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Ésaïe (prophète)
Dictionnaire Biblique Westphal

I L’homme

Ésaïe a prophétisé pendant la 2e moitié du VIIIe siècle. Il était contemporain d’Amos et d’Osée, mais il a poursuivi son ministère bien après eux, et son histoire est étroitement associée à l’histoire d’Israël et de Juda au temps de la conquête assyrienne.

Il était sans doute né à Jérusalem, et c’est là qu’il a passé toute sa vie. Son horizon ne dépasse pas les montagnes rocailleuses qui entourent la ville, avec les maquis arides et les champs en terrasses plantés de vignes, de figuiers et d’oliviers autour des villages. Le prophète ne se mêle pas d’ailleurs à la vie rurale, et son ministère s’exerce dans les rues, sur les places publiques et aux portes de la ville. Nous avons peu de détails sur sa vie, en dehors des grands événements historiques auxquels sa prédication fait allusion. Il était marié et avait plusieurs enfants (Ésaïe 7.3 ; Ésaïe 8.1 ; Ésaïe 8.3). Il était en rapports assez étroits avec la maison de David et la cour royale, mais il ne paraît pas y avoir occupé de position officielle. Il appartenait aux cercles de nebiim (prophètes) du Temple, et c’est dans le Temple qu’il reçut sa vocation spéciale (chapitre 6). Il nous apparaît entouré de nombreux disciples (Ésaïe 8.16), mais ces disciples n’étaient pas seulement des « fils de prophètes » à l’ancienne manière des extatiques, c’était déjà un parti, une élite de jéhovistes fidèles.

À la tête de ce groupe le prophète remplit au milieu de son peuple la plus haute fonction spirituelle. En face des iniquités des chefs, des riches, des prêtres, qui égarent la nation sur de faux chemins, il fait entendre la protestation de la conscience jéhoviste. Il exhorte, il menace, il est comme une sentinelle qui, au milieu de la nuit obscure, interroge les signes des temps, il est le prédicateur austère et terrible qui annonce les jugements de Jéhovah et qui clame la complainte funèbre sur son peuple ; et il est aussi le messager de bonnes nouvelles qui découvre à Juda et à la maison de David les horizons de l’avenir.

Ésaïe avait commencé à prophétiser l’année de la mort d’Ozias (740). Ses premières prédications pendant le règne de Jotham et les premiers temps d’Achaz dénoncent le luxe et la superbe des grands, qui se confient en l’homme et qui méprisent Jéhovah, les iniquités de ceux qui s’enrichissent de la dépouille des pauvres et qui foulent aux pieds le peuple du pays, les désordres et l’imprévoyance de la cour royale, les idolâtries syncrétiques et les modes étrangères qui envahissent le pays. Le crime de Juda, c’est de se confier dans une civilisation fondée sur la force de l’homme et sur l’orgueil de l’homme, et de mépriser Jéhovah (chapitres 2 à 5).

Pendant la guerre syro-éphraïmite, l’opposition entre l’idéal du prophète et les fins mondaines des chefs de la nation se précise encore. Retsin le roi de Damas, et Pékah le roi de Samarie, avaient envahi Juda et mis le siège devant Jérusalem. Achaz et tout le peuple étaient apeurés, « frissonnant comme les arbres d’une forêt frissonnent sous le vent ». Mais Ésaïe s’avance à la rencontre du roi et l’exhorte à la confiance en Jéhovah. Jéhovah délivrera son peuple ; et au roi qui lui demande un signe, le prophète annonce la naissance de l’enfant divin, Emmanuel (voir ce mot). Cependant Achaz appelle à sa délivrance le roi d’Assour Tiglath-Piléser III avec ce message : « Je suis ton serviteur et ton fils, monte et délivre-moi de la main du roi d’Aram et de la main du roi d’Israël. » Ésaïe proteste contre cette alliance impie. Jéhovah est tout pour son peuple, et c’est en lui seul que Juda doit chercher le secours. Malheur à ceux qui ont méprisé les eaux de Siloé et qui ont rêvé de l’Euphrate ! L’Euphrate débordera en effet sur le pays ; Aram et Éphraïm seront inondés, mais Juda n’échappera pas à la catastrophe, et son terrible allié ne l’épargnera pas. Et dans un de ces actes symboliques qui lui étaient familiers, le prophète promène à travers la ville une pancarte : « Prompt au pillage, rapide au butin », et il appelle le fils qui lui naît de la prophétesse : « Prompt au pillage, rapide au butin » (chapitres 7 et 8).

