miséricorde et par ses prophéties, et qui vont ouvrir une ère éternelle.

Comme ceux de Zacharie et de Siméon, le cantique de Marie dépasse nettement le judaïsme, mais sans complètement atteindre l’Évangile. Il sonne la révolte de la conscience contre les iniquités sociales (principalement la 3e strophe), en des termes analogues à ceux de nombreux Psaumes, ou de protestations juives comme l’ouvrage Pseudépigraphe des Psaumes de Salomon (par exemple 5.13 et suivant), et cela sans leur prendre leur exclusivisme national et leurs accents vindicatifs ; aucune autre prophétie d’Israël ne montre l’accomplissement des promesses aussi prochain, presque immédiat. Mais le Magnificat fait encore moins de place que le Benedictus et le Nunc dimittis à la personne du Sauveur : aucun titre, aucun fait ne précise à l’avance les mystères de son être, sa vie, sa mort, sa victoire ou son œuvre.

Cet hymne apparaît comme le produit d’un moment de transition bien déterminé, au crépuscule de l’ancienne dispensation mais avant l’aube de la nouvelle (d’après H.P. Liddon, The Magnificat, 1889). C’est ce qui nous empêche d’y voir une œuvre plus tardive, un cantique de l’Église chrétienne primitive reporté par la suite dans l’Évangile de l’enfance (Weiszajcker ; voir Marie, paragraphe 2) : comment l’Église se fût-elle contentée, dans le bouillonnement de son témoignage missionnaire au Crucifié Ressuscité, d’aussi vagues déclarations messianiques de la part de la mère elle-même du Seigneur Jésus ? Et l’explication psychologique indiquée plus haut pour rendre compte de ce genre lyrique composé d’une mosaïque de textes sacrés, nous dispense de chercher si cette composition n’en remonterait pas seulement à l’évangéliste lui-même : certes, sa langue grecque a récrit l’original araméen, à travers lequel certains critiques croient même pouvoir retrouver le sens féminin, maternel ; mais le fond du cantique porte la marque de sa date : « Lorsque les temps furent accomplis, Dieu envoya son Fils, né d’une femme…  » (Galates 4.4). Le Magnificat, sublime chant de l’Incarnation, est au seuil de l’Évangile, antérieur à Jésus-Christ.

Il est entré dans les anciennes liturgies de l’Église : cantique du matin en Orient ; quelque temps aussi en Occident avec le Gloria (voir ce mot), il y fut ensuite introduit dans les offices du soir, aux Vêpres.

Jean Laroche


Numérisation : Yves Petrakian