Pourtant Jérusalem fut sauvée et Achaz put assister au désastre de ses adversaires. En 732 Damas fut prise. Dix ans plus tard Samarie tombait à son tour après un long siège et l’élite de sa population était emmenée en exil (722). Le roi Achaz recueillait ainsi les fruits de sa politique ; Juda échappait à la catastrophe qui balayait les petites monarchies syriennes et il devait encore se maintenir comme vassal du roi d’Assour.

L’avènement d’Ézéchias (720) devait être favorable au parti d’Ésaïe. Le nouveau roi était un prince sage et bien disposé ; « il fit ; ce qui est droit aux yeux de Jéhovah ». Le pays, bien administré, put jouir d’une prospérité relative. Mais le parti mondain et guerrier, dans ses velléités d’indépendance, prêtait l’oreille aux intrigues de l’Égypte et poussait à la révolte contre l’Assyrie. Le roi finit par céder aux suggestions du parti égyptophile. À plusieurs reprises, surtout après la campagne des Assyriens contre Asdod, la fidélité d’Ézéchias vis-à-vis de son suzerain parut chanceler. Vers la fin du règne de Sargon, il cessa de payer tribut. Et Ésaïe de combattre les illusions dangereuses des chefs du peuple. Une vassalité loyale lui apparaît la seule attitude possible. Il faut laisser la volonté de Jéhovah s’accomplir et supporter le châtiment qu’il a fait peser sur son peuple. Malheur à ceux qui vont en Égypte pour y chercher du secours, l’Égyptien est un faux appui. Ceux qui veulent se sauver ainsi périront impuissants. Cependant le parti égyptophile l’emporta, et à l’avènement de Sanchérib ce fut la révolte ouverte. Mais trois ans après (702) le roi d’Assour envahissait la Palestine et le pays de Juda était affreusement ravagé. Ézéchias était cerné dans Jérusalem « comme un oiseau en cage ». Dans le malheur et dans la détresse Ésaïe veille sur son peuple, annonçant la parole de Jéhovah dans la ville bruyante et apeurée, et il refait l’âme de la nation : Que Juda se repente, qu’il retourne à Jéhovah, Jéhovah seul peut sauver Jérusalem (chapitres 29-33). Et à la proclamation du tartan de Sanchérib sommant Jérusalem de se rendre, le prophète répond par cette magnifique prophétie : « Elle te méprise, elle se moque de toi, la vierge, fille de Sion…  » (2 Rois 19 ; Ésaïe 37). Sanchérib dut lever le siège ; mais il laissait Ézéchias épuisé par une lourde rançon, son royaume dévasté par les razzias et diminué de territoire.

Cependant Jérusalem n’avait pas été profanée par l’étranger, et la montagne sainte apparaissait comme inviolable au milieu des agitations des peuples, miraculeusement défendue par son Dieu. À la suite de ces événements, la popularité d’Ésaïe et son influence devaient considérablement grandir. Ézéchias est désormais acquis à la politique du prophète. Au lieu de préparer de nouvelles révoltes et d’organiser des alliances, il cherche à restaurer le passé, relevant les ruines et effaçant les traces du désastre. En même temps, cédant aux suggestions d’Ésaïe et de son parti, il s’occupe de réformer la religion et d’épurer le culte. Il supprime les cultes idolâtriques des bânwth, renversant les massêboth, brisant les achéritn, et même il enlève du Temple la grande idole de Jéhovah, le serpent d’airain, le Néhustan

Il ne paraît pas que nous ayons des prophéties d’Ésaïe datant de cette dernière époque. Il est pourtant probable que le prophète a continué son ministère jusqu’à l’avènement de Manassé (692). D’après la tradition rabbinique, il aurait été mis à mort pendant les persécutions de Manassé, scié entre les deux moitiés d’un tronc d’arbre.

Une grande idée domine la prédication d’Ésaïe, qui s’exprime dès sa vision de vocation : (Ésaïe 6.3) Jéhovah est le Saint d’Israël (Qâdôch Yahvé Tsebaot). Cette idée du Qâdôch a son point de départ dans la religion populaire. Elle implique d’abord l’idée de propriété divine et de tabou. Tout ce qui touche au culte est saint : le Temple, demeure de Dieu, les objets du culte, l’homme qui exerce le culte. Mais la conception du prophète déborde infiniment le sens traditionnel. La sainteté de Jéhovah est d’abord synonyme de majesté divine, et Jéhovah est un Dieu tel qu’il n’y a pas d’autre Dieu, le Dieu par excellence, souverainement élevé au-dessus du monde et qui n’a rien de commun avec les créatures terrestres. Et la sainteté de Jéhovah est aussi synonyme de justice et de perfection morale. Elle se manifeste dans le jugement : « Jéhovah des armées apparaîtra grand dans le jugement ; le Dieu saint sera sanctifié dans la justice » (Ésaïe 5.16). Parce que le peuple n’a pas réalisé la justice, il sera châtié ; le jour de Jéhovah va venir, le jour de ténèbres et de destruction, et les crises de l’histoire actuelle sont les signes avant-coureurs de la grande catastrophe qui viendra sur Israël. Et c’est ici la philosophie de l’histoire d’Ésaïe : Jéhovah règne, il est le maître des peuples et il est à l’œuvre parmi les hommes. Il a suscité Assour comme verge de sa colère pour briser les nations et châtier Éphraïm et Juda, ses enfants rebelles. Puis quand les temps seront accomplis, il manifestera sa puissance et il brisera la verge dont il s’est servi, il brisera l’orgueil d’Assour.

Et après la ruine d’Assour commenceront les temps nouveaux, la restauration d’Israël. La nation coupable sera châtiée, mais elle ne disparaîtra pas complètement. Un reste échappera à la destruction, un reste sera sauvé. Pour donner forme à cette promesse, le prophète avait appelé un de ses fils : Chear-Yachoub, un reste reviendra. Ainsi se concilient la justice de Jéhovah et son ardent amour pour son peuple : une base morale est donnée à l’espérance d’Israël. Et ce petit troupeau de justes qui survivra aux catastrophes cessera de mettre sa confiance en l’homme. Les Å“uvres d’une civilisation coupable auront alors disparu, les palais seront en ruines et les villes abandonnées ; les réchappés d’Israël retourneront à la vie nomade comme aux temps antiques, ils se nourriront de crème et de miel (Ésaïe 7.21-25) et des fruits que la terre produira d’elle-même, « ce que Jéhovah fera germer » (Ésaïe 42).

Mais ce retour à la vie de la steppe n’est que le prélude de la renaissance eschatologique. À la fin, Israël sera restauré dans la splendeur et dans la joie. Le prince juste et pacifique régnera sur l’Israël nouveau, c’est le rejeton qui sortira du tronc de David, le Messie. Le prophète idéalise la royauté présente, et les attributs traditionnels de filialité divine, de puissance surnaturelle et de domination universelle par lesquels il était d’usage de célébrer les rois terrestres, lui servent à décrire le roi sauveur de l’avenir. Il se lèvera comme une lumière pour éclairer ceux qui marchent dans la vallée sombre, il sera le héros de Jéhovah qui brisera le joug étranger et fera connaître à son peuple l’allégresse des victoires, et on l’appellera de noms divins : Merveilleux Conseiller (voir ce mot), Dieu fort, Père de l’Éternité, Prince de la Paix (Ésaïe 9.1 ; Ésaïe 9.6). Et surtout il sera le juste juge qui possède le pouvoir de connaître ce qui se passe dans le cÅ“ur des hommes, et de distinguer entre le juste et l’injuste ; il défendra les pauvres et les humbles contre ceux qui les oppriment, et de la verge de sa parole il frappera les méchants (Ésaïe 11.1 ; Ésaïe 11.5).

Et alors ce sera la paix, la grande paix de Dieu. Il ne se lèvera plus d’oppresseur ni de destructeur, et les hommes ne s’agiteront plus dans les luttes sanglantes. Chacun se reposera à l’ombre de sa vigne et de son figuier, les épées seront changées en hoyaux et les lances en faucilles (Ésaïe 2.3). Et toute chaussure qu’on porte dans la mêlée, et tout vêtement de guerre roulé dans le sang seront jetés aux flammes et le feu les dévorera (Ésaïe 9.4). Et Jéhovah sera l’arbitre des nations (Ésaïe 2.4) ; la nature elle-même sera apaisée et réconciliée. Le désert deviendra fertile et verdoiera comme un verger ; le loup habitera avec l’agneau, la panthère gîtera avec le chevreau. Le règne de la violence antique aura cessé, et autour de la montagne de Sion devenue la montagne d’Élohim commencera le règne paradisiaque, l’harmonie parfaite de tous les vivants (Ésaïe 11.6-9).

II Le livre

Le livre canonique d’Ésaïe renferme diverses collections d’oracles datant de diverses époques et s’échelonnant entre le VIIIe siècle et le IVe siècle.

1.

La première de ces collections : Ésaïe 1 à Ésaïe 39, est en grande partie formée par les prophéties authentiques d’Ésaïe. Ce sont trois groupes de prophéties :

  1. Ésaïe 1 à Ésaïe 12 ;
  2. Ésaïe 14.24 ; Ésaïe 14.32 Ésaïe 17-20, Ésaïe 22 ;
  3. Ésaïe 28-33, plus
  4. un appendice narratif, Ésaïe 36-39.

a. Chapitres 1 à 12

Prophéties concernant le pays de Juda et se rapportant, à part le chapitre 1, aux règnes de Jotham et d’Achaz et aux premiers temps d’Ézéchias. Le chapitre 1 est probablement d’une époque plus tardive. La description de la ruine du pays, telle que la présentent les versets 4 et 10, peut s’appliquer à l’invasion de Sanchérib. Certains l’appliquent cependant à la guerre syroéphraïmite. Il paraît bien que ces oracles ont été mis en tête du livre parce qu’ils forment une sorte d’introduction générale ; c’est l’acte d’accusation de Jéhovah contre son peuple.

Les chapitres 2 à 5 ont été composés sous Jotham et dans les premières années d’Achaz. Ésaïe y dénonce l’orgueil et les vices des grands et les idolâtries du peuple (Ésaïe 2.6-11) ; il annonce la venue du jour de Jéhovah contre tout ce qui s’élève (Ésaïe 2.12-22), et l’anarchie de Jérusalem livrée au caprice et aux iniquités de ses chefs (Ésaïe 3.1-16) et le châtiment des filles de Sion (Ésaïe 3.16-4.2). Jérusalem est la vigne plantée de ceps de choix et qui n’a donné que verjus (Ésaïe 5.1-7), et le prophète annonce aux chefs de son peuple la malédiction (Ésaïe 5.8 ; Ésaïe 5.24). L’oracle du commencement de Ésaïe 2.1-6, le rassemblement des peuples à Jérusalem, se retrouve aussi dans Michée 4.1 ; Michée 4.5. Certains critiques l’ont considéré comme une interpolation post-exilique. Il peut être plus vraisemblable qu’Ésaïe et Michée aient reproduit (Michée d’une manière plus complète) un oracle qui circulait déjà dans les milieux prophétiques. Quant à Ésaïe 4.2-6, décrivant la gloire du reste des délivrés dans la Jérusalem de l’avenir, bien qu’il interrompe la série des protestations et des menaces, il n’y a pas de raison suffisante pour y voir un fragment eschatologique d’époque plus récente. Le chapitre 6 raconte la vocation du prophète l’année de la mort d’Ozias, — Les chapitres 7, 8 et 9 donnent les prophéties prononcées pendant la guerre syro-éphraïmite, et à la fin l’oracle sur l’enfant royal, le héros divin (Ésaïe 9.1-6).

Le passage Ésaïe 9.7-10.4 est un oracle formé de quatre strophes annonçant le jugement de Samarie et la fin du royaume d’Éphraïm. Il faut ajouter à ce poème le fragment Ésaïe 5.24 et suivant qui est de même facture et terminé par le même refrain. Les ch. Ésaïe 10.5-12 contiennent l’oracle contre Assour, qui a été envoyé par Jéhovah pour châtier le peuple, mais que Jéhovah frappera à son tour (Ésaïe 10.5-34), puis le poème du second David (Ésaïe 11.1-9), l’annonce du retour des exilés (Ésaïe 11.10-16) et le cantique des rachetés (Ésaïe 12). L’authenticité de ce dernier groupe a été contestée à diverses reprises. On fait remarquer en particulier que le chapitre 12 est un psaume d’actions de grâces, une allusion immédiate à un événement historique, mais ce psaume n’est pas nécessairement une interpolation.

b. Chapitres 14.24-32 17 18 19 20 22

C’est un recueil d’oracles contre les nations païennes (à part les deux oracles du chapitre 22). Ce recueil n’a pas évidemment la même homogénéité que le premier, encore que la plupart de ces morceaux portent bien la marque du style ésaïaque. Oracle contre l’armée assyrienne qui sera détruite (Ésaïe 14.24-27), se rapporte très probablement aux circonstances de l’invasion de Sanchérib. Oracle contre les Philistins (Ésaïe 14.28-32). Oracle contre Damas et Samarie (Ésaïe 17.1-11), date de l’époque des campagnes de Tiglath-Piléser contre la Syrie et Éphraïm (Ésaïe 17.12-14). Oracle sur une invasion assyrienne. Oracle contre l’Éthiopie (Ésaïe 18). Oracle contre l’Égypte (Ésaïe 19). Le chapitre 18 peut avoir été composé au moment de l’invasion de Sanchérib, qui se proposait de conquérir l’Égypte après la Palestine. Quant au chapitre 19, on a plus d’une fois refusé de l’attribuer à Ésaïe, pour le placer à l’époque achéménide, et même, pour le dernier oracle (verset 18-25), à l’époque hellénistique ; cependant, l’ensemble de cette prophétie peut s’appliquer assez bien à l’époque où Assarhaddon préparait son expédition contre l’Égypte, et l’allusion aux villes d’Égypte qui parleront la langue de Canaan et au culte de Jéhovah célébré sur la terre d’Égypte n’a rien d’insolite depuis que les découvertes d’Éléphantine nous ont montré l’antiquité de la diaspora égyptienne. Oracle contre l’Égypte et l’Éthiopie, avec action symbolique (chapitre 20), date de l’année de la campagne de Sargon contre Asdod. Oracle contre Jérusalem, cité bruyante et joyeuse (Ésaïe 22.1-14), probablement de l’époque de l’invasion de Sanchérib. Oracle contre l’intendant Sebna, qui sera remplacé par Éliakim (Ésaïe 22.15-25).

c. Chapitres 28 à 33

Le premier de ces chapitres a été composé au moment du siège de Samarie. Malédiction contre Éphraïm (Ésaïe 28.1-6), suivie d’avertissements et de menaces contre Juda (Ésaïe 28.7-29). Les oracles qui suivent (Ésaïe 29-33) datent de l’époque de la révolte d’Ézéchias contre Assour et de l’invasion de Sanchérib : Prophétie contre Ariel, « la cité où David a dressé sa tente » (Ésaïe 29.1 ; Ésaïe 29.16). Prophétie contre ceux qui s’appuient sur l’Égypte et qui ne se confient pas au Saint d’Israël (chapitres 30 et 31). Annonce de la prochaine destruction et de la restauration messianique (chapitre 32). On a vu dans le chapitre 33 une liturgie prophétique post-exilique qu’on prononçait au moment d’une invasion. Il n’y a pas de raison décisive pour que cette liturgie ne soit pas d’époque ancienne, et elle a pu aussi s’appliquer à la délivrance d’Israël en 701.

d. Un appendice narratif (36-39)

Qui est une répétition avec quelques variantes du récit de 2 Rois 18.13-20.19, raconte l’expédition de Sanchérib et le rôle d’Ésaïe pendant l’invasion assyrienne, la maladie d’Ézéchias et sa guérison, et l’ambassade de Mérodac-Baladan, roi de Babylone, auprès d’Ézéchias. Ce texte, qui date de l’époque exilique, donne la prophétie qu’Ésaïe prononça en réponse au manifeste du tartan de Sanchérib (Ésaïe 37.22 ; Ésaïe 37.35). Cette prophétie est bien dans la manière d’Ésaïe et son authenticité doit être maintenue.

Avec les oracles d’Ésaïe, nous sommes au point culminant de l’évolution littéraire d’Israël. Ici le chir (chant lyrique) de la prophétie atteint son développement le plus parfait. Non pas que le prophète soit le moins du monde un écrivain d’école. Sa prédication continue à s’exprimer au hasard de l’actualité et suivant la manière violente, abrupte et tourmentée des anciens nebiim C’est un inspiré, ses paroles sont toujours des oracles, des paroles de Jéhovah. Cependant l’extatisme est de plus en plus à F arrière-plan. Et, sous les formes traditionnelles de la fureur sacrée et de la saisie divine, s’exprime une pensée très consciente et une poésie religieuse de forme très achevée. Parmi tous les poètes bibliques, Ésaïe l’emporta, non seulement par la pureté vraiment classique de la langue, mais aussi par la vigueur, la splendeur, la puissance et la majesté. Et sans doute, nous sommes loin du style souple, nuancé, eurythmique qui fait le charme éternel de la poésie grecque. Mais à défaut de grâce, la manière du prophète donne une impression de force sereine et de grandeur. Et c’est ici vraiment l’âge d’or de la littérature hébraïque.

2.

Dans le cadre des prophéties d’Ésaïe, les rédacteurs ont inséré un certain nombre d’autres oracles, s’appliquant aux circonstances les plus diverses de l’histoire d’Israël avant et après l’exil.

  1. D’abord deux oracles contre Babylone, écrits pendant le temps où Israël est dans « une dure servitude » (Ésaïe 13 et Ésaïe 14.4 ; Ésaïe 14.23). Le premier annonce la venue du jour de Jéhovah contre la grande cité, ornement des royaumes, parure des orgueilleux Caldéens. Les Mèdes la détruiront et elle deviendra une solitude. C’est un morceau de très belle allure, qui se rapproche par la forme et le fond de la prédication d’Ésaïe II (voir article suivant). Le second oracle est un mâchai (chant imagé) satirique, décrivant l’arrivée du roi de Babylone au cheol, où les ombres des peuples opprimés l’acclameront avec des cris de sarcasme.
  2. Les chapitres 15 et 16 sont un oracle sur Moab, très vraisemblablement antérieur à l’époque d’Ésaïe et qui appartient au genre de paroles de malédiction que les prophètes prononçaient avant la bataille contre le peuple ennemi. On peut le dater avec beaucoup de vraisemblance de l’époque de la conquête de Moab par les Omrides.
  3. Le chapitre 21 renferme trois oracles. Le premier est encore un oracle contre Babylone qui se rapporte comme les chapitre 13 et Ésaïe 14.4 ; Ésaïe 14.23 au temps de la conquête de la ville par Cyrus. C’est un des morceaux où nous pouvons le mieux étudier le style extatique du prophète. Le visionnaire est comme une sentinelle au milieu de la nuit, il entend le bruit des cavaliers et les peuples qui montent à l’assaut de la ville, et les cris de guerre et de carnage. Le second oracle (Ésaïe 21 et suivant) est dirigé contre Édom ; on peut difficilement en préciser la date. Le troisième oracle (Ésaïe 21.13-15), sur l’Arabie, peut dater de l’époque des campagnes de Nabounaïd contre les tribus arabes.
  4. Le chapitre 23 est une prophétie contre Tyr. Elle annonce la destruction de la grande cité reine des mers. L’allusion aux Caldéens (verset 13) laisse supposer qu’il s’agit du siège de Tyr par Nébucadnetsar. La prophétie daterait donc du début du VIe siècle.
  5. Les chapitres 24 à 27 sont une apocalypse de date relativement récente, ayant déjà les traits caractéristiques du genre. D’abord l’annonce du grand bouleversement eschatologique (chapitre 24): Jéhovah bouleversera la face de la terre, la terre tremblera, la lune rougira et le soleil pâlira, et les rois et les peuples seront dans l’épouvante, car ce sera pour eux l’heure du jugement. Toutefois, dans le désastre universel, le petit troupeau, le peuple élu, sera épargné, et il exaltera le nom de Jéhovah et chantera ses louanges sur la montagne de Sion. Et Jéhovah rassemblera les peuples sur la montagne de Sion pour un festin de sacrifice, il anéantira la mort pour toujours, cependant que les puissances hostiles seront abattues et jetées dans la poussière (chapitre 25).
  6. Le chapitre 26 commence par un autre cantique de louange et d’actions de grâces, dont le thème est l’opposition entre la cité de Dieu et la ville superbe, et impie (verset 1-13), puis le visionnaire décrit la résurrection du peuple succédant à sa longue/détresse ; les morts d’Israël et les cadavres se relèveront, vivifiés par une rosée de lumière.
  7. Enfin, le dernier chapitre 27 représente Jéhovah veillant sur sa vigne (verset 2-5), et décrit la restauration d’Israël et le retour des exilés, qui se rassembleront au son de la trompette depuis le pays d’Égypte et depuis le pays d’Assour.
    La manière apocalyptique de ces oracles, l’absence ou l’imprécision des allusions historiques, l’élargissement du drame eschatologique jusqu’aux proportions d’un drame cosmique, et surtout l’espérance de la résurrection et de la vie/éternelle qui apparaît ici pour la première fois dans la littérature biblique (Ésaïe 25.7 ; Ésaïe 26.10), nous reportent à une date relativement récente, vraisemblablement à la fin du Ve ou au IVe siècle. Il y a en effet quelque parenté entre cette apocalypse et la prophétie de Joël. Certains critiques ont cru cependant pouvoir descendre jusqu’à l’époque macchabéenne. D’après eux, les allusions à la destruction de la ville orgueilleuse se rapportent à la prise de Samarie par Jean Hyrcan (107). Au point de vue de la langue et du style, cette prophétie n’a sans doute pas la pureté et la vigueur de la littérature de la grande époque ; encore y remarque-t-on un lyrisme de belle allure et une relative sobriété qui s’expliqueraient assez mal à une époque de décadence et qui ne sont pas précisément la marque des productions littéraires du IIe siècle.
  8. Les chapitres 34 et 35 sont encore une apocalypse annonçant la colère de Jéhovah contre les nations, la destruction d’Édom, la délivrance et la gloire d’Israël. Édom sera dévasté pour l’éternité, et les bêtes de la steppe en feront leur demeure, cependant que le pays d’Israël fleurira comme la rosé, et que les délivrés de la diaspora s’y rassembleront. La malédiction contre Édom et l’allusion au retour des dispersés, aussi bien que le style et le genre littéraire, sont l’indice que nous avons ici un morceau d’époque post-exilique, mais il n’est guère possible d’en fixer la date de composition avec quelque précision.

Ant. C.


Numérisation : Yves Petrakian